Entre infini et au-delà de Cyrlight

Plus là - Frédéric Lerner


- Cassy ! haleta Esméralda. Ralentis, s'il te plaît !
- Non ! Si nous ralentissons, nous ne sortirons jamais d'ici vivants.

Ils couraient encore dans les bois, sans voir la lisière se profiler à l'horizon, si bien qu'ils commençaient à désespérer. Hitaki portait à moitié Léa, exténuée par les épreuves qu'elle venait de traverser, tandis que Bridget et Angus fermaient la marche, à hauteur de Yohanna dont la Momartik s'efforçait de dissimuler leur trace.

Soudain, un tronc immense s'abattit devant eux, le barrant le passage. Des sapins drus les cernaient de part et d'autre, rendant l'obstacle impossible à contourner, cependant ils ne pouvaient pas non plus l'escalader à cause du givre qui le recouvrait. Ceci n'était pas naturel : un conifère centenaire ne se serait jamais effondré de la sorte tout seul.

Sylvain vint se poster aux côtés de sa cousine qui ouvrait la voie et tendit la main en direction de l'arbre. Grâce à son pouvoir de mobilité, il parvint à le déplacer, mais de quelques centimètres seulement. Plus l'objet était lourd et plus il peinait à le bouger. Le Canarticho de Marion voulut l'aider avec ses Lame d'Air, or celles-ci entaillèrent à peine l'écorce.

- Ce n'est pas bon, marmonna le Topdresseur en libérant à son tour ses pokémon pour qu'ils tentent de dégager le chemin. Pas bon du tout, même !

Malgré la force des créatures de type roche et celle décuplée d'Hitaki venu aider, ils perdirent un temps considérable avant de pouvoir enfin avancer à nouveau. Lorsqu'ils eurent franchi le barrage que représentait le tronc, néanmoins, ils eurent la désagréable surprise de se retrouver nez à nez avec un homme. Ils se figèrent aussitôt face à lui, prêts à l'attaque.

Il était grand, dans les environs d'un mètre quatre-vingt dix. Son corps à la musculature saillante, sous une cuirasse cuivrée, inspirait une impression de force et de puissance. Son visage carré au menton proéminent les observa à tour de rôle. Il possédait cheveux courts blond vénitien, qui bouclaient légèrement au niveau de ses oreilles. Malgré la neige, qui montait jusqu'à ses chevilles, il ne portait qu'une paire de sandalettes.

- Inutile de me combattre, annonça-t-il d'une voix forte. Je ne suis pas votre ennemi.
- Mais... Et l'arbre ? demanda Cassy, soupçonneuse.
- Un simple test pour voir ce dont vous étiez capable. D'ailleurs, il serait tant de le remettre à sa place.

L'inconnu leur passa devant, sous le regard interloqué de la petite troupe, pour aller repousser le tronc avec autant de facilité que s'il avait été en mousse de façon à ce qu'il bloque à nouveau le passage. Ainsi, les humains légendaires qui arriveraient dans les secondes à suivre devraient également trouver un moyen pour le contourner.

- Qui êtes-vous, au juste ? interrogea la meneuse de la Confrérie avec froideur.
- Hercule, à votre service. Nous pouvons maintenant rester ici pour discuter ou alors je peux également vous conduire en lieu sûr.
- Qui servez-vous ?
- Celle qui veut votre bien, évidemment.

Il lança un regard entendu à la jeune femme qui acquiesça d'un signe de tête. Son instinct lui soufflait clairement de se fier à cet homme. Il appartenait au troisième camp, le camp d'Athéna.

- En route, finit-elle par ordonner. Suivons-le.

Une vague de murmure parcourut l'ensemble de ses confrères et, alors qu'elle emboitait le pas de l'humain légendaire, Sven vint se positionner à sa gauche afin de lui murmurer dans le creux de l'oreille :

- Toute cette histoire me parait suspecte. Si c'est un allié de Lilith, pourquoi nous aiderait-il, maintenant que tu lui as tourné le dos ? Et s'il n'est pas au courant, comment réagira-t-il, d'après toi, en découvrant ta mutinerie ?
- Il n'y a pas que Lilith, dans la vie, coupa catégoriquement Cassy. Et si jamais tu répètes un seul mot de tout ceci à Artémis, je peux t'assurer que tu le regretteras.
- Ah bon ? Tu penses vraiment être capable de me faire regretter quelque chose, toi ?

Elle ne releva pas, se contentant de suivre Hercule qui se déplaçait à une vitesse surprenante dans un terrain aussi accidenté que celui de la forêt des Oubliés. Les autres haletaient toujours dans son sillage, mais au moins ils semblaient soulagés de ne plus être contraints de courir.

Après quelques minutes, ils atteignirent une partie du bois où la végétation se faisait plus dense et plus luxuriante. Les arbres se resserraient presque au point de se coller les uns aux autres, tandis que leurs branchages entremêlés formaient des rideaux verdâtres couverts d'une épaisse pellicule de givre.

- Nous sommes arrivés, lança l'homme en s'immobilisant.

Ils scrutèrent tous les alentours, intrigués, sans parvenir à distinguer quoi que ce soit qui en vaille la peine. Pendant un instant, Cassy douta d'avoir eu raison de lui faire confiance, mais il ne tarda pas à écarter un pan de lierre grimpant pour dégager une ouverture dans la barrière végétale. Le spectacle dévoilé leur coupa le souffle, plus encore que la course qu'ils venaient de mener.

Un gigantesque temple clair se dressait devant eux, aux colonnes malmenées par le gel et les siècles. Elles soutenaient un toit robuste, sur lequel s'étiraient maintes gravures en ancien langage. Des marches conduisaient à une splendide arche, l'entrée selon toute vraisemblance.

- C'est... le temple de Regigigas... chuchota Bridget alors qu'ils se regroupaient.
- Pardon ?
- Regigigas, le pokémon légendaire. Cela faisait partie intégrante de l'histoire que nous avait racontée le professeur. Apparemment, dans cette forêt, il existe un lieu de culte en son honneur, que nul n'a jamais trouvé. Je suis certaine que c'est lui.
- Ce n'est pas un lieu de culte, rectifia Hercule en lui jetant un regard par-dessus son épaule. C'est l'endroit où il demeure.

D'un geste de la main, il les invita à traverser le rideau, puis il les précéda sur la rangée de marches crème qu'ils leur restaient à gravir. Une fois au sommet, il poussa sans le moindre effort la lourde porte de pierre qui condamnait l'accès au temple, puis s'effaça afin de le permettre de pénétrer à l'intérieur.

Contrairement à ses acolytes qui marquèrent tous un temps d'hésitation, Cassy en franchit le seuil sans hésiter. Elle se retrouva rapidement dans un hall au sol de pierre écrue, éclairé par des torches éparses. Exactement comme aux ruines Sinjoh, des gravures ancestrales recouvraient les parois, à ceci près qu'elles traitaient cette fois toutes de Regigigas et de ses Golems.

- Vous êtes en sécurité, ici. Profitez-en pour reprendre des forces et vous reposer. Ne restez pas dans cette salle, cependant. A mon avis, Zeus ne va pas tarder à arriver pour me demander si je vous ai aperçus. Cachez-vous dans les profondeurs du temple. Moi, je vais l'attendre ici.

Il désigna une ouverture sur leur gauche, qui donnait sur un escalier. Cassy s'empara d'une torche fixée contre le mur et Marion l'imita. Ensemble, elles éclairèrent la volée de marches. Celles-ci semblaient s'enfoncer profondément sous terre.

- Es-tu certaine de ce que tu fais ? murmura la Ranger avant de s'engager dans ce tunnel peu rassurant.
- Absolument. Ecoutez... Il s'est passé des choses, ces derniers temps. Je n'ai pas pu vous en parler, néanmoins je sais que quelqu'un, parmi les humains légendaires, veille sur nous. Nous pouvons lui faire confiance.
- De qui s'agit-il ?

La dresseuse mit un doigt sur ses lèvres afin de lui intimer le silence, avant de montrer Sven d'un discret signe de tête. Il n'en fallut pas davantage à sa consoeur pour comprendre qu'il ne devait pas savoir la vérité à ce sujet, par crainte qu'il n'en fasse mention à Artémis et que cela parvienne jusqu'à Lilith, qui n'apprécierait probablement pas.

Ils descendirent l'escalier en silence, les uns à la suite des autres, jusqu'à atteindre un long couloir souterrain à la forme carrée. Il était très haut mais, étonnamment, pas assez pour permettre à une créature telle que Regigigas de s'y faufiler.

Ils arrivèrent bientôt dans une autre salle, sans doute la plus belle qui leur ait été donné de voir. Le dallage, vraisemblablement taillé dans du cristal, rutilait de toute part sous les éclats provoqués par les flammes de leur torche. Le reflet de ces dernières scintillaient également sur les murs en miroir, qui leur renvoyaient leur propre image, celle d'une petite troupe à bout de force.

Ils se laissèrent tomber sur le sol, afin de reposer leurs jambes endoloris par la course et panser leurs blessures. Ils regrettaient de ne pas avoir apporté quelques rations de nourriture, qui leur auraient été bien utiles pour reprendre des forces en un pareil moment.

Lorsque Léa eut terminé de soigner les plaies les plus graves, elle s'éloigna un peu du reste de la Confrérie, pendant que tous discutaient ensemble des évènements récents. Visiblement, ils s'inquiétaient de ce que cet affrontement prématuré avec le clan d'Arceus laissait présager pour la suite.

Cassy s'excusa auprès de Yohanna alors que celle-ci désinfectait ses plaies superficielles à l'aide d'un produit alcoolisé pour aller rejoindre l'adolescente isolée. A la vue des soubresauts de son dos, il apparaissait clairement qu'elle pleurait.

Elle alla s'asseoir à côté d'elle, et ramena doucement la tête de la porteuse du glyphe plante contre son épaule, tout en sortant un mouchoir de sa sacoche afin de lui essuyer ses larmes, qui trempaient ses cheveux blonds, rendus sales par la poussière.

- Je suis désolée, hoqueta-t-elle en tapotant ses yeux avec le carré de tissu. Je sais que je ne devrais pas... Qu'il ne faudrait pas que... Bref, je n'ai pas à me mettre dans un état pareille pour la mort d'une humaine légendaire, mais...
- Je ne te juge pas, murmura la dresseuse entre deux caresses réconfortantes. Tu as passé plus de deux ans en compagnie de Circé et tu es devenue sa disciple. Elle a été pour toi une véritable figure importante, un peu comme un mentor.

Tout en prononçant ces paroles, la dresseuse effleura du revers du pouce le "C" brodé dans le mouchoir que Léa venait de lui rendre. Elle comprenait ce qu'elle pouvait ressentir : la maîtresse des poisons avait eu dans sa vie le même rôle que Cynthia dans la sienne, avant que Lilith n'endosse ce rôle dans une moindre mesure.

- Tu sais, parfois, les gens peuvent bien dire n'importe quoi. Cela ne nous empêche pas de nous attacher à certaines personnes sans que l'on n'est aucune raison de le faire.
- Comme Sven et toi ?

Cassy hésita un instant avant de hocher doucement la tête. Oui, comme Sven et elle qui, malgré leurs différences d'opinion constantes, s'étaient jurés loyauté d'une façon tacite, et ce depuis leur toute première rencontre.

- Tu verras, déclara-t-elle en prenant l'adolescente par l'épaule. Cela ira mieux, avec le temps.

Elle frictionna doucement le bras de son amie, puis déposa un baiser sur son front. Elle n'était pas certaine que quoi que ce soit aille un jour mieux, cependant, tant qu'ils se trouvaient en sécurité, il valait toujours mieux le croire.