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Entre deux mondes de Xabab



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Informations

» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 24/08/2014 à 18:52
» Dernière mise à jour le 24/08/2014 à 18:52

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Chapitre 42 : Fargas
Un cri déchira l'espace, un de plus parmi les innombrables hurlements qui résonnaient sur le pont depuis des jours. Fargas, immobile à son bureau, tenta comme à chaque fois de faire une totale abstraction de ces souffrances. Il préférait penser qu'elles n'existaient pas, qu'il n'y avait personne sur le pont et qu'il était seul dans sa cabine à attendre que le temps passe. Dehors les marins mouraient par dizaines mais il ne s'en rendait pas compte ; cela faisait deux jours que ses pensées se détachaient de la peste.
Penché sur un livre il se concentrait à lire pour la vingtième fois une ligne d'un roman dont le sens lui échappait. Malgré tous ses efforts il ne pouvait totalement oublier ce qu'il venait de se produire.

« Il regarda vers le ciel et vit alors que… »
Un autre cri retentit alors qu'il proclamait la phrase à haut voix. Un pauvre homme venait sans doute de voir du pus gicler de sous ses aisselles avant de se répandre sur le pont.
« Il regarda vers le ciel, cria Fargas comme pour couvrir le hurlement de douleur provenant de l'extérieur, et vit alors que… »
Mais l'homme criait plus fort que lui. Sa voix se brisait alors que la douleur perforait son corps comme un pieu que l'on vous rentre doucement dans le ventre, le laissant progresser lentement afin qu'il déchire lentement la peau, arrache un flot de sang avant seulement de se frayer une allée parmi vos organes. Il criait comme si le ciel venait en personne le punir d'une faute dont il n'était pas coupable. Pendant un instant Fargas l'imagina se roulant sur le pont dans son pus mêlé à son sang, manqua de vomir, et s'en retourna à sa phrase.

« Il regarda vers le ciel et vit alors que… »
Mais il ne parlait pas assez fort et se brisait inutilement la voix. Celui qui agonissait à quelques mètres de lui, juste derrière cette cloison de bois, couvrait la phrase qu'il tentait de prononcer. Il devait souffrir bien plus qu'il n'avait jamais souffert durant toute sa vie et Fargas était incapable de le supplanter pour une seule et unique raison : il était en pleine forme. Serait-il en mesure de le vaincre dans un concours de voix si lui aussi avait des abcès au niveau des aisselles et des hanches qui explosaient en une flaque de pus ?
Il secoua sa tête pour éviter cette pensée et se replongea vers son livre dont il s'apprêta encore une fois à lire la phrase quand Octave entra sans frapper et l'interrompit.

« Je suis désolé, lui lança ce dernier dont les bras étaient chargés de nourriture. Je n'avais pas envie de rester plus longtemps au dehors.
– Pourquoi ce bougre hurle-t-il ? demanda Fargas dont les mains tremblaient, froissant les pages du livre où elles étaient posées.
– Je ne lui donne pas plus de quelques minutes. Son corps sent plus que celui d'un mort, ça pue le cadavre à des kilomètres à la ronde et je sens qu'il fait déjà partie de ce décor. »
Fargas baissa la tête avant de la prendre dans ses mains.
« Qu'avons-nous fait pour mériter un tel sort ? »

Octave de son côté ne lui répondit pas, se contenta d'aller déposer dans un coin de la pièce ce qu'il avait récupéré dans les cuisines. En vérité le majordome préférait ne pas s'attarder à des questions divines auxquelles son maître n'avait jamais cru mais qui l'obsédait pourtant depuis le début de la peste.
« Je suis l'homme le plus influent de ce monde Octave, continua l'entrepreneur en relevant les yeux. J'ai créé la PokeBall, révolutionné la civilisation humain là où tous avaient échoués avant moi ! Comment est-ce possible que je tombe aussi brusquement, emporté par une maladie qui brise le commun des mortels ? »

Cette fois-ci le majordome s'intéressa à la discussion, il savait de toute manière qu'il ne pourrait y réchapper éternellement. Il termina de ranger dans un coin de la pièce les quelques gâteaux secs rapportés du pont dont plus personne n'aurait besoin avant d'en revenir à son maître. Il vit ce dernier trembler au-dessus de son bureau, le livre qu'il lisait éternellement posé devant, son doigt sur la ligne qu'il ne parvenait à terminer.
« Nous ne sommes que des hommes, maître. Vous comme moi ne sommes pas plus résistants, plus puissants que l'un de ces marins qui meurt sur le pont. Vous avez fait de grandes choses, plus que mille homme n'en feront jamais ; j'en suis certain. Néanmoins face à cette maladie nous sommes égaux. »

Ce fut comme une claque pour Fargas qui se rendit compte que son majordome voyait vrai. Il ne chercha pas à réfuter ses dires, ne pouvant que les trouver justes.
Pourtant il était Fargas, l'homme qui par amour envers les pokemons et envers la science avait trouvé un moyen de rapprocher les humains de ces créatures, l'homme qui avait conçu le plus grand projet que cette terre ait vu naître, celui qui rassemblait des milliers d'hommes afin de marcher vers le nouveau continent… Par amour il avait laissé son pokemon à Kalos, désireux de lui épargner ce voyage. C'était un être qu'il aimait bien plus que sa femme ou son fils et il était heureux qu'il ne soit pas avec lui en ce moment.

« Paul se fait sans doute énormément de soucis pour vous, reprit Octave en empêchant le silence de s'installer. Je pense que nous devrions lui rendre honneur en gardant notre sang-froid. Nous lui devons bien cela.
– Effectivement… Paul…
– Qu'entendez-vous par là, monsieur ? »
Il ne répondit pas.

La vérité était que Fargas se faisait autant de soucis pour le jeune homme que ce dernier ne s'en faisait pour lui. Évidemment il avait peur de la mort et tentait de s'en cacher sous de grands airs, se mettant au-dessus du commun des mortels dont il ne pensait faire partie. Mais il était bien plus effrayé par le sort de Paul et de cette expédition que par l'idée de quitter ce monde dans quelques jours.
Que deviendrait le jeune ingénieur sans sa présence pour le guider ? Comment pourrait-il s'en sortir s'il ne savait pas diriger tous ces hommes ? Richard lui accorderait-il la même confiance que celle qu'il lui vouait ?

« Arrêtez de vous torturer l'esprit, reprit le majordome en prenant place dans un fauteuil situé dans un coin de la pièce. Il faut que nous prenions un peu de repos. »
Mais à peine avait-il terminé cette phrase qu'il se mit à tousser comme c'était le cas depuis la veille. Il plaça son poing devant sa bouche, sembla manquer de s'étouffer puis fit un geste à son maître, lui demandant de ne pas y prêter attention. Quand tout revint à la normale il se contenta de lui adresser un grand sourire.
« Tout va bien, ne vous en faites pas.
– Tu es certains ?
– Oui. Dis-moi, qu'étais-tu en train de lire avant que j'arrive ? »

Fargas ne se formalisa pas de ce tutoiement, nouveau dans la bouche de son majordome. Était-ce la proximité de la mort qui faisait qu'ils se livraient à l'autre non pas au travers d'une relation professionnelle mais purement amicale ? L'ingénieur n'aurait sans doute pu le dire ; il s'en moquait.
Il reporta son attention sur la phrase qui n'avait pas quitté l'enceinte de ses lèvres et la lut à haute-voix, pour de bon cette fois-ci.

« Il regarda vers le ciel et vit alors que le jugement était en train de prendre place. Les hommes avançaient lentement dans une file sans âme vers le dieu qui les frappait tour à tour de son bâton gigantesque. Certains mourraient, d'autres montaient vers le royaume d'Arceus. Mais aucun n'était épargné. Riche, pauvre, ami, ennemi, femme, enfant, vieillard… Tous avançaient ; lui aussi. Tous allaient d'un pas commun vers cette divine comédie où se jouait le dernier acte de ce monde : le jugement dernier. »