Chapitre 8 - Chemins Croisés
La vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.
Forrest Gump, alias Tom Hanks dans Forrest Gump (Robert Zemeckis)
Cheveux aux vents et cramponnée à Hélédelle, Aurore prenait du plaisir à voler sur son amie, le vent caressait son visage et semblait dissiper complètement la fatigue accumulée les dernières semaines. Elle volait depuis plusieurs heures, et croisa sans le voir un Roucarnage faisant sens inverse à allure rapide et transportant un homme encapuchonné au teint pâle.
Perdu dans ses sombres pensées Tom ne remarqua pas non plus la jeune femme rousse. Alors qu'il volait depuis plusieurs jours, il s'interrogeait sur le but de la mission que lui avait confiée le Maitre, mission simple en apparence, certes, mais ô combien étrange. Il lui suffisait en effet de rapporter les propos d'une dame.
Son voyage avait été aussi pour lui l'occasion de se remémorer les événements qui l'avaient amené jusque-là. Il faisait souvent cela, ne croyant pas au hasard, considérant que tout a une cause. C'était un moyen, peut-être le dernier, de ne pas sombrer dans la folie, la logique contre la déraison. A plusieurs moments de sa vie, il s'était demandé s'il ne valait pas mieux tout arrêté, si ce n'était pas un combat vain. Mais quand lui venait ses plus sombres pensées, quand la folie semblait prête à prendre le pas sur tout le reste, il lui revenait en tête le souvenir de sa femme, vingt ans plus tôt, pendue chez eux. Comment expliquer cela ? Il ne le pouvait pas, du moins pas encore car même s'il était incapable de fournir une explication à ce drame il irait chercher la réponse, peu importe le temps que cela lui prendrait. Un combat ultime entre logique et folie, un combat qu'il n'était pas sûr de remporter, un combat inégal entamé après le suicide de sa femme.
La seule chose dont il été certain c'est que cela ne pouvait être un suicide, ou tout du moins pas un suicide volontaire. Sinon comment expliquer les années d'intense bonheur qui avaient précédé le drame ? Non c'était impossible. Dès lors, il ne lui avait plus resté qu'une explication : le meurtre. Il savait que sa femme faisait partie des meilleures dresseurs de la région et qu'à ce titre elle avait intégré les membres de la haute sécurité régionale. Tom avait essayé de savoir auprès d'eux ce sur quoi elle travaillait, hélas ses requêtes, devenues au fil du temps menaces, étaient restées vaines. Néanmoins un jour il reçut la visite d'un de ses anciens collègues qui, compatissant, lui avait révélé qu'elle surveillait une organisation secrète qui venait de se créer. Il n'avait rien pu dire de plus.
C'est pourquoi, profitant de ses dons de dresseurs, il avait décidé de passer de l'autre côté, il s'était pour cela immergé dans les bas-fonds de la société et avait intégré la Team Soulburst quelques années auparavant et avait réussi à devenir en peu de temps le fidèle lieutenant du Maître. Pour cela il avait dû tuer les quelques personnes qui s'étaient mises entre lui et le Maître. En fait il n'avait pas éprouvé de remords, pour lui le Bien et le Mal n'étaient plus que des concepts utopistes, il n'existait en fait pas de frontières entre les deux. En fait c'était la tristesse et le désir de vengeance qui l'habitait.
Bien sûr, il aurait pu y avoir d'autres moyens pour accéder au Maître, mais après tout, n'était-ce pas un bien de purifier la terre de tous ces personnes ? Bien sûr qu'il aurait pu tuer le Maître à plusieurs reprises, mais il ne savait trop pourquoi, cet être qui lui inspire tant de dégoût le fascine tout autant, tout comme sa quête, et puis même s'il était désormais certain qu'il était à l'origine de la mort de sa femme, il ne pourrait le tuer sans savoir pourquoi il avait assassiné sa femme. Bien sûr il lui était venu en tête de le torturer jusqu'à ce qu'il lui révèle tout, mais il avait appris que cet homme n'était pas comme les autres, il prenait du plaisir à faire souffrir, et même dans l'approche mort, il était certain qu'il ne lui révèlerait rien. D'ailleurs il était sûr que le Maître savait qui il était, et que cela l'amusait de le voir ainsi torturé.
Car c'était bien là la seule chose qu'on pouvait dire de Tom : torturé. Torturé par le remord et la tristesse, torturé par un désir de vengeance, torturé par la volonté de savoir inassouvie. Il n'avait bien entendu pas toujours été comme ça, mais la vie ne se déroule pas toujours comme on le souhaite.
Tom ne comprenait pas toutes les intentions de la Team Soulburst, mais savait que contrôler Lugia s'avérait nécessaire. C'était sans doute pour cela que le Maître l'avait envoyé voir cette dame, il savait qu'il n'aurait pas envoyé son meilleur élément pour une mission anodine, car même le Maître assénait de reproches Tom, c'était paradoxalement le seul à qui il pouvait confier ce genre de mission.
Tom vola ainsi pendant toute l'après-midi. A la tombée de la nuit, il atteignit enfin un bourg appelé Luxram. Authentique, la petite ville dégageait une aura de tranquillité. Tom se posa sur ce qui pouvait faire figure de place centrale, composée en fait d'une fontaine et d'une statue à l'effigie de Spinda. Il rappela son Roucarnage et se mit à la recherche de la fameuse dame. Il ne mit pas longtemps à trouver sa masure : comme le lui avait expliqué le Maître elle était pour ainsi dire, extravagante : une maison verte aux volets roses bonbons aux milieux de petits chalets !
La porte d'entrée n'était même pas fermé, il entra donc chez elle. L'intérieur était à l'image de l'extérieur – loufoque – : des tables oranges mêlées aux meubles en chêne massifs, du poste radio vintage posé sur une commode rouge de mauvais goût. Un Abra, deux Kadabra, un Alakazam et un Parecool regardaient l'étranger, ce qui déstabilisa un peu Tom. Il se reprit vite quand la Vieille Dame apparu par le seuil d'une porte qui semblait mener vers la cuisine. La Vieille Dame portait une robe ancienne, un chapeau pointu que l'on aurait volontiers assimilé à celui d'un sorcier s'il n'était pas fuschia et enfin des grosses lunettes de soleil.
- Enfin j'ai le plaisir de te rencontrer Tom, assieds-toi je t'en prie, dit-elle d'un ton chaleureux en lui désignant un fauteuil.
Bien que surpris qu'elle le connaisse, Tom ne laissa rien paraître et répliqua :
- Je crois que vous savez pourquoi je suis là, alors ne perdons pas de temps.
La Vieille Dame pouffa et dit :
- Par contre toi je crois que non, assieds-toi donc. C'est le timbré qui t'envoie c'est ça ? Celui que t'appelles « le Maître », poursuivit-elle sous l'œil suspect de Tom. Jamais capable de venir m'affronter en face celui-là mais peu importe.
Soudain elle prit sa canne et d'un mouvement rapide elle lui asséna un coup efficace sur l'adducteur qui le força à s'asseoir. Bouche bée, il ne broncha pas.
- Tu es mieux comme ça, non ? Tu prendras bien du thé ?
Tom ne répondit pas, elle lui en servit dans une tasse blanche en porcelaine.
- Si tu veux du sucre, n'hésite pas, dit-elle en buvant son thé pendant que Tom continuait de la fixer.
Elle sourit puis continua :
- Je sais que tu en connais suffisant sur l'histoire des Aliquantes pour que je ne te la répète. Je pense que ce que veut le timbré c'est la partie sur les Arakis, savoir où ils sont et comment appeler le légendaire. Je ne le lui dirais pas où ils sont, il sera un peu déçu mais je n'ai rien d'autre à dire à ce sujet. Dis-lui juste qu'il existe trois exemplaires du Livre du Secret des Aliquantes. Trois a priori similaires, mais pas deux identiques, c'est important, mais tu n'oublieras pas je le sais. Trois Livres, cinq Arakis, deux par livre et un commun aux trois.
- Et le cinquième ? demanda instinctivement Tom.
- Tu as l'esprit vif toi ! C'est bien ça, c'est bien...
Elle s'arrêta pour boire un peu de son thé puis reprit :
- Pour le cinquième, il apparaitra en temps voulu, je ne dirais rien d'autre à dire à ce sujet. Quand les Arakis auront été réunis ainsi que la clef cédée à la fille alors seulement à ce moment-là, le légendaire pourra être appelé.
- Et... commença Tom interrompu par un coup de canne adressé sur le crâne.
- Laisse-moi finir c'est la partie la plus importante, ça te concerne aussi alors tais-toi et écoute : seule une personne pourra appeler le légendaire. Pas de soucis cependant cette personne détient en ce moment un des Livres. Mais je n'ai rien d'autre à dire à ce sujet.
Tom commençait à perdre patience. Il était plus qu'exaspéré de cette vieille mégère qui disait tout et rien à la fois.
- Pour commencer je ne suis pas une mégère... rétorqua la Vieille Dame qui semblait avoir lu dans les pensées de Tom, deuzio je ne suis pas vieille.
Un peu décontenancé, Tom se reprit puis demanda :
- Je ne comprends pas pourquoi vous ne dites pas tout, ce serait plus simple, vous avez l'air de savoir.
- Je ne suis pas du côté du timbré, pas de raison que je l'aide plus que ça.
Tom ne comprenait plus rien, pourquoi en révéler un peu alors qu'elle ne semblait n'éprouver aucune sympathie pour le Maître. Là encore la Vieille Dame, qui semblait réellement lire dans les esprits répondit :
- Je n'ai pas choisi, mon rôle aujourd'hui c'est de te dire ça, je n'ai pas décidé, je n'ai pas le choix. C'est comme ça. L'autre le sait c'est pour ça qu'il t'envoie.
- Ce n'est pas logique, rétorqua Tom.
- Tu es pourtant bien placée pour savoir que la vie n'est pas logique, lui déclara-t-elle.
C'en était trop, ces paroles résonnèrent comme un coup de massue comme si elle savait tout de lui, il en avait assez de la Vieille Dame et de ses manières, il voulait lui faire cracher le morceau et s'apprêta à dégainer une Pokéball.
- Tu penses bien que je savais que tu réagirais ainsi, Abra a pris tes Pokéball tout à l'heure, il joue avec.
Décidément pas au bout de ses peines, Tom ne put que le constater en tournant la tête. Impossible de les reprendre, Abra jouant sous l'œil attentif d'Alakazam. Il ressentait à présent de la haine envers cette Vieille Dame. Comment avait-il pu se retrouver dans un état de telle faiblesse devant elle, lui qui n'avait n'en avait plus montré signe depuis des années ?
- Bien je poursuis, je ne voudrais pas rater mon émission hebdomadaire, continua la Vieille Dame comme si de rien n'était. Lorsque le légendaire sera appelé, de terribles choses arriveront. Il faudra faire des choix, des choix difficiles, peut-être trop difficiles, répéta gravement la Vieille Dame.
Les deux se regardèrent. La Vieille Dame avait enlevé ses lunettes de soleil et affichait son visage marqué par l'âge. En disant cela elle avait affiché un tel air triste que toute la haine ressentie envers elle s'était entièrement dissipée. Sans trop savoir pourquoi, il ressentait maintenant de la pitié pour elle.
- Voilà je n'ai rien d'autre à dire à ce sujet tu peux partir, déclara la Vieille Dame.
Tom se leva doucement, elle appela Abra qui lui remit les trois Pokéballs de Tom et les lui remit à son tour, elle lui prit ses mains et lui dit :
- Beaucoup de choses vont dépendre de toi, ta quête de la vérité n'en est qu'à ses débuts, ne te laisse pas submerger par la peur de l'inconnu. Ne laisse pas les démons qui sommeillent en toi prendre le dessus. Tu es quelqu'un de profondément bon. Ne te laisse pas aveugler par le désir de vengeance.
Une larme coula sur la joue de Tom qu'il voulut essuyer. Elle l'en empêcha.
- Non, celle-ci montre bien que tu n'es pas comme ceux avec qui tu traines. Les temps qui arrivent seront difficiles pour tout le monde.
Elle lut en lui comme dans un livre ouvert, l'observa longuement et lui dit ces dernières paroles en guise d'au revoir que lui seul pouvait comprendre :
- Tu ne dois pas les décevoir. Vas maintenant.