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Tu étais mon ami. [O.S] de Arcanin-Fictions



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» Auteur : Arcanin-Fictions - Voir le profil
» Créé le 20/08/2014 à 19:43
» Dernière mise à jour le 14/08/2015 à 15:34

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Tu étais mon ami.
Carmin-sur-Mer, 01h25, au pied du phare.
Le dernier face à face. Mais cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'un combat de dresseur. Les vagues s'écrasaient contre la falaise, le vent sifflait de toutes ses forces et l'averse frappait le phare éclairé de Carmin-sur-Mer. Les deux amis savaient qu'il n'y aurait pas de retour en arrière.


_________



La morsure du froid, impartiale, sans pitié. Elle pénétrait jusqu'à ses os, gelait ses plus profonds désirs et engourdissait son souffle. Ses lèvres tremblantes embrassaient le cul d'une cigarette et en suçaient la nicotine. Les gens passaient, l'ignoraient. Chacun vagabondaient dans leur bulle égocentrique, trop occupés à se frotter machinalement le corps en se recroquevillant pour se défaire du froid. Lui était assis là, sur ce vieux banc délabré à l'écart de la foule. Son regard se perdait à l'horizon de la ville portuaire, voguait d'un passant à l'autre sans conviction. La cigarette se consumait un peu plus à chaque inspiration, il la laissa tomber quand il se senti rassasié. Il prit soin d'écraser le mégot sur le bois du banc, laissant une marque charbonnée semblable aux centaines d'autres que l'on y devinait. Il le jeta d'un mouvement désinvolte en direction d'un homme qui, victime de son infortune, se trouvait sur sa trajectoire. Aucune réaction. Il ne le remarqua même pas et traça sa route. Soupir. L'heure tournait, il fallait rentrer tôt ou tard, alors il tendit la main sur le bord de la route pour qu'un taxi ne l'embarque. L'odeur nauséabonde qui se dégageait du véhicule lui provoquait des remontées. Les sièges crasseux avaient perdu de leur couleur, le cuir beige en était méconnaissable. Sans parler des tâches ci et là, dont on devinait aisément la provenance : il n'était pas rare que deux clients de sexe opposés ou non, ne se laissent aller aux plaisirs charnels ici même, sur la banquette arrière.

« Sale journée, l'ami, hein ? lança le chauffeur pour faire la conversation. Pas de réponse. Je vois que vous n'êtes pas du genre bavard M'sieur. Vous savez, j'ai pas énormément de client dans une journée, vous êtes le troisième aujourd'hui et clairement pas le plus convivial... Je vois que vous portez une ceinture à pokéball, vous êtes un -

- Arrêtez-vous là. »
coupa-il sèchement.

Il descendit devant le Centre Pokémon de Carmin-sur-Mer. Un pied devant l'autre, il déambulait dans le paysage urbain fantaisiste et irréel. Il se sentait hors de ce temps, hors de sa propre vie. Il n'était que le spectateur du désastre ambulant qui jonchait son chemin sinistre. Comme si ce n'était pas suffisant, les cumulus chargés d'eau se rassemblaient au dessus de la ville, reproduisant le Déluge à moindre échelle. « Où est mon parapluie ? » Un écho qui raisonnait dans son esprit. Un parapluie, image rassurante qui pourrait le protéger des imprévus. Un parapluie pourtant si anodin, capable de le préserver d'autant de maux auxquels il était confronté. Vite, un abri bondé des victimes de la météo. Il y accourut, dressant ses bras comme des barrières fouettées par les cordes qui tombaient du ciel. Sept, huit...Neuf ? Autant d'esprits mécontents qui s'entassaient dans l'enclos, commandés par le berger pluvieux. Lui préférait éviter le contact physique et laissait son attaché-case premier prix à la merci de l'eau.
Les minutes passaient pendant que les gueules agitées beuglaient leurs colères.

« Quel temps pourri ! Je peux même pas sortir mon Caninos avec autant de pluie ! disait une femme.
- M'en parle pas, j'ose même pas imaginer ce que...»


Cette conversation vide et plate venait lui caresser le tympan, déjà pollué par le brouhahas de l'averse frappant le sol. Il ne put s'empêcher de fixer ces deux personnes avec dédain en s'imaginant à leur place. Voilà maintenant quelques années qu'il n'avait pas eu l'occasion de discuter aussi insouciamment avec quelqu'un et, au fond de lui, cela l'enrageait. La femme posa son regard sur lui et son expression changea.

« Hé regarde, je crois que c'est lui... chuchota-t-elle en se penchant vers son partenaire.
- Tu crois ? C'est fou ce qu'il a changé depuis la Ligue... Il devrait se reprendre en main le pauvre...» répondit-il sans discrétion.

Connards. S'ils savaient.
Il siffla un second taxi qui semblait vide pour s'échapper de ce zoo. Il ouvrit la portière, y jeta sa mallette trempée et s'engouffra dans le véhicule. L'odeur lui semblait familière. La sensation du cuir crasseux lui fit comprendre que ce taxi était le même que le précédent. Mais, à sa gauche, un gamin, brun, yeux exorbités devant cet objet dans sa main. Contrairement au reste de la populace ce jour là, lui n'était pas crispé. Il dégageait cette aura chaleureuse et innocente, entre la douceur et la passion.

« Regardez m'sieur ! C'est mon premier pokémon ! » lança-t-il à l'homme, des étoiles dans les yeux.

Le taxi traçait sa route. L'homme ne daigna même pas répondre et tourna la tête vers le paysage désolé. Il ne lui avait pas dégainé un seul mot, même lorsque par politesse, l'enfant avait laissé échapper un bonjour enjoué. Égaré dans ses pensées, il caressait doucement le ceinturon vide à sa taille. Son visage devenait triste. « Premier pokémon... » pensait-il. « Si seulement... »

« On est arrivé M'sieur. Ca fera 154 Pokédollars. »


Tous des putains d'escrocs dans ce monde. En descendant du véhicule il enfourna une autre cigarette entre ses lèvres et tira dessus comme s'il reprenait enfin son souffle. Il avait la sensation de vivre en apnée, de résister, de se battre au quotidien. Il ouvrit le vieux portillon poussiéreux, dont la peinture partait en lambeaux depuis bien trop longtemps, et pénétra dans un jardin boueux et repoussant. Les arbres – ce qu'il en restait – jonchaient l'allée et lui donnaient l'aspect morbide d'un cimetière. Au fond du jardin, un amas de terre et une pokéball posée grossièrement dessus. Celle de Pikachu. Il y jeta un œil lointain, stoppa sa marche un instant avant de rentrer d'un pas trainant dans sa maison miteuse.
Le blanc des murs était terni. Les traces d'humidités envahissaient chaque recoin et se cachaient derrière les meubles rongés par le temps. Depuis la fenêtre fendue de sa chambre, il pouvait voir la pièce à vivre de ses voisins. Eux avaient l'air heureux à l'en faire vomir. Leurs enfants sautaient dans les sens et s'accrochaient sur les canons d'un gigantesque Tortank. Sur le mur d'en face, un porte-badge entièrement complété ornait la tapisserie, comme s'il avait été mis là pour le narguer. Ses sourcils se froncèrent et ses yeux se remplirent de larmes. « Crève ! » hurlait son âme. « Moi aussi je voulais... »
Il s'empara du premier stylo à sa portée et, au dos de la seule photographie qu'il avait conservé de sa jeunesse, il écrivit d'une main branlante. Les mots fusaient. Entre rage et désespoir, la mine courait sur le papier et parfois venait rencontrer une larme qui avait coulé à cet endroit. Une tâche. Voilà comment il se sentait. Il jeta le stylo et se blotti dans ses propres bras maigres et crasseux pour y laisser couler les derniers sanglots de son corps.
«Je vais le faire.»

Au moment où il voulut déposer le mot dans la boite-aux-lettres de son voisin, les lames de bois de la terrasse grincèrent sous le poids d'une personne. Elle le regardait là, ébahie et figée à l'entrée de sa jolie maison.

« Qu... Qu'est ce que tu fais là... ? » murmura-t-elle.
- ... Je... Je voulais- Il soupira et tendit la photo nonchalamment, avant de reprendre. Tu donneras ça à ton mari de ma part.
- Qu'est ce ça veut dire ? Qu'est ce que tu comptes faire ?
lâcha-t-elle d'une voix tremblante.
- Je n'ai plus rien. Je ne veux plus rien...»


Ils se fixèrent un long moment sous la pluie battante avant qu'il ne décide de s'en aller. Elle ne put s'empêcher de le regarder marcher, triste et seul, désespéré. Elle se mit elle aussi à pleurer quand elle comprit qu'il ne rentrait pas chez lui. Son mari, inquiet, vint la chercher et la ramena à l'intérieur. Sans vraiment savoir ce qu'il se passait, il comprenait que ça avait un lien avec... lui. Il arracha la photo des mains frêles de sa femme et se laissa tomber à genou en lisant ce qu'il y avait écrit au dos.

« Tu m'as tout volé. Tu as tout détruit. Mes espoirs, mes envies, mon amour et ma vie... J'étais ton ami. Nous avons tout commencé ensemble mais tu t'es joué de moi. Je ne te pardonnerai jamais. Aujourd'hui tu me craches ton bonheur au visage. Tu as volé ma femme, ma gloire, tu as volé tout ce qui donnait un sens à ma vie. Mais tu t'en foutais. Tu t'en es toujours foutu. Tu voulais juste gagner. Je ne supporte plus cette vie que m'as imposée.
Aujourd'hui j'en ai assez. »


Il l'enfourna dans sa poche et se mit en tête de le rattraper. Ce n'est qu'à une centaine de mètres de là qu'il aperçut sa maigre silhouette au pied du phare, immobile et faisant face au bord de la falaise. Le son de l'océan caressant la roche avait l'habitude de bercer la ville en temps normal, mais ce soir là la tempête faisait déferler une houle aussi impressionnante que terrifiante. Les vagues montaient de plus en plus haut, les éclaboussures l'atteignant à plus de 15 mètres de hauteur.

« Fais pas ça putain, c'est pas la peine d'en arriver là ! cria-t-il à travers la tempête. Éloigne toi du bord, c'est trop dangereux !»

Alors qu'il commençait à s'avancer prudemment pour le ramener à la raison, une rafale de vent fit perdre l'équilibre à son ami. Sans réfléchir, son corps s'élança dans sa direction. Tout ceci n'était qu'un foutu cauchemar, merde ! 30 mètres, 20 mètres, 10 mètres... Encore un peu et je pourrais le ramener, pensait-il en se précipitant pour l'aider. Dans sa course, la photo tomba de sa poche, dévoilant les visages joyeux de Ondine, Sacha, Régis et Pikachu le jour du mariage de Ondine et Sacha, avant d'être emportée à tout jamais par la tempête.
L'homme à genou le fixait courir dans sa direction. Les larmes lui montèrent aux yeux. « Il veut me sauver... Tout n'est peut-être pas perdu ? »

« Ne m'abandonne pas Régis ! cria-t-il en sanglot, tendant la main pour attraper la sienne.
- Je t'ai jamais- »

Le bruit fracassant d'un éclair couvrit la fin de sa phrase et une gigantesque vague se souleva en face de lui, dépassant largement le haut de la falaise. Régis se figea, terrifié, tétanisé par le spectacle qui se déroulait devant lui. Le temps s'arrêta l'espace d'un instant et il comprit. Son ventre se noua, sa pupille se dilata et sans même qu'il ne le contrôle, son corps se crispa de toute ses forces en voyant la vague retombait là où était agenouillé son ami.

« SACHAAAAAA !»

Il se laissa tomber au sol. La vague avait disparu.

Son ami aussi.