Chapitre 6 - Etincelles
Réveillé en sursaut par ce qu'il pensait être un cauchemar, le jeune homme repoussa la couverture et se jeta hors du lit. Dans la modeste salle de bain, un miroir était pendu au dessus du robinet. Il positionna ses mains de part et d'autres du bac et approcha son visage. Le croissant de Lune, tapis derrière la brume qui enveloppait la forêt, brillait assez fort pour que ses reflets viennent se perdre dans ses yeux, sublimant alors la mélanine de ses iris dorés. Il ne devait pas être plus de 5h du matin et dans le gîte régnait un silence de cathédrale. On distinguait à peine le chant des quelques nirondelles qui se réveillaient doucement. Il enfila rapidement quelques vieux vêtements que le propriétaire des lieux lui avait généreusement prêtés. Un vieux t-shirt noir, trop large et délavé, ainsi qu'un vieux pantalon troué qui était deux tailles trop grand pour son gabarit - le propriétaire ne lésinait pas sur les bières... au grand dam de sa femme – mais le jeune homme ne pouvait pas se plaindre. Et ce n'était de toute évidence pas dans sa nature.
Caninos sortit soudainement, de son propre chef, de sa pokéball mais il ne semblait pas être de bonne humeur. Sa démarche féroce laissait deviner à son maître que quelque chose n'allait pas. Effectivement, l'animal sentait quelque chose. Les deux pattes en appui sur l'encadrement de la fenêtre, la queue en l'air et les poils hérissés, Caninos scrutait la forêt en grognant. Les lobes olfactifs de ces pokémons étaient si développés qu'ils pouvaient repérer et reconnaître n'importe quelles odeurs à plusieurs kilomètres. Mais ce qui inquiétait le jeune homme était que les seules odeurs que Caninos connaissait... étaient celles de Véritas.
Sans hésiter, il abandonna sa chambre et sortit par l'arrière de l'auberge. Il fut face à une petite cour au milieu de laquelle avait été construite une fontaine à double vasque, montée sur un socle en pierres grossières. Une silhouette y était adossée mais l'on devinait facilement, grâce au mouvement de la fraise incandescente de la cigarette dans la nuit, qu'il s'agissait de Zach. Caninos se braqua mais son maître lui fit signe de ne pas y prêter attention. Ils avancèrent en direction du bois et sans un mot ni même un regard, passèrent à côté du fumeur.
« Elle va t'en vouloir, tu sais. » lança Zach entre deux bouffées de clope.
Il s'arrêta et soupira.
« Je ne vous connais même pas ».
Zach haussa les épaules, jeta son mégot dans une flaque d'eau et s'apprêta à rentrer quand il fut interpelé :
« Iris et toi... Vous devriez partir aussi. Crois-moi. » Lâcha le jeune homme en le fixant d'un air grave, avant de disparaître dans l'épais brouillard du Bois Songeur.
Il ne répondit pas mais resta perplexe. Le brin de voix n'était pas menaçant mais avait tout de même fait Zach se sentir mal à l'aise - et c'est habituellement lui qui mettait les autres mal à l'aise. Quelque chose clochait et, confiant envers son instinct, il n'allait certainement pas rester là à attendre sagement que cela lui tombe dessus. Il monta jusqu'à la chambre d'Iris et toqua pour la réveiller. Pas de réponse. La patience n'ayant jamais été son fort, il poussa une gueulante en tambourinant la porte.
« IRIS ! IRIIIS ! ARRÊTE DE PIONCER POUPEE ! »
Mais ce fut d'abord la porte de la chambre voisine qui s'ouvrit. Une vieille dame au visage bouffi par la fatigue – ou par le Temps – passa la porte, en tenant fragilement fermée sa robe de chambre, pour rouspéter contre ce tapage nocturne.
« Putain mamie, faut pas effrayer les gens comme ça, retourne te coucher ! » fit-il naturellement en la poussant doucement dans sa chambre avant de lui claquer sa propre porte au nez et reprendre son boucan.
Iris entrouvrit doucement sa porte et affichait un visage... troublant. Cheveux emmêlés, des épis dans tous les sens, traces de maquillage dégoulinant sur le visage - imaginez l'état de son coussin... - heureusement qu'Iris était encore somnolente et ne s'en rendait pas compte. Elle peinait d'ailleurs à tenir en équilibre et était obligée de s'appuyer contre le battant de la porte.
« Tu veux quoi ? Articula-t-elle d'une voix aussi enrouée que son esprit.
Au vu des circonstances, Zach ne pouvait pas se permettre de parler à une Iris à moitié endormie. Sans réfléchir, mais non sans y prendre un certain plaisir, il lui décrocha une jolie claque sur la joue gauche pour la réveiller.
« MAIS T'ES CON OU QUOI ?! » s'écria-t-elle.
Au même moment, à travers l'encadrement de la porte jaillit une soyeuse boule de poils rousse. Goupix, tel un félin enragé, bondit sur Zach, déployant majestueusement ses muscles élancés pour planter ses griffes aiguisées et ses crocs acérés dans la chair de sa proie... Mais Zach s'en débarrassa d'un mouvement de jambe désinvolte et la peluche retourna se cacher derrière sa maitresse en boudant.
Les pokémons aussi ont besoin de sommeil...
« Tss. Habille-toi, on fout le camp.
- Sérieusement, faut que t'arrêtes là... Et puis c'est quelle heure ?!
- Bientôt 6h. Je t'expliquerai en route, mais là on se tire. T'as 10 minutes pour me rejoindre en bas. » Conclut Zach, étrangement autoritaire selon Iris.
Iris s'exécuta malgré tout et le rejoignit après avoir rassemblé ses affaires et s'être débarbouillée le visage. A 6h du matin, l'auberge ouvrait à peine ses portes et les hôtesses d'accueil prenaient place, même si aucun client n'était encore réveillé. On pouvait néanmoins voir des pokémons jouer dans l'arrière-cour. Certains venaient de l'auberge, les autres étaient sauvages, mais tous semblaient bons amis.
Quand deux hommes en uniforme à la démarche menaçante vinrent interrompre cette ambiance chaleureuse, Zach se crispa et serra les dents. Son intuition avait vu juste. Le plus grand des deux s'avança vers une hôtesse d'accueil et posa fermement une reproduction du portrait d'un homme pour la lui montrer :
« On cherche cet individu. Dis-nous tout ce que tu sais à son sujet et tout ira bien pour toi, sans doute. » lança-t-il sèchement.
L'hôtesse n'avait guère plus de l'age de majorité et était une jeune fille très frêle d'apparence. Elle n'était définitivement pas taillée pour résister à une telle pression. Elle tremblotait derrière son comptoir et ne savait plus où poser les yeux. Sous l'insistance de l'homme, elle finit par pointer honteusement du doigt Iris et Zach, qui tentaient alors de se faufiler à l'extérieur.
« Tiens donc... On a quelque chose à cacher, les mômes ? »
- Tss !
D'un coup, Zach, plus impulsif que jamais, avança à grands pas vers l'homme et l'attrapa violemment par le col de sa veste. La secousse décoiffa l'homme et se cheveux mi-longs ondulés tombèrent sur ses yeux. On pouvait tout de même voir, à l'expression impassible que dessinait son visage, qu'il avait la situation tout à fait sous contrôle. Le temps de comprendre – et d'assumer- ce qu'il venait de faire, Zach s'écria :
« Ecoute, on le connait pas ton mec, on est au courant de rien et on veut pas être mêlés à ses emmerdes, j'suis clair ?
- Navré mais ce n'est pas aussi simple, bonhomme. Je vais devoir vous emmener avec moi. Ne jouez pas aux rebelles et tout se passera bien, je suppose. »
Il repoussa l'homme en arrière, passa à côté du second homme, qui semblait n'être que le larbin de l'autre, et se dirigea vers la sortie en attrapant Iris par le bras.
« Viens, on se tire.
- Et dire que ça aurait pu se passer en douceur... Soupira l'homme. Tu sais ce qu'il te reste à faire, ma belle... »
Il décrocha de sa ceinture une pokéball blanche immaculée, très élégante, et invoqua une féline aussi magnifique qu'imposante, à la fourrure noire, la peau bleue et une étoile au bout de la queue. Son regard vif et perçant laissait imaginer l'étendue de sa férocité.
« Ne les tue pas. » dit son maître.
Le poil de la bête se hérissa. Muscles raidis, pattes tendues et queue en l'air. L'atmosphère devenait étrange. L'air avait soudain un léger goût ionisé et les équipements électriques se déréglaient à vue d'œil, clignotant et bipant de façon inhabituelle. Des arcs électriques se formaient autour de Luxray, qui fixait sévèrement ses deux proies.
Zach eu à peine le temps de se jeter sur Iris pour la protéger qu'ils furent parcouru par un puissant courant électrique, tétanisant totalement leurs fonctions motrices et les fit entrer en convulsion. La douleur arracha les larmes d'Iris, qui ne pouvait même plus hurler sa souffrance. Zach, plus remonté que jamais, se forçait à articuler les seules paroles qui lui venaient à l'esprit :
« Putain... de... psy...copathe !
- Oh ? Tu arrives à parler malgré la paralysie ? Luxray, finis-en ma belle ! »
Elle s'approcha du mollet de Zach. Ses crocs apparents laissaient voir les arcs électriques se former à l'intérieur de sa gueule et, d'un coup de mâchoire aussi vif que puissant, elle assena le coup de grâce au jeune homme. Il hurla en se secouant incontrôlablement sur le sol avant de perdre connaissance.
Impuissante et terrorisée, Iris assistait à la scène de torture en luttant elle aussi pour ne pas s'évanouir.
« Plutôt cool non ? Tu veux essayer toi aussi ? Lui proposa l'homme sur un ton sarcastique. J'aimerais pas être à sa place hein ? Haha ! »
Incapable de parler ou de bouger, son regard parlait tout de même pour elle. Yeux exorbités, sourcils relevés et ses pupilles dilatées, son visage montrait sa terreur et sa panique. Contrairement à Zach qui avait un fort caractère et, semble-t-il, un vécu plus rude, Iris n'était encore qu'une enfant à l'intérieur et tout ceci lui paraissait à peine imaginable... Les larmes coulaient à flot sur ses joues rougies par la douleur.
« Fais lui faire de beaux rêves. »
Mais Luxray n'eut même pas le temps de la mordre qu'elle perdit connaissance sous la peur et la pression. Un tantinet déçu de ne pas avoir pu la faire souffrir davantage, l'homme décrocha une une radio de son ceinturon.
« Agent Morha à Centrale. Les écrevisses sont dans le potager. Je répète, les écrevisses sont dans le potager.
- ... Morha, on t'a déjà dit d'arrêter avec tes phrases codées, on y comprend rien !
- On ramène deux veloutés à la base !
- ... Tais-toi et rapplique.
- Bon ok... On arrive. »