Chapitre 39 : Paul
« Allumez !
– Cessez cela tout de suite ! Lâchez moi ce fusil ou je tire !
– Arceus qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne vienne, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui…
– Lâchez ça !
– … pas à la tentation mais délivre-nous du mal…
– Lâchez !
– … le règne la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. Amen.
– Amen. »
Le bruit du canon résonna aux oreilles de Paul qui se contenta de presser celles des deux enfants tant bien que mal. Il tenta de percevoir dans ce vacarme le bruit d'un deuxième coup de feu lui signalant que Gonzo avait abattu l'un des négationnistes mais n'y parvint pas. La seule chose qui était certaine était que les menaces de ces fous avaient été mises à exécution. Paul les voyait tourner autour des munitions depuis l'aube, les entendait demander au capitaine de couler à vue l'autre navire et implorer Arceus d'abattre la foudre sur ce dernier.
Et maintenant voilà qu'ils profitaient du déjeuner pour s'emparer des armes et s'en servir dans le but de nourrir leur haine de ceux qu'ils appelaient « les maudits ». D'après eux seuls certains hommes qui ne se pliaient pas à la volonté d'Arceus méritaient de subir la peste. Et ces derniers devaient mourir coûte que coûte.
Le calme s'installa soudainement. Paul avait demandé aux enfants de se serrer contre lui dès que le prêtre avait commencé à réciter les prières puis les avait étreints dans ses bras lorsque le coup de feu était parti. Draï et Fri étaient effrayés par les aboiements de ces hommes et le jeune ingénieur ne pouvait nier l'être aussi.
Au moment où les négationnistes avaient crié « Amen » il avait fermé les yeux. Et maintenant que tout était terminé il n'osait pas les rouvrir.
Que se passait-il sur le pont ? Plus un bruit, plus un hurlement, pas d'autres tirs… C'était comme si les menaces proférées avaient débouché sur la mort de tous les protagonistes de cette vive altercation. Après tout Paul ne pouvait pas savoir qui avait un fusil en main à ce moment-là. Si Gonzo en possédait certainement, les négationnistes avaient tout à fait pu en voler un en même temps que le boulet qu'ils venaient de tirer.
Mais toutes ces questions ne restèrent qu'un instant dans l'esprit du jeune homme qui se tournait vers quelque chose de plus important : le sort de Fargas.
Son mentor l'inquiétait. Il avait appris la veille que ce dernier était en quarantaine, naviguant à bord d'un bâtiment infesté d'une maladie mortelle dont très peu d'hommes ne revenaient. Et si Fargas en mourait ?
Toute la nuit cette question l'avait torturé, l'empêchant de trouver le sommeil. Il ne parvenait à pleurer mais son corps tout entier appelait à l'aide, se crispant sous l'effet du stress pendant que son cœur battait à tout rompre. Nageant dans sa sueur Paul avait prié pour la première fois un dieu quelconque capable de sauver la vie de son ami, avait mordu son oreiller pour ne pas hurler de colère avant de s'effondrer pour ne dormir qu'une heure, juste avant l'aube.
Et maintenant des prêtres fous voulaient le tuer avant l'heure, comme si Arceus en personne lui répondait au sujet de la prière de cette nuit. Le divin est-il cruel au point de mener ses serviteurs les plus pervertis à accomplir de sombres tâches ?
Dans le silence Paul attendait, cette seule question comme compagnon. Il serra les deux enfants dans ses bras et leur demandait de se calmer, leur promettant que tout allait s'arranger et que les méchants qui criaient ne viendraient pas ici. Puis, n'en pouvant plus, il leur fit jurer de ne pas bouger et quitta la pièce.
« Je reviens rapidement. Il y a juste quelqu'un qui a besoin de moi.
– Tes deux amis ? demanda innocemment Draï pendant que sa sœur prenait la couverture et la jetait sur sa tête comme un rempart.
– Oui. Je dois les aider. »
Sur ce, il referma la porte, coinça la serrure et se retourna pour découvrir un spectacle auquel il ne s'était attendu.
L'un des négationnistes était mort, troué par une seule balle qui s'était logée dans son cœur. Un autre le fixait d'un air calme pendant que quatre autres se penchaient sur lui et se mettaient à le louer en priant le ciel de l'accepter. Paul, qui n'avait vu que trois d'entre eux la veille, détesta apprendre que d'autres se cachaient dans le navire. Peut-être n'étaient-ils même pas tous là.
Sans porter plus d'attention au corps du prêtre il se tourna vers l'endroit où était situé le navire de Fargas, en retrait des autres depuis la mise en quarantaine, et remarqua que ce dernier n'avait rien ; du moins en apparence. Les prêtres ne devaient sans doute pas savoir aussi bien manier le canon que leurs langues et avaient tiré droit dans la mer. Tout cela juste avant que l'un d'entre eux ne paie le prix fort pour ne pas avoir écouté les mises en garde de Gonzo. Sans attendre une seconde de plus Paul se tourna d'ailleurs vers le capitaine pour lui demander un résumé de cette situation.
Á sa grande surprise l'homme ne portait pas d'arme.
« Vous ne devriez pas rester trop longtemps dans les parages, lui lança une voix par-dessus son épaule. Ces malades mentaux se moquent bien de mourir et je ne donne pas cher de votre peau s'ils vous tombent dessus. J'ai entendu l'une de leur conversation parlant de vous comme d'un hérétique qui ose parler à des enfants sans âme simplement pour en tirer un bénéfice…
– Loué soit le grand Arceus, psalmodièrent ensemble les prêtres sans se soucier de l'équipage qui débarquait en masse sur le pont.
– … sexuel, lança Frollo pour parachever sa phrase avant de jeter le pistolet qu'il tenait dans la main à terre, le canon encore fumant. »
Cela fait il redressa sa soutane et lança un regard de dédain à Gonzo. « Et que faites-vous planté là, capitaine ? Ces imbéciles ont manqués une fois de couler l'un de nos navires et vous n'allez pas leur mettre les fers.
– Nous n'avons pas de cale où les jeter, répondit Gonzo en bégayant tant il ne concevait pas la scène à laquelle il venait d'assister.
– Le bateau du commandant en possède. Je ne veux plus voir traîner ces types ici.
– Compris. »
Puis le capitaine se contenta d'un geste à ces hommes et ces derniers se dépêchèrent de braquer leurs fusils sur la tête des prêtres qui semblaient s'en moquer et continuaient de prier pour l'âme de leur frère.
Frollo pendant ce temps s'était tourné de nouveau vers Paul qui affichait le même regard hébété que Gonzo. Cela parvint à décrocher un sourire sur le visage de l'homme à tête de rapace qui s'en frotta les mains.
« Je sais ce que vous pensez : un type comme moi ne peut pas abattre de sang-froid quelqu'un qui est du même bord religieux que lui, pas vrai ? Mais vous vous trompez, Léopold. Si j'étais l'un de ces extrémistes croyez-moi le monde ne serait plus debout à l'heure actuel. Ils sont fous, pas un seul scrupule ne traverse leur esprit de Ratentif et ils tueraient tous les humains sauf eux s'ils le pouvaient. Néanmoins ils manquent cruellement d'ambition et de perspicacité comme tu l'as constaté. »
De son doigt maigre il pointa le canon devant lequel les soldats s'agglutinaient pour nouer par des cordes les membres des prêtres.
« Vous voyez, Léopold, je suis un homme taciturne. Si j'étais comme eux j'aurais déjà tué vos deux enfants et coulé le navire de Fargas.
– Et vous seriez mort, répondit impassiblement le jeune homme en le fixant droit dans les yeux. Avant même de poser un cheveu sur l'une de leurs têtes vous baigneriez dans votre sang et boufferiez vos entrailles. »
Frollo sembla s'amuser de cette remarque et continua comme si de rien n'était.
« Pour eux les sauvages n'ont pas d'âme et c'est cela qui me gêne. Le monde où nous allons ne connaît pas la moindre loi et n'est régit que par des hommes qui pensent détenir la vérité, tout un savoir primitif sur lequel ils fondent une civilisation. Moi je vais leur donner l'enseignement le plus sacré au monde pour les civiliser. »
Le mot résonna étrangement à l'oreille de Paul qui tenta de se retenir de répondre, ne pouvant pas plus supporter cet homme qu'avant. Puis finalement il s'en détourna, ne pouvant supporter plus longtemps son regard capable de transpercer votre esprit de part en part avant d'en faire un plan détaillé.
« Gonzo ? lança-t-il en direction du capitaine qui se retourna. Préparez une chaloupe, il faut que je parle au commandant. »