Chapitre 37 : Bastien
« Tu t'appelles ?
– Ruffin, Sir.
– Pas de ces marques de politesse avec moi et cela quand bien même je serais commandant de ce navire. Je ne suis que second et je n'ai pas envie d'être traité comme un roi.
– D'accord, S…
– Bastien, tout simplement. »
Le jeune homme tendit la main à son interlocuteur qui la serra malgré son hésitation. Il lui lança cela fait un sourire auquel ce dernier répondit.
« Ne lâche surtout pas le cordage, lui demanda l'aide de camp de Richard en serrant le nœud qu'il venait de faire, je n'aimerai pas me prendre un savon par le capitaine à quelques jours de notre départ. »
Ruffin ne répondit rien mais il vit qu'il se concentra un peu plus sur son travail. Les deux jeunes se trouvaient pratiquement en haut du mât principal et Bastien remerciait le ciel de ne pas avoir le vertige. Richard ne lui avait pas laissé le choix d'accepter ou non ce travail, lui confiant un mousse pour l'aider dans sa tâche. Au fond de lui le jeune aide de camp soupçonnait un test de la part du capitaine ; il aimait ce genre de défi.
« Tu es jeune pour être l'acolyte d'un homme comme Richard, osa lui lancer Ruffin au bout de deux minutes de silence. Cela fait longtemps que je voyage avec lui et cela m'étonne de sa part de faire confiance à quelqu'un de ton âge.
– Nous avons sans doute le même, répondit simplement Bastien qui trouvé la remarque justifiée. Tu as combien ? Vingt ans ?
– Un de plus.
– C'est ce que je disais ; nous avons le même. »
Puis lâchant cette phrase il se mura dans le silence et s'exécuta à un nouveau nœud, appuyant sur le cordage sa jambe droite qui le faisait souffrir depuis quelques jours. Malgré l'effort qu'il faisait pour dissimuler sa douleur il ne pouvait la cacher éternellement.
« Elle te fait mal ? lui demanda Ruffin qu'il commençait à trouver de plus en plus curieux. »
Bastien ne répondit pas directement, se contentant de hocher la tête et d'adresser un sourire. Il aimait bien ce jeune homme avec lequel il avait été assigné à travailler durant quelques jours le temps de faire ses preuves. Il était jeune, légèrement musclé et ne manquait pas d'agilité comme le prouvait sa facilité à monter aux cordages. Un petit bouc ornait son menton tandis que son front se perdait sous ses cheveux blonds qui tombaient en bataille tout autour de sa tête.
« J'ai fait une mauvaise chute avant d'embarquer, répondit Bastien qui voyait que son acolyte désirait une réponse en insistant du regard. Quand j'ai pris la rambarde pour monter sur le bateau j'ai… Passe-moi la corde s'il te plaît, demanda-t-il en coupant son récit avant d'attraper l'objet envoyé par Ruffin et de poursuivre. La planche a bêtement glissé et je suis tombé dans l'eau du port. J'ai bien tenté de me rattraper mais ma jambe a cogné le parapet et me voilà boiteux pour une dizaine de jour.
– C'est vraiment pas de chance, reprit son interlocuteur qui fit la grimace en entendant l'histoire. Une fois j'ai glissé sur le pont, l'année dernière. Je me suis rompu une cheville et je me rappelle encore de la douleur. Vilaine blessure.
– J'imagine que ce n'était pas facile de travailler après cela.
– Le commandant Richard est conciliant, il m'avait laissé une semaine pour me reposer. »
Bastien ne répondit rien à cette dernière phrase et se contenta de reporter son attention sur son cordage. Ils devaient avoir terminé de solidifier cette partie de la voile avant la nuit d'après les ordres du commandant et il était hors de question d'être en retard.
« Tu viens d'où ? reprit Ruffin qui détestait visiblement vivre dans le silence.
– D'un village perdu en plein cœur de Kalos. Pas un lieu qui mérite d'avoir une histoire à son sujet que je pourrais te raconter.
– Dommage, répondit le second en haussant tout simplement les épaules. Tu veux de l'aide ? ajouta-t-il en voyant qu'il avait du mal à se hisser vers le dernier nœud à cause de sa jambe. »
Le jeune homme répondit d'un hochement de tête et son acolyte se précipita pour l'aider. Une fois de plus il remarqua l'agilité dont ce dernier était capable lorsqu'il bondissait d'une corde à l'autre.
« On dirait que tu as fait cela toute ta vie, s'amusa Bastien alors qu'il prenait en charge la fin de leur travail.
– Une bonne partie, en effet. Je navigue depuis que j'ai l'âge de quatorze ans. Mes parents n'ont pas voulu de moi et ont préférés m'envoyer sur un navire plutôt que de continuer à me nourrir.
– Désolé, commenta le second conciliant.
– Ce n'est pas grave, je me rappelle à peine d'eux. Puis la mer est comme ma famille désormais. Je tuerai pour ne plus jamais vivre à terre. Voilà, le nœud est fait. »
Il retomba ensuite aux côtés de Bastien et souffla un grand coup.
« Besoin d'aide pour redescendre ? lui demanda-t-il.
– Je pense que cela va aller. Elle me tire encore un peu mais je suis parvenu à monter ici, je ne pense pas que le chemin en sens inverse soit plus compliqué.
– C'était il y a une heure. Tu as eu le temps de te fatiguer. Allez, approche. »
Et sans lui demander son avis le jeune homme lui passa un bras au-dessus de l'épaule avant de s'agripper aux cordages. Il descendit lentement mais sûrement le long du mat, vérifiant toutes les dix secondes que Bastien s'accrochait. Et ce dernier lisait à chaque fois dans son regard une étrange marque de respect et d'amitié que peu de monde lui avait portée au cours de sa vie. Il y avait une camaraderie sincère qui émanait du geste qu'il était en train de faire pour lui et il en était touché.
« Tu manges seul ce soir ? demanda Ruffin.
– Comme tous les soirs. Je ne connais personne à part Richard sur ce navire et cela m'étonnerait qu'il m'invite dans ses appartements pour discuter autour d'un bon plat.
– Ce n'est pas le profil du bonhomme c'est certain. »
Et, alors qu'ils partaient ensemble dans un éclat de rire, les deux jeunes établirent un rituel qui devait durer jusqu'à leur arrivée sur les côtes de l'Uros. Un lien d'amitié se nouait entre eux à l'aube de cette rencontre, un sentiment qui ne ferait que se renforçait à chacun des repas qu'ils allaient partager.
Mais au moment même où le sentiment traversait l'esprit de Bastien un son résonna au-dessus de sa tête, un bruit que deux navires plus loin Paul n'entendait pas à cause des piaillements de l'oiseau avec lequel il était en train de jouer dans sa cabine. Un clairon sonnait, le son portant au-dessus des vagues. L'aide de camp du commandant et son nouvel ami cherchèrent du regard sa provenance et virent une terrible image se mouvoir à quelques navires du leur.
« C'est impossible, murmura Ruffin en laissant afficher dans sa voix un sentiment de terreur. »
Bastien ne savait pas véritablement ce que signifiait ce drapeau qui se hissait au sommet du mât principal de cette embarcation. Néanmoins la couleur noire n'indiquait rien de bon et un frisson le parcourut instantanément.
« De quoi s'agit-il ? demanda-t-il innocemment sans cacher son ignorance.
– La quarantaine. Il y a la peste à bord de ce bateau. »