Chapitre 239 : Le Chef d'Etat
Giovanni, leader de la Team Rocket, et nouvellement élu comme Chef d'Etat du nouveau Protectorat de Kanto, passait désormais le plus clair de son temps en réunion et entretien. Alors qu'il était simple Boss de la Team Rocket, gardant son identité secrète et sa personne protégée, les réunions se limitaient aux conférences d'affaires avec ses partenaires ou aux briefings avec ses Agents Spéciaux. Désormais, il devait recevoir chaque jour plusieurs hommes politiques, représentants de syndicats, porte-parole de dresseurs, émissaires venus de l'étranger... Bref, après avoir rêvé durant des années de gouverner la région, voilà qu'il commençait à se lasser seulement après huit mois.
Qu'est-il devenu du temps où, en tant qu'Agent Spécial de sa mère à l'époque où elle dirigeait encore l'organisation, il risquait sa vie avec ses hommes, combattant avec ses Pokemon, dans toute la vigueur de sa jeunesse ? Par Arceus, qu'il était fort en ce temps-là ! Le meilleur dresseur de toute la Team Rocket, un meneur d'homme exemplaire, et un entraînement militaire à toute épreuve. Aujourd'hui, il avait bien plus de pouvoir, mais en contrepartie, il avait perdu tout ça. Il n'était plus qu'un homme dans le milieu de sa cinquantaine, déjà fatigué, occupé à flatter ou à menacer des sénateurs. Il avait conquis Kanto, mais n'en ressentait aucune joie ou gloire particulière.
Ceci dit, le devoir primait. Le devoir envers la Team Rocket, qu'il avait juré de rendre aussi forte et puissante que possible. Et Giovanni était un homme de devoir. C'est ce rappel qui le fit se lever de son bureau de Chef d'Etat à l'Assemblée Constituante d'Azuria, pour accueillir son prochain rendez-vous. L'homme qui se présenta devant lui, entre deux âges, était quelqu'un qui avait relativement fait parler de lui à l'Assemblée récemment, un des sénateurs montants, avec une popularité qui devenait telle que Giovanni devait tenter de l'avoir comme allié.
Le sénateur Treymar était l'élu local de Parmanie. Il avait la particularité, dans l'hémicycle de l'Assemblée, de n'être affilié à aucun groupe. Ce n'était pas un Rocket, pas un dresseur, pas un partisan des anciens Dignitaires, et encore moins un des fanatiques qui soutenaient Venamia et sa GSR. Non, Treymar ne représentait que Parmanie, et ce sans préjugés d'aucune sorte pour tel ou tel parti. C'était un des rares sénateurs, de l'avis de Giovanni, qui était plus intéressé par ses électeurs que par ses ambitions personnelles. Quelqu'un qui se souciait du bien-être du peuple.
- Sénateur Treymar, merci d'avoir accepté cette entrevue, fit Giovanni en lui serrant la main et en l'invitant à s'asseoir.
- C'est un honneur d'avoir été invité, monsieur le Chef d'Etat.
- Whisky ?
- Bien volontiers. Ces journées à l'Assemblée sont parfois harassantes !
Ce n'était pas Giovanni qui allait le contredire. En tant que Chef d'Etat, il devait y faire mainte apparitions, parfois pour y discuter de sujets aussi important que la couleur de la peinture pour une des fenêtres de l'Assemblée. À croire que même en période de reconstruction d'une région saignée à blanc par la guerre, les sénateurs n'avaient rien de mieux à trouver pour débattre.
Giovanni et Treymar parlèrent d'abord de tout et de rien, comme deux bons politiques, chacun essayant de juger de deviner les intentions de l'autre. Puis Giovanni amena les questions sensibles, comme celles de son positionnement lors de vote de lois qui tenaient beaucoup à la Team Rocket. En dix minutes, Giovanni avait déjà jugé Treymar. C'était un homme intègre, qui voulait travailler en bonne entente avec lui pour faire avancer Kanto. Il n'était ni pro-Rocket, ni contre. Et ça arrangeait Giovanni, car il avait besoin comme allié de gens de son acabit, capable de rassembler le plus des deux côtés. C'était aussi pour cela que sa popularité était montante. Les gens de Kanto, et beaucoup de sénateurs, Rockets ou non, avaient confiance en Treymar.
- Il y aura bientôt un vote important sur le budget du Protectorat. J'espère pouvoir compter sur vous, sénateur, lui dit Giovanni. Vous êtes la coqueluche des médias, vous avez l'oreille de nombre de vos collègues, et vous êtes un peu le chef de file des neutres. À en croire notre amie commune Travili Mogasus, vous êtes celui qui aurait dû devenir Chef d'Etat à ma place.
Treymar eut la bonne idée de rire.
- Travili en fait toujours beaucoup trop, bien que j'apprécie l'image qu'elle donne de moi dans ses reportages.
- Une image véridique, j'ose l'espérer.
Le sénateur haussa les épaules.
- Je ne suis pas un idéaliste, monsieur le Chef d'Etat. Je n'ai pas soutenu votre organisation lors de la guerre. Mais vous l'avez gagnée, et si Kanto doit avancer, ce sera avec vous, que je le veuille ou non. Si j'avais jugé que vous représentiez un risque pour la démocratie, je ne vous aurez pas soutenu les fois où je l'ai fait. Je m'efforce d'agir selon ce que je crois être mes valeurs. La liberté, le vivre-ensemble, la stabilité, la paix.
- Ce sont des valeurs que je partage, répondit Giovanni. Mais tous à l'Assemblée n'en font pas autant. Vous savez sans doute que le groupe de sénateurs loyaux à Venamia ont posé un amendement visant à modifier le futur budget pour y intégrer des dépenses faramineuses sur la défense et l'armement.
- Lady Venamia à l'intention de faire la guerre à Johto, ça ne fait aucun doute, acquiesça Treymar, l'air sombre.
- Quelque chose dans ce gout-là, oui. À moi aussi, la prise de pouvoir à Johto par Erend Igeus m'inquiète. Mais je n'embarquerai pas notre région dans une autre guerre tant qu'Igeus ne nous menacera pas. C'est de paix et de reconstruction dont Kanto à besoin, pas de nouvelles conquêtes. Je ne peux pas m'opposer à Venamia en tant que Boss de la Team Rocket, avec le pouvoir qu'elle possède à l'Assemblée. Le seul moyen de lui couper l'herbe sous le pied est de la vaincre par les urnes. D'où ma question : pourrai-je compter sur votre vote, et sur votre soutien, monsieur Treymar ? Il aura beaucoup de valeur, à mes yeux comme à ceux des autres sénateurs.
Treymar termina son verre, et répondit d'un ton sérieux.
- Vous pourrez compter sur mon vote et sur mon soutien à ce sujet, monsieur le Chef d'Etat. Je ne partage aucune des valeurs de la GSR. Sur ce point-là, tant que vous aurez à leur mettre des bâtons dans les roues, je jouerai avec vous.
Giovanni lui fit un sourire sincère en remplissant à nouveau son verre.
- À la bonne heure, alors, sénateur Treymar. Buvons à notre entente pour le futur de Kanto.
- Pour Kanto, fit Treymar en levant son verre.
Quand il eut terminé son verre, Giovanni reprit la parole.
- Si vous y êtes favorables, sénateur, j'aimerai que vous apparaissiez une ou deux fois avec la Team Rocket auprès les médias. C'est important de montrer que vous me soutenez contre les folies de la GSR.
- Cela dépend de quels membres, monsieur le Chef d'Etat. Beaucoup chez vous soutiennent Lady Venamia.
- Pas ceux-là. Je peux vous enjoindre des membres de la X-Squad. Ils sont assez célèbres et appréciés dans Kanto, pour avoir arrêté plein de crises comme l'invasion de Vriff. Et ils sont totalement anti-GSR.
Treymar lui fit un sourire presque enfantin.
- Il y a longtemps que je voulais rencontrer ces héros-là. Je n'ai jamais été pro-Rocket, mais j'avoue sans gêne être un de leur fan. Il y a justement, dans deux jours, l'inauguration du nouveau Parc Safari à Parmanie. S'ils pouvaient être à mes côtés pour nos amis journalistes...
- Ce sera parfait, approuva Giovanni. Je vous dépêcherai l'un des jumeaux Crust et Zeff Feurning. Avec leurs pouvoirs, ils sont plutôt bons pour assurer les spectacles.
- Et ce Pokemon doré là... comment s'appelait-il ? Il est devenu la coqueluche des enfants de tout Kanto !
- Goldenger. Bien sûr, si vous voulez.
Qu'il était bon d'avoir des têtes d'affiches dans la Team Rocket autre que les cinglés de la GSR, songea Giovanni. Venamia, depuis qu'elle était Agent 002, n'avait cessé le démantèlement de la X-Squad, ou du moins sa mise sous surveillance. Elle n'avait pas apprécié l'arrivée de cet ex-assassin des Shadow Hunters, qui en plus se trouvait être le demi-frère d'Erend Igeus. Et en dehors de ça, elle ne faisait pas confiance à la X-Squad, qu'elle savait parfaitement contre elle. Mais Giovanni avait toujours défendu l'organisation de Tuno. Elle était actuellement une de ses meilleures armes contre Venamia et sa main mise sur toute une partie de la Team Rocket. Après avoir raccompagné Treymar à la porte, Giovanni retourna s'asseoir à son bureau, et s'adressa au mur à sa gauche.
- Alors, qu'as-tu ressenti ?
Quelqu'un sorti du mur, le traversant comme s'il n'existait pas. Ce qui était le cas, d'ailleurs. Ce mur n'était qu'un hologramme visant à dissimuler la personne qui se trouvait derrière. Une jeune adolescente aux cheveux noirs et aux grands yeux bruns, qui avait toujours l'air plus ou moins dans les nuages. Elle portait une tenue typique des gradés de la Team Rocket, et un médaillon en forme de sphère jaune, comme de l'ambre, autour du cou.
- Treymar est sincère, répondit Kyria à son père. Il fait ce qu'il croit être juste pour Kanto. Il veut pouvoir travailler avec toi, mais n'a pas une confiance absolue en la Team Rocket. En tous cas, il fera tout ce qu'il peut pour contrer la GSR.
Giovanni acquiesça et s'enfonça un peu plus dans son fauteuil.
- Treymar peut-être quelqu'un de dangereux, parce qu'il est populaire et que les gens lui font confiance. Il fait consensus chez tous les modérés du Sénat, et comme le dit la presse, il a tout pour devenir Chef d'Etat. Mais pour l'instant, le danger le plus imminent est Venamia. Elle ne cesse depuis quelque temps de provoquer Johto. Qu'elle s'amuse seule avec sa GSR, passe encore. Je ne peux pas l'arrêter, mais je peux prétendre au Sénat que je n'ai aucun contrôle sur elle, ce qui est le cas d'ailleurs. En revanche, je ne la laisserai pas embarquer toute la région dans une autre guerre qui ne servira que ses propres intérêts.
Kyria resta silencieuse, et Giovanni fronça les sourcils et l'observant.
- Mais peut-être ai-je tort de dire tout ça devant toi... Venamia est l'alliée de Vilius, et je sais que tu as de bonnes relations avec ton frère, non ?
- J'ai aussi de bonnes relations avec Estelle, qui est très loin de soutenir Venamia et Vilius, lui rappela Kyria.
- Ça ne me dit pas de quel côté tu es. C'est vrai tiens, je ne te l'ai jamais demandé. Je n'ai jamais cherché à le savoir non plus. Pourtant, tu es un Agent Spécial, et ta voix est importante au sein de la Team Rocket.
La jeune fille haussa les épaules.
- Je suis du côté du destin, père. Celui que je vois s'entrouvrir devant mes yeux depuis longtemps. Il y en a plein, mais je sais lequel emprunter, lequel est le mien. Un ami a sacrifié son propre destin pour que je puisse réaliser le miens. Je ferai tout en ce sens.
Elle toucha distraitement la perle jaune qu'elle avait en guise de médaillon. Giovanni savait qu'il s'agissait de tout ce qu'il restait de Thanese, un Pokemon fait d'une matière spéciale, le thanos, qui avait tenté de dévorer le monde pour le recréer à sa guise. Mais il s'était attaché à Kyria, et avait finalement sacrifié son existence pour qu'elle puisse vivre. Il avait au passage redonnait forme et vie à tous ceux qu'il avait dévoré, dont un des enfants de Giovanni, Rugard, le jumeau de Vilius. Profondément traumatisé, le jeune homme vivait dans un centre spécialisé, où il recevait parfois la visite d'Estelle ou de Kyria. Giovanni n'y était pas encore allé. Il n'était pas sûr d'en avoir la force, lui qui l'avait abandonné au thanos il y a une vingtaine d'année.
- Et ton destin, qu'est-ce qu'il implique, Kyria ? Demanda le Chef d'Etat.
- Que les gens soient heureux, tout simplement.
Giovanni renonça à en tirer plus de sa fille. En tant que Loinvoyant, descendante d'une race pouvant cerner l'avenir et les pensées, Kyria vivait dans un monde qui lui était propre, et les visions qu'elle avait parfois étaient si peu claires qu'elles semblaient lui rendre l'esprit encore plus flou. Giovanni avait appris à se méfier de chacun de ses enfants. L'un d'entre eux pourrait avoir envie de le poignarder dans le dos pour prendre sa place et son pouvoir. Vilius en était le bon exemple. Mais Giovanni ne s'inquiétait pas trop de Kyria. Elle avait un cœur trop bienveillant et pur pour se laisser tenter par toute forme de corruption. En cela, elle était très facilement manipulable.
Elle était très utile à Giovanni quand il s'agissait de lire les cœurs des personnes qui l'entouraient, et de juger de leur sincérité ou de leur mensonge. Giovanni savait que Kyria pouvait en faire de même avec lui, mais il n'avait rien à cacher. Ses ambitions avaient atteint une certaine limite. Il voulait simplement gouverner la région, et il voulait le faire bien. Le futur de la Team Rocket, ce serait à celui qui lui succèderai, et sans doute bientôt. Giovanni allait devoir faire un choix, et vite. Vilius, Estelle, ou une troisième personne ?
Nommer Vilius comme son héritier semblait logique. Il était fort, reconnu, très versé dans la politique, et avait beaucoup de partisans. Il était ambitieux et retord, certes, mais pas plus que Giovanni à son âge. Il rêvait d'une Team Rocket forte et puissante qui s'accroîtrait partout dans le monde. Son seul problème était sa proximité avec Lady Venamia. Il s'était servi de la GSR pour accroitre sa position au sein de la Team Rocket, et au final il n'avait pas su garder le contrôle de Siena Crust, qui, loin d'être la gentille subordonnée qu'il avait souhaité, était devenue une véritable rivale. Giovanni craignait ce que la GSR pourrait faire si Vilius, en tant que Boss, les favorisait encore plus pour avoir les mains libres.
De l'autre côté de l'échiquier, il y avait Estelle, sa fille aînée. Bien plus calme et sage que Vilius, elle offrait l'alternative de voir la Team Rocket devenir une véritable organisation mondiale, reconnue et légale. Au lieu de combattre les gouvernements, elle voulait travailler avec eux dans un projet commun. Ça ne plaisait pas à beaucoup de Rockets, et ça inquiétait même Giovanni, qui craignait de voir son organisation être vidée de toute substance, de tout ce qu'elle avait été. Mais d'un autre côté, Estelle était quelqu'un de bien plus censé que Vilius, qui jamais n'irai céder face à la GSR.
Une troisième personne ? Giovanni était en droit de nommer comme futur Boss qui il voulait, sans que ce soit obligatoirement un de ses enfants. Certains espéraient qu'il allait nommer Venamia, mais Giovanni savait qu'il préfèrerait mourir que de voir sa Team Rocket entre les mains de cette opportuniste extrémiste, et ce quelques soient les soutiens dont elle pourrait disposer. 006 ? Il travaillait depuis longtemps dans la Team Rocket, et avait la confiance de Giovanni, mais en tant que chef des Renseignements, c'était un individu bien trop obscur, bien trop peu connu pour pouvoir prétendre au siège du Boss. 007 ou 009 ? Trop jeunes, trop peu versés dans l'art de diriger. 004 ? Giovanni avait cru un temps qu'il s'agissait d'un homme raisonnable, mais il était en réalité le toutou de Venamia. 001 ? Giovanni sourit ironiquement à cette pensée, songeant à cet homme masqué, effrayant et surpuissant. Ou alors, dans quelques années, peut-être que Kyria...
Non, c'était absurde. La logique lui imposait de choisir Vilius, malgré ses défauts. Désigner Estelle ne ferait que se rapprocher encore plus les partisans de Vilius et ceux de Venamia contre un ennemi commun, et Estelle ne pourrait jamais rien diriger avec eux deux contre elle. Et si Giovanni désignait quelqu'un d'autre en dehors de ces deux-là, il allait se les mettre tous les deux à dos. Oui, Vilius serait le choix le plus censé, mais ça embêtait Giovanni. Il devait encore y réfléchir plus sérieusement. Mais il allait devoir faire vite. Il savait qu'il ne pourrait pas longtemps combiner les postes de Boss et de Chef d'Etat de la région. Il devait en céder un, sous peine de se voir bientôt expédier des deux.
En soupirant, Giovanni se leva pour son prochain rendez-vous, tandis que Kyria alla retrouver sa place derrière le mur holographique. C'était le rendez-vous qu'il redoutait le plus depuis des mois, celui qu'il avait mainte fois repoussé. Mais il ne pouvait plus le reporter plus longtemps. L'homme qu'il s'apprêtait à recevoir était, comme Treymar, très populaire et écouté, surtout de la communauté des dresseurs de Pokemon, relativement puissante au Sénat. Giovanni ne pouvait pas gouverner sans lui. C'était un ennemi de longue date, mais Giovanni n'était pas du genre rancunier. Il aurait été près à travailler avec lui s'il n'y avait pas eu ce petit désagrément entre eux.
Cet homme, c'était le professeur Samuel Chen, qui se trouvait être le père de Giovanni.
Ce n'était pas une chose connue de tous. Giovanni avait toujours grandi sans père, avec sa seule mère, qui dirigea la Team Rocket avant lui. Sa mère, Urgania, ne lui avait jamais parlé de son géniteur, si ce n'était qu'en maudissant son souvenir. Mais Giovanni avait fait des recherches, et il était clair que son père n'était autre que le professeur Chen, qui cofonda la Team Rocket avant même la naissance de Giovanni aux côtés d'Urgania. Il la quitta dès que la Team commença à gagner en réputation, et en pouvoir. Giovanni n'était alors qu'un enfant de deux ans, qui plus tard allait être destiné à avoir son père comme plus grand opposant.
Aujourd'hui, Chen semblait avoir accepté la domination de la Team Rocket sur Kanto et sa transformation en Protectorat. Ça ne l'empêchait pas de s'opposer de nombreuses fois à lui au Sénat. Si Giovanni n'avait pas de mésententes majeures avec Chen du côté de la politique locale, les deux hommes avaient une vision diamétralement opposés en ce qui concernait les Pokemon. Giovanni voulait les utiliser pour le seul bien être des humains, tandis que Chen se battait pour la liberté et l'évolution naturelle des Pokemon. C'était comme ça depuis des années et des années, et ça n'allait pas changer aujourd'hui.
Mais Giovanni devait faire contre mauvaise fortune bon cœur. Le professeur représentait une grande partie des civils au Sénat, et avait le soutien de la communauté des dresseurs. Il pouvait devenir un grand allié contre la GSR, et pour cela, Giovanni allait devoir faire des concessions. C'était ça, ou affronter à la fois Venamia et Chen, ce qui équivaudrait ni plus ni moins à un suicide politique, et peut-être même suicide tout court.
Il alla ouvrir quand on frappa, et se retrouva face à son père. Chen avait beau être un vieil homme de presque quatre-vingt ans, physiquement, il y avait quelques ressemblances entre eux, forcément. Le même menton, les mêmes yeux. Giovanni était sûr que quand Chen était plus jeune, il avait du avoir les mêmes cheveux également. Ils se ressemblaient aussi d'autre façons. Ils étaient tous les deux de puissants dresseurs Pokemon. Chen avait un temps était Maître de la région, dans le passé. Giovanni avait hérité des talents de son père pour le dressage, lui qui était devenu champion d'arène très tôt. Ils avaient aussi la même passion pour les Pokemon, la même envie de connaissance à leur sujet. Giovanni aurait aimé connaître son père autrement, qu'ils ne soient pas dans des camps opposés durant toute leur vie. Mais il n'avait pas le temps pour les regrets.
- Professeur, l'accueilli-t-il.
Chen lui serra la main avec formalisme.
- Monsieur le Chef d'Etat.
Giovanni songea que si le légendaire Artikodin rentrait à l'instant par la fenêtre, il ne pourrait pas plus refroidir l'ambiance polaire qu'elle ne l'était déjà. Giovanni savait que c'était à lui de faire un effort. C'était lui qui avait besoin de Chen, et pas l'inverse.
- Je n'ai pas encore eu l'occasion de vous rencontrer personnellement, fit-il d'un ton qui se voulait désolé. Nous nous sommes combattus bien des fois, pourtant, je crois qu'aujourd'hui, nous avons besoin l'un l'autre pour la prospérité et la sécurité de Kanto. Et je crois que nous devons avoir une chose en commun : l'amour de cette région. Voudriez-vous vous assoir, que l'on en parle tous les deux ?
Il lui montra le siège en face de son bureau. Chen examina la pièce tout autour de lui, puis eut une moue ironique.
- Je serai ravi de m'assoir pour discuter. Mais avant, peut-être pourriez-vous dire à la charmante jeune fille qui nous écoute de bien vouloir se montrer ? Ce serait extrêmement impoli de ma part de faire semblant de l'ignorer.
Giovanni fronça les sourcils et jura pour lui-même. Le vieux professeur commençait déjà à marquer des points, alors qu'ils n'avaient pas encore commencé. D'un autre côté, Giovanni avait été idiot de penser pouvoir duper un vieux renard comme Chen. Il sourit de bonne grâce, et fit signe à Kyria de sortir de derrière l'hologramme. Elle s'exécuta, pas le moins du monde gêné.
- Comment avez-vous su, si je puis le savoir ? Demanda Giovanni.
- J'ai déjà travaillé avec ce genre d'hologramme. On sait les remarquer quand on sait bien les distinguer.
- Je demandais comment vous avez su pour Kyria.
- Ah. Il se trouve que j'ai eu connaissance que vous utilisiez cette jeune demoiselle Loinvoyant comme détecteur de mensonge. Nous avons un ami commun je crois. Le jeune Mercutio Crust. Il tient votre fille Kyria en haute estime.
Giovanni grimaça.
- Mercutio Crust parle beaucoup trop.
- Allons, n'allez pas reprocher à ce brave garçon de renseigner un vieil homme comme moi sur mes nombreux petits-enfants que je n'ai jamais rencontré.
Chen examina Kyria, cette fois avec une bienveillance affichée.
- Je suis content de te connaître, jeune dame.
Kyria cligna des yeux, incertaine, mais sourit de façon hésitante.
- Euh... moi aussi, monsieur grand-père...
- Laissons là les affaires familiales, coupa Giovanni qui ne voulait pas s'aventurer sur ce terrain. Nous sommes ici pour parler politique. Kyria, si tu veux bien nous laisser...
- Oh non, laissez-la rester, fit Chen. Sa compagnie me sera agréable, et vous aurez ainsi la certitude que je ne cherche pas à vous duper. Je ne suis pas du genre à mâcher mes mots, comme vous devez le savoir, Monsieur le Chef d'Etat. Je ne dis jamais rien que je ne pense pas.
En ayant découvert le subterfuge et en autorisant avec légèreté que Kyria puisse lire son esprit, Chen montrait clairement son envie de dominer cette rencontre. Giovanni savait que les simples manœuvres politicardes et la langue de bois ne fonctionneraient pas avec lui. Il allait devoir jouer franc jeu s'il voulait obtenir quelque chose de Chen. Parfois, on ne pouvait utiliser rien d'autre que la sincérité.
- Allons droit au but, alors. Je ne vous aime pas, professeur Chen. Et vous ne n'aimez pas. Nous nous sommes constamment affrontés de loin, et nous continuerons sans doute encore longtemps. Mais en ce moment, il y a quelqu'un que nous aurions bon goût de considérer comme plus menacent pour nous que l'autre. Je parle de Lady Venamia et de sa GSR.
- La GSR que vous avez vous-même autorisé à être fondée, et la Lady Venamia que vous avez-vous-même nommé Agent 002, lui rappela Chen.
- Nous pourrons débattre de mes responsabilités un autre jour. Tâchons de nous entendre au moins sur ce point : aucun de nous deux veut voir Venamia acquérir plus de pouvoir ou Sénat et déclarer la guerre à Johto.
- En effet, je ne le souhaite pas.
- Moi non plus, je vous l'assure. Quoi que vous puissiez penser de moi, j'apprécie la paix tout autant que vous. Oui, je l'admets, je me suis servi de la GSR pour emporter la guerre. Je n'ai pas pu la museler après, je l'admets aussi. Même si l'envie folle me prenait de virer Venamia de la Team Rocket, elle conservera sa place au Sénat et ses partisans. Elle est devenue autonome, et ne dépend presque plus de moi. Si je la garde encore, c'est pour avoir un tant soit peu de regard sur ses agissements. Je suis encore le Boss, et elle ne peut pas me défier ouvertement. Mais je ne peux pas l'empêcher de monter son parti politique au Sénat et de viser mon poste de Chef d'Etat. Ma position ne tient qu'à un fil. Venamia est ravie de tous les revers que vous pourriez m'infliger, car ça affaiblirait ma position. Alors je vous le demande, professeur, les yeux dans les yeux : ne me faites pas obstacle. Pas maintenant, alors que Venamia attend au-dessus de moi comme un Vaututrice, prête à se jeter sur moi au moindre instant de faiblesse. Laissez-moi renforcer le Protectorat et mon poste. Accordez-moi votre soutient sur tous les sujets sur lesquels nous nous entendons à peu près. En échange, je serai plus ouvert sur la question qui nous sépare des Pokemon.
Chen l'étudia un moment, et se prit à sourire.
- Un tel débordement de franchise doit être nouveau pour vous, non ? J'aime que l'on parle à cœur ouvert. Alors parlons, Monsieur le Chef d'Etat. Comme vous dites, je vous préfère vous à Lady Venamia.
Giovanni sourit à son tour, et père et fils commencèrent à négocier.