Entre infini et au-delà de Cyrlight

Bleu noir - Mylène Farmer


Quelques heures plus tard, Sandra et Peter les accueillaient à la Ligue Indigo, où Cassy leur avait demandé l'asile un temps durant. Ils s'étaient mis d'accord avec les autres Champions pour leur permettre de s'installer, ces derniers n'ayant émis aucune objection.

Après une bonne nuit de sommeil, la dresseuse se leva à l'aube. Elle ne possédait plus une chambre individuelle, mais un dortoir commun, qu'elle partageait avec Yohanna, Tina et Esméralda. Celles-ci s'éveillèrent pratiquement en même temps qu'elle, sans doute à cause de cette habitude qu'elles avaient à l'Elite des Quatre.

Ils ne pourraient désormais plus bénéficier de l'enseignement de Vanadís ou des guerrières légendaires, cependant les deux dracologues les aidaient à perfectionner leurs pokémon. Parfois, Clément, Aldo, Koga et Marion venaient eux aussi leur donner un coup de main, sans vraiment savoir en détail de quoi il en retournait.

Ils continuèrent tous à s'exercer sans relâche, mettant de plus en plus de coeur à l'ouvrage. Les progrès qu'ils faisaient étaient exceptionnels. Bridget parvenait à se faire obéir à de son équipe sans trembler, Yohanna maitrisait la grande majorité de ses attaques, Angus développait son don progressivement et Hitaki avait même eu le droit d'essayer ses gants de combat, qui augmentaient considérablement sa force.

Ce n'était toutefois rien à côté de Cassy qui s'entraînait sans relâche, nuit et jour, jusqu'à épuisement. Un soir, alors que le ciel s'assombrissait au-dessus de l'Arène après le coucher du soleil, elle contraignit Draco à livrer un match contre Dracoli.

Les deux créatures, à la puissance dévastatrice obtenue au fil d'années de travail intensif, ne retenaient pas leurs coups. Bientôt, alors qu'ils s'échangeaient des Dracosouffle, Dracoqueue et autre Draco-Rage, ils peinèrent à rester debout sur leurs pattes.

- Si vous n'êtes pas capable de vous vaincre mutuellement, comment espérez-vous tenir face à un pokémon légendaire ? s'écria-t-elle à l'intention de ses acolytes qui lui jetèrent un regard d'excuse teinté de fatigue. Allez, du nerf ! Appliquez-vous davantage.

Elle s'apprêtait à leur donner l'ordre de reprendre l'affrontement lorsqu'un toussotement se fit entendre dans son dos. Elle sursauta avant de pivoter sur elle-même, paume ouverte en direction du bruit. Heureusement, il ne s'agissait que de Sandra.

- Vous m'avez fait peur. Vous êtes ici depuis longtemps ?
- Assez pour me demander si tu n'as vraiment rien retenu des mois que j'ai passé à te former.

Ses traits glacés affichaient une expression courroucée. Les bras croisés sur sa poitrine, elle fixa la jeune femme sans ciller jusqu'à ce que celle-ci baisse les yeux sur ses pokémon. Ils étaient vraiment dans un sale état, les muscles tremblants après l'effort qu'elle avait exigé d'eux.

- Je suis désolée, murmura Cassy, penaude.
- Ce n'est pas auprès de moi qu'il faut t'excuser, mais d'eux. Je me doute bien que la situation n'est pas facile pour toi, sauf que tu t'y prends mal. A cette allure, tu vas les tuer à la tâche sans qu'ils n'en sortent plus fort. L'entrainement doit être rude, pas mortel.
- Je ne sais plus comment faire pour bien faire. Chaque jour, je me dis que le temps nous est compté. La Confrérie progresse toujours davantage, mais elle n'est pas prête pour autant.
- Et tu crois vraiment que laisser tes deux meilleurs alliés mourir d'épuisement soit la solution à tes problèmes ?
- Je... Non.
- Alors va te coucher. J'ai l'impression que tu ne dors pas assez en ce moment, et à mon avis, ce n'est pas très bon pour le bébé.

La dresseuse, qui avait commencé à s'éloigner, se figea. Elle jeta un regard à Sandra par-dessus son épaule, néanmoins son visage ne trahissait rien. Elle demeura de marbre lorsqu'elle lui demanda :

- Comment l'avez-vous su ? Seules Yohanna et Cynthia sont au courant.
- Tu prends beaucoup trop de précautions à chaque fois et tu évites dans la mesure du possible le combat au corps à corps. Il fallait bien te douter que je finirais par me douter de quelque chose. Et puis, sans vouloir te vexer, cela commence à se voir, or ce n'est pas avec les repas que tu fais que tu risques de prendre du poids.

La jeune femme observa son ventre une seconde, qui saillait dangereusement sous sa combinaison au bleu violacé. Du bout des doigts, elle effleura ce renflement, puis releva la tête en direction de la dracologue.

- Vous ne l'avez dit à personne ?
- Non. Bien sûr que non. Cette décision ne m'appartient pas. En revanche, je pense que toi, tu devrais le faire.
- Pourquoi ? Si les autres apprennent cela, ils chercheront à me ménager, or c'est à moi de prendre soin d'eux. Qui plus est, je ne suis pas sûre qu'ils acceptent d'un bon oeil l'idée que je porte l'enfant de Sven.

Là encore, la Championne ne réagit pas à la mention de ce nom, signe qu'elle s'en doutait probablement. Elle se contenta de poser une main amicale sur son épaule, avant de prendre congé, laissant Cassy seule au milieu de l'Arène, à méditer.

Elle resta immobile un moment, puis décida de regagner son dortoir où les autres devaient sûrement déjà dormir. Elle remit les pokéball de Draco et de Dracoli dans sa sacoche, puis s'éloigna en silence vers les vestiaires, par où il lui serait possible de rejoindre le reste du bâtiment.

Alors qu'elle s'apprêtait à pousser la porte en fer, elle eut un frisson. Elle ignorait si cela provenait du glyphe dragon, mais elle avait appris que ces symptômes étaient toujours le signe avant-coureur d'une présence inconnue -et rarement amicale- à proximité. Sur ses gardes, elle scruta les alentours.

Elle regarda cependant en l'air trop tard pour esquiver la silhouette qui sauta du haut des gradins pour la heurter de plein fouet. Elle tomba à la renverse et roula sur le sol afin d'échapper à un nouvel assaut. Il s'agissait visiblement d'un homme, entièrement vêtu de noir et portant une cagoule afin de dissimuler son visage. Souple, agile, elle avait du mal à parer ses coups. Arceus venait-il de lui envoyer un humain légendaire ?

Alors qu'elle exécutait un saut pour éviter un balayage de la jambe, quelque chose dans le style de son adversaire lui parut étrangement familier. Elle réfléchit à une ruse, feinta, et parvint à arracher le morceau de tissu sombre qui masquait sa face. Elle libéra ainsi des cheveux noirs épais, dont la couleur était assortie à celle des yeux, et un sourire narquois sur un menton proéminent.

- Tu pensais vraiment que je ne te reconnaitrais pas, Sven ? gronda-t-elle en essayant de prendre un air menaçant.
- L'effet de surprise était là, c'est tout ce qui compte.
- Comment nous as-tu retrouvé ?
- Je suis retourné auprès d'Artémis il doit y avoir une semaine de cela. Elle m'a parlée de ta dispute avec Lilith et m'a appris que tu étais partie en emmenant tout le monde avec toi. A partir de ces informations, il ne m'a pas fallu longtemps pour dresser une liste des potentiels endroits où tu pouvais te trouver.
- Sauf que je te rappelle que tu n'aies pas le bienvenue parmi nous, souligna la dresseuse avec dédain.
- Même si je t'apporte la réponse à ta question ?
- Quelle question ?
- Le moyen de tuer Eric.

Cassy se figea aussitôt, sentant son sang se glacer dans ses veines. Sven, visiblement satisfait de la réaction qu'il venait d'obtenir, pris un air plus arrogant que jamais. Il n'ajouta rien d'autre, histoire de la forcer à l'interroger.

- Comment ? finit-elle par demander, la respiration saccadée.
- Tu n'y arriveras pas sans moi, de toute manière, alors il vaut mieux que tu me réintègres à ta petite bande de zigotos.
- Je considérerai cette éventualité. Comment ?
- La solution était évidente depuis le début, ange noir, pour ne pas dire que nous l'avions sous les yeux. Tu as déjà vu un pokémon lancer une attaque Clonage, n'est-ce pas ?
- Oui, évidemment.
- L'explication se situe là-dedans. Le double encaissera les coups, mais la créature d'origine, elle, s'en sortira sans mal. Je pense que le principe est à peu près le même pour ton frère.
- Ce n'est pas logique. Une fois que le clone est mort, il ne devrait pas revenir. Et puis, la dernière fois, j'ai brûlé Eric. Lorsqu'il est unique, cela ne se voit pas, mais dès qu'il use de ses pouvoirs, ses deux lui ont une moitié du visage de brûlé.
- Cela ne fait que confirmer mon hypothèse : si tu tues uniquement l'un de deux, l'autre l'absorbera pour lui permettre de se régénérer, affirma Sven avec le plus grand sérieux.
- Comment s'y prendre, alors, s'il s'auto-guérit ?
- Rien de plus simple, théoriquement parlant. Il faut atteindre les deux en même temps. C'est pour cette raison que tu vas avoir besoin de moi. Même si tu veux être celle qui le détruira, tu ne pourras pas poignarder deux fois ton frère en l'espace d'une seconde. Tu échoueras je ne t'y aide pas.
- Et j'imagine que là-dessus, je peux te faire confiance, puisque tu as toujours souhaité autant que moi la mort d'Eric ?
- Exactement.

Le jeune homme lui tendit une main franche, que Cassy serra sans hésiter. Il affermit son contact sur ses doigts et la rapprocha de lui pour lui donner un baiser aussi long qu'inattendu. Elle se laissa faire, mais étonnamment, n'y prit pas le même plaisir qu'à l'accoutumée. Tant de choses semblaient avoir changé depuis qu'elle se savait enceinte de lui.

- Tu m'as manqué, ange noir.

Elle ne répondit pas, car c'aurait été mentir que d'affirmer la réciprocité de ses propos. Elle avait souvent regretté son départ à cause de l'atout qu'il représentait dans son camp, néanmoins elle n'irait pas jusqu'à dire qu'elle en avait souffert.

- Il faut que tu saches, avant de lancer toute opération contre Eric, qu'il a désormais une garde du corps.
- J'ai hâte de voir cela, ricana Sven en se frottant les mains, vraisemblablement déjà près à en découdre.
- Non, attends. Ecoute-moi. Ce garde du corps, c'est Emily. Notre Emily. Elle a perdu la mémoire et il l'a manipulée pour la retourner contre nous. J'ai bien l'intention de lui rendre sa véritable personnalité, donc il n'est pas question que toi ou n'importe qui d'autre ne lui fasse du mal. L'ennui, dans cette histoire, c'est que elle, en revanche, risque de nous en faire beaucoup. Même toi, je doute que tu fasses le poids face à elle. Elle est redoutable, et ses pokémon sont encore plus puissants que les miens.
- Je ne comprendrai jamais pourquoi tu te compliques l'existence alors qu'un poignard en plein coeur est tellement plus simple...
- C'est mon amie ! interrompit catégoriquement Cassy. Tant qu'il y aura une chance de la sauver, nous nous y tiendrons.
- J'imagine que je n'ai pas le choix... D'accord, je m'efforcerai de l'épargner.
- Merci.

Elle se laissa tomber dans les bras du tueur professionnel qui l'étreignit en lui tapotant les omoplates. Avec son retour et les nouvelles qu'il lui rapportait, elle se sentait presque mieux. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait l'impression que les choses allaient réellement s'arranger.