Chapitre 31 : Richard
La cabine du commandant de l'expédition avait été richement meublée. Le bureau était en ébène et les tapis tressés à la main avait été importés de l'étranger pour donner à celui qui avait fait la découverte d'un nouveau monde un confort dont personne, Fargas à part, ne pouvait se vanter. Un portrait de lui était accroché au-dessus de la porte qui menait directement sur le pont et que deux soldats gardaient constamment. Sur le côté droit se trouvait une commode où s'empilaient des tas de bibelots qu'il avait ramené de ses voyages et sur la droite une étagère pleine à craquer d'ouvrages divers.
L'un de ces livres était actuellement posé sur son bureau, ouvert en plein milieu.
Le commandant était un homme entre deux âges dont le physique faisait pourtant preuve d'une fatigue extrême. Ses cheveux étaient blancs, des rides parsemaient son visage et des cernes plus que prononcées se formaient sous ses yeux. Il était rasé de près, ne voulant pas montrer à ses hommes une quelconque négligence de sa part, et sa tenue qui collait à son corps comme une seconde peau démontrait elle aussi de cette volonté.
Il allait sans dire que c'étaient à cause de ses nombreuses expéditions d'un bout à l'autre de ce monde que son corps était aujourd'hui aussi faible. Au départ simple marchand il ne faisait que la liaison entre différents continents avant de se tromper de route et de découvrir l'Uros. Il fut dès ce moment remarqué par le roi qui le nomma colonel puis commandant. Il fut gratifié de l'ordre des chevaliers de la patrie et récompensé en étant invité pendant un an à toutes les réunions mondaines d'Illumis.
Mais il n'était pas taillé pour la vie en société et encore moins pour faire des courbettes à des nobles à longueur de journée. Un an passa après son retour de l'Uros qu'il reprit la mer et tenta le tour du monde. Il y parvint mais tomba malade durant la traversée et manqua de mourir ; ce qui ne l'empêcha aucunement de prendre la tête de l'expédition actuelle vers le nouveau monde afin d'y installer la première colonie de Kalos à l'étranger.
Depuis un jour que le voyage avait commencé il n'avait pas quitté sa cabine, préférant attendre avant de se présenter à son équipage. Il savait d'expérience qu'il était bon de les laisser prendre le pied marin avant qu'il ne se montre. Il n'avait encore jamais eu de problème avec aucun de ses équipages et ne pensait pas que ce serait le cas durant cette traversée.
Ainsi il restait enfermé, se plongeant dans des ouvrages religieux et géographiques. Il était un fervent croyant et ne partait jamais en voyage sans emporter avec lui la parole d'Arceus, pensant fermement que cela le protègerait du mal. Il en était de même pour les traités de géographie qui étaient devenus depuis l'enfance ses livres de chevet ; il lui était tout bonnement impossible de s'en séparer.
Alors qu'il examinait une carte marine de l'endroit où se trouvait actuellement la flotte afin de donner des directives dans moins d'une heure, trois coups furent donnés contre la porte. Richard s'empressa de demanda à ses gardes de quoi il en retournait, ce à quoi ces derniers répondirent immédiatement : « C'est l'aide de camp, commandant. Vous l'avez fait demander en début de journée.
– Faites-le entrer. »
C'était la première fois que Richard voyait l'aide de camp qui lui avait été attitré durant ce voyage. Le précédent ayant contracté une maladie grave il avait été saigné jusqu'à en mourir la veille du départ. Fargas lui avait donc trouvé quelqu'un en remplacement de dernière minute, un jeune homme qu'il jugeait particulièrement fiable et en qui il pouvait avoir confiance.
Dès son entrée dans la pièce Richard examina celui qui allait le seconder durant tout le voyage. Il était plutôt robuste, bien habillé et d'une apparence soignée ce qui mit de suite en confiance le commandant. Certains trouvaient que juger sur l'apparence était une erreur ; Richard pensait l'inverse. La façon de se tenir, le regard, les vêtements ou encore la manière de se raser n'étaient que des éléments capables de prouver la bonne foi d'une personne.
« Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il d'une voix grave après une minute d'observation en abandonnant des yeux sa carte maritime.
– Bastien.
– Bastien comment ?
– Frame. Bastien Frame. »
Richard se contenta d'hocher la tête, de se saisir d'une plume avant de noter le nom du garçon sur un morceau de papier. Cela pouvait paraître étrange mais il était capable de retenir par cœur la position d'une île ou d'un récif mais incapable de mémoriser un prénom ou une date.
« Parfait, dit-il une fois qu'il eut terminé d'écrire. Savez-vous en quoi consiste votre travail à bord de ce navire et une fois à terre ?
– Pas exactement. Fargas m'a expliqué globalement que je devais respecter le moindre de vos ordres et vous aidez dès que vous en aurez la nécessité. Après je n'ai pas forcément eu le temps de prendre connaissance du reste. Nous avons dû rapidement embarquer et j'attendais que vous me contactiez.
– Fargas est votre oncle, c'est bien cela ? reprit Richard sans même prendre la réponse du jeune homme en considération.
– Je ne savais pas qu'il avait un neveu.
– Ce n'est pas une information qu'il donne à tout le monde. D'ailleurs personne ne sait grand-chose de sa vie. »
Richard approuva et nota cette réponse en dessous du nom. Il était conscient que ce n'était pas agréable pour cela qui se trouvait en face de lui mais il préférait ne rien oublier de son premier entretien avec celui qui devait le seconder durant ce voyage.
« De la famille à terre ?
– Aucune. Mes parents sont morts durant la peste qui a ravagé la province il y a une vingtaine d'années. J'ai réussi à survivre et j'ai été mis en pension durant toute ma vie avant que Fargas ne me récupère il y a trois ans. »
Richard encore une fois ne répondit rien et écrivit. Face à lui Bastien se tenait droit et ne parlait que pour répondre aux questions que son nouveau maître lui posait. Le silence s'installa durant un instant, seul le crissement de la plume sur le papier faisant effet durant ce dernier. Puis enfin le commandant reposa sa plume, plia ses notes et les rangea dans l'un des tiroirs de son bureau. Il joignit ensuite ses deux mains et fixa son aide de camp d'un regard attentif et rassurant.
« Bien je ne vais pas y aller par quatre chemins : j'ai confiance en vous. Vous m'avez l'air jeune et travailleur. Sans vouloir paraître orgueilleux je ne me trompe que rarement sur mes premières impressions. »
Il se racla la gorge, comme si le compliment lui avait coûté, et poursuivit son discours.
« Votre travail dans un premier temps sera de me servir en répondant à mes directives. Ce sera en quelque sorte un test visant à voir si vous êtes capables de respecter des ordres mais aussi un moyen pour nous de faire plus ample connaissance. Si je vois que je peux placer en vous toute ma confiance alors vous deviendrez ma voix, mes oreilles et mes yeux. Vous donnerez à cette flotte des ordres à ma place, ferait régner ma loi et m'éviterez de donner de ma sueur à ce genre de tâches. Compris ? »
Bastien avala en quelques secondes toutes les informations que le commandant venait de donner sans prendre le temps de s'arrêter et approuva. L'idée de devenir le second lors de ce voyage sembla le ravir et le sourire qu'il tenta de contenir fit plaisir à son chef.
« Je saurais me montrer digne, répondit-il simplement.
– Ne le dîtes pas, faites-le. »
Sur ce Richard lui adressa un signe de main lui demandant de sortir, ajoutant qu'il lui donnerait ses premières directives plus tard dans la journée.
Il porta son regard sur le jeune homme avant que ce dernier ne quitte la pièce, manquant de peu de trébucher sans raison particulière. Le commandant n'avait pas mentit en disant qu'il avait confiance en lui. C'était une impression qui se faisait de plus en plus rare avec ses hommes à cause de l'expérience. Il se méfiait de chacun de ceux qui mettaient les pieds sur le pont de son navire.
Pourtant ce jeune homme avait quelque chose qui lui plaisait, une étincelle dans le regard qui lui disait qu'il pouvait faire de lui son second sans la moindre hésitation. Cela fait il reprit la lecture de sa carte maritime et la seconde d'après ne pensait même plus à cet entretien.