Chapitre 4 - Ludivia
Nuit de l'Eveil, Vermilava, peu après le décès d'Octave. L'enfant faisait face à la Bête. Sans un mot, planté là devant lui, il l'affrontait d'un regard à la fois haineux et effrayé. La créature approcha son visage. Insignifiant. C'est ça, un humain ? Frêle, chétif, émotif, le garçon tremblait de tout son corps. Ses dents vinrent pincer sa lèvre inférieure avec tant de hargne que le sang coula au sol. Le monstre observait.
« Rends-le-moi » marmonna l'enfant en serrant les poings.
Le monstre s'approcha un peu plus. Sa gueule dégageait une telle chaleur que le garçon peinait à la supporter. Le seul souffle de sa respiration le repoussait vers l'arrière. Il leva le bras pour essayer de protéger son visage, pris une grande bouffée d'air, et hurla :
« RENDS-MOI MON GRAND-PERE ! »
Il lança son poing sans réfléchir sur le monstre mais s'écrasa sur l'épaisse peau d'écailles noires, si brûlante que la douleur tétanisa son membre et enflamma la manche de son tricot. Les flammes se propagèrent sur son bras d'abord, puis rapidement sur le reste du corps. Ses vêtements crépitaient sous l'effet du feu au fur et à mesure qu'il les consumait, fondant et se mêlant à la peau carbonisée. Doit-on vraiment subir ça à un si jeune âge ? La pluie n'y changeait rien. L'enfant brûlait, criait, bougeait dans tous les sens sans savoir quoi faire. Il ne pouvait qu'attendre de brûler, impuissant sous les yeux d'un monstre indifférent. Il tomba au sol, de sa chair émanait une odeur nauséabonde de viande cramée. Et ses yeux...dont on ne différenciait même plus le globe des paupières... Il gisait là, à peine vivant, aveugle et paralysé, dans un était pire encore que celui de son défunt grand-père. Mais la Bête restait étrangement passive. Elle n'eut même pas daigné réagir aux souffrances du petit homme. Soit elle méprisait son existence au point de ne même pas le considérer, soit il s'agissait d'autre chose. Si son apparence était sauvage et effrayante, elle témoignait d'un comportement bien trop calme et trop réfléchi pour n'être qu'un animal sans intelligence. Elle n'était de toute évidence pas là par hasard. Une griffe apparue d'entre les flammes du monstre. Aiguisée à souhait, elle fendit l'air jusqu'à atteindre ce qu'il restait de la poitrine du jeune garçon.
« Chef, on a trouvé un môme. »
Un groupe de personnes en uniforme investissaient les lieux peu après le massacre. Parmi eux, une jeune fille à l'attitude légèrement « garçon manqué » malgré ses traits très féminins. Elle se penchait sur le garçon et le regardait d'un air dubitatif. Elle attrapa un bout de bois trempé dans les gravas et tâtonna la dépouille, amusée. Elle avait l'air d'y prendre plaisir.
« Tu crois qu'il est mort, chef ? Il a pas l'air blessé pourtant. » Demanda-t-elle nonchalamment.
- Je vous ai déjà dit de ne plus me tutoyer, agent Ludivia. Vos performances sur le terrain ne vous dispensent pas de respecter vos supérieurs.
- Rah soyez-pas rabat-joie chef, vous plombez l'ambiance !
- Trois jours d'isolement. Vous risquerez-vous à d'autres réflexions déplacées ?
- Tss, 'scusez-moi chef.
- Je ne suis pas sûr d'avoir compris, agent 1ère classe Ludivia.
- ... Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, Commandant Général en Chef des Veritas... » Récita-t-elle d'un ton ironique.
C'était le mieux qu'il puisse espérer. Ludivia avait toujours été une marginale et ne pouvait rater une occasion d'entrer en conflit avec l'autorité. N'importe quel autre soldat se serait vu banni de l'organisation, mais celle-ci était bien trop talentueuse. Bien qu'elle ne soit encore qu'une adolescente, le Général en Chef voyait en elle la relève de Veritas, quand il ne serait plus là pour commander. Depuis des années il luttait pour tenter de la discipliner...en vain. C'était de pire en pire. Après chaque opération menée à bien, Ludivia en revenait encore plus arrogante. Tout n'était qu'un jeu pour elle. Au triste regret des hauts dirigeants de Veritas.
« Regardez chef, j'crois que ça bouge ! dit-elle en regardant l'enfant.
- Qu'on le fasse transporter à la base. Je veux qu'il soit remis sur pied. Nous en saurons peut-être un peu plus sur ce qu'il vient de se passer ici.
Une équipe plaça soigneusement l'enfant inerte sur un brancard, une couverture imperméable l'isolait de la pluie, pendant que d'autres fouillaient les décombres et les quelques cadavres qui gisaient ci et là, dont faisait parti celui d'Octave. Des échantillons étaient prélevés un peu partout dans le village et des ingénieurs avaient déjà investis la Faille avec leurs divers appareils. Relevés thermiques, capteurs soniques, gamma-caméras et autres savants outillages leurs permettaient de quadriller la zone et d'analyser les niveaux d'énergies qui persistaient malgré la disparition de la Bête.
Le général n'était pas friand de ces procédures longues et coûteuses. Il préféra rentrer à la base et porter son attention sur le jeune garçon.
« Agent Ludivia ?
- A vot' service chef ! cria-t-elle avec un sourire malicieux.
- Vous aurez la charge de cet enfant durant son séjour à Véritas. Menez-le à mon bureau dès qu'il sera en état de communiquer. Surtout ne lui dites rien qu'il n'ait besoin de savoir.
- Moi ?! Mais chef-
- Peut-être me serais-je fais mal comprendre, agent Ludivia ?
- ... A vos ordres, Commandant Général en Chef... »
Trois jours plus tard. L'enfant s'était réveillé et les analyses ne montraient à priori aucune séquelle. Bien que personne ne comprenait vraiment pourquoi seul un gamin aussi fragile d'apparence avait pu survivre au massacre. Ludivia le mena non sans rechigner au bureau de son supérieur afin qu'il puisse lui poser quelques questions.
« Je suis le Commandant Général en Chef de cette base. Mais tu peux m'appeler Edwin.Engagea-t-il pour le mettre à l'aise. Comment t'appelles-tu ?
- ...
- Allons jeune homme, tu es en sécurité maintenant. Tu peux tout me raconter. Est-ce que tu te souviens de ce qu'il s'est passé ?
Il hésitait. Il n'avait pas confiance en cet homme mais finit par ouvrir la bouche.
- Il est apparu en plein milieu de la nuit. Il a détruit le village, tué ma famille. Et je suis mort. Fin. Expliqua le rescapé, d'un calme étonnant.
- Tu es mort ? Haha, non jeune homme, tu es bel et bien là. Quoi qu'il te soit arrivé, tu y as survécu.
- Non je vous dis. Je l'ai frappé, j'ai pris feu et je suis mort. J'ai encore l'impression de brûler depuis que vous m'avez réveillé. »
Le général n'en revenait pas. Alors qu'il venait de vivre la pire expérience imaginable, cet enfant ne montrait aucun signe de traumatisme. Les autres garçons de son âge passeraient leur temps à pleurer dans une telle situation. Mais celui-ci était effroyablement calme, et ses yeux perçaient ceux du général si indifféremment qu'il en eu un frisson. En revanche, si ce que racontait le garçon était vrai, et si par le plus grand des miracles il avait survécu aux flammes, il devrait être totalement paralysé et couvert de brûlures. Quelque chose clochait. Il appuya sur l'interphone de son bureau :
« Agent Ludivia, veuillez reconduire le garçon auprès du médecin s'il vous plait. Faites lui passer d'autres examens. »
Elle ouvrit la porte du bureau. Elle ne portait pas son uniforme cette fois-ci. Elle présentait à la place un débardeur noir et un pantalon de repos couleur viridien. Ses cheveux rouges profonds étaient vulgairement tressés, la natte tombait sur son épaule et couvrait sa clavicule. Elle était en repos, à peine sorti de la cellule d'isolement ce matin là, mais avait malgré tout la responsabilité du nouveau venu, ordre du Général. Il la suivit sans poser de question jusqu'à un laboratoire où de nombreux scientifiques couraient en pagaille, transportaient des mallettes, criaient des formules compliquées, remplissaient des seringues... A travers la foule, l'un d'entre eux s'approcha avec un sourire chaleureux et rassurant :
« Salut bonhomme ! Tu veux bien me suivre une minute ? »
Il acquiesça et s'engagea dans un grand couloir. Les lumières blanches se reflétaient sur le sol immaculé et l'éblouissaient. Mais en plissant les yeux, au niveau d'une baie vitrée, il aperçut une grande salle avec des tables disposées les unes à cotées des autres. Il distinguait péniblement des sacs étendus dessus. Noirs. Quelque chose l'intriguait. Il se concentra davantage. Une forme sortait de l'un des sacs. Une forme de couleur... chair ? Un bras ?!
« Ne fais pas attention, nous avons récupéré les corps pour les examiner. Expliqua naturellement le médecin.
- Il doit y avoir mon grand-père dans le tas. Rétorqua-t-il sans sourciller.
- « gloups » Euh ne restons pas là, suis moi tu veux ? »
Le médecin, intimidé par sa froideur malgré son jeune age, le mena jusqu'à la salle d'examen. Après lui avoir demandé de retirer quelques vêtements, il le plaça devant un miroir de grande taille de façon à ce qu'il puisse se voir entièrement.
« Tu vois ? Tu n'as rien. Excepté cette...cicatrice sur le torse. Tu te souviens de comment tu l'as eu ?
- Non, je n'avais pas... tout ça, avant. »
Il s'observait assez méticuleusement. Il n'y avait effectivement aucune trace de brûlure, son visage n'était pas défiguré non plus mais il ne comprenait pas pourquoi ses cheveux avaient changé de couleur ni pourquoi son torse était stigmatisé... Et ses yeux ? Pourquoi avait-il les yeux dorés ? Il perdait peu à peu son calme, s'agitait dans tout les sens, se tournait et se retournait pour examiner les moindres parties de son corps... Dos, torse, bras, jambes, mains, tête, ventre et... Oui, même là. Rien n'était laissé au hasard. Sous les yeux étonnés du médecin qui avait du mal à comprendre ce changement brusque de comportement.
« Je veux partir maintenant. Ordonna soudain le garçon.
- Euh tu sais l'examen n'est pas encore fini...je voulais te poser quelques questions avant de te laisser rejoindre tes quartiers...»
Discrètement il appuya sur l'alarme silencieuse pour appeler la sécurité. Il avait reçu pour ordre de ne prendre aucun risque tant que la condition du survivant n'avait pas été précisément établie. Mais celui-ci plaqua ses mains contre ses oreilles et se tordit de douleur.
« Laissez-moi partir !! » Geignait-il
Il perdait complètement son calme. Ses yeux commençaient à briller tandis que son cri résonnait dans tout le département d'analyse. Ludivia accouru aussi vite que possible mais ne put qu'assister impuissante à la scène. Le médecin s'était écroulé sur le sol, blanc comme un linge, le regard vide et la bouche béante. Le garçon se tourna, arborant un terrifiant sourire des plus sadiques, les yeux pétillants de satisfaction et d'excitation, face à Ludivia qui s'emballait tout aussi rapidement dans ce genre de situation. Elle avait le sang chaud, et à chaque fois que l'adrénaline montait en elle, son tic verbal la trahissait :
« Tss »