Chapitre 2 - Le Génie
Les premières lueurs de l'aube réchauffaient Bourg-en-Vol. La flore luisait sous les rayons pétillants du soleil, indiquant aux villageois qu'il était temps de se lever. La rosée rendait l'air frai et humide, ni trop froid ni trop lourd. La bourgade se réveillait à son rythme. Goupix n'appréciait pas tellement ces matinées automnales car la chaleur de ses flammes diminuait légèrement. Il n'était pas rare de le surprendre entrain de brûler les plantes du jardin juste pour se rassurer...
Alors que toutes les familles commençaient à bouger, l'ambiance était plutôt calme chez Iris. Son père partait toujours tôt le matin et sa mère s'occupait de la boutique de fleurs. Son petit frère, lui, n'aimait pas jouer avec elle. Elle était donc souvent seule et passait ses journées à se promener avec Goupix pour jouer avec les pokémons sauvages qu'ils croisaient. Mais cette routine devenait facilement lassante pour les deux compagnons, ce qui les poussa à entreprendre ce voyage.
Pendant qu'elle préparait ses affaires, elle tomba sur un étrange objet de forme rectangulaire. Une espèce de carnet de note en cuir noir, très élégant. Sur la couverture était gravé « Iris ». Elle s'empressa de l'ouvrir. Un magnifique signet en argent s'en échappa, laissant découvrir un texte sur la première page. Avant même de lire, elle reconnu l'écriture raffinée de son père :
« Ton voyage débute aujourd'hui Iris. C'est pourquoi je t'offre ce carnet. Il m'appartenait quand j'étais un jeune dresseur, mais j'ai fait graver ton nom sur la couverture. Tu remarqueras qu'il reste de nombreuses pages vierges... alors je te demande de prendre soin de les remplir d'histoires passionnantes. J'espère que la prochaine fois que nous nous verrons je serai fier de lire tes aventures. Sois forte. »
Elle ne put s'empêcher de sourire, cette lettre l'avait émue. Son père n'avait jamais été très présent pour elle du fait de ses nombreux déplacements professionnels. Lui-même regrettait de ne pouvoir profiter davantage de sa famille et Iris était évidemment déçue de ne pas avoir pu lui dire aurevoir. Mais maintenant cette déception laissait place à un enthousiasme entrainant. Elle rangea le carnet dans son sac, enfila sa veste et accrocha la ball de son pokémon à la ceinture.
« On y va Goupix ! »
Avant de quitter Bourg-En-Vol, elle fit un détour par le laboratoire de recherche pour rendre visite au professeur Seko. Il était tôt dans la matinée et le local semblait désert, lumières et machines éteintes, pourtant l'entrée principale était ouverte. Aucun scientifique n'était encore arrivé et seul le bureau de Seko était allumé. Iris, gênée de passer à l'improviste, s'approcha d'un pas hésitant. Une désagréable odeur de cigarette venait lui prendre le nez quand la porte entrouverte laissa échapper les voix du professeur et d'un autre homme :
« ...Fascinant ! C'est tout bonnement incroyable ! Ca s'est passé quand tu dis ? s'écriait Seko.
- Y'a deux ou trois semaines. J'ai essayé de consulter de nombreux scientifiques mais tous voulaient le garder pour faire des expériences, tss. Tu crois que ça peut être grave ?
- Je n'en sais que trop peu... Je comprend mes confrères, un tel phénomène est très rare sur un pokémon...
- Tu vas pas t'y mettre toi aussi !
- Viens avec moi dans le labo d'analyses, il me faut un échantillon si on veut comprendre ce qu'il lui arrive. »
Iris n'eut pas le temps de s'éclipser. Elle tomba nez à nez avec Seko et un jeune homme qu'elle n'avait jamais rencontré. Avant qu'elle n'ait pu voir le pokémon, celui ci s'empressa de le rappeler dans sa pokéball. Il la fixa d'un regard agressif et provocateur à faire froid dans le dos. Il s'approcha.
« Tu fous quoi ici ? T'écoutes aux portes ? On t'a jamais appris les bonnes manières, poupée ? » Lança-t-il en lui crachant la fumée de sa cigarette au visage.
Les six queues de Goupix se dressèrent et il s'avança vers le garçon en montrant ses crocs. Il ne supportait pas que quelqu'un manque de respect à sa maitresse. Le jeune homme ne pu retenir son rictus hautain et méprisant. Le renard perdait facilement son sang froid dans ces situations et l'atmosphère se réchauffait rapidement... Sa colère intensifiait la chaleur qu'il dégageait.
« D'une, je suis pas ta poupée. Et de deux, ce que je suis venu faire ici ne te regarde pas. répliqua la jeune fille.
- Ah Iris ! Je te présente Zachary. Ne fais pas trop attention à son mauvais caractère, il n'est pas si méchant. Il est juste contrarié par ce qui arrive à son pokémon.
- C'est pas une excuse pour être une pourriture. C'est quoi le problème au juste ?
- Eh bien, son pokémon semble avoir...
- Ca te regarde pas ma jolie. » coupa brutalement Zack.
Zach réajusta sa veste et prit une bouffée de sa cigarette avant de se diriger vers la sortie. Il n'hésita pas à bousculer Iris en passant. Goupix ne put se retenir de lui lancer une boule de feu et de le charger. Il se retrouva rapidement au sol à la merci des crocs du renard.
« C'est bon Goupix, on va faire ça dans les règles. Je te défie Zachary, appelle ton pokémon !
- Tss, non merci. Tu fais pas le poids poupée. J'voudrais pas que t'abîmes ta manucure. »
Il leur tourna le dos en riant. Iris remarqua qu'il avait fait tomber un carnet en chutant. Il s'agissait d'un carnet de note, très similaire au sien, dans lequel une quantité innombrable de dessins couvraient les pages. Des dessins qui ne signifiaient rien à première vue. Elle le feuilletait sans conviction...
« Ces dessins sont une langue morte que les hommes pratiquaient autrefois. Expliqua Seko.
- Pourquoi il dessine ça ?
- C'est un passionné, c'est dans ses gênes ! Ses parents étaient mes homologues, d'éminents scientifiques et historiens qui vouaient leur temps à déchiffrer cet étrange langage !
- Passionné ? Mais il a l'air si...
- Arrogant, n'est ce pas ? Et pourtant c'est la vérité... Il a commencé à manipuler ces écritures très tôt dans son enfance, et aujourd'hui, grâce à son talent, il est considéré comme un génie par nos confrères historiens.
- Un génie ?! Je comprends pourquoi il agit comme ça, il a pris la grosse tête !
- Haha... Il est juste préoccupé, ne soit pas trop dure avec lui.
- D'ailleurs professeur, vous pouvez m'expliquer ce qui est arrivé à son pokémon ?
- Je... Non, tu l'as bien vu, il ne veut pas. Si tu veux savoir je te conseille de le lui demander en personne. Tu en profiteras pour lui rendre son carnet !
- Mais je suis même pas sûre de le revoir un jour !
La discussion se poursuivait et Iris en profita pour aborder le sujet de son voyage. Bien qu'ils prenaient tous deux plaisir à discuter, l'heure tournait. Le soleil atteignait désormais son apogée et Iris s'empressa de quitter Bourg-en-Vol. Elle croisa quelques pokémons sauvages avec lesquels elle avait joué auparavant. Ceux-ci la suivirent sur quelques sentiers avant de rebrousser chemin. S'aventurer trop loin de leur territoire, pour de faibles pokémons, n'était pas sans risque. La jeune aventurière s'approchait d'un bois. Un panneau indiquait que l' Auberge du Bois Songeur n'était plus qu'à quelques kilomètres. Goupix engagea la marche en sautillant. Les deux compagnons s'enfoncèrent loin dans le bois, suivant le chemin sinueux qui menait à ce gîte. Les rayons du soleil peinaient à percer le feuillage dense des pins alors Goupix enflamma sa queue pour créer une source de lumière rassurante. Mais Iris n'aimait pas cette forêt, elle lui fichait la chair de poule. Il était très difficile de distinguer quoi que ce soit à plus d'une dizaine de mètres. L'obscurité n'épargnait pas le Bois Songeur.
« On aurait dû le contourner comme on faisait à chaque fois... » fit-elle à Goupix.
Iris se sentait mal. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher et... le chemin se séparait maintenant en trois. La flamme de Goupix s'affaiblissait, la fatigue commençait à l'atteindre lui aussi. Tout se présentait au plus mal pour les deux compagnons. Ils continuèrent sur le chemin de droite, qui semblait en meilleur état que les deux autres. Goupix n'allait plus tenir très longtemps, alors Iris sortit la lampe de poche qu'elle gardait en cas d'urgence. Mais, comme un malheur ne vient jamais seul, les piles étaient usées... L'ampoule scintilla légèrement, irrégulièrement, avant de s'éteindre pour de bon.
« Eh merde ! Fallait que ça nous arrive maintenant !? » jura-t-elle, paniquée.
Ils aperçurent au loin une lueur blanche qui se déplaçait à entre les arbres. Elle s'avança un peu et cria :
« Il y'a quelqu'un !? »
Pas de réponse. Elle recommença plusieurs fois. La lumière disparut. Plus rien. Iris était abandonnée. Elle continua malgré tout dans cette direction en espérant y trouver quelqu'un, ou même l'auberge. Les heures passaient, l'épuisement engourdissait son corps, la forçant à s'appuyer contre les arbres pour ne pas tomber. Mais son moral avait pris un coup lui aussi et elle décida de s'asseoir et de se reposer quelques instants. Un odeur familière de tabac lui chatouilla les narines.
« Toi aussi t'es perdue, poupée ? entendit-elle alors qu'elle allait s'endormir.
- Poupée... ? Zach ?! C'est bien toi ?
- Qui veux-tu que ce soit ! Je suis paumé, je tourne en rond depuis des heures... Tu sais pas où c'est l'auberge ?
- Si je le savais je serais pas assise ici, abruti.
- Tss. Bon eh bien, à la prochaine !
- Tu t'en vas comme ça ?! Tu nous laisse seuls dans cet endroit ?
- Euh...Tu veux que je t'invite à me suivre peut-être...?
- Non mais je rêve... Evidement Zachary !
- Mais...
- J'ai ton carnet, je te le rend si tu nous laisses venir avec toi. Tenta-t-elle en le lui montrant.
- Garce ! C'est toi qui l'avais ?! »
Il fixa un moment son carnet et s'approcha. Les muscles de son bras se contractèrent sous sa veste. Il se préparait à récupérer son dû par la force. Et sans qu' Iris ne le remarque, ses mains furent destituées de l'objet. Il le rangea dans la poche intérieure de son blouson, après quoi il se mit en marche vers le coeur du Bois Songeur.
« Reste pas plantée là, princesse. On doit plus être très loin.»
Même s'il s'agissait de Zach, Iris était soulagée de ne plus être seule dans cette forêt. Elle le suivait sans rechigner à travers les arbres tous plus grands les uns que les autres. Quant à Goupix, il avait préféré retourner dans sa pokéball après l'arrivée du jeune homme. Après leur altercation, il préférait ne pas avoir à le supporter de trop.
« Tu fais quoi ici ? Lança-t-elle sèchement.
- J'te retourne la question poupée.
- Je vais à Rosyère. Alors comme ça t'es un génie ? demanda-t-elle en repensant au carnet.
- Il parait, ouais.
- ... Tu veux pas développer ?
- T'as l'air au courant de pas mal de trucs sur moi déjà. Tu veux savoir quoi ?
- D'où t'es venu cette passion pour les langues anciennes ?
- Quand j'étais môme je trainais souvent dans les musées. Mon père était historien. Ma mère étudiait la science linguistique ancienne. C'est pas vraiment une passion, c'est juste que j'ai grandi avec.
- Et ton pokémon, il a quoi ?
- Regarde, y'a de la lumière. Je crois qu'on est arrivé Iris. »
Elle esquissa un léger sourire. Pour la première fois il ne l'avait pas appelé « poupée » mais bel et bien par son prénom. Ils entrèrent dans l'auberge, s'avancèrent vers le guichet :
« Bonsoir, nous souhaiterions deux chambres séparées pour passer la nuit s'il vous plait. Demanda Zach, étonnamment charmeur avec l'hôtesse d'accueil.
- Comment désirez-vous régler Monsieur ?
- Je vous laisse voir ça avec la charmante jeune fille qui m'accompagne, merci ! »
- Qu.. Quoi ?!» s'exclama Iris.
Et il couru en vitesse dans sa chambre. Iris paya malgré elle, bien remontée. Elle monta se doucher. La terre boueuse de la forêt et l'écorce des arbres l'avaient tâchée et ses cheveux étaient dans un piteux état. La chambre n'était pas très belle, les murs étaient tapissés d'un papier-peint marron beige avec des rayures... Cet endroit manquait sérieusement de style, mais cela conviendrait pour passer la nuit. Un tableau était suspendu au dessus du lit, il représentait la scène historique qui avait eu lieu à Vermilava dix ans plus tôt. Le cadre était abîmé et allait bientôt céder. Iris le changea de place, craignant qu'il ne lui tombe dessus en dormant. Elle enfila sa tenue de nuit, une simple nuisette blanche qui lui couvrait de la poitrine jusqu'au haut des cuisses. Elle déméla ses cheveux après les avoir séché et les attacha à l'aide d'une pince. Dans la chambre à côté, la préparation de Zach fut bien plus sommaire : douche, caleçon... Clope et au lit.
Enfin un repos bien mérité pour les deux jeunes gens.