4. Test
Kerwan passa les quelques heures qui le séparait de l'aurore à réfléchir, les yeux fermés. Il ne savait pas ce qu'il ferait ensuite, il n'avait ni but, ni famille. Il devait fuir. C'était la seule chose dont il était sûr, il devait fuir. Si Fiddirk lui mettait la main dessus, il le ramènerait à son Maître, et la douleur reviendrait. Il devait fuir la douleur, mais il aurait aimé ne pas le faire seul. Il laissa un long moment ses pensées vagabonder, jusqu'à sentir le soleil lui réchauffer la fourrure. Il entrouvrit les yeux et aperçut Argus, toujours immobile. Kerwan ne pouvait pas voir son visage, mais il pariait que le Abo avait les yeux grands ouvert, prêt à bondir à la moindre menace.
Le Malosse s'étira longuement et bailla. Il se remit sur ses pattes et se prépara à partir. Il s'approcha d'Argus et marmonna un vague bonjour, sans attendre de réponse, qui ne viendrait d'ailleurs certainement pas. Il s'éloigna de ceux qui furent ses compagnons. Un pas. Puis un autre. Il n'aurait pas pensé que partir serait si difficile. Mis à part l'histoire d'Ambre, ils ne s'étaient pratiquement pas parlé, et pourtant, Kerwan se sentait attaché à eux d'une manière qu'il ne soupçonnait pas. Il fit encore un pas. Il sentait le regard d'Argus lui brûler la nuque, et il baissa la tête, de honte. Il ne leur avait apporté que des ennuis. Toute sa vie était comme ça. Personne ne voulait de lui. Il sentit les larmes monter, mais il se retint. Pas ici. Pas devant eux. Encore un pas. Il avait l'impression de porter tout le poids du monde. Un pas. Il hésita un moment à se retourner. Il ne se retourna pas. Il prit une grande respiration et se remit en marche. Soulever ses pattes était difficile, mais il serra les dents. Il avança, il avança, il...
« Tu vas où ? »
La question le prit tellement au dépourvu qu'il resta la patte en l'air, bloqué dans son mouvement. Il se retourna et vit Ambre, dans sa position habituelle, la tête penchée et une patte devant la bouche, donnant l'impression que toute l'innocence du monde était contenue dans ce visage. Kerwan chercha ses mots, bredouilla et finit par annoncer :
« Je pars. On ne se reverra sûrement jamais, alors...Adieu.
- Tu vas où ?
- Je ne sais pas. Loin d'ici.
- Pourquoi ?
- Je vous mets en danger en restant avec vous.
- Tu parles du Machopeur ?
- O-Oui. Comment le sais-tu ?
- Je vous ai vu ! Mais je voulais pas descendre, je sais pas me battre. »
Le sérieux avec lequel Ambre parlait fit irrésistiblement naître un sourire sur les lèvres de Kerwan, sourire qui se teinta de mélancolie quand il réalisa que c'était sûrement les derniers mots qu'ils échangeaient. Ambre annonça :
« Dans tous les cas, tu ne peux pas partir.
-Hein ? Mais...C'est moi qui...Enfin, sans moi, ce Machopeur ne serait jamais venu.
-Justement.
-Quoi ?
-Maintenant, il sait qui nous sommes, et il n'oubliera pas de sitôt Argus. C'est plus sûr si nous voyageons ensemble.
-C'est à dire que...Formulé comme ça...
-C'est absolument hors de question ! »
Argus s'était rapproché discrètement, faisant sursauter les deux Pokemons.
« Sans lui, tu ne serais pas en danger.
-Mais sans lui, on ne pourra peut-être pas continuer.
-Tu penses vraiment que le maître de Fiddirk n'avait qu'un Capturé ? Cette fois, Kerwan n'a rien pu faire à cause de son type, mais qui dit que la prochaine fois, ce ne sera pas un Sol ? »
Argus tressaillit :
« Tu penses vraiment qu'il est plus fort que moi ? C'est ce qu'on va voir. Kerwan, je te provoque en duel. Si tu gagnes, tu restes, sinon, j'en conclurai que l'on n'a pas besoin de toi. »
Kerwan était un peu perdu. Tout d'abord, il n'avait jamais vu Ambre dire des choses si réfléchies. De plus, l'idée d'un combat contre Argus ne l'enchantait pas du tout. Il avait vu le petit Abo d'apparence bien inoffensive mettre à terre un Machopeur sans recevoir le moindre coup. Malheureusement, il n'avait pas le temps de réfléchir : Argus se ramassait déjà pour bondir. Ambre s'écarta un peu pour laisser de la place aux combattants. Le serpent se projeta soudain sur Kerwan, qui ne put que se jeter sur le côté pour éviter les crochets. Argus revenait déjà à la charge mais parvint cette fois à toucher sa cible et mordit profondément une patte du Malosse, qui ne parvint à se dégager qu'au prix d'un douloureux effort. Comprenant que son adversaire cherchait vraiment à le blesser, peut-être même à le tuer, Kerwan gronda sourdement, se projeta sur le serpent et attrapa Argus à la base de la tête. Il le secoua un instant afin d'enfoncer un peu ses crocs, puis le lança dans un fourré. Sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits, Kerwan enflamma le buisson à coups de Flammèche. Il attendit quelques temps, persuadé qu'Argus devrait sortir rapidement. Pourtant, les secondes s'écoulaient, interminables, et aucun signe de vie ne parvenait du buisson. Cédant peu à peu à la panique, Kerwan s'approcha lentement. Il plongea sa tête dans les flammes, et soudain, un prodigieux coup de queue le cueillit sur le haut du crâne, le projetant au sol. Les feuilles s'agitèrent, et un immense Arbok sortit du fourré enflammé.
« On dirait que ce combat est mal parti pour toi, Kerwan... »