Kyâ
Je m'appelle Kyâ Masumi et j'ai 18 ans. Ceci est la fin de ma troisième année dans un petit lycée d'Osaka. Il neige dehors. Quand j'étais petite, j'adorais jouer dehors quand il neigeait. Mais je pense avoir passé l'âge de ces enfantillages.
Ce n'est pas la seule raison. Ce que je viens de vous raconter en est la preuve. Ca s'est passé quelques jours auparavant, dans un des couloirs du lycée. Hitori et moi sommes amis d'enfance. On s'est connu à l'âge de 5 ans, pour notre premier jour dans une école. J'avais pleuré ce jour-là parce que Saphirre était malade et n'avait pas pu venir. Hitori est venu me voir et m'a laissé jouer avec Dark Blade et lui. L'Abusoru était tout petit à l'époque mais faisait déjà des envieux, alors Hitori n'avait pas d'ami fidèle, intime. J'ai pris cette place et nous avons grandi ensemble.
A partir du collège, Hitori est devenu… disons… plus populaire qu'il ne l'était déjà. En grandissant, il avait pris de l'allure, et Dark Blade l'illustrait parfaitement en devenant un Abusoru magnifique, de grande taille et au maintien fier. Toutes les filles couraient après Hitori, et tous les garçons voulaient devenir ses copains. De mon côté, avec mes notes moyennes et mon côté « fille bizarre », je me retrouvais un peu seule avec Saphirre, à écouter de la musique la plupart du temps. J'ai même intégré le club de musique du collège en temps que guitariste et chanteuse. Mais nous n'étions pas assez solidaires pour monter un véritable groupe. J'ai chanté un peu, mais ma popularité n'augmentait pas. J'ai fini par me reposer uniquement sur Hitori.
C'est au lycée que mes sentiments envers lui ont changé. Je suis devenue jalouse de toutes ces filles qui lui tournaient autour, et je me suis persuadée que j'étais la seule à mériter l'amour d'Hitori. Mais il ne semblait pas pressé d'avoir une petite amie, et ma timidité naturelle m'a empêchée de lui révéler ce que j'avais sur le cœur, jusqu'à ce jour…
Nos diplômes en main, nos chemins se sont séparés. Hitori a intégré une grande école de sciences, tandis que je suis devenue une « ronin », incapable d'avoir pu passer mes examens d'entrée. Aujourd'hui, je bosse dans un petit vidéo club, à louer des films X à des vieux pervers.
Après une journée entière à bosser, mes pas m'entraînent dans ma chambre où je m'affale sur le lit. Je m'empare d'un oreiller et le cale sous ma tête. Je n'ai même pas enlevé mes chaussures, ma mère va encore me passer un savon. Ma chambre, c'est simple : mon lit, un bureau recouvert de griffonnages de paroles de chansons et de partitions, des posters de mes groupes favoris (les Sex Pistols principalement) et dans un coin, mon seul et unique trésor : une guitare électrique. Je m'entraîne tous les soirs, et même Saphirre sait en jouer. Depuis l'automne dernier, je cherche des groupes en formation qui auraient besoin d'une guitariste, mais sans succès. C'est là-dedans que je veux faire ma vie. Dans le monde de la musique.
J'entends des pas dans le couloir. Ca y est, ma mère n'a pas vu mes chaussures sur le petit meuble de l'entrée. Ca va faire mal, mais j'ai l'habitude. Mais quand la porte s'ouvre, ce n'est pas la voix de ma mère que j'entends. C'est celle de Saphirre.
_Kyâ ! T'es pas prête ? On est en retard !
_En retard pour quoi ?
J'ai répondu sans même lever la tête de l'oreiller, ce qui a produit un son étouffé que même moi j'ai eu du mal à comprendre. Saphirre pousse un gros soupir et se jette sur moi. Avant, je me prenais toujours ses énormes mâchoires en acier en pleine figure. Heureusement, Saphirre fait attention depuis qu'elle a réussi à m'envoyer 3 fois à l'hôpital pour des morsures au visage.
_Ne me dis pas que tu as oublié ?
Je me retourne sur le dos, Saphirre à cheval sur moi. Ses yeux bleus me foudroient avec colère. Qu'est-ce que j'ai bien pu oublier ? Je jette un coup d'œil à mon calendrier, à moitié recouvert par un poster de Sid Vicious. Sur la date d'aujourd'hui, je vois marqué « Séjour à Tokyo / musiciens amateurs ».
_Merde ! C'est aujourd'hui le départ ?
Je me lève d'un bond, mais c'est sans compter le poids d'une Kuchiito adulte. BAM ! Je m'étale de tout mon long sur le sol. En deux minutes je bourre mon sac à dos avec des affaires de rechange et deux ou trois bricoles pour me maquiller. Je glisse mon portable dans ma poche et range ma guitare dans son étui. Ca faisait longtemps que j'attendais ce séjour à Tokyo. Chaque année, plusieurs groupes amateurs se réunissent dans la capitale pour se faire un nom ou pour recruter des membres. C'est pour la deuxième raison que je m'y rends cette année.
En partant, je laisse un mot à ma mère. Mon sac sur l'épaule, et ma guitare en main, je me retrouve dans le train qui me conduit à Tokyo. Saphirre m'accompagne, évidemment. On va passer deux jours dans la capitale. Le premier soir est consacré à la musique. Groupes et solistes se relaient pour exposer leurs talents sur la scène toute la nuit. Le lendemain sert aux rencontres entre les musiciens.
Je ne sait pas pourquoi, mais en regardant le paysage défiler par la fenêtre, je me suis sentie plus déterminée que jamais. Je n'aurai sans doute pas d'autre occasion. Saphirre et moi devrons donner le meilleur de nous-même.