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Entre deux mondes de Xabab



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Informations

» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 09/07/2014 à 02:14
» Dernière mise à jour le 09/07/2014 à 02:14

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Chapitre 21 : Paul
Les gens hurlaient. Des cris de terreur comme des cris de haine s'élevaient ensemble, si forts qu'ils atteignaient sans aucun doute la demeure d'Arceus qui regardait d'un œil moqueur ses frêles créatures se massacrer. La ville était en feu, les rues étaient pleines de gens qui fuyaient pendant que les volets claquaient, se refermant sous l'impulsion de familles qui se barricadaient, loin des regards et des lances.
L'agitation était à son paroxysme. Sur le pavé gisait le corps sans vie de pauvres âmes qui sans rien demander tentaient de regagner vainement la sécurité de leurs chambres. Parfois un pieu se trouvait contre un mur, une tête sur le dessus, les yeux fixant de façon stupéfaite le carnage d'une sanglante soirée.

Et au milieu de ce désastre avançait un coche qui se soulevait parfois brusquement tant allaient vite les deux équidés qui le tiraient. Paul, agrippé à la rambarde regardait avec effroi ce décor de mort qui s'étalait sous ses yeux.
« Prenez-cela ! lui lança Octave en plaçant contre son torse un mousquet qu'il s'empressa de saisir. J'espère que vous ne vous en servirez pas mais on n'est jamais trop prudent dans ce genre de situation. »

Le jeune homme lança un regard sceptique au majordome qui se tenait tout droit sur son siège, semblant analyser l'ambiance de guerre civile qui régnait alentours. Sa canne entre les jambes, ses mains posées sur son pommeau doré, l'homme ressemblait à une statue de pierre, debout au milieu pour l'éternité au milieu de corps sans vie.
Malgré sa surprise Paul ne tenta pas de l'interroger sur le cadeau qu'il venait de recevoir de sa part. Il savait qu'Octave n'était pas le genre de personne à plaisanter avec cela et qu'il le lui donnait en tout état de cause.
Le danger était plus élevé qu'il ne le pensait.

En regardant l'arme qui se trouvait désormais en sa possession il se demanda si ses parents et son ami étaient en sûreté, espérant de tout son cœur que les révolutionnaires n'avaient pas mis les pieds dans leur quartier. Il savait que si c'était le cas alors ils ne feraient pas acte de clémence envers eux.
Dans sa tête résonnèrent les paroles que Luc lui avait lancées quelques années avant lorsqu'il avait fait du magasin le fournisseur officiel du roi. Le garçon avait prédit que si jamais le peuple implosait alors ils deviendraient des cibles faciles.

Les doigts de Paul se crispèrent autour de la crosse et une larme roula sur sa joue, une unique goutte salée qu'il refoula aussitôt. Ce n'était pas le moment de se relâcher ; il fallait agir.
« Tenez bon, petit maître, l'encouragea le majordome en faisant signe au cocher d'accélérer la cadence. Dès que nous serons là-bas nous ferons monter vos parents et votre ami afin de les mener en lieu sûr. »
Il se tourna vers Paul et posa sur lui un regard rassurant qui lui alla droit au cœur, posant sur la sienne sa main parsemée de rides et tapotant un instant pour l'aider à traverser cette épreuve.

Le jeune homme ravala ses larmes, posa le mousquet sur son siège, le gardant tout de même à portée, et fixa la route. Mise à part quelques cadavres rien ne persistait en ce lieu de mort. Seul le bruit des cris de colère montait au ciel.

Ils traversèrent la grande place rapidement, les roues du véhicule touchant à peine le sol. Paul risqua un regard vers l'estrade toujours dressée en ces lieux.
Sur cette dernière se dressaient des piques, une infinité. C'était une plaine dont l'herbe n'était qu'une chevelure couverte de sang, dont les rares brises soulevaient avec peine une mèche toute engluée d'un pourpre sec et dont les seuls insectes qui y couraient se repaissaient de chairs en putréfaction. Ce n'étaient plus que des yeux terrifiés qui fixaient un vide immense, des oreilles tranchées qui ne percevaient aucun son et des bouches ouvertes qui ne parleraient plus jamais. Une femme se tournait vers le coche qui roulait devant elle, demandant avidement une aide qu'elle ne pouvait recevoir. Sa vie était balayé, ses espoirs rompus, le tout conservé dans un ultime regard emplis de tristesse.

Le jeune homme baissa les yeux, évitant de croiser celui de la défunte qui du haut de son pieu tentait de lui inspirer un regain de dégoût. Octave reposa sa main, sur son épaule cette fois et lui demanda de ne pas regarder.
« Ce n'est pas nécessaire de se faire du mal. Contentez-vous de vous préparer à ce qui nous attend par la suite. »
Paul approuva d'un signe de tête et se contenta de fixer le pavé devant lui puis la ruelle dans laquelle s'engagea la diligence en quittant la grande place. Ils n'étaient plus qu'à quelques pas du magasin de son père désormais.

Son cœur battait à rompre la poitrine. Tout autour il entendait monter les cris de la révolution et le crépitement des flammes que laissait sur son passage cette nuée de gens remplis de haine semblable à une armée de sauterelles dévastatrice se répandant sur les cultures. Paul savait qu'il les verrait bientôt, sans doute même au prochain détour.
Et sa prédiction s'avéra juste. Le véhicule tourna à l'angle d'une rue et s'arrêta brusquement face à l'armée d'hommes et de femmes qui marchaient, jetant pavés et torches en direction des roues. Derrière eux la rue brûlait en partie mais le jeune homme ne parvenait à en voir plus car la marée humaine s'avançait vers eux.
Et sa poitrine implosa de douleur.

Cette rue n'était autre que celle où il se rendait.

« Paul ! »
Le cri d'Octave fut vain car le jeune homme sauta de la calèche sans réfléchir, prenant à la volée l'arme sur le siège.
« Amenez le véhicule de l'autre côté de la rue, cria-t-il par-dessus son épaule, je saurais vous retrouver ! »

Et dans un élan de courage, sans prendre en compte du fait que le majordome ordonnait de suite au coche de filer, il se précipita tête en avant dans la foule. Par chance, ou grâce à son physique élancé et fin, il parvint à passer. Un coup contre son épaule le fit hurler de douleur mais il n'y fit pas attention, ne se préoccupant pas non plus du pavé qui vint éclater son genou et manquer de le faire tomber.
Boitant, il quitta ce nuage infernal et trébucha en direction du magasin de son père d'où montait un torrent de flammes. Il vit Luc à la porte, aux prises avec un révolutionnaire resté en arrière. Les deux hommes se roulaient dans le sang et la boue, tentant chacun de prendre des mains de l'autre le poignard qu'ils désiraient enfoncer dans le torse de l'autre.
« Recule ! hurla Paul. Dégage ! »

Luc leva stupéfait le regard vers lui durant un fragment de seconde qui manqua d'être fatal. Le révolutionnaire lui prit la lame des mains, la leva, l'abaissa et fut projeté sur quelques mètres. Son corps s'écrasa contre les poutres en flammes de l'échoppe et disparu à l'intérieur.
Paul lâcha son arme dont le canon était encore fumant et tenta de courir vers la maison en feu avant de tomber, le genou brisé par la mêlée. Son ami se précipita vers lui, le prit dans ses bras et alors leurs regards se croisèrent.

L'un remua la tête pour indiquer à l'autre une triste vérité qu'il avait jadis prédite, l'empêchant de gagner une demeure détruite où gisaient deux corps qu'il avait aimés. Il mit dans son étreinte toute la peine et la fraternité qu'il éprouvait et malgré leurs larmes aucun des deux jeunes ne se quitta.
Quand Octave ramassa leurs corps blessés, meurtris dans leurs chairs et leurs cœurs, il déposa celui qu'il nommait petit maître à l'arrière. Luc refusa de le quitter et leurs regards restèrent intacts durant tout le trajet.

« Qu'arrivera-t-il quand tout éclatera ? Quand les gens sortiront dans les rues avec des torches et des lances que crois-tu qu'ils feront ? Ils chercheront les amis du roi pour l'atteindre, couper un à un les vaisseaux sanguins du régime. Et nous, tes parents et moi, qu'on fasse ses chaussures ou que l'on récure sa merde, on sera sur la liste. Ils viendront un jour au magasin, ils brûleront tout et nos têtes seront accrochées aux fenêtres. »
La voix de Luc résonnait dans sa tête, porteuse de vieilles paroles prononcées trois ans avant le massacre. Il savait et lui n'avait jamais écouté.

Ils se voyaient frères et amis, partageant un destin tragique dont ils étaient les seuls maîtres, lié par quelque chose de plus grand que de simples sentiments humains.
Mais surtout Paul, malgré l'absence de ce reproche au fond des yeux de son frère, n'arrivait pas à se détacher d'une pensée qui allait le ronger durant des années. Il avait eu raison dans cette ruelle, quand ils se serraient l'un contre l'autre. Il avait vu un avenir sombre mais vrai ; la mort de ses parents et sa responsabilité.