Chapitre 11 : Paul
Le majordome guida Paul au travers de la maison de Fargas, du moins s'il fut possible d'appeler cela une maison au vue de la grandeur des lieux. Il y avait plus de couloirs qu'on ne pouvait en compter et chacun apportait sa petite touche de richesse à l'ensemble. Des bancs couverts d'une dizaine de coussins de soie, des tableaux aux bordures dorées représentant de grandes scènes de l'Histoire, des plantes qui semblaient s'épanouir toutes plus que les autres… Le tout sans prendre en compte le nombre de portes closes qui défilaient sous les yeux du jeune homme qui se demandait combien de pièces comportaient cette demeure.
Il faillit poser la question au domestique mais se ravisa.
Ce dernier l'impressionnait. Il y avait chez cet homme quelque chose qui imposait tout de suite le respect et forçait au silence. Peut-être son crâne rasé à l'image de celui d'un moine ou bien sa posture élégante mais droite. Chacun des gestes qu'il faisait semblait calculé, précis tout en ne comportant la moindre faille. Il n'était sans doute pas de ces gens capable de trébucher contre un trottoir ou de se tromper de porte ; rien n'était laissé au hasard.
De plus il n'avait pas prononcé un seul mot à l'égard de Paul depuis qu'il l'avait appelé sur le bas de l'entrée, le sommant de faire demi-tour. Il s'était contenté d'un signe de la main comme invitation à le suivre.
Paul ne parvint à savoir combien de temps dura la traversée des couloirs mais son malaise ne pouvait que l'allonger. Cinq minutes ? Moins ? La question était sans importance et il n'y pensa plus dès que le majordome s'arrêta et posa sa main gantée sur la poignée d'une porte située au fond de ce dédale.
« Monsieur vous attend à l'intérieur. J'ai déjà tout préparé pour la réception, je vous laisse seul à seul. »
Et sur ces mots il tira le loquet et engagea Paul à entrer d'un signe de main. Le garçon ne se fit pas prier et, alors même qu'il posait le pied dans cette nouvelle salle, il entendit claquer la porte dans son dos.
L'endroit où il se trouvait était aussi richement équipé que le reste de la maison. De grands et beaux tableaux, des meubles en bois sûrement travaillés par les ébénistes les plus confirmés de ce royaume, des tapis de qualités et le tout entretenu avec soin. Mais aucun de ces biens n'attira le regard du jeune homme qui se focalisait sur l'homme qui l'attendait ici.
Robert Fargas était assis à son bureau face à la porte que venait de franchir son visiteur. Il était vêtu du même costume que celui qu'il portait la veille et tenait dans la main une tasse sans doute de porcelaine. Ses cheveux gominés étaient tirés en arrière, un bouc mal taillé ornait son visage, le tout affinant une silhouette déjà très maigre. Le dirigeant de PokeBall avait les joues creuses et sur le dos de sa main apparaissaient la totalité de ses phalanges tant et si bien qu'il était facile de les compter.
En le voyant Paul se demanda si ce n'était pas la solitude qui l'avait fait devenir ainsi. Il se jura par la même occasion de ne jamais posséder le même physique ; il n'allait pas se changer en squelette non plus.
Mais l'apparence ne changeait rien au charisme qui se dégageait de Fargas. Ses yeux braqués sur le jeune homme effrayaient, intimidaient et véhiculaient à la fois une force d'esprit que très peu d'hommes pouvaient se vanter d'avoir. Et ce n'était rien comparé au moindre de ses mots auxquels son visiteur allait immédiatement se confronter.
« Asseyez-vous, lui demanda poliment Fargas sans pour autant le quitter une seconde du regard. J'ai demandé à Octave de préparer un siège, il n'est pas ici pour ne pas être occupé. Et croyez-moi il aura vu des fesses moins agréables que les vôtres ; certains politiciens devraient penser à faire un régime. »
Sans rien dire Paul avança et suivit à la lettre la demande de son hôte. Il tira le siège dans sa direction et y prit place. Il se retrouva face au directeur de PokeBall qui lui tendit une tasse.
« Du café ?
– Excusez-moi ? répondit Paul qui n'avait pas la moindre idée de ce que lui demandait Fargas qui se mit à rire devant la situation.
– Je suis stupide, confessa-t-il, j'avais totalement oublié que le simple terme de café n'avait pas encore passé les frontières de notre pays. En réalité il s'agit d'une boisson concoctée à base de grains moulus, personne n'en boit mais cela ne saurait tarder. Richard en a découvert en Uros et en a ramené un peu dans ses valises. Il fallait débourser le prix fort pour en avoir mais force est de constater que ma curiosité ne m'a pas fait défaut. C'est absolument délicieux. Goûtez ! »
Paul prit la tasse entre ses doigts, souffla sur le liquide brûlant. La couleur noire ne lui donnait pas tellement envie mais il ne pouvait pas refuser une proposition de son hôte, ce serait indécent de sa part. Il porta le récipient à ses lèvres qu'il trempa à l'intérieur. Le goût amer lui fit tordre la bouche et il reposa la tasse sur le bureau.
« C'est bon, n'est-ce pas ? lui demanda Fargas sans prendre en compte sa réaction.
– Pas mauvais, répondit Paul qui ne mentait qu'à moitié, néanmoins je trouve que ça manque de quelque chose, pour l'adoucir… Du sucre peut-être.
– Ne soyez pas ridicule, lui lança l'hôte en souriant. »
Puis ce dernier termina sa boisson, reposa à son tour le tout puis croisa ses mains. Le tout sans cesser de fixer son visiteur.
« Venons-en au vif du sujet, Léopold…
– Paul, se permit de rectifier le jeune homme. Je suis désolé de vous couper mais je préfère que l'on m'appelle ainsi. Personne ne m'appelle Léopold dans mon entourage.
– Va pour Paul. Vous savez par Octave que je vous observe depuis trois semaines. Si je me base sur ce que je sais de vous votre caractère est assez proche du mien, à ne rien laisser au hasard et à ne pas croire en une destinée ou une bonne étoile, je me trompe ? Soit, poursuivit l'homme après un signe de tête de son visiteur, vous saviez que notre rencontre était préméditée. Et que la balle que vous avez construite est le centre de mes intérêts. Elle et votre génie supérieure à la moyenne. »
Il marqua une pause.
« Nettement supérieure, crût-il bon d'ajouter. »
Paul ne savait que dire et gardait le silence. Il restait muet, se réfugiant à boire du café afin de faire quelque chose de ses mains. Le goût le répugnait de plus en plus mais cela n'avait aucune importance.
« Je sais que vous êtes craintif mais rassurez-vous je n'ai aucunement l'intention de vous faire du mal. Ce serait du gâchis de perdre quelqu'un comme vous et je ne peux me le permettre. En revanche je suis curieux depuis que j'ai entendu que le roi versait un peu d'argent chaque mois pour vos études. Je me suis intéressé de prêt à ces subventions dès que j'en ai entendu parler. Il y a en Kalos exactement quatre enfants qui reçoivent cette attention particulière. Un gosse doué en mathématique, un artiste capable de manier son pinceau comme s'il s'agissait de l'un de ses membres, un musicien exemplaire de six ans et vous… »
Paul ravala sa salive, sceptique.
« J'ai cherché à savoir si ces enfants pouvaient m'apporter quelque chose, s'ils étaient capables de travailler pour ma société. Il était évident que le peintre et le musicien, malgré leurs talents évidents, n'avaient aucun intérêt pour moi. J'ai par ailleurs une quinzaine de mathématiciens à ma solde, inutile de m'entacher d'un enfant de quatorze ans qui aura juste des résultats un peu meilleurs. Mais vous… Vous êtes différents, la perle rare que je cherchais en m'intéressant à ce projet.
– Par rapport à la balle ? osa Paul qui se sentait un peu plus en sécurité face à l'engouement de Fargas.
– Oui mais pas seulement. Je me suis intéressé à vous car nous sommes identiques. »
Identiques… Le mot frappa le jeune homme en plein cœur. Combien de fois seulement avait-il rêvé que quelqu'un le compare de cette manière au créateur de la PokeBall ? Un nombre sans doute incalculable. Pourtant aujourd'hui le dirigeant de la plus grande entreprise de Kalos lui faisait ce compliment.
« Je reconnais en vous mon génie, poursuivit Fargas emporté par un élan lyrique, ma folie et mon ambition. Vous êtes possédés par mon invention et vous voulez sans cesse l'améliorer et si j'en crois votre professeur ce serait déjà fait. Et je le crois… Ce que j'ai vu dans cette ruelle hier dépasse mes espérances.
– Vous pouvez juger une balle en un coup d'œil ? demanda Paul qui ne pouvait pas intervenir souvent dans cette discussion tant son interlocuteur prenait de place.
– Évidemment ! Montrez-là moi d'ailleurs ! »
Sans hésiter le jeune homme s'exécuta, retirant de son sac la balle qu'il posa sur la table devant lui. Les yeux de Fargas s'écarquillèrent immédiatement.
« Comment t'es venu l'idée pour le rouge et le blanc ? Ce design m'a tapé dans l'œil pour tout te dire.
– C'était pour m'amuser, répondit simplement le garçon. J'étais en train de la terminer quand mon ami Luc est entré dans ma chambre. Il m'a demandé de lui montrer mon travail et m'a dit qu'il manquait quelque chose, que ce que je pouvais mettre à l'intérieur ne faisait pas tout et qu'il fallait la rendre plus attractive. On a décidé de prendre quelques pièces et d'aller acheter de la peinture. On trouvait ces couleurs jolies.
– Fascinant… Je peux ? demanda le directeur en pointant la balle. »
Le garçon acquiesça et son hôte la prit dans sa main. Il la fit tourner devant ses yeux, s'extasia devant comme un enfant, ce qui surprit Paul qui ne pensait pas que son idole réagirait un jour ainsi devant l'un de ses balles.
« Elle utilise moins de mana que les miennes, peut contenir des pokemons plus lourds et son apparence est moins repoussante, commentait-il tout en l'observant.
– Comment savez-vous cela ?
– J'ai créé indirectement cet objet durant plusieurs années de ma vie. Je sais les examiner sans même les ouvrir. Celle-ci est particulièrement belle au passage. Quand pourras-tu commencer à travailler pour moi ? »
La question frappa Paul de plein fouet sans qu'il ne s'y attende. Le directeur n'avait d'ailleurs pas jugé bon de changer de sujet de manière logique, enchaînant ces méditations sur la balle à une question qui n'avait aucun rapport ; du moins pas directement. Autant dire que le garçon ne sut quoi répondre, ce qui laissa Fargas perplexe. Ce dernier quitta des yeux son objets de fascination et posa sur son visiteur un regard interrogateur.
« Alors, quand ?
– C'est-à-dire que…
– Ne me dis pas que tu pensais que je ne t'invitais ici que pour parler café et balle, si ? Si c'était le cas j'aurais désigné n'importe quel enfant dans la rue en l'invitant à se joindre à moi, ce qui m'aurait rendu suspect aux yeux des gardes malgré mon rang social d'ailleurs… Bref, quand ? »
Paul baissa les yeux vers sa tasse de café encore pleine de ce liquide qu'il n'arrivait pas du tout à ingurgiter.
« Je suis encore en plein dans mes études et…
– Je ne t'ai pas demandé de quitter tes études, juste de travailler pour moi. Disons que pendant trois ans on se contentera de se donner rendez-vous dans ce bureau, que l'on parlera de certains problèmes ensemble et que j'aurais droit légalement d'user de ton prototype. Tu seras l'un des dirigeants de la société à mes côtés et tu toucheras un somme d'argent que je mettrais de côté jusqu'à temps que tu sois en âge de t'en servir. Alors, est-ce réglé ? »
Il ne savait pas. Malgré l'offre alléchante de Fargas, qui ne l'était pas au niveau de l'argent mais des moyens à sa disposition pour parvenir à atteindre son rêve, Paul ne parvenait à se décider. Il n'avait que douze ans et menait des études qu'il comptait bien compléter. D'un autre côté l'homme qu'il avait toujours admiré lui proposait de travailler de concert, œuvrant dans un but commun, pour la chose qui les fascinait tous les deux : la PokeBall.
« Alors ? insista Fargas. Tu sais je n'ai jamais proposé cela à personne, encore moins à un gosse de ton âge. Mais tu es un génie. J'ai vu certains de tes travaux pour tes études, j'ai vu cette balle et je lis certains choses dans ton regard qui me font penser que nous irons loin, ensemble. »
La remarque sur ses yeux le mit mal à l'aise et il les ferma presque instinctivement quelques secondes avant de se rendre compte que c'était stupide. Face à lui Fargas persistait à le fixer. Il était presque devenu un maillet humain qui s'apprêtait à lui écraser le crâne s'il n'acceptait pas rapidement sa demande.
Paul n'avait pas plusieurs possibilités de réponses ; Fargas avait décidé qu'il dirait oui. Celui qui se tenait devant lui connaissait la fin de leur entretien depuis qu'il avait des vues sur lui. Il savait qu'il aurait la balle dans cette ruelle, qu'il pourrait le bousculer et la faire tomber, qu'il viendrait ce matin… Peut-être même savait-il à l'avance qu'il n'aimerait pas le café ou qu'il se sentirait obliger d'en boire pour éviter son malaise.
Il n'avait qu'une solution : « Oui. »
Fargas lui adressa un sourire et tendit sa main dans sa direction. Sceptique le garçon la serra et tenta de se dérider sans trop de succès, ce à quoi son hôte ne prêta aucune attention. « C'est le début d'une entente qui marquera l'Histoire, lui lança-t-il d'un air enjoué. »
Paul se rassit et reprit sa tasse de café entre ses doigts. Peut-être que son nouveau patron n'avait pas tort, peut-être que cet accord allait marquer l'Histoire ; il n'en savait rien. La seule chose dont il était certain c'est que tout cela allait marquer son histoire.
Il but une gorgée de plus et exprima un rictus. Ce breuvage manquait clairement de sucre.