Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Entre deux mondes de Xabab



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 23/06/2014 à 15:24
» Dernière mise à jour le 27/07/2014 à 17:17

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 8 : Keluyah
« Il est temps. »
La fillette entendit la voix résonner dans son esprit alors que cette dernière venait lentement la tirer du sommeil profond dans lequel elle s'était enfoncée. Dans ses oreilles résonnaient encore le bruit des sourds calebasses pourtant éteint depuis des heures, dans son cœur celui des chants et au creux de ses mains la douce sensation de la chaleur du feu. La fête de la lune avait marqué son territoire sur chaque parcelle de son corps d'enfant et comme à chaque fois ses rêves étaient emplis de cette ambiance.
Elle finissait néanmoins à s'en détacher au réveil pour mener une toute nouvelle journée. Mais ce n'était pas un matin comme les autres, ce n'était d'ailleurs pas du tout le matin, et pour cette raison persistaient ces sensations.

« Keluyah. »
Cette voix n'était autre que celle de son père, la petite n'en doutait pas une seconde. Elle avait un ton significatif, dénué de la moindre émotion. Sans ouvrir les yeux elle savait qu'il se dressait au-dessus de son lit, droit comme le plus grands des arbres de la forêt, la fixant en attendant que son ordre fasse effet.
Elle ne parvint à deviner le temps qui s'écoula entre les premiers mots de son père et le moment où elle dégagea la couverture de son dos. En revanche elle découvrit avoir raison.

Il était bel et bien dressé face à son lit, son regard posé sur un point précis dont il semblait être incapable de se détourner. Chacun de ses muscles étaient tendus comme à leur habitude et son corps entièrement raide. De tout le village Keluyah était prête à parier qu'il était le seul homme encore debout, spirituellement supérieur à tous les autres gagnés par un lourd sommeil suite à une fête épuisante.
Lui avait des responsabilités, il était chef. Et pour cette raison il ne se permettait pas de danser, de jouer de la musique ou de rire avec les autres ; le village passait avant.
Néanmoins cette nuit ce n'était pas son rôle de chef qui l'avait poussé à venir la tirer du lit alors que les étoiles brillaient encore au dehors.

« Que se passe-t-il ? se risqua la fillette en se frottant les yeux.
– Les Estras, se contenta de répondre son père son bouger un muscle. Ils veulent te voir tout de suite. »
Les vapeurs de la fête imprégnaient encore son esprit et elle les sentait pénétrer son corps. Elle vivait encore de la danse de la tribu, des paumes des mains tapant les calebasses et du rire des enfants. Son père n'était qu'une image, une illusion qui se dressait par-delà un coucher qui ne prenait pas de place dans ce monde. Seules les flammes dansantes d'un feu éternel avaient voix au chapitre.
Les crânes autour du cou de Kunra, les éclats d'os se brisant sur la roche, son statut de reine... Les paroles de Mamy qui tournaient en boucle, les femmes se joignant à la ronde, la lune ronde qui semblait écouter la musique des Tortarshs... C'était sa réalité.

Néanmoins le chef ne bougea pas. Il attendit que sa fille soit libérée de l'influence de ce qu'elle avait vécu peu de temps avant, restant fixé à propos de son objectif. Elle avait quelque chose à faire cette nuit, un dessein dont on ne se soustrayait pas aisément. La voix des Estras résonnait dans la tête de son père, la nature toute entière faisait vibrer les bois autour du village... Il était le seul à le sentir mais le message n'en était pas moins clair : « Les Estras te demandent, répéta-t-il inlassablement, les Estras crient ton nom. Keluyah. »

Et ce nom, son nom, celui qu'elle avait reçu à sa naissance et que l'ancien avait inscrit sur son ventre avec la sève d'un arbre, résonna dans sa tête comme un coup de fouet. Le feu de bois qui faisait vrombir le village s'éteignit, les danseurs se retirèrent sur le côté de la piste et les enfants cessèrent de rire. Le crâne de Kunra, brisé sur la roche, retourna à la terre qui fut sa première et dernière demeure. La fête quittait un corps, une âme, un souvenir ; il ne resta que le destin.
Cet appel fit lever la fillette de onze ans qui salua son père d'un signe de tête avant d'accrocher sa longue chevelure brune par deux baguettes de bois.
« Depuis quand veulent-ils me voir ? demanda-t-elle alors qu'elle sortait de la hutte.
– Ils crient ton nom depuis presque une heure. Le temps est venu pour toi de devenir reine, ma fille. Chevauche vers eux, Kunra t'accompagnera.
– Kunra ? »

Mais elle n'eut pas de réponse à cette question et son père se contenta de désigner du doigt le petit Turkya qui avait chevauché jusqu'au village pour la guider vers les Estras. La fillette se hâta dans sa direction et lui flatta l'encolure en guise de remerciement. Il était un compagnon fidèle et elle ne pourrait jamais le remercier assez.
Près de lui se tenait Kunra que son père avait désigné. Il chevauchait un équidé de feu que l'on nommait Turgor en raison de sa crinière scintillante. Pourquoi lui plus qu'un autre ? Pourquoi choisir celui qui avait décimé à lui seul quatre guerriers Tortarshs ? Keluyah n'en savait rien et son père n'avait pas jugé bon de lui donner une réponse.

Elle le salua aussi d'un signe de tête et enfourcha Turkya dont la selle de cuir était déjà prête. Son père regarda faire sans rien dire, se tenant droit devant la porte de sa hutte.
« Cours jusqu'à la montagne, lança-t-il ensuite. Parle aux esprits, écoute ce qu'ils te veulent et fais ce qu'ils te disent. Tout changera peut-être cette nuit. Ton corps, ta vie, ton esprit. Keluyah restera Keluyah mais ta sagesse, ta force et ton courage seront ceux de la reine des Tortarshs. »
Alors il frappa de la main le derrière de Turkya qui partit au galop sans demander son reste, de très près suivit par Kunra et sa monture.

Ils galopèrent dans la forêt pendant une vingtaine de minutes avant de quitter le couvert des arbres. Kunra avait rapidement reprit la tête et Keluyah ne faisait que suivre sa trace, son esprit toujours somnolent.
Lorsqu'ils atteignirent les grandes plaines son regard se tourna vers le ciel et la lune ronde qui y régnait. Elle était une reine au même titre que Keluyah allait le devenir. L'une régnait sur un petit territoire en bord de mer, dirigeant une poignée d'hommes et de femmes avant de quitter ce monde. L'empire de la seconde, c'était le monde ; ses sujets, les étoiles ; sa mort, elle ne la subirait jamais.
Keluyah se mit à imaginer ce que cela faisait de vivre si haut pendant une éternité, sans doute le temps était-il long... Elle ne pouvait penser à l'éternité, l'énoncer seulement lui faisait peur.

Face à ses questions son regard revint au sol, à l'immensité herbeuse qui s'étalait devant elle et donc seuls les huit sabots venaient troubler la quiétude. Le vent agitait mollement une centaine de fleurs bleues qui dansaient tout autour des cavaliers pendant que dormaient de part et d'autres des troupeaux d'êtres vivants. Ces derniers ne prenaient pas garde au couple de voyageurs. Ils vivaient en paix avec les Tortarshs, savaient qu'il ne fallait les craindre que de jour lorsqu'ils se livraient à la chasse.
Dans le noir absolu, seul les étoiles et la crinière de Turgor éclairaient ce lieu paisible. Kunra le traversait sur sa monture de flammes, les deux derniers crânes se balançant à la corde autour de son cou, suivant le rythme de sa course. Sa lueur semblait faire de lui une étoile filante qui coupait la voûte céleste désormais plaquée au sol et changée en plaine.

Dans cette chevauchée paisible Keluyah se perdit à admirer le guerrier d'une vingtaine d'années qui lui servait de guide. Ses yeux passaient doucement sur chacun de ses muscles qu'elle voyait se tendre quand il se penchait en avant. Elle regarda le derrière de la tête de Kunra et ses cheveux rasés qui témoignaient de sa défaite.
Et en les voyant si courts elle repensa à sa douleur. Son esprit se dirigea vers les étapes qu'il avait traversées ainsi que sa souffrance qui se traduisait dans les crânes pendants sur son torse.

Kunra fut un chef autrefois, quelques lunes auparavant. Il menait son peuple dans le calme un peu plus loin au nord, dans un village sur la côté où personne ne manquait de rien. Keluyah pouvait se souvenir de l'une de ses visites en ce lieu, son père l'ayant amené alors qu'ils s'y rendaient pour partager certains rituels. Deux clans qui s'entendent se doivent de ne pas rester à l'écart. Il y a autant d'efforts à faire en temps de paix qu'en temps de guerre.
Elle avait vu ces cabanes perchées au-dessus de l'eau, ces gens pêcher le poisson devant le bas de leur porte. Les fêtes, les joies, tous les enfants qui se baignaient sans peur alors même que tous les Tortarshs craignaient le contact de l'eau.... Elle se souvenait de Kunra adolescent qui prenait déjà son rôle de guerrier au sérieux. Il n'était pas chef à l'époque.

Mais Kunra n'avait plus de tribu, plus de village. D'autres hommes étaient venus : un clan de guerriers nomades qui désiraient s'implanter quelque part sans effort. La nuit ils avaient tués femmes et enfants, vieillards et nourrissons... Kunra avait seulement eu le temps de se lever, de se battre jusqu'à tacher ses mains de son propre sang, le mêlant à celui des assaillants avant de crier défaite. Sous ses pieds se trouvaient ses deux fils, sa femme, ses ancêtres et tous ceux qu'il avait un jour aimé.
Il avait alors attrapé la main de son vieux père, l'avait hissé sur son dos et avait quitté le carnage. Depuis il marchait sans fin, avançant au rythme de l'ancêtre, ne désirant qu'une seule chose : qu'il vive encore quelques années.

Un jour alors qu'il chassait pour survivre il tomba sur le père de Keluyah et ne le reconnut pas. Il était accompagné de quatre guerriers Tortarshs. Ces derniers volèrent son gibier. Il tirèrent ensemble sur le Tur mais seule la flèche de Kunra avait atteint sa cible.
Pensant à son père mourant il prit cette injustice comme un affront et se jeta sur les guerriers. Sa lance transperça le corps du premier, brisant au passage ses os, traversant son torse et son dos. Et à mains nues il se précipita sur les autres. Adroitement il brisa la nuque de l'un d'eux, écrasa les corps du troisième de ses poings et lutta contre le dernier jusqu'à l'étouffer.

C'est dans un bain de sang que le père de Keluyah le trouva avant de lui livrer bataille. Ce duel fut celui de deux chefs et la plaine entière en trembla. Les javelots se brisèrent, les phalanges se heurtèrent et les cris firent vrombir les montagnes.
Mais au final Kunra fut écrasé. Il fut mis à terre mais sa vie ne lui fit pas prise. Il savait ce que cela signifiait et accepta son sort : le chef Tortarsh acceptait qu'il vive parmi eux s'il décidait de donner sa force au village quand quatre lunes seraient passées afin que les morts soient en paix. Kunra défit les crânes des victimes et les accrocha à son cou comme le disait la tradition. Il demanda aussi à ce que son père le suive mais ne reçoive aucune sentence, qu'il devienne un membre du clan.
Cette condition fut acceptée.

Pensant à cela Keluyah en oublia leur course et ils furent face aux Estras avant même qu'elle ne s'en rende compte. Elle reprit néanmoins rapidement ses esprits et descendit de sa monture sans un mot. Respectueux de son silence Kunra ne lui adressa pas la parole. Il se plaça en retrait de la fillette et se contenta de l'observer sans un bruit.
Keluyah laissa un instant ses yeux vagabonder sur la paroi bleutée avant de s'asseoir en tailleur face à elle. Puis le calme revint et sa longue méditation commença.

Elle ne savait que faire. Son père ne lui avait donné aucune indication. Les esprits criaient son nom jusqu'à en faire vibrer les feuilles des arbres ; c'était tout. Ce cri elle ne l'avait pas entendu, elle ne savait s'il était réel ou non. Mais le chef du clan était capable de communiquer avec les forces de la nature et elle se devait de lui faire confiance.
Pensant qu'il lui fallait se concentrer sur cet appel elle ferma les yeux et dirigea ses pensées sur le mur. Si les Estras voulaient lui parler alors elle serait réceptive.

Le silence se fit plus dense autour d'elle. Keluyah oublia le vent qui venait glisser sur les pierres de la montagne, fit abstraction du crépitement de la crinière de Turgor et du souffle de Turkya qui était resté tout près. Plus rien n'avait de sens si ce n'était cette voix muette, ce cri d'aphone hurlé à son encontre.
Mais les minutes passaient et rien ne venait. Son nom elle ne l'entendait mais seulement de sa part. Keluyah... Un symbole pour le peuple et une fille de la nature, destinée à guider un clan et ce malgré sa féminité, sa jeunesse et son inconscience. Son nom était celui de l'esprit que l'on voyait arpenter les rideaux de feuilles quand venait l'automne, qui soulevait la neige en hivers, faisait éclore les fleurs et apaiser de la chaleur. Keluyah, l'esprit du vent. Un héritage difficile à porte mais qui ne la rendait que plus proche des Estras.

Elle se concentra sur la brise qui venait lécher sa joue, se demandant si Keluyah ne pouvait être transmit que par Keluyah en personne. Prendre contact avec les esprits ne voulait-il pas dire qu'elle devait avant tout en définir un seul comme messager ? Et si celui qui la jugeait n'était autre que Keluyah en personne ?
Mais rien. Le vent restait muet à ses appels et ses cheveux se levaient à l'arrière de sa tête sans ne transmettre aucun message.

D'autres questions lui vinrent alors : devait-elle seulement leur parler ? Tout ce qu'elle était en train de faire en ce moment, n'était-ce pas ce pourquoi elle s'était rendue en ce lieu ? La petite fille baissait la tête, fermait les yeux et les esprits jugeaient son âme et son cœur. Elle imaginait parfaitement la scène.
Mais le temps passa sans que le jugement n'arrive à bout. N'en pouvant plus la fillette ouvrit les yeux et regarda alentours. Derrière elle se tenait Kunra qui n'avait pas bougé d'un pouce, sa monture fidèlement debout à ses côtés pendant que la sienne en faisait de même. Turkya n'avait pas bougé et restait droit à regarder le mur. Il était son meilleur compagnon depuis son enfance.

Envieuse de le remercier une fois de plus elle porta sa main sur son museau et fut foudroyé au fond de sa cœur. Á ce contact elle ressentit le lien qui l'unissait à l'équidé, une puissance qui surpassait sans difficulté toutes les forces de ce monde. C'était une amitié sans faille qu'elle y voyait, une confiance mutuelle et un amour sans limite. Pourquoi le lien la touchait maintenant alors qu'elle en avait toujours eu conscience ?
Elle ne le savait pas mais ne se posa pas la question. Ce qui arrivait sous ses yeux la paralysait.

Turkya était entouré d'un halo de lumière blanche et elle en détourna les yeux tant il les brulait. Elle ressentit de la peur pour son pokemon mais ne la manifesta pas, au fond cette lueur ne lui paraissait pas dangereuse. Kunra ne faisait toujours rien, il restait sans bouger et laissait la petite fille gérer la situation qu'elle était venu vivre.
Mais cela ne dura pas longtemps. Tout s'intensifia durant quelques secondes puis dans un éclair Turkya réapparut sous ses yeux. Du moins ce n'était plus exactement le même... Il était soudain plus grand, plus robuste et les rayures parcourant son corps ressemblaient toujours plus à un soir d'orage. Sa puissance semblait doublée.

Keluyah, après un moment d'admiration, se leva et se tourna vers la paroi de la montagne où siégeaient les Estras. « Que... »
Mais rien ne vint à sa bouche comme à ses oreilles. Elle était incapable de parler et les esprits de répondre. Et dans le silence elle entendit des pas dans son dos, ceux de son compagnon qui bougeait enfin et venait la rejoindre.

Á peine avait elle fait demi-tour qu'il se dressait devant elle. Il était sans aucun doute le guerrier le plus grand et le plus musclé qu'elle ait jamais vu après son père. Sa stature l'effrayait presque.
Mais le titan ne lui fit rien de mal. Il se contenta de poser un genou à terre et de rendre Keluyah plus imposante que lui. Les crânes autour de son cou touchaient le sol et se mêlaient aux rochers tant il baissait sa tête. Ses yeux étaient fermés, les paumes de ses mains posées contre terre et le seul sentiment qui dominait prenait différents noms : respect, admiration, modestie...