Quatre mots sur un piano - Patrick Fiori et Jean-Jacques Goldman et Christine Ricol- Pourrait-on savoir où vous comptez nous emmener ? lança sèchement Cassy qui avait cessé de se débattre en comprenant qu'elle ne faisait que perdre inutilement des forces.
- Tu préfères que je t'en parle tout de suite alors que Zeus sera là dans les minutes à venir ou que je vous mette d'abord en sécurité ? J'ai peur de pas être tombé sur les représentants les plus intelligents de votre espèce.
- Nous ne vous avons rien demandé ! répliqua Yohanna en lui assénant un coup de pied dans le ventre musclé de l'homme, qui dut lui donner plus mal aux orteils qu'à lui aux abdominaux.
- Vous non, mais Athéna si.
Cassy, du mieux qu'elle le pouvait, s'efforça de tourner son visage en direction de celui de l'humain légendaire qui les portait. Sylvain, lui, devait courir à sa suite pour ne pas se laisser distancer.
- C'est elle qui vous envoie ? Comment a-t-elle su où nous nous trouverions ?
- Elle l'ignorait. Elle m'a simplement chargé de garder un oeil sur vous, et sur toi en particulier.
Il déposa la dresseuse à terre un peu brutalement, si bien qu'elle retomba sur son séant. Elle se redressa en massant ses reins endoloris pendant que le dénommé Prométhée portait deux doigts à ses lèvres charnues pour émettre un sifflement strident.
- Dépêchez-vous, maintenant.
Il attrapa la jeune femme par la main, sans lâcher Yohanna, et indiqua au garçon qu'il lui fallait reprendre sa course. A grandes enjambées, ils se dirigèrent vers la sortie de Rosalia, sous les regards intrigués des badauds qui croisaient leur chemin. L'homme, avec sa carrure imposante et son étrange toge, ne passait pas inaperçu.
- Si vous êtes dans le camp d'Athéna... haleta Cassy alors qu'il la trainait à demi, pourquoi Volupté a-t-elle paru hésiter lorsque vous avez prétendu être envoyé par Zeus ?
- Elle désespère toujours que je choisisse ce qu'elle considère comme étant le "bon camp". J'imagine qu'elle s'est laissée envahir par une lueur d'espoir.
Quand ils eurent enfin quitter la cité pour s'abriter sous le couvert des arbres qui l'encerclait, les deux cousins s'adossèrent contre un large tronc afin de reprendre leur souffle, et Yohanna fut libérée de l'étreinte d'acier de Prométhée.
Soudain, une ombre gigantesque se découpa par-dessus les sapins fournis. Ils levèrent en même temps les yeux en direction du ciel, sans rien voir. Les trois amis se serrèrent les uns contre les autres, la même appréhension se lisant dans leur regard.
- Je crois que notre moyen de transport vient d'arriver, annonça gaiement Prométhée de sa voix puissante.
- Notre moyen de transport ? répéta la meneuse de la Confrérie en fronçant les sourcils.
Une vague de chaleur s'étendit jusqu'à eux tandis qu'un cri d'oiseau strident meurtrissait leurs oreilles. Une silhouette incandescente se posa avec grâce entre deux arbres, alors que Cassy s'apprêtait déjà à jeter une salve de pouvoir dévastateur si la créature se montrait hostile.
Il s'agissait d'un pokémon ailé au magnifique plumage vif, quelque peu gâché par son visage repoussant. Son long bec s'entrouvrit et il courba son échine cerné d'une collerette verte, comme dans une révérence.
- Ho-Oh... souffla Yohanna à l'intention de ses confrères.
- Tu me sembles érudite, mademoiselle. C'est bien. Dommage que lorsqu'on sait, on s'aperçoit justement de tout ce que l'on ne sait pas.
L'humain légendaire esquissa un sourire mystérieux, et celui a qui il était lié parut piaffé d'impatience. D'un geste de la main, il les invita à monter sur le dos à l'agréable tiédeur du mythique oiseau.
- Comment être sûrs de pouvoir se fier à vous ? insista Cassy en barrant la route du bras à Sylvain qui s'avançait déjà.
- Si je n'étais pas en contact avec Athéna, comment saurais-je que tu tentes de libérer Némésis ?
- D'accord. Je suis convaincue. Si jamais vous essayez de nous trahir ou n'importe quoi d'autre, vous le regretterez. Nous ne sommes peut-être que des mortels, mais nous sommes plus forts que nous en avons l'air.
- Je n'en doute pas. Mesdemoiselles, monsieur, si à présent vous voulez bien vous donner la peine.
Ils se dirigèrent d'un même pas vers Ho-Oh, qui plia les pattes pour leur permettre de s'asseoir à califourchon sur sa colonne vertébrale. Ils s'accrochèrent à ses plumes tout en veillant à en arracher aucune pendant qu'il prenait de l'altitude en fouettant l'air de ses puissantes ailes.
- Et Morgane ? lança soudain Sylvain en voyant Rosalia s'éloigner en contrebas. Elle va s'inquiéter si elle ne nous voit pas revenir ?
- Qui est-ce ? demanda aussitôt Prométhée. Une porteuse de glyphe, elle aussi ?
- Non, seulement une connaissance qui nous a accompagné.
- Dans ce cas, elle ne risque rien. Zeus ne s'intéressera pas à elle. En revanche, vous mettriez sa vie en danger ainsi que la vôtre si vous décidiez d'y retourner.
Cassy pensait exactement la même chose : aux yeux des humains légendaires, elle ne serait qu'une mortelle parmi les autres, contrairement à eux qui possédaient davantage de valeur.
- Alors, dites-moi, pourquoi vous être aventurés dans la Tour Cendrée ?
- Satan est parti avec Lilith, avoua immédiatement la dresseuse, or je ne connais personne d'autre susceptible de contrôler la magie noire. Suite aux propos d'Osiris, j'ai songé que je pourrais peut-être solliciter son frère Seth afin de lever les scellés qui entourent les ruines Sinjoh.
- Seth ? s'écria Prométhée et ses cordes vocales vibrèrent comme un coup de tonnerre. Il n'acceptera jamais. Cet homme ne cause que la ruine des malheureux qui l'approchent. Il prend un plaisir sadique à jouer avec eux et à les détruire de l'intérieur. Tous ceux qui l'ont un jour rencontré garderont à jamais les séquelles psychologiques de cette entrevue.
- Je n'ai hélas pas le choix. Il n'y a personne d'autre.
L'homme garda le silence un instant, les traits crispée. Les trois amis l'observèrent, attendant patiemment qu'il reprenne la parole, mais cela ne vint pas. Aucun d'eux à présent n'osait plus ouvrir la bouche. Finalement, Yohanna fut la première à parler, avec une certaine timidité.
- Puisque... Puisque nous avons décidé de vous faire confiance, cela vous dérangerait-il de nous donner votre position dans le conflit ? Comptez-vous parmi les alliés de Lilith ?
- Non. Pas vraiment, même si contrairement à beaucoup, je la respecte. En fait, j'ai simplement poursuivi l'oeuvre de Giratina : celui d'aider l'espèce humaine à se développer et à atteindre son paroxysme.
- Pourquoi ?
- Volupté pense que toute personne se caractérise par sa vertu. En revanche, moi, je crois que ce sont nos choix qui font de nous ce que nous sommes, or bien souvent les choix des humains les mènent à l'erreur. Lilith en est l'exemple caractéristique. Cependant, ce n'est pas pour cela qu'ils sont mauvais. Si on les fait, c'est justement parce qu'on les juge bons.
- Mais ils altèrent notre vertu, d'une manière ou d'une autre, compléta Cassy qui comprit où il voulait en venir. Pour Volupté, les deux sont incompatibles.
- Notre esprit ne fonctionne pas comme le vôtre, jeune demoiselle, souligna Prométhée. Vos sentiments vous dominent, alors que la logique nous régit.
- Vraiment ? s'étonna Sylvain. Vous parvenez à outrepasser vos émotions ?
- Oui. C'est mieux ainsi, d'ailleurs. Quand nous ne le faisons pas, cela peut avoir des... des conséquences terribles.
- Vous faites référence à Lamia ?
- C'est une remarque possible, néanmoins je ne pensais pas à elle. Savez-vous ce qui s'est réellement produit à la Tour Cendrée le jour où elle a été détruite ?
- Enteï et Raikou se sont battus, non ? proposa Yohanna.
- Pas exactement. Inari et Seth se sont affrontés dans une lutte à mort.
- Inari ?
- Elle était autrefois la meilleure amie de Lilith, même si cela ne s'est su que bien plus tard. Elle n'a jamais pardonné à Seth d'avoir refusé de s'impliquer dans le conflit à proprement parlé. Il était à la fois très proches des alliés d'Arceus, tout en passant du temps en compagnie des mutins. Personne ne pouvait se fier à lui. Personne ne le peut encore aujourd'hui. Volupté est intervenue et a réussi à les séparer, néanmoins elle les a ensuite chassés tous les deux de Rosalia en leur interdisant de se revoir.
- C'est pour cela qu'elle partage l'avis d'Arceus ? Elle pense qu'il faut annihiler l'espèce humaine parce que nous éprouvons des sentiments ?
- Aux yeux de chacun de ses partisans, il s'agit d'une marque de faiblesse. Volupté pense que nous vous sommes supérieurs davantage grâce à cela que grâce à nos pouvoirs. Pour elle, tout le monde doit réfléchir avec sa raison, pas avec son coeur.
- Sans doute n'a-t-elle jamais aimé, c'est pour cela qu'il lui est facile de tenir de tels propos, répliqua Yohanna avec une pointe d'ironie.
- Au contraire. Elle a aimé. Et c'est parce qu'elle n'a pas laissé cet amour la détruire qu'elle songe que la véritable force réside dans cette capacité millénaire d'ignorer ses émotions au profit de sa réflexion.
- Vous pourriez nous raconter son histoire ? interrogea Sylvain, pris d'un soudain intérêt pour la conversation.
- Cela remonte à bien longtemps. Inari vivait une relation charnelle et passionnée avec Seth, tout en sachant que celui-ci n'oublierait jamais vraiment le souvenir d'Isis. Volupté, qui voulait conserver l'harmonie entre les Chiens légendaires, est venu me demander conseil, car elle savait que j'étais particulièrement proche des humains, ainsi que de leurs émotions. Elle espérait obtenir de moi des informations afin d'agir sur le mieux. Au fil du temps, elle s'est éprise de moi... tout comme Athéna.
- Et vous avez choisi Athéna, n'est-ce pas ? voulut apprendre Cassy.
- Non. Je les aimais autant l'une que l'autre. Je n'aurais jamais pu choisir. Elles m'ont pardonné, au final, car renoncer à leur amour à toutes les deux étaient la décision la plus sage, une décision qu'elles ont toujours respecté.
- Donc, pour Volupté, la vertu correspond en fait à l'absence de choix ?
- D'une certaine manière, oui. Un choix est irréversible, alors il vaut mieux maintenir un statu quo.
Le regard de Prométhée se voila de tristesse. Le regard de Cassy se porta sur Sylvain, son cousin qui l'aimait depuis le premier jour. Elle-même n'avait jamais été amoureuse. Ressentirait-elle la même peine le jour où cela se produirait ? Elle l'ignorait.
- Es-tu toujours décidé à rencontrer Seth ? s'enquit l'humain légendaire.
- Il le faut, je le crains.
- Dans ce cas, je vais t'y conduire.
Ho-Oh poussa un cri suraigu en changeant de direction, et les trois amies se rapprochèrent de son plumage chaud pour se protéger du froid nordique vers lequel ils volaient désormais.