Chapitre XXI : Cimetière
Après la cérémonie, un énorme repas a été organisé. En voyant les yeux de Kathy briller à la vue de toute cette nourriture, je n'ai pas eu le cœur de la priver de ce festin. Et ensuite, quand tout le monde a enfin eut fini son assiette, Nezu s'était endormi.
Du coup, j'ai dû repousser notre départ. Je vais devoir dire aurevoir. Partir comme un voleur, comme je l'ai fait la première fois il y a quelques semaines, aurait été parfait. Mais ma mère insiste pour que nous partions après le repas de midi. Vu l'avancée de nos préparatifs, je crois que nous n'aurons de toute façon pas le choix.
On frappe à la porte de ma chambre. C'est ma mère. Il fallait s'y attendre.
- Kai ... Merci d'être venu. C'est le plus beau cadeau que tu puisses me faire. J'ai presque l'impression que tu m'as pardonnée. Je suis désolée, je sais que tu penses que je suis une mauvaise mère ...
- Je ne pense pas que tu sois une mauvaise mère ... Je pense juste qu'à certains moments tu as oublié que tu en étais une.
C'était méchant. Elle tourne la tête mais malgré tout je vois des larmes ruisseler sur ses joues.
- Je n'aurais pas dû dire ça. Excuse-moi.
- Tu as raison. J'ai été absente pendant si longtemps dans ta vie ...
- Je n'ai pas envie de parler de tout ça. Je veux tout oublier. Ça ne changera plus rien maintenant. Contente toi d'être ma mère à partir de maintenant. Pas besoin d'être une bonne mère, de toute façon je vais prendre la route. Alors il est trop tard pour que tu m'apportes des gâteaux, que tu me racontes une histoire quand je suis triste et que tu viennes me border quand je suis malade. Je suis trop grand, tout ça c'est fini.
Elle ne peut retenir ses sanglots. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui cracher tout ça à la figure. Pourtant, depuis que j'ai failli servir d'otages, je me sens vide à son égard. J'ai eu un élan d'amour envers elle, puis un creux. En même temps, après tant de temps à la fuir, il est normal que je me sente perdu de ressentir tant d'affection pour elle d'un seul coup.
- Je t'aime maman. Je t'en veux pour tout ce qui s'est passé. Mais j'ai compris que toi aussi tu souffrais. Maintenant que Sacha est là, que tu as enfin remonté la pente et oublié papa...
- Je n'oublierai jamais ton père.
- Maintenant que Sacha est là, que tu as enfin remonté la pente et oublié ta douleur, essaye d'exister un peu pour moi. Même si je pars loin. Garde une place ...
Maintenant c'est moi qui me mets à pleurer. Je savais que nous aurions dû partir hier soir. Je passe mon temps à pleurer comme une vraie fillette en ce moment. Ma mère me prend dans ses bras.
- Garde une place pour moi dans ton cœur. Je te promets que je reviendrais te voir.
- Je t'aime aussi mon chéri.
Plusieurs minutes s'écoulent pendant lesquelles nous pleurons un peu tous les deux, serrés l'un contre l'autre.
- J'ai un cadeau pour toi. S'il te plait accepte-le.
- Le dernier cadeau que tu m'as fait a failli nous tuer, Sacha et moi, alors je me méfie maintenant !
Ma plaisanterie n'a pas eu l'air de la faire rire. C'est vrai que ce foutu téléphone aurait pu nous coûter la vie...
Elle me tend un paquet. Je la regarde, intrigué, et je l'ouvre. A l'intérieur, une enveloppe. Et surtout, une Pokéball, avec un oiseau gravé dessus.
Un oiseau. Le symbole de mon père. J'ai peur de comprendre.
* *
*
* *
Kai vient de rentrer dans ma chambre. Un peu sans prévenir. Il s'assoit sur mon lit, un carton dans les mains et le regard perdu dans le vide.
- Est-ce que tout va bien ?
Il tourne la tête vers moi, enfin.
- Je... Je ne sais pas trop. Est-ce que... est-ce que tu voudrais venir avec moi ?
- Ou ça ?
- J'aimerais te montrer quelque chose ...
Il m'attrape par la main et m'entraîne en dehors de la maison. Nous passons devant Nezu, qui joue avec sa Pokeball et Chi qui lit un livre sur l'élevage des Pokemon que la mère de Kai lui a donné. Ils nous regardent tous les deux de manière étrange et se mettent à nous suivre, comme s'ils avaient peur de rater quelque chose d'essentiel. Kai les a remarqués mais ne dit rien et continue de me tirer par la main.
Nous arrivons en bordure de village et Kai tourne sur un petit sentier orné de fleurs. Il ouvre une grande grille en fonte et nous entrons.... Dans un cimetière.
Je ne pense pas être la seule personne au monde à ne pas trop aimer les cimetières. Ils me donnent la chair de poule. Pourtant, celui-ci est presque « mignon », chaque tombe est entourée d'une parcelle d'herbe et les habitants du village (en tout cas je pense qu'il s'agit d'eux), mettent un point d'honneur à entretenir les sépultures et à les décorer de jolies fleurs colorées. Malgré tout, ça reste un cimetière. Avec des tombes. Des gens morts. Et une atmosphère lourde de chagrin. Mais je fais abstraction de tout ça et je suis Kai dans le dédale des sentiers, Chi et Nezu toujours sur nos talons.
Nous arrivons enfin à une petite tombe, un peu à l'écart. Sur celle-ci, un magnifique oiseau est gravé, mais elle est poussiéreuse. Et il n'y a que très peu de fleurs sur cette tombe. Il n'y a que des baies. Des baies ? Oui, on dirait que quelqu'un dépose ces fruits et les aligne parfaitement devant la tombe.
Je ne comprends pas tout ce qui se passe ici. Mais peut-être que Kai m'a fait venir ici pour enfin me donner quelques explications ?
Il s'agenouille devant la tombe et pose son carton à côté de lui. Il en sort une Pokéball. Avec un oiseau dessus. Comme sur la tombe. Et il la pose sur le marbre, en haut, on niveau de l'aile gauche du volatile. Puis il se met à frotter la tombe, révélant petit à petit les inscriptions que la poussière et la saleté gardaient cachées. Il se recule, et lit à haute voix :
- Timothée Merchier, puisses-tu reposer en paix.
Personne ne dit rien. Même l'autre peste de Chi garde le silence. Une ou deux larmes coulent sur les joues de Kai. Il s'écoule plusieurs minutes ainsi, avant qu'il rompe à nouveau le silence.
- C'est la tombe de mon père. Il est mort il y a dix ans. Dans une sorte d'accident on va dire. C'était peu après mon cinquième anniversaire. Mon père travaillait de nuit, et comme tu le sais ma mère est infirmière. Du coup, je devais parfois rester seul. Ma maison, dans laquelle nous venons de passer quelques jours, est proche de celle du Professeur Tan. Il était chargé de jeter un œil sur moi. C'était mon « Tonton Tan » à l'époque. Mais mes parents avaient dressés certains de leurs Pokémon pour qu'ils restent avec moi en leur absence, qu'ils s'occupent de moi et me surveillent. A la mort de mon père, ma mère a relâché tous ces Pokémon, ceux de mon père mais aussi les siens dont elle s'était occupé avec lui. Elle souffrait et ne voulait rien conserver qui lui rappelait mon père. Alors on est venu ici tous les deux, devant cette tombe, et elle a relâché chaque Pokémon. Un par un. Pendant plusieurs longues heures. En pleurant et en hurlant. C'était horrible et éprouvant.
Moi je voulais garder un souvenir de mon père. Alors j'ai discrètement gardé une Pokéball. Que j'ai caché. Et tous les soirs j'appelais le Pokémon qu'elle contenait. Mais il refusait de m'obéir. C'était un Pokémon très attaché à mon père, mais qui n'obéissait qu'à lui. Et mon père lui avait formellement interdit de s'approcher de moi, car il avait peur qu'il me blesse en se rebellant. Un Polichombr. Ma mère s'en rendit compte, elle devint folle de rage et me confisqua la Pokéball. Elle alla le relâcher, devant cette tombe. Mais le Polichombr refusa de s'en aller.
Il se lève, et fait rouler la Pokéball dans sa main. Un Polichombr apparaît alors de derrière la tombe et lévite devant les yeux de Kai. Ils se fixent tous les deux. Et plus rien ne se passe pendant quelques minutes encore.
- Ma mère, voyant que Polichombr refusait de quitter le cimetière, renonça à le relâcher dans la nature. Elle ne le rappela pas dans sa Pokéball, mais elle la garda précieusement. Je continuais de venir le voir, mais il n'apparaissait pas devant moi, ou alors seulement pour me narguer. Ca ne faisait rien. Je déposais chaque jour quelques fleurs que je trouvais à l'orée du bois derrière chez moi, et j'attendais une heure, assis devant la tombe. Puis je ne vins qu'une fois par semaine, puis qu'une fois par mois. Puis je ne vins plus.
Mais avant ça, j'avais remarqué que quelqu'un mettait des baies devant la tombe de mon père. Il adorait ça. Il en faisait pousser pleins dans notre jardin pour ses Pokémon. C'est là que je me rendis compte que ce n'était pas le seul de ses Pokémon à refuser de s'en aller.
Il lève la tête vers un très grand arbre, un tout petit peu plus loin. De cet arbre s'étire une longue branche au-dessus du cimetière. Et sur cette branche, un énorme Corboss nous regarde.
- Cornèbre était le premier Pokémon de mon père. Maintenant, il veille sur ce cimetière. Et chaque jour, il apporte une baie sur cette tombe.
Mais il y autre chose encore. J'ai dit que mon père était mort quelque temps après mon cinquième anniversaire. Ce jour-là, mon père et ma mère étaient tous les deux là. Et c'était quelque chose de très rare. Ma mère dut tout de même partir à son travail, elle était de garde, et je restais seul avec mon père. Alors il m'installa à la table, à côté de lui, avec deux feuilles et deux stylos. « Nous allons écrire à ton toi de dans dix ans, qu'en dis-tu ? » me dit-il. Alors, tous les deux, on écrivit une lettre que je devais lire le jour de mon quinzième anniversaire. J'avais oublié tout ça. Mais ma mère avait gardé ces lettres. J'ai un peu de retard, mais je vais les lire, avec toi papa...
Sa voix a pris un ton très doux à la fin de sa tirade, il caresse le nom de son père et les ailes de l'oiseau gravé, le regard un peu perdu. Et il attrape l'enveloppe, contenant les deux lettres.
- Je voudrais que ce soit toi qui me les lises. Commence par la mienne s'il te plait.
J'attrape l'enveloppe qu'il me tend et je commence à lire la première lettre, celle gribouillée avec une main d'enfant.
- Pikachu lance des éclairs ! Piouf ! Galopa évite mais Pikachu est plus rapide ! Paf ! Pouf ! Sacha gagne le combat ! Youpi ! Dans dix ans, je veux être un grand dresseur comme Sacha et aussi fort que papa et faire des gâteaux aussi bons que ceux de maman. Et me faire des amis aussi. Et avoir des Pokémon aussi. Je veux être un garçon trop cool et que les gens m'aiment. Et rester avec mes parents comme ce soir pour toujours.
Le silence est retombé. Il adorait vraiment Sacha par le passé ?
- Mes parents m'avaient emmené voir un match Pokémon le matin, pour mon anniversaire. C'était un combat du grand, de l'illustre, Sacha Ketchum. C'était le plus beau cadeau que l'on pouvait me faire...
Il a un petit rire étrange. Il attrape la lettre et la regarde, les yeux dans le vide. Il retourne la feuille, de l'autre côté il y a un dessin. Un dessin de lui, avec ses parents, et ce qui semble être Sacha et Pikachu dans un coin, avec un énorme gâteau recouvert de bougie entre sa famille et le dresseur. Il pose ses mains sur ses genoux, froisse un peu la feuille en se crispant pour ne pas fondre en larmes.
Je m'approche de lui et tend la main pour la poser sur son épaule, mais il m'arrête.
- Lis la deuxième.
Je le regarde quelques secondes, cherchant à percer ses sentiments, puis je m'exécute.
- Mon petit Kai... Quand tu liras cette lettre, tu seras certainement parti de la maison, pour grandir et trouver ton propre chemin. Et ta mère et moi attendron sûrement de tes nouvelles avec la plus grande impatience qui soit, ici, à la maison. Tu es mon fils, et quoique tu fasses de ta vie, je serais toujours fier de toi. Où que je sois, où que tu sois, je t'aimerais toujours et serais toujours fier de toi.
Ma voix se brise, mais je dois continuer de lire.
- J'aimerais te faire un cadeau très spécial pour tes quinze ans. J'aimerais que tu prennes Polichombr avec toi. Je suis sûr qu'il t'obéira. J'aurais préféré te donner mon Corboss, mais il est trop vieux pour partir avec toi et il doit veiller sur ta mère et moi. Je t'aime mon fils. N'oublie pas, à chaque fois que tu verras un oiseau, c'est que je suis là pour veiller sur toi.
La lettre est déjà finie. Mais tout a été dit. Mais c'est alors qu'un phénomène étrange se produit. Corboss descend en piquet de son arbre et fonce droit sur Kai. Je n'ai pas le temps de réagir. Tout se passe très vite. Non. Il ne l'attaque pas. Il s'arrête, juste au-dessus de lui, à quelques centimètres, et se pose sur la tombe. Polichombr flotte à ses côtés. Ils regardent tous les deux Kai avec intensité, comme s'ils avaient attendu toutes ces années que cette lettre soit lue devant eux.
Kai relève la tête, il les observe. Il pose sa propre lettre sur le sol à côté de lui et attrape deux baies, une dans chaque main. Puis il tend ses mains, l'une vers Corboss et l'autre vers Polichombr. Les deux Pokémon gobent leur baie, puis Corboss s'envole au loin.
Polichombr volète quelques secondes autour de Kai, puis soudainement rentre dans sa Pokeball qui tombe de la sépulture sur les genoux du garçon. Et aussi vite qu'il a disparu, Corboss réapparait, et dépose un objet étrange sur les genoux de Kai et va se poser ... sur les épaules de la mère de Kai, debout, quelques mètres plus loin à côté de Sacha, alors que je n'ai même pas remarqué leur arrivée.
Kai se retrouve donc, une Pokéball et un œuf dans les bras et me regarde en souriant.
Malgré toutes ces années, son père lui aura quand même offert le cadeau qu'il tenait à lui faire. Et moi, j'aurais appris une partie de l'histoire de Kai. Non sans émotion.
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J'ai du mal à croire ce qui vient de se passer. C'est... magique.
Moi qui voulait d'un nouveau départ, mon père vient de m'en offrir un très beau. Et même si je ne l'oublie pas, même si une partie de mon passé me hante encore, je commence peu à peu à me reconstruire moi-même.