Chapitre 5 : Paul
Le défilé était exceptionnel et les deux enfants ne regrettaient aucunement d'y avoir assisté ne serait-ce que pour l'ambiance. Dès le passage du colonel les gens se mirent à hurler son nom, celui de Richard qu'ils ne connaissaient pas quelques mois auparavant.
« Je suis certain que la plupart d'entre eux ne se rendent même pas compte de ce qu'il vient de réaliser, s'était exclamé Paul à son ami qui avait répondu d'un hochement de tête.
– Ils s'en moquent. Ce qui importe c'est qu'ils soient fier d'une figure représentative de la patrie à laquelle ils peuvent facilement s'identifier. Ils n'ont pas besoin d'en savoir plus ; juste que c'est un héros pour le peuple. »
Paul n'ajouta rien à la remarque de son ami, elle était juste et touchait la cible en plein centre. Il arrivait parfois à Luc d'avoir des éclairs de génie comme celui-ci, son ami regrettait d'ailleurs que ce ne fût plus souvent puisqu'il en avait d'après lui toutes les possibilités.
« L'Uros, reprit Luc en interrompant le garçon dans ses réflexion, c'est incroyable tout de même de savoir que c'était sous notre nez depuis des siècles. »
Le second resta pensif.
Oui c'était incroyable comme il le disait si bien. Le colonel Richard n'avait pas découvert un simple morceau d'île perdu au beau milieu de l'océan mais bien une toute nouvelle terre dont l'étendue n'était même pas mesurable. Il était encore possible qu'elle soit plus grande que le monde auparavant connu, recelant des secrets dont l'homme n'a pas encore la moindre idée et des créatures totalement inconnue.
Les deux enfants rêvèrent en voyant s'avancer l'explorateur et ses troupes, les torses bombés par la fierté. Ils s'imaginaient faisant partie de ce glorieux cortège, eux aussi acclamés par les foules en délire. Auparavant ils auraient posé le pied dans ce monde sauvage que les journaux décrivaient, avec ses dévoreurs d'hommes et sa magie. Ils se voyaient dans des paysages d'un millier de couleurs, courant dans la jungle en évitant la foule de sauvages qui les prenaient en chasse.
Mais il n'en était rien et ne restait dans leurs cœurs que le rêve.
Ils virent le roi, qui n'avait plus tant de pouvoir depuis la révolution, venir en personne déposer un baiser sur le front du colonel. Un lancer d'oiseaux fut organisé pour l'occasion et le ciel ensoleillé fut tacheté par les plumes blanches de la troupe volante. Des hommes importants se succédèrent pendant une heure pour féliciter Richard, des gens qu'aucun des deux enfants ne connaissaient de vue ou de nom.
La foule s'éclipsa petit à petit pendant la cérémonie qui ne faisait que s'alourdir. Certains s'en allèrent à cause de ce qu'ils avaient lu dans les journaux. Ils pensaient en venant découvrir plus qu'un défilé, ils voulaient voir les sauvages dont on avait tant parlés.
« Aucune chance, lança Paul en entendant un homme se plaindre à ce propos. D'après ce qu'on entend partout Richard et ses hommes n'étaient pas assez armés pour faire face à tous ces clans d'indigènes.
– Ce voyeurisme me dépasse, ajouta Luc. Je venais juste pour la fanfare et le beau monde. Tout ça ne m'amuse plus, allons-y. »
Et sans rien ajouter les deux enfants s'écartèrent de la foule bien moins en délire qu'au départ et s'engagèrent dans les rues d'Illumis. Paul n'était pas allé à l'encontre de la décision de son ami. Malgré la joie et la curiosité qui montaient en lui à l'idée d'une nouvelle terre il en avait assez de voir défiler des gens en costumes et d'entendre réclamer des sauvages pieds et poings liés.
Il ne comprenait pas ce qui pouvait pousser les gens à voir de telles atrocités. D'après ce qu'en disaient les journaux les habitants de ce nouveau monde étaient loin d'être civilisés. La plupart vivaient nus, ou ne portaient qu'un vêtement des plus élémentaires afin de dissimuler leur sexe, vivaient de chasse et se livraient à la pratique répugnante du cannibalisme. En revanche ils n'en étaient pas moins des êtres humains et les imaginer en pokemons de foire le navrait.
La ruelle était vide tout autour des deux enfants et ils avançaient sans mot dire, leurs pensées voguant entre rage et admiration à la suite de ce défilé. Seul un homme, encapuchonné dans un long manteau gris, claquait ses semelles sur le pavé juste derrière eux.
La cérémonie avait stressé Paul et, comme à chaque fois que ce sentiment l'envahissait, sa main glissait vers sa poche. Ses doigts effleurèrent le métal froid de la PokeBall, sa PokeBall. Cette douceur l'apaisa immédiatement, comme si sentir son rêve au creux de sa paume l'aidait à garder son calme face au reste du monde.
Il l'avait créé il y a peu de temps. Ce n'était pas seulement un prototype équivalent à ceux qui sortaient chaque jour des usines PokeBall que Paul tenait dans sa main ; c'était celle qu'il avait construite sans l'aide de personne. Sa puissance était supérieure aux balles officielles, il en avait revu l'apparence et la consommation de mana était réduite. Néanmoins malgré tout cela le jeune garçon n'était pas convaincu. Il pouvait encore faire mieux.
« Tu as amené ta balle avec toi ? lui lança Luc sur un ton de reproche. Tu pensais vraiment que c'était nécessaire.
– Elle ne gêne en rien, ne t'en fais pas.
– Ton père est d'accord avec moi pour penser l'inverse. Imagine que l'un des ouvriers de leurs usines regarder dans la rue et te voit te promener avec une balle rouge et blanche, sans courbure sur le métal mais pourtant tout aussi authentique.
– Cela n'arrivera pas.
– Tu es bien certain de toi... Comme à chaque fois que l'on aborde ce sujet à vrai dire. »
Paul ne répondit pas et se contenta de marcher, sortant définitivement de sa poche la balle.
C'est à ce moment-là qu'il fut violemment bousculé et qu'il tomba en avant sur le pavé, mettant de justesse ses mains en avant pour ne pas se faire mal. Il sentit la balle lui échapper et l'entendit rouler plus loin sur le sol.
« Excusez-moi, lança un homme d'une voix grave tandis que Paul sentait que Luc le remontait en le tenant pas la hanche.
– Vous ne pouvez pas regarder où vous allez ? lui lança justement ce dernier. C'est dangereux et... »
Mais il ne termina pas sa phrase. En se relevant Luc constata qu'il avait eu raison au cours de sa discussion avec son ami quelques secondes auparavant.
L'homme en gris qui les suivait se dressait de toute sa hauteur sur le pavé et tenait la balle entre ses doigts. Un monocle sur l'œil il l'observait sous toutes ses coutures sans s'occuper des deux enfants qui le dévisageaient. D'une main gantée de blanc il relevait ses cheveux gominés et de l'autre serrait précieusement sa trouvaille.
Face à tant d'assurance de la part de l'inconnu qui faisait le triple de sa taille Luc n'osa rien dire de plus, Paul encore moins. L'homme les effrayait. Et pourtant, lorsqu'il releva les yeux dans leur direction ce ne fut que pour leur tendre l'objet qu'ils venaient de perdre.
« Je ne sais pas où vous avez trouvé cela mais vos informations m'intéressent. Néanmoins pas ici, ce n'est pas assez sûr et les murs ont des oreilles. Ne sortez plus ça de votre poche, quoi qu'il en soit. On coupe plus vite la gorge pour manger que par vengeance dans le coin. Tenez, ajoute-t-il en tendant à Paul un morceau de papier, c'est ma carte. N'hésitez pas à venir me voir à l'adresse indiquée. »
Sur ces mots l'homme remit son chapeau melon, qu'il avait ôté pour les saluer, et repartit sans même que les deux enfants aient pu vraiment voir son visage.
Paul baissa les yeux sur la carte, le cœur battant encore de peur et les doigts serrés autour de sa balle.
Robert Fargas ; 45 rue Fargas ; Illumis
« Impossible, s'exclama Paul qui reconnut immédiatement le nom. »