Chapitre 3 : Le début de l'invasion
Durant ma longue existence, j'ai combattu bien des êtres, pour des causes que j'estimais juste. Mais quand est-ce que j'ai sauvé le monde ? Chacun à sa propre vision du monde, et il serait présomptueux pour moi de penser que la mienne est forcément la meilleure.
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Murcitan était une ville paisible de la région Bakan, loin de toute l'agitation qui régnait à Fubrica, la capitale. Ici, pas de merveille technologique, de Haute Académie à la renommée mondiale ou de Sénat. Ici, les gens se fichaient de la politique et devaient jusqu'à ignorer la disparition du Premier Ministre. Ici, la vie suivait son cours. Elle était rude, mais satisfaisante. Ce serait bientôt l'hiver. Les fermiers commençaient à mettre leur récolte de côté. Les Pokemon aidaient les humains à se préparer pour l'hiver, toujours plus dur qu'ailleurs dans cette partie de Bakan.
Rien n'aurait préparé les habitants à voir un vaisseau survoler leur tête aujourd'hui. Ils n'avaient jamais rien vu de tel, hormis à la télévision. Bien sûr, ils avaient entendu parler de Stormy Sky, mais jamais les pirates du ciel n'étaient venus se perdre dans ce coin paumé. Il n'y avait rien pour eux dans cette partie reculée de la région, à moins qu'ils ne se soient recyclés dans le commerce de céréales. Aussi, cette visite aussi inattendue qu'impromptue commença à provoquer la panique.
La police municipale se mit sur le qui-vive. On tenta de communiquer avec le vaisseau, pour leur demander leur intention. Ils ne reçurent qu'un seul message, qu'on leur passa en boucle via les haut-parleurs du vaisseau, aussi laconique qu'inquiétant : « Pour votre sécurité, nous demandons à tout le monde de fuir ». Bien sûr, rares furent ceux qui suivirent cette indication. Beaucoup croyait à une mauvaise blague, et peu de monde avait de toute façon un endroit où aller. Quand finalement, la police se mit d'accord pour envoyer un de leurs rares hélicoptères à la rencontre du vaisseau, un tir de plasma, tiré depuis l'engin de Stormy Sky, anéanti l'hôtel de ville de Murcitan.
Dès lors, ce fut le chaos intégral. Les gens courraient partout en hurlant, tandis que le vaisseau continuait de faire pleuvoir son feu sur les bâtiments stratégiques de la ville, et sur les lignes électriques. Certains tentèrent de résister. Des dresseurs, armés de Pokemon vol, se lancèrent à l'assaut du bâtiment volant. Ils furent vite tués ou faits prisonniers par les escadrilles d'Airplanners des Stormy Sky.
Puis les troupes au sol passèrent à l'action. Des milliers d'hommes de Cinhol, bien plus qu'ils n'en fallait pour s'emparer de cette ville, arrivèrent en armes et en armures, en malmenant la population et détruisant systématiquement toute forme de résistance. Pour les villageois, ce fut un spectacle irréel. Attaqués par un vaisseau digne de science-fiction, puis par des chevaliers en armure, ils ne furent pas au bout de leur peine quand ils virent alors le chef de l'invasion.
Castel II, souverain de Cinhol, la fourche d'Hafodes à la main, s'occupait d'un groupe de policiers. Jadis, il était d'une simplicité enfantine de faire griller sur place les soldats de la République. Ils étaient déjà carbonisés avant même d'avoir pu faire trois pas vers Castel. Mais aujourd'hui, les armes de ses ennemis étaient plus élaborées. Grâce à ses connaissances qu'il avait accumulées en étant Adam Velgos, il connaissait le fonctionnement de ces armes à projectile nommés « pistolets ». Des armes bien plus redoutables que les arcs. Une seule balle aurait pu venir à bout de Castel lui-même. Ça aurait été tragiquement amusant. L'homme légendaire qui a vécu un demi-millénaire, qui a fondé le plus grand royaume du monde et qui détient le pouvoir de Pokemon surpuissants, se faire tuer par un simple policier municipal d'une ville de troisième zone.
Avant de partir, il avait donc pris la liberté de prélever un peu du métal de la météorite du Grand Forgeron. C'était à partir de ce métal vivant et surpuissant que Castel et Uriel avaient forgé leurs épées jadis. Et cette fois ci, Castel s'était forgé une armure et un heaume. Il avait fait ça sans l'accord du Grand Forgeron, mais Castel savait que son allié ne lui en voudrait pas. La météorite était suffisamment conséquente pour en prélever un peu. Outre le fait que ce métal ne pouvait être détruit que par lui-même, Castel sentait toute la pression et la volonté de cet acier magique l'envahir en permanence. Tout comme Meminyar, son armure intégrale était faite d'or, et la seule apparition de Castel faisaient désormais reculer ses ennemis qui se cachaient les yeux, comme s'ils craignaient de se les brûler en le regardant. Ce qui n'était pas loin de la vérité. Castel contrôlait ce métal, et dirigeait toute sa puissance sur ses adversaires.
Tel était le Vifacier, l'un des trois métaux légendaires qui, avec le Sombracier et le Lunacier, avait été créé par le Grand Forgeron en des temps immémoriaux. Le Vifacier exaltait les sens et qui aspirait la force vitale d'autrui pour la relâcher en une énergie capable de transcender l'espace-temps. C'était avec lui que le Grand Forgeron avait conçu les Trois Pokemon Dieux Guerriers, dont Hafodes faisait partie, ainsi que la plupart de ses armes. Le Sombracier, lui, était un métal plus ténébreux, plus solide et accordant une force démesurée à qui le maniait, mais en échange, il volait peu à peu l'esprit de son utilisateur. C'était avec lui que le Grand Forgeron avait créé les défenses de sa cité et les armures de ses soldats mécaniques. Et enfin, le Lunacier, un métal plus fin que les deux autres, mais qui se trouvait être un amplificateur d'énergie inégalé, et ce quel que soit l'énergie. Le Grand Forgeron l'avait utilisé pour concevoir ses machines et ses réacteurs.
Des métaux prodigieux, qui ont fait la gloire du Grand Forgeron. Mais aujourd'hui, alors que les Primordiaux ont quitté ce monde pour aller sillonner l'immensité du Multivers, il ne restait de ces métaux que des miettes éparpillés ci et là. La météorite de Vifacier était un vestige de l'ancienne cité spatiale du Grand Forgeron, et elle avait été amenée sur Terre par le Trio des Ombres, qui s'en étaient servis pour leurs propres projets. Mais l'odeur du Vifacier avait attiré sur Terre le Grand Forgeron, et Castel l'avait rencontré.
Castel n'était pas du genre à voir la grandeur chez les autres, hormis chez lui-même. Pourtant, face au Grand Forgeron, l'illustre représentant d'une race égale à des dieux, Castel n'avait pu que se rendre compte de son insignifiance. Pourtant, le Grand Forgeron l'avait presque traité comme son égal. En échange de son aide pour prendre possession de la planète Terre, il lui avait fait don d'un de ses trois Dieux Guerriers, Hafodes, et lui avait permis d'utiliser le Vifacier pour se forger une épée puissante.
Aujourd'hui, Castel allait rembourser sa dette. Il allait s'emparer de ce monde et l'offrir au Grand Forgeron. Castel se demandait vaguement pourquoi un être comme le Grand Forgeron, si puissant, si savant et capable de tels prodiges, avait besoin d'un humain pour s'emparer de ce monde. Le Grand Forgeron avait été très avare en explication. Mais au final, Castel n'en avait pas besoin. Tel était le marché. Le Grand Forgeron aurait ce monde, tandis que Castel pourrait garder ses armes en Vifacier et régnerait à Cinhol.
Ecraser la République de Bakan et créer son royaume éternel... Il en avait rêvait jadis, mais après cinq cent ans d'existence, Castel commençait à mépriser les humains. Comme ils étaient stupides. Normal après tout, ils avaient été créé par un dieu stupide, cet imbécile d'Arceus. Régner sur eux ne lui semblait plus aussi grisant qu'autrefois. Il aurait bien préféré rester aux coté du Grand Forgeron, qui pourrait lui enseigner sa science supérieure.
Mais Castel ne se leurrait pas. Pour le Grand Forgeron, les humains n'étaient rien d'autre que des rats de laboratoires sur lesquels expérimenter ses recherches. Castel avait entendu des histoires sur les Primordiaux et ce que le Grand Forgeron avait fait aux temps où sa race se trouvaient encore sur Terre. Avec les humains comme cobaye, il avait créé les pires horreurs existantes, un terriblement croisement entre la chair humaine et ses métaux légendaires. Castel ne tenait pas vraiment à finir comme ça. Aussi allait-il se contenter de Cinhol une fois le monde réel conquit et Arceus écrasé.
Et ça commençait aujourd'hui. Avec son armure de Vifacier, aucune balle ne pouvait l'atteindre, personne ne pouvait lui faire face sans baisser les yeux face à la lueur qu'il dégageait. Meminyar tranchait la chair, Hafodes la brûlait, et les cinq autres Pokemon de Castel terminaient le travail. Rien ni personne ne pouvait l'arrêter, comme avant, et même si l'Ancien Monde avait largement amélioré son niveau technologique depuis. Face aux dons que le Grand Forgeron lui avait faits, ils étaient tous impuissants.
La bataille ne dura pas longtemps. Très vite, les quelques combattants se rendirent. Castel aurait bien aimé les exécuter, mais il ne voulait pas trop froisser Leaf. Bizarrement, il aimait bien cette fille, sans doute à cause des sentiments qu'Adam avait pour elle. Et puis, les Stormy Sky l'auraient mal pris aussi. C'étaient eux qui avaient tenu à prévenir les villageois de fuir avant l'attaque. Que pensaient-ils, ces idiots ? Qu'on faisait la guerre sans tuer nos ennemis ?
Castel les méprisait, eux et leurs idéologies débiles qui vénéraient le ciel. Mais bon, avec leurs vaisseaux lourdement armés, ils lui seraient utiles. En revanche, dès qu'il en aurait terminé avec les forces de l'Ancien Monde, il se chargerait d'eux. Ou alors, il les laisserait au Grand Forgeron comme futurs cobayes. Imaginer cette arrogante Syal en train de se faire implanter du métal en fusion lui arracha un sourire pervers. Le duc Barneas, qui se trouvait à ses côtés, interpréta mal son sourire.
- Une victoire rapide, Majesté, dit-il.
- En effet. Toute ne seront pas ainsi, je le crains. Plus on s'approchera de la capitale Fubrica, plus les villes seront défendues, surtout si la République a vent de notre venue.
- Votre puissance est sans égale, sire. Ils ne pourront rien contre vous.
Un vrai lèche-botte, ce duc Barneas. Pourtant, il plaisait bien à Castel. C'était un homme qui aimait la guerre et n'avait pas peur de se salir les mains. Au contraire : d'après ce qu'avait compris Castel, il aimait bien se les salir. Après un rapide état des troupes, Castel daigna laisser le sort des prisonniers à l'Amiral Rashok. C'étaient ses compatriotes de l'Ancien Monde, après tout. Qu'il en fasse ce que bon lui semblait. Castel insista néanmoins pour prendre possession des Pokemon des dresseurs locaux. Ce qui manquait à son armée et que la République avait en nombre, ce sont justement les Pokemon. Shinobourge leur expliqua la situation dans sa langue. Ils furent nombreux à refuser de servir Castel, mais ils devinrent plus raisonnables après que Shinobourge les ai menacé de tuer leurs dresseurs s'ils refusaient.
Castel sourit pour lui-même. Shinobourge n'avait pas changé malgré ses cinq cents ans de morts et de renaissances. Il était resté tel que Castel s'en souvenait et l'appréciait. Une loyauté aveugle envers lui, et une absence totale de pitié envers l'ennemi. Tel était celui qui fut son tout premier Pokemon. Castel l'avait capturé alors qu'il n'avait que dix ans, et il l'avait façonné à son image. Plus que quiconque, Shinobourge était son plus fidèle serviteur.
Marchant sans but dans les rues dévastées de Murcitan, Castel tomba sur Leaf qui était en train de soigner les blessés avec son Grodoudou et son Melodelfe. Castel pensait bien comprendre la jeune femme. C'était une fille courageuse, idéaliste, qui n'avait pas peur de se battre pour ses convictions, mais qui pourtant conservait une grande part d'humanité, désirait provoquer le moins de douleur possible. Castel avait été comme ça, il y a bien longtemps. Il se rappelait s'être souvent battu pour ce qu'il estimait être le bien. Il voulait le bonheur des autres, et avait longtemps répugnait à prendre des vies.
Tout cela avait changé à la mort d'Enysia. Il avait ouvert les yeux sur la véritable nature des humains. Les idéalistes, ceux qui se battaient pour les autres, pour des idées, n'étaient jamais reconnus ni récompensés. Au contraire, ils faisaient les frais des désirs égoïstes des autres. Castel s'était longuement battu pour son peuple, pour ce monde, pour les Pokemon, et au final, sa femme, l'être qu'il aimait plus que tout, lui avait été arraché. Quel dieu aussi cruel pouvait autoriser ça ? Arceus bien sûr. Il avait créé les humains à son image, il devait être aussi égoïste et cruel qu'eux.
Castel avait alors perdu foi, en l'humanité, en dieu, et en ses propres convictions. Puisque tout le monde ne vivait que de désirs égoïstes, pourquoi ne pourrait-il pas faire pareil ? Dès lors, il s'était battu pour la vengeance, et pour lui-même. Il s'était servi de Cinhol comme d'un prétexte, et il vomissait sur les doux idiots comme Uriel qui se sacrifiaient pour les autres. Au final, Uriel était tombé dans l'oubli, et Castel allait régner. Ceux qui se battaient pour eux gagnaient toujours, tandis que ceux qui se battaient pour les autres perdaient tout. Leaf l'apprendrait tôt ou tard. Et alors elle pourrait rejoindre pleinement la cause de Castel.
Le roi la regarda faire un moment. La force de son regard, son dévouement aux autres... Tout cela la rendait irrésistiblement belle à ses yeux. Sans doute une réminiscence des sentiments que son alter ego, Adam, avait éprouvés un moment pour elle. Mais il y avait plus que cela, c'était certain. Leaf avait sa propre beauté, mais Castel avait rencontré des femmes bien plus belles. Enysia l'avait été. Castel appréciait la beauté du corps bien sûr, mais encore plus celle de l'esprit. Et l'esprit de Leaf le fascinait. Il voulait tant qu'elle lui appartienne, il voulait plier son esprit à sa volonté, il voulait qu'elle devienne sa chose ! Il n'y avait rien de plus que Castel appréciait que de soumettre les gens par l'esprit. Et plus ils avaient un esprit fort, plus le plaisir était grand.
- Ces gens ont de la chance de t'avoir, dit Castel quand la jeune femme eut terminé de soigner son dernier blessé.
- Peut-être. En tout cas, ils ont eu la malchance de t'avoir toi.
Le sourire de Castel s'élargit. Cette insolence, ces répliques aussi sarcastiques que naturelles... Par le Grand Forgeron, que Castel désirait la soumettre !
- J'aimerai savoir quelque chose, dit-il. Tu désapprouves clairement mon invasion de Bakan. Pourquoi tu continues à me suivre ? Anis n'a pas tardé à filer, elle.
En effet, dès qu'ils étaient parvenus dans l'Ancien Monde, l'historienne leur avait fait savoir qu'elle retournait immédiatement à la Haute Académie. Pour prendre ses affaires et retourner dans sa région natale d'Unys, avait-elle dit. Mais bien sûr, Castel savait qu'elle le trahirait à la première occasion en allant tout raconter au gouvernement. Il l'avait laissé partir en le sachant. Il voulait que le Sénat tremble de peur le temps qu'il arrive. Pour Leaf, en revanche, c'était différent. Elle lui avait fait bien comprendre qu'elle était contre cette invasion. Elle avait été sincère, contrairement à Anis qui avait gardé le silence. Mais elle continuait à rester avec lui. Peut-être par amitié, peut-être par devoir, peut-être pour tenter d'aider son peuple à surmonter ça. Et pour cela, Castel pensait qu'elle n'allait pas le trahir. Si elle avait voulu le faire, elle se serait sans doute montrée moins prompte à le critiquer à chaque occasion.
- J'ai aidé à t'installer sur le trône de Cinhol, répondit la jeune dresseuse. Ce que tu vas faire à cette région, j'en suis donc en parti responsable. Je me sens obligée d'être là, même si ça ne me plait pas.
- C'est admirable. Mais vas-tu te contenter de soigner les blessés, ou te battre à mes côtés ?
Leaf haussa les épaules.
- Quand le verre est plein, il faut le boire en entier. Je me battrais pour que ton invasion se déroule vite et sans heurt inutile. Mais je ne tuerai pas pour ta petite personne, Adam. Je vais voir de mes yeux le monde que tu veux fonder, et s'il ne me plait pas, je ferai comme nous avons fait pour le régime de Nirina à Cinhol. Je me battrai dans une rébellion pour ta chute.
Castel éclata de rire.
- J'ai toujours aimé ta sincérité désarmante. N'aie crainte, mon amie. Le monde que je m'apprête à créer sera mille fois meilleur à celui-là.
Il remarqua clairement le regard sceptique de Leaf. Elle avait de quoi l'être, bien sûr. Castel n'avait aucunement l'intention de fonder un autre monde par-dessus les ruines de l'ancien. Il voulait seulement le détruire et l'offrir au Grand Forgeron. Bien sûr, quand Leaf s'en rendrait compte, ça sera trop tard, car Castel l'aura déjà soumise à sa volonté.
***
Leaf se permit de souffler seulement quand Castel se fut assez éloigné. Continuez à feindre le naturel devant lui était de plus en plus dur, surtout après avoir vu ce qu'il avait fait à cette ville sans importance. Mais elle devait continuer. Il ne devait pas la soupçonner. Anis lui avait fait promettre avant de partir. Leaf devait tout faire pour rester près de lui, et récolter des informations pour organiser la défense de Bakan. Et il était temps d'agir. Anis était partie pour Fubrica, mais elle mettrait un moment à arriver. Personne là-bas ne devait être encore au courant de ce qui se passait ici. Et si Anis se mettait à parler, le Sénat l'arrêterait sûrement, comprenant qu'elle avait été de mèche avec Cinhol, si toutefois il croyait à ce qu'elle raconterait. Mais heureusement, elles avaient un allié dans les rangs du Sénat. Un allié qui était déjà au courant de l'existence de Cinhol. Le propre père de Leaf, Iridien Elson, ambassadeur de Kanto au Sénat de Bakan.
Iridien était ami avec l'une des sénatrices les plus influentes de Bakan, Clarisse Alston. Ensemble, ils pourront faire quelque chose pour préparer la République à l'arrivée de Castel. Leaf ne pouvait que faire confiance à son père. Elle vérifia que personne ne l'observait, et sorti son téléphone portable. Les Stormy Sky avaient beau avoir détruit tout le réseau de la ville, ils possédaient eux-mêmes de puissantes antennes de communication sur leurs vaisseaux.
- Papa, c'est Leaf. Je dois te parler, c'est important.
***
Au siège du Sénat, Iridien Elson remit son portable dans sa poche en soupirant. Voilà que sa fille lui avait encore servi un récit à dormir debout. Tout cela aurait pu ne pas être un problème si seulement il ne la croyait pas. Or, il connaissait sa fille, et ne la pensais pas capable de mentir sur ça. La région Bakan était d'ores et déjà en train d'être envahie par ce royaume d'un autre monde. Plus inquiétant pour lui, sa propre fille jouait les agents doubles pour eux auprès du roi ennemi. Un roi qui se trouvait être le jeune homme qu'Iridien avait déjà vu en compagnie de Leaf dans son propre appartement, un garçon gentil et intelligent du nom d'Adam Velgos. Le monde était en train de devenir fou !
La séance du Sénat qui se déroulait devant lui lui sortit de l'esprit. Faut dire qu'elle n'était déjà pas bien passionnante avant. Iridien était un ambassadeur. Il représentait les véritables politiques, mais n'en était pas vraiment un lui-même. Sinon, il aurait pu comprendre ce qui pouvait bien pousser les politiciens à discourir pendant près de trois heures au sujet de la taxation d'un fruit exotique.
Il avait envie de se lever de sa place, d'aller jusqu'à l'estrade en bas prendre le micro du Président du Sénat et d'avertir tout le monde que leur région était en train de se faire envahir. Mais il n'était pas sénateur, et Bakan n'était pas sa région. Il devrait gérer ça avec ses confrères du Sénat, dont la première était Clarisse Alston. Il lui envoya donc discrètement un SMS, l'invitant à le rejoindre dehors. Leur sortie ne fut pas vraiment suspecte. Bon nombre de sénateurs étaient déjà partis, lassés par ces discussions interminables à propos de ce fichu fruit. Une fois dans les coursives du Sénat, Iridien pu s'adosser à un mur et respirer pleinement.
- Iridien, vous allez bien ? Lui demanda Clarisse. Vous semblez très pâle.
- Il y a de quoi. Ma fille Leaf vient de me contacter. La possible invasion de Cinhol dont je vous ai parlé il y a une semaine a commencé.
Clarisse aurait pu s'évanouir, jurer ses grands dieux, ou le traiter de fou. Son seul clignement des yeux fut le signe de sa surprise évidente. Clarisse Alston était une femme qui perdait rarement ses moyens.
- Où ? Demanda-t-elle.
- Une petite ville en périphérie nommée Murcitan. Leaf est avec eux, et nous sert d'espion.
- Qui sont ce « eux » exactement, Iridien ? Vous nous avez parlé d'Uriel il y a quelques jours...
- Je n'ai pas tout compris ce que ma fille m'a raconté, mais il semblerait que cet Uriel ne fut pas notre véritable ennemi. On parle là de Castel Haldar.
- C'est absurde ! Castel est celui qui a fondé le royaume de Cinhol, il y a cinq cent ans. Il est mort et enterré depuis longtemps.
- Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas tout compris... Apparement, l'esprit de ce Castel, ou son âme, aurait été en sommeil depuis tout ce temps. Quoi qu'il en soit, il est bien de retour, sous l'identité de l'ami de ma fille qui voulait prétendre au trône.
- Il veut donc conquérir Bakan et détruire la République, comme autrefois ?
- Pire. C'est le monde entier qu'il vise. Selon Leaf, il est aidé par la Quatrième Flotte de Stormy Sky, et dispose d'une armée de dix mille hommes, sans compter son plus gros atout, son Pokemon légendaire en forme de fourche.
- Arceus nous protège... Il faut avertir l'armée directement !
Iridien se posa la main sur son front moite.
- J'y ai pensé, mais si vous les prévenez maintenant alors que tout le monde l'ignore pour le moment, ça sera suspect. Je ne souhaite pas que ma fille soit mise en danger. Je vous avais demandé de commencer à en parler aux sénateurs dont vous avez confiance.
Clarisse fut soudain gênée.
- Oui, et je ne l'ai pas fait. Je m'en excuse, mon ami. Je vous ai caché des choses. En réalité, j'étais déjà très au fait de l'histoire de Cinhol, car j'en descends directement. Je suis la descendante d'Uriel, l'homme qui a trahi Castel Haldar et qui aida la République à envahir Cinhol, juste avant que la cité ne soit envoyée ailleurs. Auparavant, Uriel avait laissé son fils à l'abri à Bakan. En reconnaissance de ce qu'avait fait son père pour la République, il fut récompensé, nommé sénateur, et sa famille a continué à jouir d'un grand prestige.
Iridien resta un moment bouche bée.
- Je ne savais pas...
- Très peu s'en souvienne encore, même au Sénat. C'est pour cela que je ne voulais pas en parler. Cinhol est un sujet tabou, même aujourd'hui. Ma famille provenant d'une personne controversée, il n'aurait pas été bon pour ma réputation et celle de mes fils de... Je suis désolée.
- C'est bon, fit Iridien. Apparement, Uriel n'avait aucune intention d'envahir notre monde. Il désirait au contraire le protéger. Mais ce Castel...
- Il est le mal incarné, acquiesça Clarisse. On se le tient pour dit dans notre famille depuis le fils d'Uriel en personne. Sa mère a échappé à la catastrophe de Cinhol, et tenait d'Uriel des informations sur Castel. J'ignore comment il est possible qu'il soit encore en vie, mais si c'est vraiment lui qui est au commande, Bakan court un grave danger.
- Que faisons-nous, alors ?
Clarisse réfléchit, et dit finalement :
- On va faire ce que j'aurai du faire. En parler à un cercle réduit de sénateurs, avant que le Sénat ne soit officiellement au courant. Il faut préparer l'hémicycle à ce qu'il devra faire contre notre ennemi. J'ai un ou deux noms de sénateurs influents en qui j'ai confiance. Tâchons d'abord de les convaincre eux, pour qu'ils puissent nous aider.