Le Sujet 21A
Le matin suivant, Isadore me réveilla doucement en me secouant l'épaule. Les autres fois, il s'était levé et m'avait laissé dormir... Peut-être ce matin serait-il différent ?
« Sereina... Je sais qu'il est tôt, mais je ne peux pas courir le risque de te laisser seule. »
Bien entendu... Il était tellement inquiet à propos du Zoroark qu'il ne voulait plus me quitter, maintenant. Quitte à me réveiller alors que le soleil n'était pas encore totalement levé.
« J'espère que tu ne m'en veux pas. Une fois que l'imposteur sera attrapé, tout redeviendra normal. »
Que comptait-il faire, au juste ? M'emmener avec lui à chacune de ses activités ? Cela ne me dérangerait pas, mais c'est plutôt lui qui sera gêné.
« J'ai demandé à quelqu'un de veiller sur toi. Tu pourras faire ce que tu voudras, il sera là pour te protéger. C'est mieux que rester assise à me regarder m'entraîner, non ? »
Je n'y voyais aucun inconvénient. De toute façon, même s'il y en avait un, qu'aurais-je bien pu faire ? Rapidement prête, je le suivis jusqu'à la sortie, où il me présenta à un homme qui nous attendait.
« -Je compte sur toi pour veiller sur elle, d'accord ? Dit Isadore à l'homme.
-Comptez sur moi, Sujet 7D.
-Merci beaucoup. Sereina, je te retrouve ce midi à la cantine, d'accord ? »
Je hochai la tête et je le regardai s'éloigner. Lorsqu'il fut assez loin et que personne ne nous voyait, je me tournai vers l'homme et lui lançai un regard admiratif. Cet homme était le Zoroark en personne. Il avait réussi à duper Isadore, mais pas moi.
« On ne peut rien vous cacher, lady... Comment pouvez-vous voir à travers mes illusions ? Un de vos pouvoirs psychiques ? »
Non. Je ne savais pas utiliser mes pouvoirs. Je ne savais pas si j'y arriverai un jour. Mais cet homme dégageait quelque chose, comme une aura. Il pouvait prendre l'apparence qu'il voulait, il ne me duperait jamais.
« Allons sur le stade. Je dois vous parler. »
Il avait l'air d'aimer ce stade. Sans doute aimait-il courir, comme moi. Je me demandai ce qu'il pouvait bien me vouloir, encore une fois. Peut-être voulait-il savoir quelque chose ? Ou tout simplement ne plus se sentir seul, ne serait-ce que pour une petite matinée ? Nous arrivâmes rapidement au stade. Là, il s'assit, non dérangé par le froid, tout comme moi, et commença à me parler avec franchise.
« Merci beaucoup de ne pas m'avoir immédiatement dénoncé, lady. Je sais que nos rencontres ont été assez turbulentes, surtout hier. Mais vous êtes la seule personne ayant la décence de m'écouter ici... »
Je ne pouvais qu'écouter, de toute façon. Il voulait simplement parler. Pourquoi n'avait-il tout simplement parlé avec moi lorsque nous étions dans le village de Zvigold, avant mon évolution ?
« Vous m'avez l'air de vous poser beaucoup de questions... Mais cette fois, je vais être franc avec vous. »
Je jetai un œil à sa joue, là où se trouvait le coup de griffe donné par Isadore la veille. Elle semblait en bon état.
« Vous vous inquiétez pour ma blessure ? Ne vous inquiétez pas pour ça. Je m'en suis occupé. Maintenant, soyons sérieux. Comme vous le voyez, je suis un garou. Je ne me souviens de rien quant à mon passé... »
Comme Isadore, comme moi, et comme tous les précédents et prochains garous. Mais où voulait-il en venir ?
« Lorsque je me suis réveillé, je fus submergé par une odeur de sang. J'étais allongé au milieu d'une petite salle, une seringue plantée dans mon bras. »
Une odeur de sang... Cela voudrait-il dire qu'il venait du même laboratoire que moi ? Mais comment cela pouvait-il être possible ? Nous étions déjà le nombre maximum de garou... Quoique, un remplaçant potentiel pour le Sujet 18J ? Non, impossible aussi. Trop peu de temps écoulé pour la transformation...
« Je me suis réveillé environ une journée après le carnage. De nombreuses personnes étaient là pour faire le ménage et m'avaient pris pour un cadavre. Utilisant de manière innée mon pouvoir d'illusionniste, j'ai réussi à m'échapper incognito... Montant dans une ambulance, je me suis retrouvé par pur hasard dans le même hôpital que vous. »
Le hasard avait bien fait les choses. Curieuse, je lui montrai sa blouse, qui n'avait pas de numéro, contrairement aux autres blouses portées par les garous.
« Ma blouse, hein ? Quand je suis revenu à moi, j'étais nu, alors j'ai pris les premiers vêtements à ma portée, voilà tout. Peut-être le processus de ma transformation a-t-elle été interrompu à cause de ce carnage ? Sur le sol de la salle, je m'en souviens encore... Il y avait blouse bleue. J'aurais bien pu la mettre mais elle était déchirée et trempée de sang. »
La blouse bleue, celle d'André Cide, le responsable de ce carnage. Son corps n'avait pas été retrouvé. Je commençai à croire que, comme la création des garous était de sa faute, ils s'étaient vengés sur lui et l'avaient dévoré dans leur folie, ne laissant rien d'identifiable. C'était à mes yeux le seul scénario possible, et il était logique.
« Quant à moi, et bien, je me considère comme un sujet fantôme. Ma création a été faite dans le plus grand secret dirait-on, car personne, pas même le grand sénateur, dirigeant suprême du territoire Régulier, n'était pas au courant. Une expérience fantôme... Un garou qui ne devrait pas être là. Le Sujet 21A. Voilà ce que je suis. »
Sujet 21A. Pourquoi pas après tout ? Mais cela n'expliquait en rien sa présence dans le fort Aurora.
« Donc, j'ai été amené dans l'hôpital où vous étiez gardée. Bien entendu, le jour même, vous avez décidé de vous rendre aux assaillants ennemis de manière à éviter un désastre. Un choix très sage, si vous voulez mon avis... »
Je connaissais la suite. Le lendemain de mon enlèvement, alors que nous nous étions fait passer pour morts, nous avons été attaqués alors que notre fuite en hélicoptère semblait marcher comme prévu. J'attendais sa propre version des faits.
« Je vous ai suivis de très loin sans vraiment avoir de raison particulière... J'étais perdu, tout simplement, et je cherchais quelque chose à faire pour essayer de me souvenir. Quand la nuit est tombée, j'ai décidé de prendre de l'avance sur vous. J'étais comme infatigable. Cette nuit, j'ai couru si vite que j'ai atteint la forêt de Zvigold et, par hasard, en suivant la route, le village. »
S'il courait aussi vite que moi, cela n'étais pas tellement étonnant. Mais cela n'expliquait pas tout, et j'attendais toujours la suite, curieuse.
« Dans ce village vide, j'ai fouillé chaque maison jusqu'à trouver une radio militaire abandonnée, mais toujours en état. Et là, sans savoir d'où me venaient de telles connaissances, j'ai été capable de la faire fonctionner, alors que le soleil se levait. Alors que vous et les autres étiez en route vers l'hélicoptère, j'écoutais de nombreuses conversations de chaque armée. »
C'est de là que lui viennent ses connaissances sur ce monde... Cela dit, j'avais expérimenté la même chose que lui. Des fois, des connaissances me venaient à l'esprit, sans que je sache pourquoi ni comment. Quand j'en avais besoin, elles étaient là, voilà tout. Lui avait vécu la même chose, avec sa radio.
« M'abreuvant de tout ce que je pouvais apprendre, j'ai écouté par hasard un rapport sur un garou nommé Sujet 7D, qui semblait au bord du désespoir après votre prétendue mort. C'est là que j'ai décidé de vous aider à retourner auprès de lui. Allez savoir pourquoi. »
Alors, après le crash de l'hélicoptère, c'était lui qui m'avait mentalement forcé à dormir ? Et m'avait amené dans la forêt, non loin du pilote blessé ? J'ai stupéfaite.
« Je pensais que cet homme et vous pouviez vous en sortir seuls, alors je suis retourné écouter des conversations avec ma radio. Jusqu'à ce que je capte une conversation concernant la trouvaille d'un pilote Régulier encore en vie. Mais quand je suis arrivé, il était trop tard. Je ne pouvais qu'observer, de loin, la situation. »
Oui... Le pilote a été enlevé après m'avoir ordonné de me cacher. Ensuite, j'ai erré peu de temps dans la forêt avant d'être guidée par un sifflement, jusqu'à la route.
« Incapable de vous laisser errer seule, je vous ai guidée jusqu'au village, où je me suis occupé de vous. Le lendemain, alors que vous partiez pour attendre les secours, loin de me douter de votre maladie, j'ai continué à écouter des conversations puis je suis parti pour envoyer un message au fort Aurora, que je ne captais pas depuis la forêt. »
Je connaissais la suite. Après avoir appelé les secours, il est parti, et s'est retrouvé au fort Aurora. Était-ce le hasard ?
« Le cœur brisé en vous voyant agonisante, j'ai été forcé de fuir pour ne pas me faire prendre... Car, au fond de moi, depuis ma transformation, j'ai un nom dans la tête que je n'arrive pas à oublier. Un simple nom, et je n'ai pas la moindre idée de ce que ça peut être... Et je cherche cette personne, ce lieu ou quoi que cela soit, car je sais que mon passé y est lié. Et ce nom est Maya. »
Maya... En entendant ce nom, mon pouls accéléra légèrement, puis se calma, sans raison. Il l'avait déjà prononcé lors de mon agonie. Alors, voilà pourquoi il était ici. Il cherchait cette Maya et, comme j'étais la seule personne à qui il pouvait parler, il avait décidé de reprendre contact avec moi.
« Loin de me douter que vous aviez survécu, j'ai décidé de suivre les deux véhicules jusqu'au fort dont j'avais entendu parler plusieurs fois en espionnant les conversations radio. Facilement camouflé au milieu de tant de gens avec mes illusions, j'ai été soulagé de voir que étiez toujours vivante. Mais vous connaissez maintenant la suite, non ? »
Oui. Il s'agissait de ces deux derniers jours passés au fort. Maintenant, je savais tout. Et cela éclaircissait un nombre incroyable de choses dans mon esprit. Peut-être même trop d'un coup.
« Maintenant, je vais vous poser la question. Avez-vous déjà entendu parler de Maya ? Une personne, un lieu, je ne sais pas... Alors ? »
Je secouai tristement la tête. Je n'en avais aucune idée.
« Haha... Je m'en doutais. Mais maintenant, vous connaissez mes intentions. Je dois retrouver Maya, peu importe ce que c'est, pour comprendre qui je suis vraiment. Et vous, qu'allez-vous faire ? »
Que pouvais-je bien faire, de toute façon ? J'allais certainement continuer d'attendre, en compagnie d'Isadore. L'arrivée des prochains garous, notre envoi au front... Mais après ? Je n'en avais aucune idée.
« Regardez votre ami, Isadore. Je l'observe depuis que je suis arrivé ici. Il a été comme endoctriné. »
Je n'y croyais pas. Isadore m'avait l'air tout à fait normal. Il semblait juste avoir de la discipline, mais cela ne suffisait pas à dire qu'il était manipulé.
« Ne me regardez pas comme ça, lady. Voyez les choses en face. Il se comporte comme un parfait soldat humain. Il se met au garde-à-vous, il obéit à ses supérieurs. Et, comme les autres soldats, il tient à quelque chose qui le forcera à se battre pour ne pas le perdre. Vous. Enlevez-lui ses poils et sa queue et vous avez un soldat classique. Seule différence ? Il possède des réflexes inhumains et peut cracher du feu. Rien de plus qu'un super soldat. »
Je ne savais plus quoi penser. Cet homme voulait-il dire que j'étais un objet servant à faire pression sur Isadore ? Que s'il n'était pas obéissant, il me perdrait ? Ou alors, était-ce ce qu'Isadore pensait au fond de lui ? Qu'il devait se battre pour ne pas me perdre ?... Ce n'était pas vraiment de la manipulation mais de la détermination, à mes yeux.
« Vous en pensez ce que vous voulez, lady. Mais maintenant que j'ai eu l'occasion de vous parler, je n'ai plus rien à faire ici. Je vais partir et continuer à chercher Maya... »
Il se leva et m'aida à me mettre debout. Alors, comme nous étions censés le faire, lui me regarda courir pendant peut-être une heure ou deux, jusqu'au retour d'Isadore, signe qu'il était dans les environs de midi. Le Zoroark encore déguisé se dirigea vers Isadore.
« -Salut, 7D. Pas de problème ce matin.
-Merci encore d'avoir veillé sur elle. Comment tu t'appelles, au juste ?
-Oh, ce n'est pas important.
-Comme tu veux. Merci encore.
-Bon, j'ai beaucoup de choses de prévues pour les jours à venir donc la prochaine fois tu devras te passer de moi. »
Sur ce, le Zoroark, toujours camouflé, s'en alla rapidement. Isadore était toujours incapable de voir à travers l'illusion. Cela ne m'étonnait pas vraiment, le Zoroark était très fort à son petit jeu.
« Quel type étrange, dit Isadore. Bon, tu as faim ? »
Pas énormément faim, mais assez pour suivre Isadore jusqu'à la cantine, attendre presque une heure avant d'être servie, manger seule en face de lui, et sortir. Lorsque nous eûmes fini de manger, il me dit :
« Cet après-midi, nous restons ensemble, d'accord ? Je pense que je vais essayer de t'aider à utiliser tes pouvoirs psychiques. Tu en penses quoi ? »
Il était capable de cracher du feu sans soucis, donc pourquoi pas après tout ? Mais j'avais tout de même de gros doutes. Il y a une différence entre utiliser des glandes corporelles pour souffler des flammes et utiliser son esprit pour manipuler le monde environnant.
Alors que nous marchions vers le stade, quelqu'un que je reconnus sans peine, Pierre, s'approcha de nous en courant :
« -Isadore, c'est la cata ! On va avoir besoin du Sujet 8F d'urgence à l'infirmerie !
-Il y a un problème ?
-Un peu oui ! Quelqu'un avait oublié de remettre la sécurité de son arme au stand de tir, après la séance. Quand il a posé son fusil sur la table une balle est partie toute seule, il l'a reçue dans la cuisse. »
Avant même qu'Isadore ne réponde, j'étais déjà en route vers l'infirmerie. Faisant attention à ne renverser personne, j'arrivai rapidement dans la salle. Les deux infirmiers s'affairaient autour d'une table d'opération où était allongé un homme torse nu. Il ne saignait pas beaucoup, mais il était extrêmement pâle.
« -Sujet 8F, vous êtes venue. Nous avons besoin de deux mains supplémentaires pour sauver cet homme.
-Cet homme a reçu une balle ici, déclara l'infirmière, me montrant le bas de la hanche de l'homme. Au niveau de l'artère fémorale. Il a perdu beaucoup de sang et son pronostic vital est engagé. Pour le moment, la balle empêche l'hémorragie.
-Mais il continue de perdre du sang de façon continue, repris l'infirmier. Le problème c'est que le garrot est impossible à poser à cause de la munition... Et elle est trop profonde pour être enlevée ! Il lui reste moins d'une heure à vivre, à ce rythme. »
Ils comptaient sur moi pour les aider, mais que pouvais-je faire de plus ? Si deux infirmiers professionnels ne pouvaient rien y faire, alors moi ? Je regardai le trou causé par la balle. Il semblait assez profond, pas étonnant qu'il ne puisse pas retirer le projectile.
Mais comme à chaque fois, je refusai d'abandonner. J'allais sauver cet homme, coûte que coûte. J'avais déjà vu quelqu'un extraire une munition par balle : le pilote de l'avion. Fouillant rapidement dans ma sacoche, je sortis rapidement le couteau à cran d'arrêt du même pilote. Une fois déplié, je remarquai que la lame était fine et longue. Peut-être cela suffirait-il pour faire sortir la balle ? Alors que je m'approchai de l'homme inconscient, l'infirmière s'interposa :
« Mais qu'est-ce que vous comptez faire avec ça ?! »
J'étais incapable de répondre, et par la même occasion de la persuader de me laisser passer. Isadore arriva au même moment, inquiet pour l'homme.
« -Bon sang, mais c'est Irvine ! Il va bien ?
-Il est entre la vie et la mort, déclara l'infirmier. Balle dans l'artère fémorale.
-Je ne comprends pas de quoi vous parlez, mais faites quelque chose pour lui !
-C'est impossible. On ne peut pas enlever une balle aussi profonde avec nos outils.
-Si vous ne pouvez rien faire, Sereina pourra. Laissez-la passer ! Rugit Isadore.
-Elle va le tuer avec ça, répliqua l'infirmière.
-Il mourra aussi si vous ne faites rien. Laissez-lui une chance.
-Il n'a pas tort, répondit l'infirmier. Quitte à la perdre, autant faire notre maximum non ?
-J'espère que vous savez ce que vous faites, me dit l'infirmière. Allez-y. »
Non, je ne savais pas ce que je faisais. Mais j'étais décidée à faire ce que je pouvais pour sauver cet homme. Alors, passant devant l'infirmière, je regardai l'homme pendant que je désinfectais le couteau avec de l'alcool. Il semblait agoniser, même inconscient. La balle était placée à proximité d'une artère. Cela voulait dire qu'à la moindre erreur, je trancherai ladite artère, et sa mort était assurée.
« -Nous comptons sur vous, mademoiselle, me dit l'infirmier.
-Je suis avec toi, Sereina. Je sais que tu peux le faire.
-N'oubliez pas que vous avez du temps devant vous, me dit l'infirmière. Concentrez-vous. »
Me concentrer... J'essayais de me calmer pour réduire mon stress et avoir des gestes précis. Alors que je me concentrais du mieux que je pouvais pour me calmer, je ressentis quelque chose d'étrange, provenant de cet homme. Un peu comme si lui et moi étions liés... Était-ce un début de pouvoir psychique ? Je ressentais ce que lui ressentait aussi. Sa douleur, son corps. Peut-être pouvais-je utiliser cela à mon avantage ?
Me penchant sur sa blessure, je commençai par y approcher la lame et, lentement, je l'enfonçai dans la blessure. Au bout d'un moment, elle rencontra une surface solide, et l'homme eut un pic de douleur. J'avais trouvé la balle. Maintenant, comment la faire sortir d'une plaie aussi profonde sans toucher l'artère ?
« Sereina... Tu as l'air étrange. Tu es sure que ça va ? »
Que voulait-il dire par étrange ? Je me sentais normale. Pour déloger cette balle, je devais déjà savoir où se trouvait l'artère. Déplaçant légèrement le couteau dans la plaie, je pus ressentir que l'artère se trouvait au-dessus de la munition... Une fois déplacée, le sang allait se mettre à couler à flots, donc j'allais devoir extraire la balle aussi vite que possible.
Je me mis donc à déplacer la lame de gauche à droite de la munition, la faisant remonter de quelques dizaines de millimètres à chaque fois. Le sang avait commencé à couler et j'en avais maintenant plein les mains, mais je continuai à faire remonter inexorablement le projectile.
Au bout d'un moment, la pression du sang couplée à mes actions précises eurent raison de la munition, qui fut éjectée de la blessure de l'homme. N'attendant que ça, l'infirmier se dépêcha de faire un garrot autour de la cuisse de l'homme de manière à arrêter l'écoulement sanguin. Au fond de moi, je sentais que le blessé, intérieurement, se battait pour rester en vie. Alors, au bout de quelques minutes :
« -C'est terminé, souffla l'infirmier. Son état est maintenant stable. Si la compression avait été faite quelques minutes plus tard, il serait mort.
-Sereina, tu as réussi ! Irvine est sauvé.
-Je ne sais pas quoi en penser, dit simplement l'infirmière, qui apportait du linge bouillant, pour nettoyer le sang. Vous avez un don. Ne le gâchez pas.
-Maintenant, laissez-nous nous occuper de lui. Vous avez l'air extrêmement fatiguée, mademoiselle, dit l'infirmier. »
Isadore m'aida à retourner à notre dortoir. Alors que nous marchions sous le soleil couchant, je remarquai que, en effet, j'étais exténuée. Comment soigner une blessure pouvait-elle me fatiguer autant ? Ce n'était pas la première, ni la dernière. Alors pourquoi ? Une fois dans le dortoir, il m'aida à m'allonger.
« Les infirmiers ne l'ont pas remarqué, mais moi oui. Alors que tu étais occupée à enlever la balle que l'homme avait au niveau de la cuisse, ton orbe frontal brillait légèrement. »
Mon orbe brillait ? Cela voulait-il dire que...
« Tu as utilisé tes pouvoirs psychiques. As-tu ressenti quelque chose d'étrange ? »
J'avais eu l'impression de pouvoir ressentir ce que l'homme ressentait. Était-ce une utilisation de mes pouvoirs ? C'était comme si mon esprit et celui du blessé avait été liés pendant la durée de mes soins. Cela m'avait grandement aidé. J'avais, grâce à cela, réussi à localiser sans peine la position de la munition et de l'artère, et cela m'avait permis de ne pas l'endommager davantage, et de retirer le projectile à temps.
« C'est pour ça que tu es fatiguée, Sereina. Je ne sais pas comment tu t'y es prise, mais tu as définitivement réussi à utiliser tes pouvoirs. J'espère vraiment que tu arriveras à les maîtriser, un jour. »
Cela avait été instinctif. J'en avais eu besoin, mon pouvoir était venu, voilà tout. Pour le moment, je n'avais pas l'impression de pouvoir l'utiliser sur commande. Peut-être cela viendrait-il avec le temps ? Manipuler le monde et l'esprit par la seule force de ma pensée... Cela me faisait peur. Quant à ma fatigue ? Peut-être était-ce parce que je n'étais pas au soleil, ou que la première utilisation de mes pouvoirs mentaux avait été maladroite, non optimisée ?
« Toujours est-il que la journée est terminée pour toi. Le soleil se couche et je doute que tu sois apte à rester debout. Tu devrais dormir pendant que je... »
Pierre était de retour et coupa Isadore, en rentrant dans le dortoir :
« -Sujet 7D ! Le commandant veut te voir immédiatement, il s'agit d'un truc important. Je n'en sais pas plus.
-J'arrive, Pierre. Bonne nuit, Sereina... »
Et ils sortirent du dortoir, me laissant seule. Isadore donna quelques ordres à quelqu'un devant la porte, certainement pour monter la garde. Alors, trop fatiguée pour penser à quoi que ce soit, je m'endormis rapidement.