Sacrifice d'une âme perdue de Caanine

La fille de la mort... Shinda no On'nanoko...

Sacha recula légèrement.
« Tu me fais marcher... grinça-t-il avec un rire nerveux
- Pas du tout. C'était il y a treize ans... »

Cette année là, une étrange maladie s'était abattue sur le pays. Les gens tombaient les uns après les autres comme des mouches. Seuls les plus forts survivaient, et la maladie était sans pitié pour les femmes, les enfants et les vieillards. Bientôt, l'une des seules femmes restante au village fut une jeune fille de seize ans d'une immense beauté. Ses yeux d'un bleu éclatant fouillaient jusqu'au fond de l'âme. Son petit ami l'aimait passionnément, et ils vivaient heureux en dépit de l'épidémie.
Mais un jour, elle tomba malade. Le garçon la veilla pendant une semaine tandis qu'elle se battait contre la mort. Mais cette dernière est toujours la plus forte, et la fille mourut, laissant son petit ami inconsolable. Ne pouvant vivre sans elle, il prit la décision d'aller voir Yveltal, le Pokémon légendaire qui contrôlait alors aussi bien l'âme des humains que des Pokémon, pouvant en disposer à son gré, afin qu'il lui rende sa bien aimée.
Cependant, le Pokémon de la mort se montra inflexible. Pour ressusciter la jeune fille, il fallait payer un prix. Une âme. Quelqu'un devait mourir pour elle. Fou d'amour, le garçon accepta sans se rendre compte des conséquences de son acte. Mais au moment où il vit se corps de sa fiancée se dessiner dans les airs, il sentit sa propre vie s'écouler. De plus, la jeune fille était sous forme d'un fantôme. Son corps détruit, elle n'appartiendrais plus jamais au monde des humains. Terrorisé, le jeune homme dégainé le poignard qu'il gardait toujours sur lui en ces temps difficiles, et le plongea dans le cœur d'Yveltal. Rendu fou de rage d'avoir été dupé, le Pokémon légendaire entra dans une colère noire et, disparaissant dans un tourbillon de ténèbres, aspira toute forme de vie humaine et Pokémon dans un rayon de plusieurs kilomètres. Le garçon mourut sur le coup, mais les autres créatures sentirent leurs forces peu à peu aspirées. Cependant, l'âme de la jeune fille n'avait pas encore été entièrement libérée et, n'étant ni morte ni vivante, mais mutilée, réduite, elle prit possession de l'être vivant le plus proche. Un Pokémon. Plus précisément un Noctali en train d'agoniser. La moitié de son âme s'était déjà dissoute, et ce fut cet espace que l'âme déchiquetée occupa... Deux âmes déchirées dans un même corps...
Ce fut le commencement d'une vie de souffrances. Personne ne peut imaginer la douleur de n'être rien, d'être détruit jusque dans son esprit, piégé sans possibilité autre que de souffrir plus, encore plus.

« C'était toi, n'est-ce pas, murmura Sacha d'une voix tremblante. »
La jeune fille inclina lentement la tête et reprit son récit.

C'était le Noctali qui avait le dessus et qui contrôlait le corps que nous partagions. Nous ne devions pas être beau à voir, à l'époque. Mais la douleur ne diminuait pas. L'âme du Pokémon éprouvait elle aussi mille souffrances que je ressentais moi aussi dans mes membres inexistants. Je voulais mourir, mais c'était impossible ; Je l'étais encore, à l'époque. Mais assez vivante pour endurer la douleur qui me rongeait l'esprit.
Cette situation a duré longtemps. Je n'avais pas la notion de temps. J'avais vu plusieurs fois la neige et les feuilles tomber quand, un jour, je ne sais pas pourquoi, sans que la douleur ait diminué, je me suis retrouvée aux contrôles. Je pense que l'âme du Noctali en avait assez de se battre. Ces derniers temps, elle diminuait de plus en plus, prenait de moins en moins de place. Je me suis donc retrouvée dans un corps qui m'obéissait, mais la souffrance n'en était que plus vive. Je n'y fit pas attention, elle faisait maintenant partie de – je ne dirais pas ma vie – de mon existence.

Mais je n'avais pas retrouvé mon corps d'avant. J'avais la morphologie d'une petite fille de huit, neuf ans tout au plus, mais mon corps était recouvert de fourrure noire. Des anneaux lumineux luisaient sur mes poignets et mes chevilles. Ils étaient bleus, du même bleu que mes anciens yeux. Je remarquai que j'étais vêtue de la robe que je portais avant de mourir, sauf qu'elle était beaucoup trop grande pour moi et qu'elle était en lambeaux. Je voulus me voir et me dirigeai vers une flaque quelques pas plus loin. Mais j'étais tellement faible que je trébuchai, et je finis par me traîner jusqu'au bord. Mon visage était aussi noir que le reste de mon corps, et un autre anneau s'étalait sur mon front. Mes oreilles étaient devenues longues et pointues. Mais ce qui me fascina, c'était mes yeux. Ils étaient encore plus bleus qu'avant, et ils brillaient autant que mes anneaux. Leur pupille s'était rétrécie et ne formait plus qu'une fente verticale.

Je fut interrompue dans ma contemplation par un bruit de pas. Une forme humaine se dessinait sur le sentier. Je me tapis dans un buisson pour l'observer. J'étais plus curieuse qu'effrayée ; cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas vu d'humain ! C'était un garçon qui ne devait pas avoir plus de dix ans. Il avait des cheveux bruns ébouriffés et des yeux très clairs. Irrésistiblement attirée, je me levais très doucement et voulut l'appeler, mais il ne sortit de ma gorge qu'un grognement rauque. Il tourna la tête vers moi et tomba à la renverse en hurlant. Aussitôt, la crainte du Noctali enfoui en moi remonta et me submergea. La Pokémon qui partageais mon errance resurgit et je sentis mon corps changer en même temps que je m'enfonçais dans l'obscurité. Je vis juste l'enfant s'enfuir tandis que nous bondissions dans la direction opposée à travers les buissons avant de disparaître.

A partir de ce moment, l'âme du Pokémon continua à disparaître peu à peu. Je retrouvais quelques fragments de mon ancienne vie. Je pouvais dire quelques mots et marcher un peu. Je retrouvai la sensation de faim et de soif. J'étais plus souvent moi. D'abord surprise par cette évolution, je finis par comprendre que l'âme du Noctali finissait de disparaître et allait pouvoir mourir entièrement. Et aussi que ma propre âme était en train de se reconstruire, mais à partir de celle du Noctali. C'est ce jour que j'ai eu peur pour la première fois depuis ma mort. Parce que j'ai compris que je ne serais plus jamais humaine. J'étais devenue une hybride. J'ai pleuré. Beaucoup. Et quand j'ai voulu essuyer celles qui avaient coulé dans mon cou, j'ai senti quelque chose. Une pulsation. Puis une autre. J'ai plaqué ma main sur ma poitrine et j'ai senti... j'ai senti mon cœur battre.

Le Noctali était mort. Mon âme était entière.
J'étais vivante.