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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 06/05/2014 à 12:59
» Dernière mise à jour le 06/05/2014 à 15:15

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Chapitre 34 : Dernière journée d'été
Moi, le silence, et la tombe de Ficelle.

Trio simple et sombre dans l'atmosphère solennelle de la Tour Pokémon.

Notre petit groupe s'était peu à peu dispersé, chacun s'isolant pour son propre moment de recueillement. Claire s'était détachée la première, s'arrêtant au premier étage, puis Vivian s'était dirigé à l'autre bout de la salle lorsque nous étions arrivés au deuxième, et Zack, lui, avait continué jusqu'au troisième après m'avoir glissé de prendre mon temps et qu'on se retrouverait à la sortie. Je n'avais pas trop compris pourquoi mon frère s'était éloigné étant donné que la tombe de sa Nutella jouxtait celle de Ficelle, mais je préférais ça alors je n'allais pas m'en plaindre.

Résultat : j'étais seule. Ça ne me dérangeait pas, car même si j'appréciais fortement la compagnie de Zack et de Claire (il aurait fallu un miracle en ce qui concernait mon frère), il y avait certaines choses qui se faisaient en solitaire. Rendre hommage aux Pokémon tombés au combat rentrait dans cette catégorie.

Souriant tristement, je plaçai le bout de mes doigts sur la Pokéball de la brave Papilusion. Elle avait été la première à donner sa vie pour moi, pour ma quête, alors même qu'à l'époque je n'avais pas la moindre idée de ce que je faisais et que j'avançais à l'aveuglette. Tuée par l'un des Pokémon de Zack... C'était ironique, quelque part, que le garçon que j'aime m'ait infligée ma première blessure sur ce plan-là. Je me demandai ce que Ficelle aurait pensé de tout ça. Comment aurait-elle réagi face à la révélation que je venais d'un autre monde ? Aurait-elle voulu continuer à se battre à mes côtés comme me l'avaient promis les autres ? Quoiqu'il en aurait été, elle m'avait déjà amplement aidée et méritait le repos éternel, si une telle chose existait.

- Merci pour tout, Ficelle, chuchotai-je en effleurant la partie grise de la ball.

Je ressentis comme une sorte de picotement dans les doigts : électricité statique, simple coïncidence physique, ou Teigne qui m'était passée au travers pile à ce moment-là, je n'en savais rien. Je choisis de croire qu'il s'agissait d'un signe que tout allait bien pour Ficelle et qu'elle était heureuse là où elle se trouvait.

Me relevant, je me rendis ensuite devant la tombe du deuxième de mes Pokémon décédés qui se trouvaient déjà enterrés dans la Tour, et m'agenouillai à nouveau. En dépit du court laps de temps que Touffu avait passé dans l'équipe - à peine une journée à vrai dire -, je n'avais jamais considéré le Voltali comme autre chose qu'un membre à part entière. Sa mort m'avait choquée tout autant que celle de Ficelle ; c'était à cette occasion que j'avais découvert l'horreur absolue de l'attaque Destruction et que je m'étais promis de ne plus jamais me faire prendre au dépourvu. Tant de chemin parcouru depuis...

- T'es entré dans ma vie aussi brusquement que t'en es sorti, bonhomme... Et je le regrette...

Je baissai la tête, puis fis glisser mon sac à terre.

- Tout comme je regrette que tu n'aies pas été le dernier à me quitter...

Une à une, je sortis les balls au sommet grisé. Souris, Poilue, Poilu, Princesse, Grignotte. Je les contemplai tous les cinq. Une série d'échecs et d'erreurs de jugement. Tant de larmes versées. Et autant de faiblesses que la Chieuse s'était fait un plaisir d'exploiter. Non, il ne fallait pas que je pense à mon moi du futur. Elle et son influence néfaste n'avaient rien à faire dans ce moment de deuil. C'était un instant qui n'appartenait qu'à moi et à mes défunts amis.

Avec un soupir, je me mis en devoir de tous leur trouver une bonne place. Pour Souris, je dénichai un endroit proche de Ficelle : les deux ailées ensemble, les deux filles de l'équipe qui avaient chacune formé une connexion particulière avec Teigne. La Nosferalto avait d'ailleurs ramené la Colossinge du bord de gouffre une fois ou deux ; je lui devais beaucoup sur ce point-là et j'étais certaine que les derniers événements où Teigne avait perdu le contrôle de ses émotions, tel que l'épisode du Papilusion avec Vivian, n'auraient jamais eu lieu si Souris avait été encore vivante.

- Tu me manques ma Souris...

Puis Poilue et Poilu, côte à côte, les deux Mimitoss qui m'avaient suivie car attirés par l'éclat des écailles de Plouf et que je n'avais pas eu le temps de vraiment connaître. Arrachés à la vie l'un comme l'autre trop rapidement... Ils reposeraient ensemble désormais, à un bien meilleur endroit que le fond de mon sac à dos.

- Adieu les boules de poils... leur soufflai-je.

Ensuite, Princesse. Ma Persian chérie, la seule Pokémon qui ait vraiment délibérément voulu rejoindre l'équipe. Une décision qu'elle avait cher payé. Je m'appliquai à lui dénicher une pierre tombale d'un beau lustre, veinée de rose et brillant sous les lumières tamisées du cimetière, puis l'astiquai encore un peu, cherchant à ce qu'elle resplendisse littéralement de mille feux car Princesse n'aurait voulu que le meilleur du meilleur. Sa ball se mit en place avec un doux cliquetis, un son qui résonna douloureusement dans mon cœur.

- Sans toi, je ne serais jamais arrivée là où j'en suis, chuchotai-je.

"Merci" semblait bien peu suffisant comme mot, aussi n'ajoutai-je rien. Je me promis cependant que j'allais veiller à ce qu'ils gravent son nom dans le marbre de leur plus belle écriture disponible, assortie de l'indication "La plus magnifique des Persian". Là encore, il s'agissait du minimum pour Princesse...

En fait je suis sûre qu'elle n'aurait tout de même pas été satisfaite. Devoir s'abaisser à avoir le même genre de pierre tombale que les autres Pokémon... elle aurait râlé,
songeai-je, l'amusement se mêlant à la tristesse en moi.

- Faudra que tu t'en contentes, cocotte, dis-je comme si elle se trouvait à mes côtés.

Là-dessus, je me relevai, et passai à la Pokéball suivante.

Grignotte.

Il me vint l'idée que sa ball aurait dû aller à Maraude, avant de me faire la réflexion que la Feunard devait détester les Pokéballs - ou tout ce qui avait trait aux dresseurs en général. J'aurais dû lui rendre son corps, alors. Mais problème, je ne savais pas du tout où est-ce qu'elle pouvait bien être. À défaut de mieux, il allait donc falloir que Grignotte se contente d'une sépulture dans la Tour, tout comme Princesse. Lui par contre ne s'en serait sûrement pas plaint, mais aurait accepté que je ne puisse lui en offrir davantage. Mon Sablaireau avait toujours été pragmatique... et bien trop gentil pour râler.

Je me promenai longtemps avant de repérer un endroit qui me plaisait : une tombe située à côté de celle d'une Feunard qui avait porté le joli surnom de Vanille. Peut-être était-elle de la même famille que Maraude ? Non, il n'y avait que très peu de chances pour que ça soit le cas, ce n'était qu'une hypothèse émise par mon cœur fragile destinée à me réconforter. Mais cela me faisait tout de même du bien d'installer Grignotte aux côtés d'une Feunard.

- T'as été formidable, mon bonhomme... lui murmurai-je en guise d'adieu. Et tu manqueras à plein de personnes, ça c'est sûr.

Je fermai les yeux un instant, soupirai, puis les rouvris. Voilà. J'avais placé toutes les Pokéballs qui devaient l'être et pourtant il m'en restait encore une. La dernière en date, et celle que je n'avais pas l'intention de laisser partir. Pas pour l'instant en tout cas.

M'équipant du Scope Sylphe, je cherchai Teigne du regard. Rien à mes pieds ni dans mes environs immédiats, ce qui me surprit : les picotements que j'avais ressentis à plusieurs reprises ne provenaient donc pas d'elle ? J'élargis mon champ d'investigation, et finis par la repérer : en face de la tombe de Grignotte, de ce que j'en jugeais. Je me serais plutôt attendue à ce que ce soit celle de Ficelle qui l'attire, car pour autant que je sache le Sablaireau et la Colossinge n'avaient jamais été très proches, mais peut-être avait-elle voulu lui adresser un dernier "au revoir".

Et puis Teigne bougea, et je m'aperçus qu'il ne s'agissait pas du tout d'elle, mais d'un Feunard - ou d'une Feunard. De loin et à moitié cachée par la tombe, l'abondance de poils blancs m'avait induite en erreur, et, surtout, je ne m'attendais pas à voir d'autres fantômes, même ici. Je scannai rapidement l'étage entier, constatant qu'il n'y avait que ce Feunard en terme de présence spectrale... et Teigne, qui était demeurée cachée à ma vue jusque là par une tombe. Les deux Pokémon semblaient occupés à discuter, ma Colossinge comme à son habitude s'exprimait à l'aide de grands gestes et en sautillant parfois.

- Qu'est-ce qui se passe ma grande ? m'enquis-je lorsque je me fus suffisamment approchée.

Entre-temps, j'avais pu examiner en détail le Feunard et faire taire la peur qui m'avait brièvement saisie, celle que le fantôme ne soit autre que Maraude. Mais non, le ou la renarde ne ressemblait pas à la disparue de l'équipe : son pelage n'était pas aussi fourni, son museau nettement moins fin, et ses pattes un peu plus courtaudes.

- Singe ! s'exclama Teigne en pointant du doigt l'autre fantôme. Colo, Colossinge.

- Oui, j'ai bien vu que tu n'étais plus la seule ectoplasme à te balader dans le coin...

Le Feunard qui s'était immobilisée à mon arrivée explosa soudain en une série de "Nard nard nard" qui me vrillèrent les oreilles. Puis, me fonçant dessus, elle passa au travers de Teigne ainsi que de mes jambes, avant de faire demi-tour en un éclair et de revenir vers moi d'un air empressé.

- Feunard ! clama-t-elle péremptoirement.

- Calme-toi, tentai-je de l'apaiser en m'agenouillant à sa hauteur. Qu'est-ce qu'il y a de si urgent ? Est-ce que je peux t'aider ?

- Nard... gronda-t-elle en balançant la tête de droite à gauche.

- C'est un non, ça ? fis-je, incertaine. Raah, j'aimerais pouvoir te comprendre mieux que ça. Teigne ?

En réponse, la Colossinge bondit et désigna du doigt l'une des pierres tombales. Celle adjacente à Grignotte, me rendis-je compte avec un sursaut. Je lus à nouveau le nom qui s'y trouvait et me tournai vers la Feunard, le jour se faisant dans mon esprit.

- Vanille ?

Ma question rencontra un acquiescement silencieux. Je supposai que j'avais affaire à une Feunard fille, et songeai d'autant plus à ma Maraude. Il faut dire que cette renarde-ci possédait la même majesté que celle qui m'avait accompagnée un court moment. Campée sur ses deux pattes, la Pokémon me fixait à présent de son regard de feu que même la mort n'avait pu ternir.

- Qu'est-ce qui te retient encore ici, dis-moi ? l'interrogeai-je doucement. Teigne reste à mes côtés car il y a encore un combat à mener, et elle est tellement têtue qu'elle m'accompagnerait jusqu'aux portes de l'Enfer...

- Singe ! approuva la boule de poil bourrine.

- ...mais toi, pourquoi tu ne pars pas ? continuai-je. Je ne sais pas grand chose du fonctionnement des fantômes, cependant j'imagine que ça ne doit pas être génial d'être là sous forme d'esprit sans pouvoir interagir avec le monde réel...

Un "Nard !" plaintif me répondit. La Feunard fit ensuite claquer ses mâchoires, puis avança d'un pas gracieux dans ma direction, répétant la syllabe précédente d'un ton plus bas.

- Singe, Colossinge, singe, intervint Teigne, semblant expliquer quelque chose à sa camarade fantôme.

Cette dernière me jaugea de ses yeux de braise, aboya un ultime "Nard" et fila soudain vers les escaliers, traversant toutes les rangées de tombes comme si de rien n'était avant de disparaître en direction du premier étage. Teigne m'adressa à son tour un "Singe !", que j'interprétais comme un "Suis-moi !" , puis s'élança en bondissant à la suite de la Feunard. Je détalai donc à la suite des deux fantômes, prenant un peu de retard dû à mon embêtante réalité corporelle qui m'obligeait à contourner les tombes plutôt qu'à passer au travers.

Où est-ce qu'elles peuvent bien vouloir m'emmener ?


Pas au premier étage en tout cas : le temps que j'y parvienne, la Feunard était déjà en train de descendre les marches menant au rez-de-chaussée, et Teigne m'attendait impatiemment au milieu de la salle.

- Singe, Colo ! m'expliqua-t-elle avant de repartir à une vitesse que je ne pouvais qu'envier.

Bon, apparemment ce n'était plus très loin d'après ce qu'elle venait de me dire. Je jetai quelques coups d'œil autour de moi tout en courant, à l'affût d'autres potentiels fantômes, mais rien non plus par ici. Soit les spectres de la Tour Pokémon étaient des pros du cache-cache, soit tous les Pokémon enterrés en ces murs ou presque avaient trouvé le repos. En tout cas, la Feunard, elle, n'était pas du tout apaisée ; un "Naaard" déchirant retentit soudain alors que je déboulais au rez-de-chaussée.

Léa, employée de SOS Fantômes,
songeai-je.

Regard à droite, regard à gauche, et je compris immédiatement la situation en voyant où était passée la renarde : elle se tenait assise aux pieds d'une fille, elle-même affalée sur une chaise. Plus jeune que moi de peut-être deux ou trois ans, elle fixait le vide sans paraître prêter attention à ce qui l'entourait, une main enfouie dans ses longs cheveux châtains, l'autre pendant par-dessus l'accoudoir. Sur ses joues, les traces évidentes de larmes versées, et dans ses yeux, la douleur d'avoir perdu un être cher.

J'hésitai.

Je ne me sentais pas qualifiée pour m'interposer dans son deuil, et je savais que les mots qui me venaient pour mettre du baume à mon propre cœur ne seraient pas forcément adéquats pour celui de quelqu'un d'autre. Mais que ça me plaise ou non, le Scope Sylphe dont j'avais hérité me conférait une certaine responsabilité, et la fille avait l'air si misérable qu'au final je ne pus que m'approcher et m'asseoir à ses côtés. Toute autre action et je me serais sentie coupable, surtout avec Vanille qui couinait désespérément aux pieds de sa dresseuse sans que celle-ci ne l'entende. Si ça avait été moi affalée sur cette chaise, et le fantôme de Teigne en face, invisible, j'aurais voulu être mise au courant.

Je m'éclaircis la gorge et engageai donc la conversation :

- Ça fait toujours mal quand ils partent...

Pas géniale comme entrée en matière mais je pensais que ça valait mieux que : "Salut, y a le fantôme de ton Pokémon qui veut te parler". Je crus au début que la fille ne m'avait pas entendue car elle demeura immobile, ne bougeant pas d'un centimètre, mais elle finit par me répondre d'une voix éteinte au bout de quelques secondes :

- Même si ça fait un an... j'ai l'impression que c'était hier.

- Accident ? avançai-je à l'aveuglette.

Les épaules de la brune tressaillirent.

- C'est arrivé trop vite. Le Galopa a donné un coup de sabot dans la tête de Vanille, je n'ai rien pu faire... Et même au centre après ils m'ont dit que...

Elle ne termina pas sa phrase, ses derniers mots se perdant dans une respiration hoquetante, puis reprit après quelques secondes :

- Ce sont mes parents qui se sont occupés des démarches pour l'enterrer ici, moi je n'avais simplement pas le courage. Je ne l'ai toujours pas d'ailleurs, ajouta-t-elle en serrant les poings. Ça va bientôt faire un an et je ne suis même pas allée la voir une seule fois...

- Mais tu es là, pourtant, observai-je. Ça vaut pour quelque chose.

Elle secoua la tête, ses cheveux bruns formant comme un rideau qui me cachait son visage.

- Écoute, je sais ce que tu essayes de faire, mais... c'est pas la peine. Laisse-moi tranquille s'il te plaît.

- Et moi, je sais que ça va être difficile à croire, lui opposai-je sans vouloir la contrarier, mais Vanille est là, juste à tes pieds, et je crois qu'elle veut te parler. Heureusement, je peux le prouver.

J'ôtai le Scope Sylphe puis le lui tendis, ce qui me valut un regard incrédule de sa part alors qu'elle levait enfin les yeux vers moi.

- Qu... quoi ? balbutia-t-elle.

- Mets les lunettes, tu comprendras, l'encourageai-je.

La fille contempla le Scope Sylphe qui reposait sur ses genoux, et n'hésita pas longtemps avant de l'enfiler. Je vis soudain son visage se transformer du tout au tout alors qu'elle découvrait la présence de sa Pokémon.

- Vanille ? s'écria-t-elle d'une voix si empreinte d'émotions qu'elle en venait à craquer sous la pression.

Je ne doutais pas que la Feunard répondisse avec autant d'intensité. Désireuse de laisser un peu d'intimité à la dresseuse en deuil et à sa Pokémon, je m'éloignai, ne sortant néanmoins pas de la Tour. Combien de temps cela allait-il prendre pour que Vanille dise ce qu'elle avait à dire et puisse s'en aller, apaisée ? Je n'en savais rien. D'ailleurs, ce n'était peut-être pas du tout ce qui allait se passer - juste ce que je voulais qu'il se passe. Mais peut-être qu'au lieu de mettre les choses à plat et d'en ressortir l'esprit plus clair, la fille allait me voler mon Scope Sylphe pour s'enfuir avec. Je jetai un coup d'œil en arrière et vis qu'elle s'était agenouillée, sans doute face à sa Feunard. Même d'ici, à une dizaine de mètres de distance, les tremblements qui l'agitaient demeuraient percevables ; elle devait être en train de pleurer...

Bon, là c'était moi qui étais parano, décidai-je. Personne n'allait s'enfuir avec le Scope Sylphe. J'avais juste peur de le voir disparaître car il s'agissait de mon seul lien avec Teigne, voilà tout. J'avais déjà cru la perdre une fois, revivre cette expérience aurait relevé du cauchemar. Surtout que de son côté elle s'énerverait sans doute, frustrée de ne plus pouvoir communiquer avec moi. Et puis ce n'était pas comme si je pouvais aller demander à Giovanni de m'en filer un deuxième exemplaire... Autant que je sache, le Scope Sylphe était un objet unique, peut-être même un prototype d'ailleurs.

Et je le récupérerai d'ici peu.

Mettant mon inquiétude de côté, je résolus de régler mes propres affaires en attendant. Un passage à l'accueil et je pris les dispositions pour que les tombes de mes Pokémon soient personnalisées de façon appropriée. Le temps que j'explique en détails ce que je voulais et que je choisisse les bons mots à graver pour l'éternité dans le marbre, un gros quart d'heure s'était écoulé. Je remerciai la dame qui s'était occupée de noter mes demandes puis retournai voir où en était la dresseuse avec sa Vanille.

Réponse : nulle part, parce qu'elle avait disparu.

La rangée de chaises, vide, paraissait me narguer. Je fis un bref tour d'horizon du rez-de-chaussée qui ne révéla pas davantage de fille aux longs cheveux bruns. Une écharde de glace se planta au creux de mon ventre et se déploya en insidieuses corolles, distillant un malaise d'une vive réalité dans mon sang. Merde, merde, merde. Où était-elle passée ? Je ne voulais pas croire qu'elle m'avait piquée mon Scope Sylphe, pas alors que je m'étais dévouée pour lui venir en aide à elle et à son Pokémon. Mais le fait était qu'un objet telle qu'une paire de lunettes permettant de voir et d'interagir avec les fantômes devait avoir une valeur astronomique... tant au niveau monétaire que sentimental, ce second point ne m'étant pas étranger.

Ce n'est pas parce que c'est la première chose à laquelle tu penses que ça signifie que c'est la vérité,
me dis-je ensuite. Peut-être que...

Prise d'une inspiration soudaine, je me mis à monter les marches quatre à quatre tout en priant pour ne pas avoir tort. Il fallait que la brune soit au deuxième, sinon...

Un picotement me parcourut les jambes alors que j'atteignais le palier du premier étage : Teigne était dans les parages.

- T'inquiète ma grande, pas de quoi s'en faire, lui lançai-je.

Ma nuque me démangea soudain, la Colossinge devait m'avoir sautée au travers. Elle faisait beaucoup ça depuis qu'elle était revenue en fantôme, je supposais que ça correspondait à un "Singe" lorsque je n'étais pas en mesure de l'entendre.

- Tout ira bien, lui assurai-je encore, puis je gravis l'escalier suivant en accélérant de plus belle, débouchant à bout de souffle au deuxième étage.

Mon regard se porta aussitôt à l'endroit fatidique...

...et se posa sur une crinière de cheveux bruns.

Je soufflai. La glace qui s'était emparée de moi s'évanouit pour ne laisser que le soulagement, suivi de la satisfaction, douce et chaude, d'avoir aidé quelqu'un. La fille ne tremblait plus, ce qui me semblait bon signe. Alors que je m'approchais davantage, je la vis caresser la Pokéball enchâssée au creux de la tombe de Vanille d'un geste tendre. Puis elle se redressa, eut un hochement de tête presque imperceptible, et se détourna de la sépulture de sa Pokémon. Sa bouche esquissa ensuite un sourire lorsqu'elle m'aperçut.

- Merci, fut le premier mot qu'elle m'adressa lorsqu'elle m'eut rejointe.

- Y a pas de quoi...

- Pardon si je t'ai inquiétée, s'excusa-t-elle ensuite, un sourire brillant à travers les nouvelles larmes qui avaient séchées sur ses joues.

Faisant fi de mon souffle court et de mon état quelque peu déchevelée, je lui rendis son sourire.

- Le plus important c'est que tu aies pu parler avec ta Pokémon. Elle avait l'air d'avoir plein de trucs à te dire. Je crois qu'elle m'a engueulée tout à l'heure quand ma Colossinge lui a dit que je pouvais la voir.

- Ça lui ressemble oui... fit la dresseuse sans se départir de son sourire tremblotant. Vanille a toujours eu un fort caractère. Et elle est en paix, maintenant. Partie au paradis.

J'acquiesçai, heureuse de ce joli dénouement.

- Elles sont bien utiles ces lunettes, remarqua la brune en me rendant le Scope Sylphe. D'où est-ce qu'elles viennent ?

- J'en sais trop rien, on me les a donnés, lui répondis-je. Je pense qu'elles n'existent qu'en un seul exemplaire en tout cas, autrement on en aurait déjà entendu parler. (Je triturai la lanière qui permettait d'ajuster l'instrument avant d'ajouter, sur un coup de tête :) J'en ai encore besoin pour l'instant mais j'en ferai don à la Tour quand j'aurai terminé.

- Toi aussi tu as perdu des Pokémon ?

- Malheureusement...

La fille inclina la tête, avant de déclarer :

- Si je peux te donner un conseil : ne fais pas comme moi, ne te laisse pas dévorer par la culpabilité. Ça ne mène nulle part.

- Même si je suis effectivement responsable de leur mort ?

Là, je cherchais le bâton pour me faire battre... Mais c'était la plus stricte vérité - dans le cas de Teigne, au grand minimum. Ma question ne désarçonna pas pour autant mon interlocutrice, dont le faible sourire ne vacilla pas.

- C'est ta tête qui te dit ça, m'assura-t-elle, mais parfois, il faut prendre le temps d'écouter son cœur. Avec Vanille, ma tête me répétait "tu as failli en tant que dresseuse", mais grâce à toi j'ai pu m'ouvrir à mon cœur, et il m'a chuchoté "chéris les moments passés avec Vanille plutôt que de pleurer sa perte". Je ne sais pas si le tien a un message similaire à te faire passer, mais ça ne coûte rien d'essayer, pas vrai ?

Je ne répondis rien. Son conseil me semblait naïf et trop plein de bons sentiments, mais l'humeur de cette fille venait de faire un bond vers le positif et je ne voulais pas l'accabler.

- Merci encore pour ton aide, ajouta-t-elle.

Sur ces mots, elle m'adressa un ultime hochement de tête et s'engagea dans l'escalier. J'entendis ses pas décroître dans mon dos ; quant à moi je demeurai sur place, fixant les pierres tombales sans vraiment les voir. Mes jambes me picotèrent à nouveau et je souris. Teigne... Je m'apprêtai à me ré-équiper du Scope Sylphe lorsque la voix de Vivian résonna sur ma droite, éminemment sarcastique.

- Quête secondaire complétée, se moqua-t-il.

Il se tenait non loin de là, face à une tombe. Je ne voyais son visage que de profil mais il était clair qu'il souriait.

- Quoique ce soit exagérer l'importance de ce que tu viens de faire, continua-t-il. Pas une quête, plutôt une mission minime, simplement destinée à flatter l'ego du joueur. "Oh, que je suis gentille avec les PNJs, je mérite une médaille."

Il avait tenté d'imiter ma voix pour cette dernière phrase, ce qui avait donné un résultat plutôt pathétique.

- T'es sûr que t'as envie de m'antagoniser alors que t'as besoin de moi ? fis-je en m'approchant.

- Si la vérité te hérisse le poil, le problème vient de toi et non de moi, répondit-il, le regard toujours fixé sur la pierre tombale.

Je grognai.

- Tu sais que tu m'énerves profondément, lui appris-je.

- C'est ce que font les grands frères.

- J'en saurais trop rien, ça fait longtemps que j'en ai pas eu un, rétorquai-je, cherchant délibérément à l'énerver en retour.

Il ne mordit pas à l'hameçon, répliquant avec :

- Et d'ici très peu de temps, tu n'en auras plus du tout. Tu ne crois pas qu'on devrait essayer de s'entendre ?

- Non mais franchement... grognai-je de plus belle, ma bonne humeur s'évanouissant à la vitesse de l'éclair. T'as du culot de dire ça, avec tout ce que tu as manigancé et menti et manipulé ! Pourquoi tu m'as pas dit qui t'étais lors de notre première rencontre au Mont Sélénite, hein ? Pourquoi tu m'as pas expliqué ton plan direct, pourquoi tu m'as pas demandé mon aide ?

- Tu n'étais pas prête et tu aurais résisté à mes tentatives de te mettre un peu de plomb dans la tête. C'était mieux comme ça.

Je secouai la tête, désabusée. Les Roucools auraient des dents avant que je ne parvienne à faire entendre raison à Vivian. Et en parlant de raison, il devait y en avoir une qui le poussait à fixer cette tombe sans m'accorder un seul regard. Je m'approchai davantage jusqu'à être en mesure de lire le nom qui y était inscrit.

Majestée. Première du nom.


- Un de tes anciens Pokémon ? interrogeai-je.

- Pas vraiment. Allons-y, on a assez perdu de temps, ajouta-t-il ensuite.

Il se tourna complètement vers moi, et ce fut alors que je vis la marque sur sa joue. D'un violet jaunâtre, elle s'étalait presque complètement sur sa pommette gauche, jusqu'à frôler son œil. Ma bouche s'ouvrit sous le coup de la surprise. Vivian me sourit, ce qui mit en évidence sa lèvre fendue. Bon sang, il était bien amoché...

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je t'avais dit qu'on n'aurait pas besoin de tes "amis", c'est toi qui as insisté pour qu'ils viennent. Tu contemples le résultat.

Zack... réalisai-je avec un petit coup au cœur. Raaah. On s'était pourtant mis d'accord, qu'est-ce qui lui avait pris ?

- Où est-ce qu'il est ? voulus-je savoir.

- En train de t'attendre dehors avec l'autre PNJ, je suppose.

- Elle s'appelle Claire ! jetai-je par-dessus mon épaule alors que je dévalais déjà les escaliers.

Arrivée au rez-de-chaussée, je me dirigeai vers la sortie en quatrième vitesse. Mes amis m'attendaient juste à l'extérieur, assis sur l'un des bancs mis à la disposition du public, visiblement occupés à discuter. En me voyant arriver, la mine pensive de Claire fit place à de l'inquiétude et elle se leva brusquement.

- Y a un problème... ? demanda-t-elle alors que Néréa qui se tenait perchée en équilibre sur le banc lançait un "Singe" interrogateur.

- Laisse, indiqua Zack. C'est après moi qu'elle en veut.

Surprise, surprise, il paraissait n'éprouver aucun remord. Le regard qu'il leva sur moi était sérieux et décidé. Je lui opposai le mien, énervé et tout aussi décidé.

- Je t'ai bien dit que j'avais besoin de lui ! m'exclamai-je, notant que son visage à lui était exempt de toutes traces de coups. Qu'est-ce que tu fais à te servir de mon frère comme punching-ball ?

- Ah oui, tu m'as dit ça ? feignit d'avoir oublié Zack. On a parlé toute la nuit, c'était qu'une info parmi tant d'autres, et franchement pas une des plus intéressantes, elle a dû me sortir de l'esprit... Et, sérieux, Léa, ton frère est... (il hésita, jetant un coup d'œil à Claire) ...il n'est pas exactement un citoyen modèle, compléta-t-il, la phrase sans doute bien éloignée de ce qu'il avait véritablement en tête.

- Je sais, reconnus-je, ma colère descendant d'un cran face à ce rappel.

Je m'appliquai à ne pas regarder en direction de Claire, et priai pour qu'elle ne demande pas à en savoir plus. C'était la seule chose que j'avais omise de mon résumé lorsque je lui avais tout dit : les circonstances exactes de la mort de Léonard. La dresseuse blonde ignorait que nous comptions un meurtrier dans notre petit groupe. J'estimais qu'il n'était pas nécessaire qu'elle le sache. Zack, lui, était bien sûr au courant, quoique que je commençais à me demander si c'était vraiment grâce au journal télévisé comme il me l'avait auparavant affirmé, et pas à cause de Vivian qui le lui aurait dit, tout simplement. Ce n'était cependant pas le moment pour ce genre de réflexions.

- D'accord, dans un monde parfait, il devrait être derrière des barreaux, poursuivis-je d'un ton plus bas. Mais c'est compliqué. Et j'ai besoin de lui.

- C'est agréable de se sentir désiré, commenta Vivian depuis quelque part sur ma gauche.

- Je savais qu'on aurait pas dû les laisser seuls, soupira Claire. De vrais Colossinge, ces garçons...

Néréa approuva d'un "Colo !" énergique, balançant dans le même temps un coup de poing sur le banc qui grinça affreusement. Crabouille dut prendre ça pour une compétition car il frappa à son tour le pauvre objet, et Claire fut obligée d'intervenir avant que les deux Pokémon ne transforment leur malheureuse cible en petit bois.

Entre-temps, Zack s'était levé et m'avait gratifiée d'un hochement de tête formel.

- J'ai exprimé ce que j'avais à exprimer, le sujet est clos de mon côté, annonça-t-il.

- OK, répondis-je, décidant de me satisfaire de la situation actuelle.

Là non plus ce n'était pas l'idéal, mais tant que Zack et Vivian pouvaient se côtoyer sans que l'un ne saute à la gorge de l'autre, ça m'allait. De toute façon, d'ici demain tout serait terminé. L'état des choses pouvaient bien rester précaire du moment que ça fonctionnait. Il me vint ensuite à l'esprit que si Zack considérait cet incident comme classé, ce n'était peut-être pas le cas de mon frère... et ses représailles pourraient s'avérer hautement dangereuses. Je me tournai vers lui.

- Juste une précision : si tu touches à un seul des cheveux de Zack tu pourras toujours te brosser pour que j'aille affronter Mewtwo, établis-je d'une voix inflexible

- Joli bluff, me renvoya Vivian. Mais ne t'inquiète pas, ton PNJ préféré n'a rien à craindre tant qu'il ne t'empêche pas d'aller jusqu'au bout.

Je tiquai.

- Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?

- Juste qu'il est n°1 dans la liste des raisons qui pourraient te pousser à ne pas vouloir quitter ce monde. Je suis sûre que tu y as déjà pensé. Rester ici, avec lui... C'est tentant, non ?

- J'ai déjà fait mon choix, répliquai-je en montrant les dents. Je pars. Point final.

- Bien, conclut Vivian. Aucun problème à l'horizon, dans ce cas.

Les secondes qui suivirent furent silencieuses, personne ne prenant la parole. Claire regardait Zack, qui me regardait, tandis que Vivian, lui, semblait s'être complètement désintéressé de notre groupe et contemplait la Tour. Quant à moi, mes yeux faisaient la navette entre les trois personnes précédemment citées. J'avais du mal à croire que d'ici très peu de temps je ne reverrai plus jamais aucune d'elles. Ni Claire, qui retournerait dans sa famille à Safrania, ni Zack, qui continuerait à être dresseur de Pokémon bien que j'ai brisé son rêve, ni Vivian, qui vivait uniquement pour une victoire que j'aurais alors achevée. Et de mon côté, je reverrai mes parents, mes amis, je retournerai en cours au lycée comme si de rien n'était et je continuerai ma vie. Comme avant.

C'était ce que je voulais. Il n'y avait pas de futur pour moi ici. Juste un avenir où je pétais les plombs et dominais le monde en me servant de Mewtwo. Même si j'avais décidé de rester, je ne voyais pas comment éviter de devenir la Chieuse. Sa présence même prouvait que mon chemin était déjà tout tracé. À moins que je ne puisse créer un autre futur qui se substituerait à celui qu'elle représentait ? Me creusant la tête, j'essayais de me souvenir de comment ça marchait dans les films où il y avait des voyages dans le temps, avant de laisser tomber. Quoi qu'aient pu inventer les cinéastes, ça ne voulait rien dire vu que ça demeurait de la fiction. Et là, c'était la réalité. Ma réalité. Rien n'était garanti et prendre le risque de devenir la Chieuse au nom d'un futur bonheur avec Zack me semblait bien trop dangereux.

Je venais d'arriver à cette conclusion déprimante et qui me confortait dans ma décision de partir lorsque Claire éleva la voix :

- Dites, je sais pas pour vous, mais moi je meurs de faim.

- Ouais, pareil, renchérit Zack.

Je dus reconnaître que j'étais dans le même cas : les deux croissants de ce matin me paraissaient très loin et mon ventre réclamait d'être nourri.

- Vous connaissez un bon resto dans le coin ? demandai-je à la cantonade. J'ai trop faim pour me contenter des sandwiches de la cafèt du centre Pokémon.

- En ce cas, je sais exactement où aller, déclara Vivian, se détournant de la Tour pour daigner s'intéresser à nouveau à nous. Et c'est moi qui invite.

- Trop gentil, vraiment, railla Zack.

- Rien n'est trop beau pour le dernier repas de Léa, rétorqua mon frère avec un sourire en coin.

Dernier repas.

Ces mots demeurèrent longtemps suspendus dans l'air, et je soupçonnais qu'ils y flottaient encore bien après que la téléportation de l'Hypnomade de Vivian nous ait fait quitter Lavanville.

***

Azuria.

Azuria où se cachait Mewtwo.

Azuria où j'allais vivre mes derniers instants en ce monde.

Azuria où nous étions pour l'instant tous les quatre attablés à la terrasse du Ponyta Fringant, occupés à déguster les meilleurs desserts que j'ai jamais eu l'occasion de voir. Et ils étaient aussi bons qu'ils étaient beaux, du moins en ce qui concernait ma gaufre fourrée au chocolat accompagnée d'une montagne de chantilly. Zack avait pour sa part choisi un gâteau à base de pâte à choux surmonté de crème pâtissière, le tout nappé de caramel, tandis que Claire se régalait avec ses profiteroles au chocolat chaud, et Vivian, lui, avait commandé un assortiment de tuiles arrosées d'un coulis de fruits rouges et assorties d'un boule de sorbet à la fraise des bois. Après un repas aussi copieux que divin, c'était la proverbiale cerise sur la gâteau.

Je mordis une fois de plus dans ma gaufre, savourant la douceur de la chantilly et la saveur explosive du chocolat, puis portai mon regard sur le jardin du restaurant, spécialement aménagé pour que les Pokémon des dresseurs puissent s'y prélasser et manger eux aussi à leur faim. Nos petites bestioles avaient également eu droit à un véritable banquet : croquettes se déclinant en mille saveurs, pâtées de toutes sortes, mini friandises en forme d'étoiles ou de nuages, rien n'était trop beau. Tout ça était servi dans de grands bacs, et à volonté. Il y avait même une espèce de mousse genre barbe à papa en plus liquide, un met dont Pleind'Soupe semblait raffoler car il s'en était littéralement rempli, vidant deux bacs complets avant d'aller somnoler au fond du jardin. Heureusement que c'était Vivian qui payait, autrement je me serais retrouvée sur la paille.

Contrairement à nous qui entamions à peine le dessert, nos Pokémon avaient déjà fini depuis belle lurette et à présent, rassasiés, ils jouaient ou discutaient, se mêlant avec les Pokémon des autres personnes présentes ce jour-là dans le restaurant. Salade conversait avec un ou une Herbizarre, Plouf se prélassait dans l'un des grands bassins d'eau en compagnie du Léviator de Zack et d'une tripotée d'autres Pokémon aquatiques, Pleind'Soupe ronflait sans bouger d'un poil depuis qu'il avait fini son repas, et Vésuve, Néréa, et Crabouille s'amusaient entre eux, un jeu qui incluait également Teigne car les trois Pokémon bourrins se passaient régulièrement le Scope Sylphe, chacun l'équipant à son tour, tout cela sous le regard bienveillant de Patate. Je ne voyais Fulgure nulle part, ce qui me faisait penser qu'il devait être en train de voler quelque part au-dessus de nos têtes. Peut-être était-il accompagné du Roucarnage de Zack, car lui non plus n'était pas en vue. En ce qui concernait le reste de l'équipe de mon cher rival, Alakazam semblait plongé dans une intense séance de méditation, le Noadkoko, lui, discutait avec deux Noeunoeuf, et son Dracaufeu faisait un concours de production de flammes avec la poignée d'autres Pokémon de type feu présents dans le jardin.

En bref, c'était un moment de détente pour tous - excepté les Pokémon de Vivian bien sûr. Lorsque, dès le début du repas, je lui avais suggéré qu'il aurait également pu les faire sortir, mon frère m'avait jeté un regard désapprobateur avant de m'opposer un refus catégorique.

- Je ne connais même pas ton équipe, avais-je argumenté. Et tu ne crois pas que ça leur ferait plaisir de respirer un peu d'air frais au lieu de rester enfermés dans leurs Pokéballs ?

- Ce sont des instruments, Léa, pas des joujous, m'avait-il répondu.

Ça avait jeté un froid, et en quelque sorte donné le ton pour le reste du déjeuner, du moins en ce qui concernait les interactions avec Vivian. De manière générale, la conversation avait tout de même été réduite, et pas très variée. C'était surtout Claire qui s'était exprimée, nous racontant ses projets, notamment les études qu'elle comptait faire afin de devenir journaliste, et son envie un peu folle de devenir éleveuse de Colossinge. Zack était demeuré plutôt silencieux, si ce n'avait été pour poser quelques questions. Je supposais que savoir que la fin arrivait était difficile à encaisser pour lui. De mon côté, je m'efforçais de parler, car ça me distrayait et j'étais déterminée à profiter du moment. Et tant pis si mon frère restait muet comme une tombe...

Le repas n'avait été dérangé qu'à une seule reprise, par un coup de fil d'une femme qui avait dit travailler pour le Conseil des Quatre, et m'avait expressément demandé de revenir au Plateau Indigo pour la cérémonie célébrant ma victoire. Je l'avais rembarrée sans ménagement, avant de raccrocher, sans plus me préoccuper de cette histoire. Pas mon problème du tout. Ils pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient de moi, mon seul objectif à présent s'appelait Mewtwo. Paradoxalement, plus on s'approchait de l'affrontement et plus j'étais impatiente. Mon futur proche se trouvait en permanence au-devant de mes pensées, et j'avais hâte d'y être, hâte d'en avoir terminé. Pourtant, cela signifiait aussi que j'allais devoir dire adieu à Zack, à mes Pokémon, et à Claire. Ça, ça promettait d'être très douloureux. En conséquence, je désirais faire ça vite, comme on arrache un pansement, d'un seul coup net et brutal. Une coupure vive me serait certainement plus bénéfique que de longs adieux larmoyants. J'essayais également de ne pas trop m'imaginer la scène : ça arriverait lorsque ça arriverait, et voilà tout.

Pour le moment, j'étais occupée à me régaler de la meilleure gaufre de tous les temps, et je comptais bien lui faire honneur en la dévorant totalement. Je ne devais pas être la seule à vouloir profiter de mon dessert, car depuis que nous avions entamé cette partie du repas, la conversation avait laissé place au silence. Finalement, Claire lâcha quand même une phrase alors qu'elle avait déjà englouti la moitié de ses profiteroles :

- Ch'est trop bon, hein ?

Je répondis d'un hochement de tête vigoureux.

- Délichieux, ajoutai-je ensuite, enthousiaste.

Nous reprîmes notre dégustation de concert.

- Bon, si ça ne tente personne je vais le faire, déclara soudain Zack de façon plutôt abrupte.

- De quoi ? demanda Claire

Je me demandai si elle faisait semblant histoire de prolonger l'illusion que tout était parfait, ou bien si elle n'avait vraiment pas saisi le sens de la phrase de Zack.

- Parler de la suite, précisa ce dernier.

Il dévisagea Vivian, assis juste en face de lui. Je détectais toujours de l'hostilité dans son expression, cette hostilité que je n'avais remarquée qu'une fois qu'il l'avait ouvertement exprimée, mais il y avait aussi autre chose. Un genre d'expectative calculée, comme si mon frère détenait la clef d'un mystère dont Zack désirait ardemment la réponse. De son côté, Vivian n'avait pas l'air de vouloir coopérer : il continua à manger son sorbet sans même lever le regard sur Zack.

- Alors, c'est quoi la stratégie ? insista ce dernier, après avoir lâché une sorte de grognement en provenance du fond de sa gorge.

- La stratégie ? répéta mon frère, daignant enfin regarder Zack.

- Contre Mewtwo.

- Intéressant de voir que tu poses la question à moi et non à Léa, remarqua Vivian avec un sourire amusé. Tu ne lui fais donc pas confiance ?

- Bien sûr que si, répliqua Zack. Mais considérant que tu as affronté Mewtwo auparavant, je me disais que tu devais avoir quelques idées sur la meilleure approche à adopter. Apparemment je me suis trompé, et tu nous seras pas plus utile qu'un Magicarpe sur ce point.

Mon frère repoussa son assiette qui contenait encore une boule de glace, puis croisa les bras.

- En l'occurrence, ce que je pense n'a aucune importance, décréta-t-il. C'est Léa la joueuse, c'est donc elle qui doit prendre en charge cette partie-là. La victoire ne peut venir que par elle.

Vivian, ou l'art de savoir mettre la pression...

- OK, alors Léa, qu'est-ce que tu préconises ? m'interrogea Zack en pivotant tout naturellement vers moi.

J'avalai ma dernière bouchée de gaufre avant de répondre :

- On y va tous ensemble. Nos Pokémon les plus solides en première ligne afin d'encaisser les coups de Mewtwo et de concentrer son attention tandis que les plus rapides attaquent puis battent en retraite sans lui laisser le temps de riposter. Alakazam s'occupe des soins, et on bourrine Mewtwo.

- Jusqu'à ce qu'il meurt ? intervint Claire.

Je hochai la tête résolument. La blonde se mordilla la lèvre, l'air indécise.

- Mais il ne nous a rien fait, ce Pokémon... murmura-t-elle sans me regarder.

- Il a tué des gens, lui rappelai-je, même si c'était y a longtemps. Il est dangereux... Pour l'instant il a l'air de se tenir tranquille, mais vu son potentiel je dirais que notre action est préventive. Et puis de toute façon c'est la seule solution pour que je rentre chez moi.

- Et si tu restais ? proposa la blonde d'un ton léger.

Seul le silence lui répondit. Un long moment de flottement que je finis par briser.

- Claire... Je suis désolée, mais il faut vraiment que je parte. Tu sais pourquoi.

- Parce que ta famille te manque, qu'on est pas réels et que t'as peur de devenir ton futur toi bizarre ? résuma la blonde. Je crois que j'ai compris, ouais. Mais ce que t'as oublié de considérer dans ton équation, c'est tout le bien qui pourrait arriver si tu restais. Le futur n'est pas écrit dans la pierre, tu ne peux pas être sûre que tu deviendras la Chieuse, et oui ta famille te manquera, mais tu pourrais en fonder une autre ici, et...

- Arrête.

Cet unique mot ne venait pas de moi, mais de Zack, et il avait été prononcé avec une extrême fermeté.

- Léa veut partir, alors elle partira, poursuivit-il. Et pour Mewtwo, ce n'est pas si différent de n'importe quel affrontement avec des Pokémon sauvages. Combien sont morts sous les coups de tes deux brutes ?

- Ce n'est pas pareil, se défendit Claire. Je n'ai jamais demandé à Crabouille ou à Néréa de spécifiquement les tuer. Là, ce que vous prévoyez, c'est une exécution planifiée. Je ne...

- Et bla bla bla, et ouin ouin ouin, la coupa Vivian sans ménagement. Franchement Léa, je préférerais que ce ne soit que toi et moi. Ces PNJs ne sont bons qu'à nous faire perdre notre temps.

La blonde fixa mon frère d'un regard où se lisait une certaine exaspération, mais choisit pourtant de ne pas lui répondre, se concentrant à la place sur ses profiteroles dont elle reprit la dégustation.

- Ce ne sera pas un combat facile, déclara ensuite Vivian, nous ramenant sur le sujet d'origine. Mewtwo est l'obstacle final, et il le vaut bien.

- On pourrait pas le capturer pour ensuite le tuer ? demanda Zack. Y aurait moyen de s'épargner un gros combat si on arrivait à le mettre dans une Pokéball vite fait...

- Peu probable, estima mon frère. Mewtwo est du même acabit que les trois oiseaux légendaires, leur taux de capture se situe désespérément bas.

Zack eut un grognement ; il devait se rappeler de son échec face à Sulfura. Moi, je réfléchissais.

- Ça ne colle pas, constatai-je finalement. À chaque fois que j'ai rencontré un obstacle, le jeu m'a fourni les moyens d'avancer. Je ne vois pas pourquoi ce serait soudain différent en ce qui concerne Mewtwo.

Il y eut un silence hautement suspect du côté de Vivian. Je le fixai impitoyablement du regard.

- Allez, crache le morceau.

- Effectivement, il y a bien un outil censé faciliter la capture de Mewtwo, reconnut mon frère, mettant un accent tout particulier sur le mot "capture". La Masterball donnée par le président de la Sylphe SARL, qui peut capturer n'importe quel Pokémon sans faille. Mais je ne suis pas sûr que le jeu considère comme une victoire le fait de battre Mewtwo de cette façon. En fait, j'en doute même fortement. Et considérant que nous ne disposons que d'une seule chance...

À peine le terme de Masterball avait-il été prononcé que je m'étais mise à fouiller dans mon sac. J'en sortis la ball frappée d'un M stylisé et la posai sur la table. Une Pokéball ultime qui garantissait la capture à coup sûr...

- Ce sera en dernier recours, alors, fis-je en la contemplant.

Au cas où tous mes Pokémon seraient vaincus et je me trouverais moi-même sur le point de mourir. Je n'exprimai pas cette possibilité à voix haute, mais elle avait sans doute envahi l'esprit de chacun. Je n'avais plus qu'à faire en sorte qu'elle demeure lettre morte.

- Mais au fait, qu'est-ce que tu as fait de ta Masterball à toi ? ajoutai-je en me souvenant que Vivian avait dû passer par des événements identiques à ce que j'avais vécu.

Le regard de mon frère s'assombrit.

- Je n'ai pas eu l'occasion de m'en servir. Je l'ai perdue bien avant d'arriver face à Mewtwo.

- Comment ça, perdu ? m'étonnai-je.

- Comme on perd la plupart des choses, répondit Vivian sans que cela ne m'avance des masses. Un jour, elle était là, le lendemain, non, précisa-t-il. J'ai eu le temps de beaucoup réfléchir à ce que j'avais fait cette journée-là, et j'en ai conclu qu'elle a dû glisser hors de mon sac.

Ça aussi, ça me paraissait suspect... J'étudiai son visage en conséquence, cherchant à déceler une trace d'un quelconque mensonge, mais comme d'habitude avec mon frère, impossible de parvenir à une conclusion définitive en la matière.

- J'imagine plus qu'on te l'aurait volé, en fait... émit pensivement Zack.

- Ce n'est pas quelque chose qui est censé se produire, répliqua Vivian. Impossible que ce soit le fait d'un PNJ, surtout que je n'en avais parlé à personne. Il ne demeure donc que la possibilité d'une erreur de mon fait.

- Oui, confirmai-je, personne me l'a volée, moi... Et j'y ai même pas fait particulièrement attention, j'avais même oublié que je l'avais, à vrai dire.

- T'es juste plus douée que ton frère, Léa, c'est tout, marmonna Claire.

Sa remarque tira un éclat de rire à Vivian.

- Un compliment de qualité de la part d'une PNJ avec deux Pokémon miteux...

Claire se leva d'un bond, les pieds de sa chaise raclant horriblement contre le sol.

- Ah non ! gronda-t-elle. Tu peux dire toutes les horreurs que tu veux sur moi, mais tu laisses mes Pokémon tranquilles !

- Aurais-je touché un point sensible ? s'amusa mon frère. Tu es consciente bien sûr que Mewtwo ne fera qu'une bouchée de tes boules de poils ? Ils mourront à la seconde où ils sortiront de leurs Pokéballs.

- Vivian, ça suffit ! m'exclamai-je.

Le visage de Claire avait blanchi ; elle serrait les poings en fixant mon frère du regard. Cependant ce n'était plus de la rage qui transparaissait dans ses yeux, mais de la peur.

- Je te rends service, sœurette, répliqua mon frère. J'arrache la mauvaise herbe avant qu'elle ne t'affaiblisse.

- La ferme ! lui lançai-je. Claire, ne l'écou...

Mais avant que j'ai pu finir ma phrase, la blonde avait tourné les talons et s'était enfuie. Je la poursuivis, abandonnant sur place Zack comme mon frère. Le premier savait très bien se débrouiller tout seul, et il fallait que je répare les dégâts causés par le second. Vraiment, quelle bonne idée j'avais eu d'avoir recherché la compagnie de mon frère... Il était tellement charmant.

Claire fila droit vers les toilettes tandis que je lui collais au train. Une blonde qui courait VS une brune qui marchait assez vite, résultat elle était en train de me semer. Dans mon empressement à rattraper mon amie, j'accélérai et, dans le sprint final, bousculai sans faire exprès une vieille dame qui revenait des toilettes.

- Mince, pardon ! m'excusai-je en me penchant pour ramasser son sac à main qu'elle avait lâché à cause du choc. Vous allez...

Le "bien" resta coincé dans ma gorge, car il ne s'agissait pas de n'importe quelle vieille dame.

- Allons, rien de bien grave, me rassura la mamie de Léonard.

Elle me sourit gentiment tout en me tapotant la main, puis demanda :

- Comment vas-tu, ma petite Léa ?

- Ça va, lui répondis-je en m'efforçant de lui sourire en retour. La vie continue, vous savez...

Dès l'instant où ces mots quittèrent ma bouche, je craignis qu'elle ne les prenne mal, et ne voit en moi quelqu'un de sans cœur, quelqu'un qui avait déjà oublié Léonard. Mais si son sourire se voila effectivement, elle ne parut pas me tenir rigueur de ma phrase maladroite, acquiesçant même à mes propos.

- Oui... Et ce bêta de Léonard, qu'Arceus garde son âme, n'aurait pas voulu que tu restes à te morfondre sur son sort sans avancer... Quoi qu'il en soit, je suis heureuse de voir que tu n'as pas perdu le goût de vivre. Les premières semaines ont été très dures pour Eilie.

- Elle est ici avec vous ? demandai-je en scannant rapidement la salle des yeux à la recherche de la petite fille blonde.

- Elle s'est mise en tête de devenir une grande dresseuse Pokémon, un rêve que Léonard avait poursuivi durant quelques temps, m'informa la mamie. Il y a une semaine, nous étions à Argenta, où elle a affronté le champion d'arène Pierre et gagné son premier badge. À présent c'est au tour de cette Ondibe.

- Ondine, plutôt, la corrigeai-je avec un sourire alors que je repérai finalement Eilie, assise sagement sur sa chaise à l'autre bout de la pièce.

- C'est ça ! répliqua énergiquement la mamie. Je crois d'ailleurs que ça lui ferait plaisir de te parler un peu. L'autre jour elle me posait des tas de questions sur Bulbi, et moi je n'y connais pas grand chose aux Pokémon mis à part les Miaouss... Je lui ai dit que tu pourrais sûrement répondre à ses interrogations, mais impossible de remettre la main sur ton numéro de téléphone. Alors j'ai envoyé une lettre au Plateau Indigo.

Première nouvelle : apparemment le champion pouvait recevoir du courrier directement. C'était logique après tout, mais encore un aspect des choses qui m'avait totalement échappé et qui ne présentait aucun intérêt pour la suite de mon parcours. Aider une petite fille à réaliser son rêve, ça, par contre, c'était dans mes cordes.

- Ça me ferait très plaisir aussi de parler à Eilie, déclarai-je donc. Si vous pouviez lui dire que j'arrive, il faut que je passe aux toilettes d'abord.

La mamie hocha la tête avant de s'en retourner vers la table où l'attendait sa petite-fille. Quant à moi, je m'engouffrai dans les toilettes pour remonter le moral d'une autre blonde. Opération "défaire les conneries de Vivian" venait de commencer. (Quoiqu'à la réflexion, la moitié de ce que j'avais fait dans le monde Pokémon depuis mon arrivée se qualifiait également pour cette terminologie.)

Lorsque j'entrai, je vis que Claire, penchée sur l'un des lavabos, était occupée à se passer de l'eau sur le visage. Un geste qu'elle recommença deux ou trois fois avant de finir par se redresser. Nos yeux se croisèrent alors dans le miroir. Les siens étaient gonflées : elle avait dû pleurer. Un soupir m'échappa.

- Claire, tu sais que mon frère raconte que des...

- C'est quoi son problème ? me coupa-t-elle abruptement.

- C'est un connard, résumai-je.

Elle renifla, replaça quelques mèches folles derrière ses oreilles, puis souffla un grand coup.

- OK, donc je dois pas le prendre pour moi ? Parce qu'il pense que notre monde n'est qu'un jeu, et donc que personne n'est vraiment réel à part toi et lui ?

- En gros. Il est aussi totalement obsédé par la victoire sur Mewtwo, à un point tel que rien d'autre n'a d'importance. Même moi, il ne me voit que comme un instrument, tu sais. Et il m'a fait du mal aussi, mais je tolère son aide parce que sans lui je suis coincée ici...

Des phrases amères, mais qui portaient tout le poids de la vérité.

- Fait du mal ? releva Claire avec une grimace. Comment ça ? C'est vrai que vous n'avez pas trop l'air de vous entendre, mais s'il a tant besoin de toi, ça n'aurait pas vraiment été dans son intérêt de te maltraiter, non ?

Je ne pus m'empêcher de rire.

- Si seulement... fis-je ensuite, d'une voix qui sonnait désabusée à mes propres oreilles. Non, mon frère se fout pas mal de mon bien-être. Il s'est mis en tête qu'il devait "m'endurcir", autrement selon lui j'échouerais face à Mewtwo. Et pour ça, il m'a menacée, il a cherché à tuer mes Pokémon, et il a...

Mon hésitation poussa Claire à s'avancer vers moi.

- Il a quoi ? interrogea la blonde, ses yeux verts attentifs et légèrement écarquillés.

- Il a tué un de mes amis.

Elle porta une main à sa bouche tandis qu'une expression choquée s'inscrivait sur son visage. Puis le choc fut bien vite remplacé par le dégoût et la colère.

- Comment tu peux même supporter de le côtoyer ? demanda-t-elle d'un ton qui mêlait les émotions précédemment citées et une sorte de compassion à mon égard.

- Ce n'est pas de gaieté de cœur, répondis-je, passant à mon tour mes mains sur mon visage. Juste que j'ai pas le choix, comme je te l'ai dit.

La blonde se mordit la lèvre, l'air d'hésiter entre deux options. Ou peut-être plus, je n'en savais. J'attendis en silence qu'elle fasse son choix, quoi qu'il soit. Finalement, elle poussa un long soupir et recula pour s'appuyer contre le lavabo.

- Il... il devrait être en prison, décréta-t-elle.

- Et tu pourras aider à l'y mettre dès que je serai partie, acquiesçai-je.

Avant d'ajouter, bien que je n'en ai nulle envie :

- Ou sinon, si ça te pose problème... tu n'es pas obligée de venir, tu sais. On peut se dire au revoir dès maintenant. Je ne t'en voudrais absolument pas.

- Non, je reste, trancha la blonde avec un mouvement affirmé de la tête qui fit voltiger ses deux nattes. C'est pas ta faute si ton frère est un psychopathe, on ne choisit pas sa famille. Mais après, quand tout ça sera fini, il ira en prison. Je m'en assurerai.

Je lui souris, la remerciant silencieusement. Après avoir essuyé une dernière fois ses yeux, Claire me rendit mon sourire, puis se détacha du lavabo d'un brusque mouvement.

- On y retourne ? proposa-t-elle.

- Il faut que j'aille parler avec une petite fille qui a besoin de mes conseils avant, l'informai-je.

- OK, donc j'informe les garçons que tu nous rejoindras après, et j'en profiterai pour finir ta gaufre, me taquina-t-elle alors que nous ressortions des toilettes.

- Il doit même pas rester une bouchée, mais fais-toi plaisir ! m'amusai-je.

Nous nous séparâmes sur ces mots, et je me dirigeai vers la table d'Eilie et de sa grand-mère. À la réflexion, réalisai-je, je ne connaissais même pas le prénom de cette dernière. Il faudrait que je me renseigne...

- Regarde, ma chérie, je t'avais dit que Léa viendrait répondre à tes questions, dit la mamie sans nom lorsque je parvins à leur hauteur.

- Salut Léa ! m'accueillit Eilie d'une petite voix excitée. Tu sais, j'ai plein plein de trucs à te demander ! Déjà, est-ce que c'est normal que des fois, quand j'touche les lianes de Bulbi, elles bougent toutes seules ? Et puis entre Tranch'herbe et Fouet Lianes, c'est laquelle des deux attaques la mieux si Bulbi ne peut pas voir son adversaire ? Et à ton avis, quand est-ce qu'elle va évoluer en grosse Florizarre ?

Et boum, prends-toi ça dans la tête, Léa.

- Hum, fis-je, à moitié assommée par le déluge de questions, souriant malgré tout car l'enthousiasme de la petite fille était contagieux.

- Alors alors ? m'encouragea Eilie, s'avançant sur sa chaise jusqu'à ce que ses coudes trempent presque dans les restes de sa mousse au chocolat qui s'était déversée dans son assiette.

- Oui, c'est normal que parfois tu aies l'impression que les lianes de ta Pokémon bougent de leur propre volonté, commençai-je, décidant de prendre chaque question à bras-le-corps. Ça me fait la même chose avec Salade, je n'en suis pas sûre mais je pense qu'il s'agit de petits mouvements involontaires de leur part, comme chez nous quand on a nos muscles qui tressaillent indépendamment de notre volonté.

- C'est pas dangereux ? s'enquit la fillette d'un air inquiet.

- Pas du tout, lui assurai-je. Rien de plus naturel.

- D'accord... souffla-t-elle, visiblement soulagée.

- Tu vois, je t'avais bien dit qu'il n'y avait pas lieu de se faire tout ce sang d'encre, intervint sa grand-mère d'une voix douce.

Eilie hocha la tête, toujours concentrée sur moi.

- Tu sais que c'est le signe des très bons dresseurs que de s'inquiéter pour ses Pokémon et d'en prendre le meilleur soin possible, lui dis-je en lui faisant un clin d'œil, ce qui la fit sourire immédiatement. Ensuite, repris-je, pour ta deuxième question, j'aurais tendance à dire que Tranch'herbe serait plus efficace, car les feuilles se déploient sur un plus grand rayon d'action que les lianes, surtout que Bulbi n'en a encore que deux de disponibles à ce stade. Mais il peut y avoir des cas de figure où Fouet Lianes serait plus avantageux, par exemple si Bulbi est acculée ou si tu es certaine que l'adversaire sera vaincu à l'issue de cette attaque.

Nouveau hochement de tête de la fillette ; ses sourcils se fronçaient tandis qu'elle réfléchissait.

- Et pour ta troisième question, continuai-je, en ce qui me concerne Salade a évolué après le quatrième badge, alors que je descendais vers Parmanie pour aller affronter Koga.

- Oh, c'est dans longtemps, se désola Eilie. J'ai juste un badge pour le moment.

- C'est déjà énorme pour quelqu'un de ton âge, la félicitai-je. Mais d'ailleurs, réalisai-je avec retard, il n'y a pas d'âge minimum pour faire le challenge de la Ligue ?

Sachant que les dresseurs étaient censés partir sur les routes en solitaire, je trouvais plutôt étrange qu'on autorise une gamine de six ans à s'adonner à ce genre de pratiques. Non, en fait, ça ne devait même pas lui être physiquement possible... J'avais déjà eu du mal à me faire à la vie en plein air, j'avais souffert en marchant des kilomètres et des kilomètres, et je m'étais obstinée à m'acheter des sandwiches par paquet de six à chaque centre Pokémon car je ne me sentais pas capable de cuisiner au feu de bois. Alors imaginer qu'une fillette de six ans doive faire tout ça...

Ce fut la mamie d'Eilie qui me fournit la clef de l'énigme :

- L'âge normalement requis est de dix ans, mais Eilie a obtenu une dérogation spéciale, tant qu'elle reste sous la supervision d'un adulte. Je l'accompagne pour les deux premières arènes, puis l'un de ses cousins prendra le relais.

Il s'agissait donc d'un cas exceptionnel. En même temps, je n'étais pas trop surprise : avec un père PDG de la Sylphe SARL, normal que la petite fille ait droit à quelques faveurs pas très réglementaires.

- Moi et Bulbi, on ira jusqu'au bout ! clama Eilie en frappant la table de son petit poing. Je ferai comme toi, Léa, je deviendrai championne. Comme ça Nanard sera fier de moi...

Elle était donc là, la raison de ce soudain enthousiasme pour le challenge de la Ligue. Une petite sœur qui voulait marcher dans les pas de son grand frère, qui avait lui-même auparavant échoué sur ce chemin. Merci monsieur le Destin, j'avais ma dose d'ironie pour la journée.

- Je suis sûre qu'il est déjà très fier de toi, assurai-je à la fillette, et qu'il te soutient depuis là où il est.

Le sourire qui illumina son visage parvint presque à noyer la petite voix qui proclamait en boucle au fond de ma tête "c'est de ta faute s'il est mort".

- Tu viendras nous voir demain matin pour notre combat contre Ondine ? demanda ensuite la fillette.

Il y avait une telle excitation dans sa voix que je sus dès l'instant où elle me posa la question que j'allais y répondre par l'affirmative. Mon frère attendrait, Mewtwo attendrait, ce putain de jeu attendrait... J'allais m'offrir une rallonge le temps d'encourager pour un combat une petite fille qui avait elle aussi perdu son grand frère, mais qui contrairement à moi pouvait prétendre à une vraie vie dans le monde des Pokémon, et à un titre de championne qu'elle conserverait plus d'une poignée de jours.

- Tu peux compter sur moi, je serai présente, lui promis-je donc.

Eilie sourit à nouveau, l'expression de son visage la rendant totalement radieuse, et je sus sans aucun doute possible que j'avais fait le bon choix. Ma jauge de bonne humeur au max, je rendis son sourire à la fillette. Qui vacilla aussitôt lorsque j'aperçus, derrière elle, la personne qui s'approchait de la table. Mon frère ne pouvait-il donc pas rester en place une seconde ?

- Présente où ? me demanda-t-il à peine arrivé, avec l'air de conduire un interrogatoire.

- Dans l'arène d'Azuria, demain matin, pour encourager Eilie lors de son match contre Ondine, répliquai-je avec la désinvolture de quelqu'un qui n'a rien à se reprocher.

- Vraiment.

Le mot pesait trois tonnes, et je savais que Vivian espérait me voir ployer sous la charge. Pas de bol, frérot. La Léa docile, c'était fini. J'affrontai son regard sans broncher, tout en déclarant :

- Je remets tu sais quoi à demain après-midi, date à laquelle je serai 100% déterminée à accomplir la tâche. Et ce n'est pas négociable.

- Oh, j'ai bien quelques idées d'actions susceptibles de te faire changer d'avis, contra aimablement mon frère.

- Essaie, pour voir, le défia une nouvelle voix.

Zack paraissait totalement calme lorsqu'il s'avança face à Vivian, mais je sentais confusément qu'en son for intérieur, il en était tout autrement. Du pur Zack, de ne rien montrer de ses émotions jusqu'au dernier instant, où en général, il explosait. Mon frère ne recula pas d'un pouce face à la menace semi-explicite, et un sourire limite malsain tordit ses lèvres. Je vis les poings de Zack se serrer en réponse. Non, non, non, on n'avait vraiment pas besoin d'une bagarre entre ces deux-là. J'étais en train de me lever avec l'intention de me placer entre mon frère et mon petit ami afin de faire tampon lorsque la mamie d'Eilie s'enquit tout à coup :

- Et qui sont donc ces charmants jeunes hommes ?

La question eut le formidable effet de complètement faire s'évanouir toute la tension d'un coup, comme une aiguille crevant un ballon de baudruche. Vivian grimaça, puis se détourna, Zack quant à lui se passa la main dans les cheveux avant de hausser les épaules. Merci super Mamie. Je saisis l'occasion au vol et fis rapidement les présentations, notant au passage avec soulagement que l'identité de Vivian en tant que meurtrier de Léonard n'était apparemment pas chose connue. Zack avait donc bien dû être au courant car Giovanni le lui avait dit, comme je l'avais soupçonné lors de notre rencontre au Manoir de Cramois'île. C'était toujours agréable de constater que l'on avait raison sur tel point, même si c'était plutôt tardif et qu'au final, ça ne changeait plus rien.

- Hé bien, enchantée de faire votre connaissance ! s'exclama la grand-mère.

Vivian l'ignora totalement, tandis que Zack se contenta d'un sobre hochement de tête.

- Ma petite Léa, continua-t-elle en observant Zack d'un air approbateur, je crois que Léonard aurait approuvé de ton choix en matière d'époux ! Il m'a l'air bien solide, et avec le mélange de vos gènes, vos bébés auront des cheveux magnifiques !

- Euh, oui... marmonnai-je.

Cette fois, je ne voyais rien de drôle dans ses remarques orientées bébés, car elles me rappelaient douloureusement que rien de tout ça ne serait jamais possible avec Zack. Vu la tête qu'il faisait, il devait d'ailleurs avoir un goût similairement amer en bouche.

Suite à ça, personne n'avait grand chose d'autre à dire, et après avoir échangé quelques banales plaisanteries avec la mamie, je pris congé de cette dernière et d'Eilie, ajoutant un "À demain" complice à l'adresse de la fillette. Nous revînmes ensuite vers Claire, qui observait pensivement ses Pokémon jouer sur la pelouse en contrebas.

- J'en ai profité pour finir tous vos desserts ! se vanta la blonde avec amusement lorsqu'elle vit que nous étions de retour.

- Espèce de goinfre, lui renvoyai-je amicalement.

Je me rassis sur ma chaise, plus par pure paresse qu'autre chose car je savais qu'il allait falloir que je me lève d'ici peu. Zack posa ses deux mains sur le dossier de la sienne et s'y appuya ostensiblement, tandis que Vivian restait debout. Je m'attendais à ce que l'un ou l'autre prenne la parole, mais ils demeurèrent tous les deux silencieux, et ce fut Claire qui posa la question attendue :

- Qu'est-ce qu'on fait ensuite ?

- Puisque Léa a arbitrairement décidé de prolonger son séjour jusqu'à demain, je suggère d'utiliser le temps restant pour peaufiner l'entraînement de l'équipe, émit Vivian.

Double réaction de la part de mes amis.

- Léa fait ce qu'elle veut, affirma Claire d'un ton vindicatif, tandis que Zack me fixait soudain d'un regard de rapace.

- Tu restes encore un jour ? fit-il ensuite avec une sorte de petit sourire meurtri qui me donna à la fois envie de courir à l'autre bout de la Terre pour ne pas voir la peine que je lui infligeais, et de me jeter sur lui pour l'embrasser.

Au final, je ne fis ni l'un ni l'autre.

- Ouais, confirmai-je simplement. Y a une petite fille qui compte sur moi pour l'encourager lors de son match contre Ondine demain.

- D'accord, acquiesça Zack.

Quelque chose brillait dans son regard, mais j'aurais été bien incapable d'identifier quoi. Il fallait croire que j'avais encore des progrès à faire en matière de déchiffrage de comportement Zackien. Des progrès à faire, et pas le temps nécessaire pour les réaliser.

Ça suffit, arrête de te torturer avec ça !
m'ordonnai-je. Tu connais les conséquences si tu restes. Ton choix a été fait, maintenant il faut juste profiter des instants dont tu disposes encore.

Ce n'était jamais que la vingtième fois depuis le début de la journée que je me faisais cette remarque. Je tentai de la mettre en application une fois de plus lorsque nous allâmes récupérer nos Pokémon quelques minutes plus tard, et passai un long moment à grattouiller le ventre de Salade tandis qu'il se faisait dorer au soleil. Ce fut à cette occasion que je réalisait que l'Herbizarre avec qui je l'avais vu jouer tout le long du repas était bien sûr Bulbi ; je la gratifiai également de quelques caresses qu'elle parut apprécier. Les deux Pokémon plantes semblaient d'ailleurs très heureux de s'être retrouvés car Salade tint à adresser un long discours à la petite Herbizarre avant que je ne le rappelle dans sa Pokéball, et la Pokémon d'Eilie laissa échapper un "Zarre" plaintif lorsque le gros mastodonte eut été aspiré.

- Tu le reverras demain, lui promis-je. Et je suis sûre que Zack pourra s'arranger avec ta dresseuse pour que vous restiez en contact.

- Herbizarre ! approuva la Pokémon de tout cœur, agitant joyeusement ses lianes.

- Tu joues les entremetteuses, Léa ? me fit remarquer Claire tout en me rendant le Scope Sylphe, tandis que Crabouille et Néréa la suivaient bien sagement.

- Pourquoi pas ? Ils ont l'air de bien s'entendre, et si je peux faire deux heureux...

Je terminai de rassembler ma troupe, finissant par Pleind'Soupe qui n'ouvrit même pas l'œil lorsque le rayon rouge de la ball le frappa. Le temps que je vérifie également que Teigne était présente, tout le monde m'attendait, et nous sortîmes finalement du restaurant. Conséquence de notre matinée tardive suivie de notre passage à la Tour Pokémon, nous avions mangé tard, et comme le repas s'était éternisé, l'après-midi touchait presque déjà à sa fin. Je n'avais pas d'idée précise sur ce que je voulais faire ensuite, mais une chose était certaine : flâner me tentait bien plus que la séance d'entraînement suggérée un peu plus tôt par Vivian.

- Ça me va, estima Claire lorsque j'exprimai mes pensées à voix haute.

Zack me signala son approbation en me prenant la main ; mon frère, lui, s'abstint de tout commentaire. Nous marchâmes un temps dans les rues d'Azuria, au hasard de nos envies, juste pour le simple plaisir de se balader ici et là. Un plaisir que je savourais tout particulièrement, parce que ma main tenait celle de Zack et que nous marchions d'un même pas. Côté conversation, elle fut partagée à parts égales entre Claire, Zack, et moi, tandis que Vivian jouait fidèlement le rôle d'une carpe. Les sujets demeurèrent strictement hors de la prise de tête, déconnectés de ce qui nous attendait d'ici demain : Claire commentait les boutiques devant lesquelles nous passions, Zack critiquait les Pokémon que nous croisions, et moi je pestais contre le prix des vélos qui n'avait toujours pas changé, ce genre de choses.

Notre tranquillité se trouva cependant interrompue quand un mec aux lunettes de soleil et à la chemise rose nous accosta pour nous réclamer un autographe, à Zack et à moi.

- Les tourtereaux champions, ici même à Azuria, ça alors ! s'extasia-t-il.

- Super surnom, dis donc, murmura Claire en parlant exprès assez proche de mon oreille pour que je ne puisse pas manquer sa remarque.

- Si tu pouvais aussitôt l'effacer de ta mémoire, merci, répliquai-je en signant ma photo officielle sans le moindre enthousiasme.

Je ne savais même pas comment ils avaient pu obtenir une photo de ce genre... On m'y voyait, moi et tous mes Pokémon, chacun d'entre nous ayant adopté une pose dynamique. Il devait y avoir un sacré niveau de Photoshop à l'œuvre car j'étais certaine de ne jamais avoir mis une main sur ma hanche comme ça tandis que l'autre formait le V de la victoire. Et en plus mon moi photographique faisait un clin d'œil à la caméra. Ça devait être mon double maléfique.

- Voilà, fis-je en rendant l'objet classé A comme "Aaaagh horrible" à son propriétaire.

- Merci infiniment, Léa ! Je peux vous appeler par votre prénom, vous permettez ? J'ai regardé tous vos matches, vous savez, et dès le début je savais que vous deviendrez championne ! J'ai l'intuition pour ça, j'arrive toujours à repérer les futurs champions...

Zack lui tendit sa photo correspondante sans un mot, et je pus voir que lui avait échappé à la pose dynamique pour récolter la pose nonchalante. Je crus également apercevoir un genre de tourbillon de feu à l'arrière-plan, ce qui faillit me faire pouffer de rire. Je me contins, et me consolai en me disant que chaque photo était pathétique à sa façon.

- Et le set de deux ! se réjouit l'homme avec un grand sourire. Je ne vous remercierai jamais assez... Vous ne savez pas le plaisir que vous venez de me faire !

- Je parie que ces autographes vaudront assez chers dans quelques années, jugea Claire.

- Même pour un million, je ne les vendrai jamais ! s'exclama l'homme d'un air outré, comme si la blonde venait de suggérer de les brûler. Ils sont bien trop précieux. Je vais plutôt les encadrer au-dessus de ma cheminée... Merci, merci encore !

- Y a pas de quoi, répondit Zack d'un ton nonchalant, fidèle à sa photo.

- Passez une bonne journée, conclus-je.

Il nous remercia une fois de plus avant de partir.

- Je devrais ptet vous demander un autographe moi aussi, fit mine de réfléchir Claire alors que nous nous remettions en route.

Cette fois, nous avions à peine fait quelques pas que quelqu'un nous stoppait à nouveau, la personne surgissant de l'angle d'une rue. Je ne sursautai pas, mais je n'en fus pas loin.

- Un autographe... Puis-je en avoir un également ?

La voix possédait la même froideur abyssale que dans mes souvenirs, chaque syllabe semblait sculpté de sarcasme congelé. Et toujours cet étrange regard argenté. Je me sentis immédiatement mal à l'aise en sa présence. Si j'avais été seule, considérant sa carrure et l'aura qu'il dégageait, j'aurais sorti Salade en guise de bouclier, mais là, avec mes amis et mon psychopathe de frère, je me sentais déjà suffisamment à l'abri.

J'ouvris la bouche pour répondre à l'ex-ex champion, mais Zack se montra plus rapide que moi.

- Qu'est-ce que tu ferais d'un autographe de Léa ? Tu comptes racheter ton titre de champion avec ? se moqua-t-il, incisif comme jamais.

Sa pique se brisa sur l'armure d'Alec sans y faire le moindre dégât, ou du moins fut-ce mon impression. L'homme aux cheveux bleus ne parut en tout cas pas du tout énervé ; il agit simplement comme s'il n'avait rien entendu, ou comme si Zack n'existait pas. Claire et Vivian semblèrent être relégués à un rang similaire, car le regard polaire d'Alec balaya notre petit groupe d'une traite avant de s'arrêter sur ma personne.

- Léa, j'aimerais te parler seul à seule, annonça-t-il.

- Et ma réponse est un gros non bien massif. Autre chose ?

Mon interlocuteur émit un petit bruit ennuyé.

- Sois raisonnable, persista-t-il. Il s'agit d'un sujet important, et tu le regretteras plus tard si tu n'écoutes pas ce que j'ai à te dire.

- Si c'est le Conseil des Quatre qui vous envoie, je suis à peu près aussi intéressée par ce que vous avez à me dire que par la méthode pour rempoter les orchidées.

- Personne ne m'envoie, me répondit Alec.

Il me fixait toujours de ses yeux trop clairs à la couleur vraiment pas naturelle, et ça commençait à me taper sur les nerfs.

- Si vous vous inquiétez à propos de votre fille, je ne compte pas la combattre lorsqu'elle me défiera, ce qui le fera gagner par forfait, alors c'est tout bon pour vous.

- J'avais cru le comprendre lorsque tu as manqué la parade de la victoire cet après-midi, indiqua-t-il. Mais non, il ne s'agit pas de ma fille non plus.

- Alors crachez le morceau ici et maintenant, ou barrez-vous, lui offris-je, ma patience arrivant à son terme.

- Tu... commença-t-il.

Il n'eut pas l'occasion de finir parce que Vivian le coupa sèchement :

- Ce n'est pas le moment, Alec. Léa est plutôt occupée pour le moment. Demain aussi, maintenant que j'y songe, ce sera une journée chargée pour elle... Mais après-demain, elle aura tout le temps d'écouter ce que tu as à lui dire.

Je m'attendais à ce qu'Alec renvoie mon frère dans les roses ou l'ignore comme il l'avait fait pour Zack. J'étais très loin du compte.

- Après-demain ? demanda-t-il docilement, cherchant mon accord.

- Oui, après-demain m'ira très bien, confirmai-je en me sentant tout de même un peu coupable, même si ce mec m'énervait et me mettait mal à l'aise en même temps.

- C'est entendu, conclut Alec avec un hochement de tête.

La seconde d'après, le bruit d'une Pokéball qui s'ouvrait retentissait, et il disparaissait dans un éclair violet. Je n'avais même pas eu le temps de voir quel Pokémon il avait libéré... Mais une autre question bien plus pressante me trottait dans la tête.

- Comment ça se fait qu'il t'obéit ? voulut savoir Claire en se tournant vers Vivian, m'épargnant ainsi d'avoir à la poser moi-même.

Parce qu'effectivement, pourquoi un mec comme Alec, ex-champion, maître de son monde pour ce que j'en avais vu, obéissait au doigt et à l'œil à mon frère ? D'après ce que m'avait dit Vivian lors de notre petite discussion sur la plage ce matin, c'était même lui qui lui avait suggéré de se proposer comme mon mentor. La raison devait être très costaud vu le caractère de l'ex-ex champion...

- Parce que mes paroles ont du poids, répondit mon frère.

- Parce qu'il fait partie de la Team Rocket, déclara Zack une seconde après. N'est-ce pas ?

Avec ces mots, tout s'emboîta d'un coup. Solution évidente. En bon petit soldat, Alec obéissait aux ordres de son supérieur. Vivian ne chercha même pas à nier, il savait que la vérité venait d'éclater au grand jour.

- Les Rockets sont vraiment partout, même quand on pense s'en être débarrassés, constatai-je avec un petit grognement.

- La Team est à moitié en déroute ces jours-ci, crut tout de même bon de nous informer mon frère. Il reste peu de membres loyaux, et encore moins de membres qui reconnaissent encore mon autorité, mais Alec est de ceux-là.

- Ils auraient pu nous aider contre Mewtwo, non ? fis-je sans savoir si je disais ça sérieusement ou pas.

- La victoire ne viendra pas par les PNJs, rétorqua Vivian.

- PNJs... répéta Claire en faisant la moue. À force d'entendre ce mot, j'ai envie de demander ce que ça veut dire, mais à tout les coups c'est une insulte, non ?

- Petit Nul et Jaloux ? proposa Zack, ce qui me projeta d'un coup au tout premier jour où j'avais débarqué dans le monde Pokémon, lorsque j'avais traité Zack de ce même acronyme, et que je l'avais justifié ainsi.

Je me retrouvai soudain à rire aux éclats, partagée entre le rappel de ce moment de débilité de ma part et l'absurdité de la situation.

- Quoi, c'est pas ça ? s'étonna Zack.

- Je vais vous expliquer... pouffai-je en reprenant mon souffle.

Et c'est ce que je fis, détaillant la signification des trois lettres et le contexte dans lequel on les employait. Apparemment, ils disposaient également de jeux vidéo dans le monde Pokémon, mais le jargon pour s'y référer ne devait pas s'être développé de la même façon que chez moi, car si le concept en soi n'était pas une chose nouvelle pour Zack et Claire, ils n'avaient jamais rencontré l'acronyme auparavant. Par le pouvoir de l'humour, toucher à ce sujet de cette manière débloqua tous les autres considérés comme tabous précédemment, et nous nous retrouvâmes à discuter allègrement des différences entre mon monde et le leur tandis que nous marchions dans les rues de la ville. Je leur expliquai ainsi ma passion pour le Nutella et la Vache qui Rit, et eux me racontèrent leurs premiers pas aux côtés des Pokémon et autres expériences similaires. Ce furent des heures - peut-être juste une, à la réflexion, mais elle me parut bien remplie - de fous rires soudains, de jeux de mots stupides, et de complicité. Rien dans notre comportement ne laissait présager que demain notre groupe se trouverait divisé à jamais. Je crois même que je parvins à oublier ce fait durant ces quelques longues minutes d'amitié condensée.

Lorsque le soir se mit à tomber, nous décidâmes d'un commun accord d'aller frapper à la porte du manoir de Léo. Cela valait mieux que le centre Pokémon en ce qui concernait la qualité des lits et des repas, avait décrété Zack. C'était sans doute vrai, mais ce n'était pas ce qui m'avait poussé à acquiescer lorsque la proposition avait été faite : non, j'avais alors pensé à Présage, l'Alakazam de Léo, et à la vision qu'il m'avait accordée lors de ma première visite à Azuria, plus de trois mois auparavant. Je m'étais vu face à Mewtwo, brandissant ce que je savais à présent être la Masterball, et la voix du Pokémon psychique dans ma tête m'avait enjoint à le capturer. Serait-ce si facile que cela ? Ou bien cet événement était-il précédé d'une bataille que je n'avais pas eu l'occasion d'apercevoir lors de la vision ? Peut-être encore avais-je déjà modifié ce futur possible, et désormais se trouvait-il inaccessible. J'espérais en tout cas pouvoir m'entretenir avec Présage afin d'obtenir quelques éclaircissements sur le sujet.

Le temps que nous traversions la route infestée de dresseurs qui menait chez Léo, il était déjà dix-neuf heures. Encore heureux que personne ne nous avait défiés, autrement nous aurions perdu au moins une ou deux heures de plus. Seule Claire avait tenu à faire quelques combats, et encore, je soupçonnais qu'elle avait cédé aux caprices de ses Pokémon. Néréa et Crabouille arboraient fièrement dans leur fourrure le sang des Pokémon terrassés lorsque nous sonnâmes à la porte de Léo. Elle s'ouvrit sur un Hypnomade curieusement dépourvu de pendule qui nous examina un à un avant de déclarer :

Des visiteurs. Quel est l'objet de votre venue ?


Zack s'avança.

- Salut Théodore. Tu peux demander à Léo si ça le dérange pas de nous héberger pour la nuit ?

L'Hypnomade cligna des yeux. Un instant passa, puis sa voix mentale résonna à nouveau sous mon crâne.

Le maître vous souhaite la bienvenue. Il est malheureusement trop occupé pour venir vous accueillir ou échanger les plaisanteries d'usage avec vous.


- C'est Léo, quoi, sourit Zack.

Combien de chambres dois-je mettre à votre disposition ?
demanda l'Hypnomade sans relever la remarque.

- Trois, lui répondis-je, prenant l'initiative. Deux simple, une double.

Ce sera fait,
indiqua le Pokémon psy. Veuillez noter que le dîner est servi à dix-neuf heures trente dans la grande salle.

Et là-dessus, il s'inclina avant de s'écarter pour nous laisser entrer.

- Attendez, j'ai une question à poser, le retins-je avant qu'il ne se téléporte ou je ne sais quoi. C'est à propos de Présage, est-ce que vous pourriez me dire où il est ?

Il est occupé pour le moment, tout comme le maître. Il m'a chargé de vous dire qu'il ne sera disponible que demain, ce qui selon lui s'intègre dans votre agenda.


- D'accord... fis-je tout en songeant que ça devait être bien pratique de pouvoir prédire le futur de cette façon. Merci.

Nous partîmes ensuite nous installer dans nos chambres, qui se trouvaient toutes au même étage mais se situaient plutôt éloignées les unes des autres. Beaucoup plus confortable que le dortoir du centre Pokémon, effectivement, constatai-je en avisant la moquette toute moelleuse sous mes chaussures, d'une jolie couleur bleue, et le grand lit double à l'air extrêmement douillet qui trônait au centre de la pièce. Chaque chambre disposait en plus d'un accès sur l'énorme jardin, et j'en profitai pour relâcher ma petite troupe qui se dispersa aussitôt dans ce qui devait être dix hectares de terrain.

- Tu ne fais pas sortir tes Pokémon ? demandai-je à Zack alors qu'il se laissait tomber sur le lit en grognant.

- Ils se sont tellement goinfrés ce midi qu'ils ont suffisamment mangé pour deux jours, me répondit-il. M'étonnerait pas qu'ils aient déjà entamé leur nuit d'ailleurs.

- Ils sont pas les seuls à avoir trop mangés, avouai-je en m'écroulant à mon tour sur le lit, aux côtés de Zack. Et à être crevés... ajoutai-je en étouffant un bâillement.

- Mmmh, si t'as pas faim, on peut rester là, juste nous deux, proposa Zack en roulant agilement pour venir se placer au-dessus de moi, se maintenant en équilibre sur ses coudes de façon à ne pas trop m'écraser.

- Ce serait cruel de laisser Claire toute seule avec mon frère... tentai-je de protester.

C'était vraiment une tentative vouée à l'échec, et je m'en rendais compte davantage à chaque instant au fur et à mesure que Zack rapprochait son visage du mien.

- Claire sait très bien se débrouiller toute seule... m'opposa-t-il dans un murmure qui se termina tout contre mes lèvres.

Puis il m'embrassa, lentement, en prenant tout son temps, et je me sentis flotter sur un petit nuage. Il n'y avait même pas de mots pour décrire ça. Ah si, un. Parfait.

- Ça a été une longue journée... dis-je un moment plus tard.

- Ouais...

Il exhala un soupir qui fit jouer les mèches de ma frange.

- La dernière journée, dit-il ensuite d'un ton douloureux.

Notre baiser suivant se fit plus pressant, et lorsque son corps se pressa davantage contre le mien, je sentis l'évidence de son désir.

- Si tu n'en as pas envie, dis-le moi, chuchota-t-il.

- Zack... soufflai-je en retour. Tu crois que j'aurais demandé une chambre pour deux si je n'en avais pas envie ?

- Mmh... donc on ne va pas parler cette fois-ci ? s'enquit-il en levant un sourcil pour le moins intéressé.

- Je crois qu'on a assez parlé.

- Enfin un truc sur lequel on est d'accord à 100%, grogna-t-il avant d'écraser sa bouche contre la mienne.

Et puis il n'y eut plus que nous.

***

Je me suis encore trompée sur le nombre de chapitres restants, oubliez ce que j'avais dit au chapitre 32. Il en reste encore au moins quatre là. ^^



Équipe actuelle :
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