Chapitre 42 : La Souillure et le Don
Les Gardiens de l'Harmonie avaient été déployés sur le champ de bataille. Ils n'étaient que quatre : Kinan, Balterik, Spam et Spyware. Geran et Kelifa étaient absents, et Killian était resté sur le Temple de la Vie pour continuer à jouer de sa musique régénératrice pour les alliés et pesantes pour les ennemis. Mais ça faisait qu'il n'y avait plus grand monde pour combattre les Agents du Chaos.
Maître Balterik faisait face à Eléonore Sochenfort, l'une des triumvirs. Une femme entre deux âges, couverte de bijoux hors de prix et d'une couche épaisse de maquillage. Balterik la connaissait de réputation bien avant le début de la guerre. C'était une idiote, une femme artificielle et vénale, mais elle était très loin des idéaux des Agents du Chaos. Seule l'avarice avait pu la pousser dans les bras de Diavil. Sochenfort avait l'agaçant pouvoir de plier en deux un homme de douleur en claquant des doigts. Heureusement, le pouvoir de Don de Balterik s'incarnait en un tissu de lumière qui purifiait et soignait celui qui le portait. Tant qu'il aurait ça sur lui, le pouvoir de Sochenfort n'aurait aucun effet sur lui.
Plus loin, les deux anciens membres de la Team Malware, Spam et Spyware, se trouvaient face à Dakon Varnellan, le bras droit de Nathan et l'ancien commandant de la Garde Gouvernementale, aujourd'hui totalement transformée en Inhumains. C'était probablement le plus dangereux des trois Agents du Chaos présents. Outre le fait de pouvoir utiliser une foudre noire, cet homme était surentraîné à tuer. Il était bon stratège, et ne connaissait aucune forme de pitié. Un mélange dangereux. Spam et Spyware l'avaient déjà affronté sur une île d'Esbroff, et s'en étaient tirés in extrémis. Et cette fois, il ne s'agissait plus de fuir, mais bien de vaincre.
Ce qui laissait Charlus Akenvas, celui qui pouvait créer des images de lui-même à volonté comme une attaque Reflet, à Kinan. Le jeune homme avait fait appel à son Grolem et avait invoqué son pouvoir de Don, à savoir le gant de lumière renforcé qui lui permettait de décupler sa force de la main droite, mais l'un comme l'autre ne lui serviraient pas à grand-chose s'il ne parvenait pas à localiser le vrai Akenvas. Et le triumvir, lui, avait un couteau. Un fort bel objet d'ailleurs, à la garde dorée, finement ouvragée, et avec un gros saphir incrusté dessus.
- Ce serait dommage de salir un trésor pareil avec mon sang, plaisanta Kinan. Un pistolet aurait été plus efficace non ?
Les multiples Charlus Akenvas prirent un air offensé.
- Pour qui me prends-tu, garçon ? Je suis un homme distingué, descendant d'une prestigieuse famille. Je ne m'abaisse pas à manier ces armes répugnantes. C'est bon pour les manants et les soldats.
- Bah, je ne vais pas m'en plaindre. Si vous aviez utilisé un flingue, j'aurai passé un sale quart d'heure.
- Ne t'en fais pas, je te le promets toujours.
Deux des Akenvas se jetèrent sur lui, leur beau couteau tendu. Ne sachant pas si l'un d'entre eux était le vrai, Kinan ne prit aucun risque. Il esquiva le couteau de l'un et lui décocha sa main droite englobée de son gant de Don, tandis que Grolem alla s'abattre sur le second. Les deux disparurent. Formidable. Plus qu'une vingtaine... Kinan fit appel à deux Pokemon en plus : son Octillery et son Teraclope. Il ordonna une attaque Brouillard à Octillery autour de lui, en espérant que ça gène un peu l'Agent du Chaos. Il n'oserait pas aller lui-même dans cette purée de pois, de crainte que Kinan ne lui tende une embuscade, et continuerai à envoyer ses copies inoffensives. C'était du moins ce que Kinan espérait. Il se tourna vers son Teraclope.
- Tu peux repérer le vrai avec Clairvoyance ?
Le Pokemon Spectre haussa les épaules, voulant dire qu'il essaierait mais qu'il ne promettait rien. Au même moment, un des Akenvas surgit du nuage pour attaquer Kinan. Heureusement que c'était un faux, car le jeune homme aurait été planté et bien planté.
- Te cacher ne sert à rien, garçon, fit la voix du triumvir partout autour du brouillard. C'est vous qui avez provoqué cette bataille non ? Je pensais que vous étiez venu ici pour nous détruire ? Tu n'y arriveras pas en te cachant.
Kinan réfléchit furieusement, puis dit à Teraclope.
- Laisse tomber la Clairvoyance, j'ai une meilleure idée. Octillery, quand je donnerai le signal, tu dissiperas tout le brouillard d'un coup. Ensuite, prépare-toi à canarder le vrai Akenvas avec ton Octazooka.
Le Pokemon pieuvre remua ses tentacules en signe d'accord.
- Teraclope, quand tu es prêt, tire une Ball-Ombre vers le ciel.
Ça ne servirait à rien, mais Kinan espérait attirer momentanément l'attention d'Akenvas. Une fois la Ball-Ombre lancée, Kinan ordonna :
- Maintenant Octillery !
Le Pokemon pieuvre aspira son propre brouillard à toute vitesse, au même moment où Kinan ordonna à son Teraclope :
- Lance Gravité !
Le Pokemon spectre plaqua ses mains au sol, faisant naître un champ rose qui engloba le sol tout autour d'eux. Aussitôt, Kinan se sentit très lourd, et posa un genou à terre sous l'effet de la gravité augmentée. Les Akenvas, eux, n'étaient pas affectés... sauf un.
- C'est lui là ! s'exclama Kinan à Octillery. Vas-y !
Octillery cracha plusieurs boules noires sur le véritable Akenvas, le seul affecté par la gravité pesante. Le noble triumvir se retrouva jeté à terre, son costume totalement fichu, noir des pieds à la tête. Kinan se permit un sourire. Là, il pourrait facilement le reconnaître.
- Impardonnable, marmonna Charlus Akenvas en se relevant. Toi, un pauvre manant, tu as osé t'en prendre à un riche aristocrate comme moi ?! Ta famille paiera cet affront pendant au moins dix générations !
Il créa alors tellement de copies de lui qu'elles cachaient l'original. Puis, en un même geste, elles foncèrent toutes vers Kinan, leur poignard levé. Cette fois, le jeune Gardien ne savait pas quoi faire pour éviter ça. Il ne voyait pas le vrai Akenvas. C'est alors qu'un lasso de lumière entoura Kinan et fit disparaître chaque image d'Akenvas qu'il touchait. Il finit par atteindre le vrai à la tête, qui recula en hurlant de douleur. Kinan se rendit compte alors que la chose qui venait de le sauver n'était pas un lasso, mais un fouet. Kelifa Akenvas, arrivée de nulle part, se plaça devant Kinan, son fouet de Don tournoyant autour d'elle.
- Bien joué mon gars, mais tu seras bien gentil de me le laisser, celui-là.
- Kelifa ! Mais d'où tu viens ? On t'attendait pour lancer l'attaque !
La Rocket lui sourit légèrement.
- J'ai été punir quelques traîtres et pourrir le pantalon de quelques nobles. Mais je n'aurai manqué la fête pour rien au monde.
Une main sur son visage blessé, Charlus Akenvas regarda sa fille avec toute la hargne du monde. Le regard de Kelifa, lui, était tout ce qu'il y avait de plus féroce, à tel point que Kinan eut un recul de terreur.
- Va aider Maître Balterik, reprit Kelifa. Je m'occupe seule de mon cher papa.
Kinan acquiesça, et prit ses jambes à son cou. Kelifa bougea la tête de droite à gauche, comme si elle avait devant elle une friandise dont elle ne savait pas par quel bout commencer.
- Si tu savais, gros porc, depuis combien de temps j'attends ce moment...
***
Narek Congois, sans trop savoir ce qui l'avait poussé, était revenu dans ce qui restait de la Tour Scellée, l'ancienne demeure de Stratoreus. C'était là où pour Narek, tout avait commencé concernant les Gardiens de l'Harmonie et la guerre. Il avait assisté, et de près, à la démonstration des pouvoirs des deux triumvirs Akenvas et Sochenfort, devenus des Agents du Chaos. Il en avait été dégoûté. Et aujourd'hui, il était l'un des leurs.
Il avait presque espéré finir comme Morneto et Luklon, tué par Kelifa Akenvas comme le traître qu'il était. Après tout, sa trahison dépassait celle des deux anciens nobles, et de loin. Mais non, Kelifa n'avait pas attenté à sa vie, alors qu'elle aurait très bien pu. Narek ne savait pas pourquoi. Il ne savait plus rien, en fait. Ni qui il était, ni quoi faire, ni même pourquoi il était venu ici aujourd'hui, dans ce lieu légendaire de Naya, désormais à moitié détruit par le Triumvirat et laissé à l'abandon.
Pour apaiser sa solitude qui commençait sérieusement à lui peser lourd, il avait fait sortir Artemilion de sa Pokeball. Le Pokemon Merveilleux foula du pied avec lui le seul étage qu'il restait de la Tour Scellée, comprenant la détresse de son dresseur, mais respectant son silence. Narek n'avait pas besoin de lui parler ; il ressentait sa présence rassurante, et elle l'apaisait.
Artemilion était la plus grande fierté de Narek, bien plus que son nom ou son titre de Maître Pokemon. Il l'avait trouvé et capturé lui-même, au fin fond de ce temple perdu dans ce pays uniquement composé de ruines qu'était l'Ancienne Gelcria. Les Sept Pokemon Merveilleux étaient très haut placés dans le palmarès des Pokemon Légendaires les plus recherchés. Pour avoir réussi à capturer l'un d'eux, Narek est devenu un dresseur à la renommée mondiale. Car il n'existait, actuellement, que deux seuls dresseurs possédant l'un des Sept Pokemon Merveilleux.
Artemilion était si pur, si beau, que Narek, qui se sentait sali et méprisable, n'arrivait plus à se trouver une quelconque légitimité de posséder ce Pokemon. Il aurait mieux convenu à quelqu'un comme Adélie Dialine. Narek tomba à genoux. Comme à chaque fois qu'il pensait à la jeune femme aux cheveux roses, le chagrin et la culpabilité l'envahissaient à tel point que ça devenait insupportable. Si le remord pouvait tuer un homme, Narek serait mort un millier de fois. Que n'aurait-il pas donner pour remonter le temps, et au lieu de s'agenouiller devant Nathan Dialine et l'ombre de son Seigneur Diavil, se ranger côte à côte d'Adélie et combattre avec elle, comme il lui avait promit !
Artemilion donna une caresse sur la tête de son dresseur avec son museau. Narek le contempla. Son corps doré de cerf, le mini temple qu'il transportait sur son dos, ses magnifiques ramures percées de trous, comme des flûtes, d'où s'échappaient un air reposant, et les deux reproductions d'Eoko qui flottait au vent sur chaque bois. Il dégageait un air noble mais aussi d'une certaine fragilité à la fois ; ce genre de fragilité qu'on accordait aux choses d'une trop grande beauté.
- Qu'est-ce que je peux faire, mon ami ? Lui demanda Narek en lui caressant la tête. Que suis-je censé faire maintenant ?
- Agir selon tes convictions ?
Narek sursauta. Il pensa un moment que cette voix profonde et résonnante ne fut celle d'Artemilion qui lui répondait. Mais non, c'était absurde. Tout Pokemon Légendaire qu'il était, Artemilion ne savait pas parler. Un autre Pokemon venait d'arriver par les cieux, et s'était posé devant Narek et Artemilion. Narek n'aurait pas su trop bien le décrire. On aurait dit un ange avec une tête allongée bizarre, des yeux jaunes, et un joyau qui passait du vert au jaune incrusté dans sa poitrine. Narek ne l'avait jamais vu, mais il avait assez entendu parler de lui par les Agents du Chaos pour savoir de qui il s'agissait.
- Vous êtes Archangeos, le maître des Gardiens de l'Harmonie.
Le Pokemon hocha la tête. Narek n'aurait su dire s'il était effrayé ou émerveillé.
- Pourquoi êtes-vous ici ? Vous êtes venu me tuer ? Demanda-t-il presque avec espoir.
- La mort résout rarement quelque chose, Narek Congois. Et je me suis toujours interdit d'ôter la vie. Je ne vais pas commencer aujourd'hui. Je suis venu parce que je savais que tu viendrais ici. J'ai compris que je devais te parler. Ton rôle dans tout ceci est loin d'être terminé.
- Mais je suis votre ennemi, insista Narek. Je suis un Agent du Chaos, un serviteur de Diavil !
- On peut trouver à redire à ces deux affirmations. Devions-t-on réellement un Agent du Chaos dès lors qu'on possède le pouvoir de Diavil ? Après tout, il existe des gens qui possèdent le Don, mon propre pouvoir, sans être pour autant des Gardiens de l'Harmonie. Adélie en était une, son frère en est un autre. Odion lui-même ne se qualifie plus d'Agent du Chaos, j'en suis sûr. Pour porter ce titre, il faut réellement servir Diavil et son idéologie. Odion ne sert que lui-même. Dis-moi, Narek Congois, éprouves-tu une quelconque loyauté envers mon rival Diavil et ce qu'il représente ?
- Non, admit Narek. Je suis passé du côté de Nathan pour l'avenir de ma maison. J'ai accepté de devenir un Agent du Chaos pour gagner sa confiance. Mais ça ne change rien, n'est-ce pas ? J'ai ce pouvoir, je suis à jamais maudit. Et par ma faute, la femme la plus incroyable que j'ai jamais rencontrée a disparu à jamais...
Archangeos battit de ses ailes d'un air impatient.
- On pourrait encore trouver à redire à tout cela, mais le temps nous manque. Il s'agit de savoir à présent ce que tu comptes faire. Eprouves-tu le besoin de racheter tes actes ? Souhaites-tu changer de camp ?
Narek s'inclina comme s'il se mettait à prier.
- C'est que je souhaite le plus. Mais ça ne servirait à rien, maintenant. Mes fautes sont trop graves pour être rachetées, et de toute façon, Nathan a gagné...
- Rien n'est gagné, et rien n'est perdu, Narek Congois. Mes Gardiens se battent actuellement à Odipolis, et si je ne m'abuse, Geran va bientôt réapparaître, avec une aide inespérée qui fera peut-être basculer la bataille. Si tu veux les rejoindre, c'est le moment.
Narek se permit un court instant de laisser l'espoir naître en lui, mais en regardant ses mains, il sentit cet espoir fondre.
- Je ne servirai à rien contre les Agents. J'en suis un moi-même, et les Agents ne peuvent pas se blesser entre eux. Et je mourrai de honte si je m'avisais d'utiliser ce pouvoir maudit à côté des Gardiens, s'ils ne me tuent pas avant, ce en quoi ils auraient d'ailleurs raison.
Archangeos garda le silence un moment, puis dit :
- Mes Gardiens et les Agents du Chaos l'ignorent sans doute, mais Diavil et moi, nous ne sommes pas si différents. Nous nous opposons oui, mais nous sommes nés tous deux du Flux, ce pouvoir infini, né d'Arceus, qui maintient la cohésion du monde. Nos créateurs respectifs, deux êtres d'une grande puissance, étaient frères. Ce qui fait de Diavil et de moi des cousins, si l'on peut dire. Nos pouvoirs respectifs sont symétriquement opposés, mais au final pas si éloignés que ça. Ils sont les deux côtés d'un même pouvoir. Ils se côtoient sans se rencontrer réellement.
Narek fronça les sourcils, ne comprenant pas où Archangeos voulait en venir.
- Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire qu'il existe un moyen de changer la nature de nos pouvoirs respectifs. En clair, le Don peut devenir le pouvoir des Agents du Chaos, que l'on nomme la Souillure. Et la Souillure peut devenir le Don.
- Ce qui signifierait... qu'un Gardien peut devenir un Agent, et qu'un Agent...
- Peut devenir un Gardien, oui, acheva Archangeos. Le pouvoir que tu as reçu de Diavil peut se transformer en Don. Je peux t'y aider, mais ce n'est pas sans risque...
- Je m'en fiche. S'il y a la moindre chance... Je vous en prie, faites-le, Seigneur Archangeos !
- Tu peux beaucoup souffrir.
- Pas plus que je souffre actuellement, je pense.
- Tu peux même en mourir.
- Eh bien, si ça doit arriver, ainsi soit-il. Mourir en tentant de m'arracher ce pouvoir infect me convient parfaitement. Et si ça marche, et que je deviens un Gardien... je jure sur tous les dieux connus de ne plus jamais vous faire défaut. Je passerai le reste de ma vie à essayer de réparer mes fautes envers vous !
Archangeos hocha la tête, puis enveloppa Narek de ses ailes. Une fine couche de lumière jaillit de son corps, et son joyau dans sa poitrine se mit à briller furieusement.
- Concentre-toi sur tes remords, Narek Congois. Ce sont les regrets qui modifient la structure du pouvoir.
Ce n'était pas bien compliqué, ça. Depuis la mort d'Adélie, Narek n'était plus que remord et regret. Il tâcha de faire ressortir tout ça d'un coup, son dégoût de lui-même, sa tristesse infinie, sa colère contre les Agents du Chaos... et sa volonté de servir une cause qu'il jugeait juste. Tous ces sentiments, couplés à la lueur d'Archangeos, furent pour Narek comme mille aiguilles brûlantes qu'on lui enfonçait dans tout le corps. Narek ne put s'empêcher d'hurler. Non, finalement, il souffrait bien plus qu'avant. Une douleur si intense, une sensation d'écartèlement si réaliste qu'il se demandait s'il n'allait pas devenir fou. Mais il sentit alors la présence d'Artemilion à ses côtés, qui l'encourageait et le soutenait, et ça lui donna la volonté nécessaire de résister à la suite.
Quand ce fut terminé, Narek tomba face contre sol, son corps agité de spasmes convulsifs. Il avait l'impression d'avoir subi une décharge du légendaire Electhor. Mais quand il tenta d'invoquer son pouvoir, ce ne fut pas la noirceur qui se dégagea de ses mains, mais une lumière apaisante, la même qu'il avait senti à chaque fois qu'il était à proximité d'Adélie Dialine.
- Ta Souillure s'en est allée, Narek Congois, déclara Archangeos. Elle s'est transformée en Don. Veux-tu maintenant que je te le retire, pour que tu puisses vivre une vie normale, ou veux-tu réciter le serment des Gardiens de l'Harmonie ?
Narek n'hésita pas.
- Apprenez-moi votre serment, Seigneur Archangeos.
Une fois fait, Narek le récita sans erreur. Archangeos ouvrit grand ses ailes comme pour l'accueillir.
- Moi, Archangeos, membre de la Trinité de la Lumière, serviteur d'Elohius, j'entends tes paroles, et je te déclare dès à présent Gardien de l'Harmonie.
Narek baissa la tête avec humilité.
- C'est un honneur, Seigneur. Je tâcherai d'en être digne, même si je ne pourrai jamais racheter la mort d'Adélie Dialine.
Archangeos le regarda d'un air étrange, et Narek avait l'impression qu'il souriait.
- En ce qui concerne Adélie Dialine, je pense maintenant que l'affaire est réparée. Elle ne t'en tiendra pas rigueur, et toi, tu oublieras vite.
Narek fronça les sourcils. Que voulait-il dire ? Comment Adélie pourrait-elle lui pardonner alors qu'elle était... morte ? Adélie Dialine était morte ? Narek n'arrivait pas à savoir pourquoi. Il savait qu'elle était morte, mais ne se souvenait plus comment. Puis non d'ailleurs, pourquoi serait-elle morte ? Il n'y avait aucune raison...
Narek se secoua la tête, se demandant ce qui était en train de lui arriver. Ses pensées n'étaient pas claires, comme s'il avait deux sortes de souvenirs contradictoires concernant Adélie. L'un lui disait qu'elle était bien morte, à cause de lui, et l'autre, survenu à l'instant, sans que Narek ne sache d'où il venait, lui disait qu'elle était au contraire parfaitement vivante. Par Arceus le tout puissant, que diable se passait-il ?!
***
Après avoir longuement combattu aux cotés de Minolcan et des autres dresseurs dans les quartiers d'Odipolis, Fastia s'était repliée jusqu'au Temple de la Vie. Elle avait besoin de souffler un peu, et surtout, Minolcan avait besoin de soin. Tout Pokemon Légendaire qu'il fut, il n'était pas invincible, et les blessures s'accumulaient. Un petit tour dans la machine à soigner les Pokemon que les Rockets avaient installée dans le Temple, et c'était reparti pour une heure ou deux de combats.
Mais malgré la présence de Minolcan et de Stratoreus, la bataille se passait mal. Les attaquants étaient en sous effectif notable par rapport aux soldats de Nathan et à ces Pokemon contrôlés. Peu à peu, ils perdaient du terrain, et peu à peu, le bouclier du Temple perdait de sa puissance face aux tirs continus des canons d'Odipolis. La mission de Fastia et des dresseurs qu'elle dirigeait était d'en détruire le plus possible, mais ils n'arrivaient plus à avancer. Fastia espérait que Minolcan, une fois rétabli, saurait bousculer le passage, quitte à détruire une grande partie des rues. Fastia fut accueillie par trois Rockets et menée à l'infirmerie. Mais la mère d'Ad refusa.
- Je n'ai rien. Juste besoin d'un verre d'eau et de m'assoir un moment. Il y a bien plus de blessés qui requièrent votre attention.
En allant amener la Pokeball de Minolcan dans le centre Pokemon improvisé qu'ils avaient installé à la va-vite, Fastia tomba sur ce jeune chanteur ami d'Adélie aux cheveux gris en pétard. Il avait le souffle court d'avoir tant chanté, et lui aussi se reposait.
- Yo, la mère d'Ad, la salua-t-il. Je vous ai vu combattre avec votre gros buffle de feu. C'était quelque chose !
- Et vous, votre musique donnait de la force à nos hommes et affaiblissait nos ennemis, dit Fastia. Pourquoi avoir arrêté ?
- Je souffle un peu. À force de chanter, j'aurai plus de voix.
Fastia fronça les sourcils.
- Mais vous pouvez jouer sans chanter non ? Si j'ai bien compris, c'est votre guitare magique qui fait le boulot.
- Mais jouer de la musique sans chanter, c'est terriblement pas cool, m'dame. Je suis chanteur en même temps que je suis musicien.
Fastia le prit par son col en fourrure et le secoua.
- Vous allez vous remettre à jouer immédiatement, et je me fiche que vous chantiez ou non ! D'après vous, pourquoi on vous a laissé ici tandis que vos amis affrontent les âmes damnés de Nathan ?!
Killian cligna des yeux, surpris par la fougue de cette femme censée être une noble apathique.
- OK, cool, j'repars. Mes attaques musicales sont sans pareille, après tout...
Une fois ça de fait, Fastia se passa la tête sous un robinet d'eau. Clairement pas digne d'une personne de son rang, mais son rang était la dernière chose dont elle se souciait en ce moment. Etrange comme recombattre avec son Pokemon après tant d'années l'avait immédiatement sortie de ses habitudes mollassonnes de noble dame. Comme si elle était redevenue l'adolescente bruyante et bagarreuse d'autrefois. Fastia retint un sourire en songeant qu'elle avait toujours caché son passé si peu distingué.
Elle aurait tant eu honte que ses enfants sachent comment elle était autrefois. Maintenant, elle regrettait qu'Ad ne l'ai pas connue ainsi. Ça lui aurait fait une surprise, assurément. Elle se dirigea vers le toit du temple, avec dans l'esprit de parler une minute à sa fille décédée. Ça pourrait lui donner de la force. Mais quand elle arriva, elle constata que le socle de pierre sur lequel reposait le corps d'Adélie était vide. Fastia fronça les sourcils. Quelqu'un avait-il osé bouger le corps d'Adélie sans l'avertir ?
Le corps d'Adélie... Comment ça le corps ? À quoi Fastia pensait-elle ? Adélie n'était pas morte... si ? Bien sûr que non, elle n'était pas morte ! Pourtant... Fastia se souvenait de son chagrin. Il venait bien de quelque part. Mais elle n'arrivait plus à imaginer sa fille morte, alors qu'elle avait tant veillé son cadavre. Quelle était cette magie à l'œuvre ?
Perdue, Fastia envisagea de redescendre pour questionner Killian ou les Rockets présents, quand un autre tir de canon, plus puissant, fit trembler le temple entier, en faisant tomber Fastia par terre, et ouvrit une brèche dans son bouclier d'énergie. L'alarme sonna partout, et alertés, plusieurs Rockets se rendirent sur le toit, prêt à intercepter ceux qui pourraient profiter de la brèche pour s'infiltrer dans le temple. Mais ce ne fut pas n'importe quel ennemi qui se présenta devant eux. Fastia se releva pour voir la silhouette sombre d'Odion, le Prince des Ténèbres, qui chevauchait son Proscuro, passer le bouclier. Le sourire qu'il leur lança fut assez terrible pour que deux Rockets lâchent leurs armes et fuient.
- Eh bien, cet endroit pue le Don ! Son odeur infecte assaille mes divines narines. Peut-être Archangeos ou Geran sont-ils ici ?
En guise de réponse, les Rockets restants ouvrirent le feu sur lui. Proscuro s'éloigna en laissant tomber son maître sur le toit du temple, car lui n'était pas insensible aux balles. Mais Odion lui les encaissa toutes sans grimacer une seule fois.
- Allons allons, vous avez troué mon nouveau costume. Des insectes comme vous ne m'intéressent pas, mais je me dois de faire don de vos âmes à Mère.
En un geste des bras, il emmagasina entre ses mains une boule d'énergie noire. Fastia avait dans l'idée que quand il la relâcherait, tout le monde sur le toit périrait. Mais il n'y avait rien à faire pour l'en empêcher. Personne ici n'avait le Don.
- Etreignez le néant ! S'exclama Odion alors qu'il s'apprêtait à relâcher sa Déferlante de Mort.
Mais juste avant qu'il ne le fasse, une flèche gigantesque, lumineuse, frappa le Prince des Ténèbres avec force et le propulsa hors du temple, jusqu'à ce qu'il ne percute un immeuble d'Odipolis. Fastia, effarée, se retourna en même temps qu'Odion sortait des gravats. Ses yeux s'agrandirent sous l'effet de la stupeur et de la rage.
- Toi ! Combien de fois vais-je devoir te tuer ?!
Adélie Dialine était sur l'un des piliers du temple, son arc lumineux sortant de son poignet, avec Geran Glasbael à ses côtés. Et son apparition soudaine, visible de tous les combattants, provoqua une ferveur d'enfer du coté des alliés des Gardiens, et une peur irrépressible du coté des hommes de Nathan.