Chapitre unique
<< Dégage de mon chemin ! >>
Assis devant ma gamelle, je reçus un coup de pied dans le ventre, qui me fit valser à l'autre bout de la pièce. Mon maître n'est jamais content quand je reste dans son passage.
Je reprend ma place initiale en boitant, et pousse un profond soupir: je meurs de faim. Cela fait tellement longtemps qu'il n'a rien mit dans ma soucoupe. Mon ventre gronde. Je suis cloué au sol par la faim.
Soudain, je le vois revenir, une bouteille d'alcool à la main. Je lui lance un regard plein d'espoir, même si je ne me fais pas trop d'illusion. Peut-être se décidera-t-il à me donner à manger. Au lieu de ça, il s'arrête devant moi et sourit cruellement, laissant voir une rangée de dent jaunies.
<< Qu'est ce qu't'espères ? Que j'te donne à manger ? >>
Je devine qu'il se moque de moi. Son ton hautain ne me trompe plus. Je devine déjà sa réponse.
<< Et puis quoi encore ? Je t'ai déjà donné à manger la semaine dernière ! Tu te démerde ! >>
Et pour finir, il donna un coup de pied dans ma gamelle d'eau, qui m'éclaboussa.
Et c'est comme ça depuis deux ans...
Avant cet enfer de faim et de douleur, je n'étais qu'un Évoli domestique comme n'importe quel autre. Je vivais avec une petite fille âgée de cinq ans, mon maître et sa femme, dans un petit village de campagne. Cette petite fille, ma maîtresse, m'adorait. Nous passions tout notre temps ensemble. Elle, elle brossait mon pelage, me lisait des histoires, et me présentait à ses poupées. Moi, je lui faisais des câlins, l'accompagnais lors de ses promenades et dormais avec elle la nuit. Sa mère me préparait de temps à autres des petits gâteaux et des confiseries. Quant à son père, il était très gentil et avait construit un mini parc dans le jardin, pour moi et ma maîtresse. Nous disposions d'un petit toboggan, d'une table en plastique et d'une cabane en bois.
En résumé, j'étais cajolé, dorloté et adoré.
Puis un jour...
Le maître avait perdu son travail. L'ambiance à la maison devint très tendue à partir de ce jour là, car impossible de trouver du travail à présent. Il passait ses journées dans des bars à picoler. Le soir, quand il rentrait, il avait les yeux tout rouge et titubait. La perte de son emploi l'avait complètement détruit, et cumulait dettes après dettes. Il sombra dans l'alcoolisme et, bien plus tard, la drogue. Quand sa femme lui criait dessus, il la battait. Même si nous nous isolions dans sa chambre, ma maîtresse et moi entendions tout, des insultes aux menaces de mort. Elle avait peur, et je me blottissais contre elle pour la rassurer.
Et puis un jour, la mère de ma maîtresse divorça. Elle n'avait jamais porté plainte contre son mari, de peur d'avoir de plus graves soucis. Elle emporta ses biens. La question de la garde de l'enfant se posa, et il fut décidé que chaque parent la garderait une semaine sur deux.Mais visiblement, personne d'autre à part sa femme ne savait que le maître buvait et se droguait.
Je restait avec ma maîtresse tout le temps. Sa mère avait loué un appartement dans un immeuble d'une ville voisine le temps d'avoir plus de sous pour avoir une autre maison plus grande. Elle travaillait en tant que femme de ménage dans une école. Elle avait donc moins de temps pour s'occuper de sa fille.
Quand ma maîtresse allait chez son père, elle pleurait tout d'abord. Je l'entendais dire "Papa est méchant ! Il me tape !", et sa mère la regardait d'un air désolé. Ensuite, une fois arrivée, elle me serrait dans ses bras et courait vers le mini parc du jardin, comme pour se cacher. Quant au maître, il passait ses journées devant la télévision, à regarder des matches de football, la bière à la main.
Avant la perte de son emploi, il adoptait une apparence très soignée : il se rasait tous les jours et avait les cheveux courts. À présent, il avait une barbe épaisse et effrayante, surmontée d'une moustache noire. Ses cheveux étaient sales et il avait une tonsure.
Il continuait à boire et était violent. Il ne prêtait plus aucune attention ni à moi ni à sa fille. Je me souviens encore, alors qu'elle avait remarqué que son père était mal coiffé, elle lui avait dit << Papa, faudra peut-être que tu ailles chez le coiffeur. T'as les cheveux tout pas propres ! >>.
Elle lui avait dit ça avec son air innocent et un grand sourire. Elle était complètement paniquée et en pleur quand son père lui mit une claque. Tout ce qu'il lui avait répondu, c'est un << connasse ! >>. Et il était repartit devant sa télévision.
Un jour, peut-être a-t-il voulu changer les choses, mais il décida de nous emmener nous promener au bord d'un lac. Il avait exigé que je sois tenu en laisse, alors il me passa au coup un vieux bout de corde que ma maîtresse tenait. De temps en temps, je me retournait pour regarder son visage: elle était triste. Peut-être triste de me voir ainsi, ou triste de ne pas être avec sa mère qu'elle chérissait tant.
La ballade dura sans un mot, sans aucune parole. De temps en temps, un ou deux Etourmi passaient au dessus de nos tête. Je soupirais à leur vue: eux au moins, ils étaient libre de mouvement. La corde qui me tenait était vieille et rugueuse. Elle me faisait mal à chaque pas, m'arrachant quelques poils au passage.
Tout à coups, alors que nous longions le lac, un Malosse surgit d'un bosquet et nous. Sous le coup de la surprise, ma maîtresse lâcha ma laisse. Mon maître, quant à lui, semblait effrayé : même s'il ne s'agissait que d'un Malosse, il n'avait jamais fait de combat Pokémon, et ne savait pas du tout quoi faire. C'était donc à moi de combattre.
Le Pokémon sombre se jeta sur moi avec une attaque Morsure, et vint planter ses mâchoires dans mes flans. Je réussis à sortir de son étreinte et l'attaquai à mon tour, avec ma seule attaque Charge. C'était donc un combat à coup de dent et à coup de tête.
Je commis une erreur fatale à ce moment là. Je m'en suis tellement voulu par la suite...
Le Malosse semblait à terre. Je retournais donc auprès de ma maîtresse. J'étais couvert de morsures, ma patte arrière gauche me faisait souffrir. La corde qui gardait mon cou s'était cassée lors du
combat.
Mais soudain, mon assaillant revint à la charge. Il me fonça dedans, ce qui me projeta contre ma maîtresse, la faisant tomber en arrière, la tête la première.
Dans le lac...
Elle ne bougeait plus...
Je voyait du rouge flotter dans l'eau...
Mon cœur s'arrêta de battre l'espace d'un instant...
Ma maîtresse venait de mourir sous mes yeux.
En à peine dix minutes, policiers, ambulanciers et pompiers étaient là. Ils constatèrent le décès, présentèrent leurs excuses au maître, emportèrent le corps et partirent.
Sous le choc, ma maîtresse avait chuté dans l'eau, s'était cogné la tête contre la paroi du lac et s'est noyé. Le choc avait causé une perte de sang.
Quelques jours plus tard, elle fut enterrée au cimetière le plus proche. Sa mère n'était pas présente lors de la cérémonie : elle s'était suicidée après avoir apprit la mort de sa fille.
Je n'ai jamais pu revoir le visage de ma maîtresse. La seule image d'elle qu'il me reste, c'est celle d'une petite fille noyée, le crâne défoncé par un choc..
Aujourd'hui, je vis seul avec mon maître. Mais depuis cet accident dont il me tient responsable, il me déteste encore plus. Je subis coups et insultes. Mon ventre crie famine. Je perd mes poils et je suis malade. Mais personne ne peut m'aider. Mon maître m'empêche de sortir de cet enfer. La mort de mes deux maîtresses est trop lourd à porter sur mes frêles épaules. Je suis trop faible...
Alors je veux mourir.
Ça a l'air bien ça, la mort.
Comme ça, je retrouverai ma maîtresse, et peut-être sa mère.
Mais je n'arrive pas à mourir.
La mort est trop lente à m'emporter.
Je veux mourir.
Que quelqu'un m'aide à mourir...