Adrien Leroir
Le manque de confiance que son fils affichait à son égard peinait au plus haut point Mme.Leroir, elle avait dit que la montagne la rendait mal à l'aise, son fils n'avait pas besoin de se refermer comme il le faisait de la sorte. Il manquait terriblement de chaleur avec elle.
Elle avait l'expérience de la vie. Confiance en son fils. Un jour, il le comprendrait aussi.
Il manquait d'expérience, c'était pour cela qu'il échouait une fois de plus.
Les deux portes métalliques se refermèrent derrière lui.
Adrien sortit son portable et tapa le numéro de sa mère.
Il attendait l'estomac noué par l'émotion.
- Alors mon chéri, ils t'ont pris ? Elle savait que ça comptait énormément pour lui.
Son rêve d'enfance depuis 19 ans, depuis le premier jour de sa naissance.
2 mois de stage pour rien !
- Ne te fais pas de souci mon chéri, je suis sûr que la prochaine fois tu seras parmi les qualifiés, gardes confiance en toi-même.
Sauf qu'il n'aurait droit qu'à une dernière chance.
- Ady, ça va, tu m'inquiètes ? Je passe te chercher si tu veux, de toute façon, je finis plus tôt aujourd'hui.
Ainsi, il attendait que sa mère vienne le chercher, et il n'était pas le seul, d'autres jeunes du même âge sortaient au compte-goutte.
Jamais il ne s'était senti si misérable. Heureusement que ses anciens copains de lycée était en deuxième année d'université. Il n'aurait pas supporté de devoir endurer leur sarcasme.
Une heure plus tard, il retrouvait sa chambre après tout ce temps.
Qu'allait-il faire ? Retrouver son ancien CDD pour pouvoir se permettre le luxe d'un nouveau stage.
Il aurait certes voulu prendre du repos. Mieux une année sabbatique !
Sa mère n'en avait certainement pas les moyens. Adrien soupçonnait qu'ils étaient moins aisés que sa mère ne le prétendait.
Le dîner fut pourtant le plus raffiné dont il avait le souvenir de ses dernières années. Il fit extrêmement plaisir à sa mère en avalant tout ce qu'elle lui mettait de l'assiette, le nourrissant comme un rescapé d'une bataille éreintante.
Elle le pressait de lui raconter quelque chose, visiblement curieuse. Il détourna son attention en lui demandant comment étaient allées les choses de son côté.
- Rien de bien palpitant, l'ambiance au bureau s'est détériorée. Mr Hoffman a pris sa retraite. Le nouveau patron est encore plus con que lui.
Sa mère avait toujours le même appétit, chacune de ses phrases se terminait par un bon coup de fourchette. Adrien se demandait par quelles tours de magie elle avait conservé sa fine taille.
- C'est un polytechnicien, il manque de savoir-faire.
Adrien s'excusa et prit congé de sa mère presque abruptement. Jamais elle ne le comprendrait, il se sentait comme un étranger sous son propre toit et les deux mois de stage n'avait rien changé en lui.
Il quitta la salle à manger sans même remarquer la tristesse qui accablait sa mère.
Elle resta là, inexpressive, le reflet de ses yeux saphirs dans les verres en cristaux lui apparut.
C'était la première fois qu'elle pleurait depuis 20 ans. L'échec d'Adrien la mortifiait.
Avec un soupir, elle se ressaisit et balaya sa tristesse. Elle s'empressa d'enlever son maquillage.
Elle retrouva lentement le sourire, emmitouflé dans ses couvertures, tard dans la nuit, certaine que sa surprise plairait à son fils. Elle lâcha prise et bascula dans un profond sommeil comme elle n'en avait plus connu depuis 2 mois. Elle était épuisé, elle avait tant donné, elle méritait du repos.
Son fils avait visiblement aussi passé une mauvaise nuit, ses traits étaient étirés, ses cheveux blonds gras, la fraîcheur autrefois marquée de candeur l'avait quitté avec son rêve d'enfance. Ses yeux bleus jadis si luisant brillait d'une tonalité plate. Seule sa voix semblait trahir ce constat. Les rares fois où ils lui échangeaient des bribes de phrase, elle le reconnaissait.
Contrairement à la vieille, toute trace de luxe avait désertée la table. Une nappe blanche tranchante de sobriété mettait en valeur un vase en verre bon marché dans lequel sa mère avait soigneusement disposé des tulipes rouges sang.
Elle lui avait préparé une omelette.
Sa mine sombre ne le quitta pas et il se renfrogna jouant l'indifférence.
Elle ne s'était pas attendue à cela. Elle prit les choses en main à la fin du petit déjeuner avant que son fils ne songe à se calfeutrer dans sa chambre.
- Je me suis renseigner pour l'université, ils sont prêts à te prendre en première année en chimie, physique, mais tes résultats en maths n'ont pas suffi. La rentrée est le 14 septembre, d''ici là tu as deux semaines où tu peux te reposer et profiter pour retrouver une vie normale.
Son fils avait été attentif. Soulagé, elle reprit plus librement :
- Je sais que ç'est dur pour toi et si tu ne veux pas en parler, je n'insiste pas. J'ai une bonne nouvelle à t'annoncer, non deux bonnes nouvelles. J'ai été promu, plus de soucis à avoir pour rembourser mes prêts, mais surtout j'ai l'argent qu'il te faut pour un nouveau stage à l'académie P….
Adrien l'a regardait l'air hagard. Elle venait de toucher deux mois de salaire, augmentation ou pas, il était improbable qu'elle ait touchée 10 000 euros en si peu de temps.
Elle comprit à son air dubitatif qu'il attendait une explication.
- En travaillant d'arrache-pied au black pendant deux mois, c'est fou le nombre de gens qui ne savent pas se servir d'un ordinateur !
Adrien savait qu'elle ne lui avait pas dit les choses dans leur intégralité. N'importe quel imbécile aurait pu conclure qu'elle avait emprunté cet argent à la banque.
« Laisse toi le temps de réfléchir, si tu ne veux plus y aller, tu n'es pas obliger, tu n'as rien à me prouver. Au pire, tu pourras utiliser cet argent pour une année sabbatique. »
Le soir, sa mère monta les escaliers, toqua trois fois contre le bois de la porte puis lassée, elle la fit pivoter sur ses gongs.
La chambre de son fils était vide, les affaires avaient été sorties de sa malle et rangés sans plis dans son armoire. Avec lenteur, elle ouvrit le tiroir de sa bibliothèque, l'argent s'était volatilisé avec son fils. Elle ne s'en étonna pas. Le choix d'Adrien la déchirait mais elle avait voulu se montrer digne de lui en lui laissant suffisamment de temps seul pour qu'il réussisse sa fugue.
Elle s'approcha de la fenêtre qui laissait échapper un courant d'air froid et humide d'automne. En la refermant, elle remarqua le portait qui encadrait la photo qui la représentait jeune souriante avec Ady, 10 ans plus tôt. Elle comprenait, le souvenir s'immisçant en elle.
C'était juste après que cette photo soit prise que le lien s'était déclaré. Elle avait eu le temps de se préparer lorsque le jour viendrait où elle devrait le laisser tracer sa route.
Il détestait Mulhouse. Pourquoi vivait-il ici ? Il se promena au canal qui était proche du lycée Albert S.
Il s'assit sur un banc et contempla le ballet d'insecte en tout genre qui tourbillonnait en tous sens.
Personne n'aimait les insectes, ne comprenait que ce n'était pas une perte de temps de lire des bouquins sur le sujet. Il connaissait tout sur les fourmis, les scarabées, les chenilles, les larves, les papillons, les araignées et surtout les mantes religieuses.
Les plantes lui étaient trop amorphes, mais avec Fleur, il s'était trouvé un complémentaire : deux amants de la nature.
Elle avait reçu son message et comprit en le voyant ruminer dans ses pensées sur le banc.
Ah, il ne s'était pas disputé avec sa mère. Il ne voulait qu'un moment d'intimité pour digérer son échec. Elle croyait en lui, il n'était pas le plus brillant des étudiants mais tenace et déterminé. Elle était fière de lui, elle savait qu'un jour il aurait fini de muer et du cocon sortirait l'homme qu'elle voyait enfui au fond de lui.
Voyant que le jour allait tomber, elle lui proposa d'aller dormir dans son studio. Il pourrait réfléchir tranquillement. Cette nuit-là, ils firent l'amour avec une fougue amoureuse et une passion comme dans les vieux couples.
La nuit était bien avancée et les deux amoureux dormaient trop profondément pour être réveillés par les fenêtres qui claquent. La clarté d'une plaque qui se mêla à l'être de Fleur renforça encore sa passion envers elle et il resserrera leur étreinte.