La marque des ténèbres
Rien.
Chaos.
Ni froid, ni chaud.
Pas de lumière. Jamais. Nulle part.
Seulement... le noir... l'obscurité...
Les Ténèbres.
Et soudain, alors que le Temps faisait son oeuvre...
Elle surgit. Elle dévora l'ombre. Elle s'imposa.
La Lumière fut...
« Debout le Ronflex! »
Surprise, la jeune fille ne retint pas un petit sursaut qui manqua de la faire tomber du lit.
Elle était dans un état de sommeil avancé et en sortir était peut-être la dernière chose qu'elle désirait! Mais comme d'habitude, on s'opposait à sa passion pour la grasse matinée... Elle se redressa et jeta un regard mécontent à son père qui venait d'ouvrir la porte à la volée, comme beaucoup trop souvent.
« Eh oui, il est déjà dix heures, il est temps de se lever! Allez, habille toi, je t'attends en bas.
-D'accord p'pa. » Vous n'imaginez pas les efforts que ça coûte, ces quelques mots!
Repoussant la tentation de replonger dans le sommeil, la jeune fille se leva et ouvrit les rideaux. Eblouie, elle se détourna et se posta devant le miroir. Plutôt petite pour son âge, elle portait ses cheveux noirs très longs. Elle avait des yeux tout aussi noirs, un peu trop à son goût. Mais bon, on fait avec, hein! Elle s'habilla lentement, en enfilant ce qui lui tombait sous la main, c'est à dire sa classique robe courte jaune, qu'elle attacha à sa taille d'un ruban rose, et ses bottes fétiches, en cuir brun.
Elle regarda par la fenêtre le petit village qu'elle habitait. Aridossile. Au fond de l'immense ravin qui traversait une grande partie de la région d'Aol, ce hameau avait la particularité de se trouver sous le niveau de la mer mais d'être très sec. Son autre particularité était d'être aussi peu peuplé... Deux maisons strictement identiques, en bois, surmontées d'un toit rouge et à base de pierre, pour toutes habitations, on peut dire que ça faisait peu de monde.
Ne voulant pas faire attendre son père, elle descendit les escaliers qui la menaient dans la salle à manger. Son père lui amena son petit-déjeuner, déjà préparé. Erabatera l'adorait. C'est lui qui s'occupait d'elle, 12 ans, et de sa soeur cadette âgée de 6 ans. Leur mère était déjà partie: elle travaillait comme championne d'Arène dans la grande ville de Port-Azur, ce qui lui garantissait un emploi du temps chargé.
« Eh bien, tu en as mis du temps ! Si tu cherches ta sœur, elle est partie se baigner dans l'étang, comme d'habitude. Quant au professeur, je suppose qu'il est toujours en train de gratter le sol dans le site de fouilles, comme il le fait si bien… Allez, va t'amuser. »
Elle avala le contenu de son assiette en vitesse, même en sachant qu'il ne fallait pas le faire, et, juste avant de sortir, elle passa sa petite sacoche de cuir dont elle ne se séparait jamais en bandoulière et enfonça sur sa tête un grand chapeau de paille autour duquel était noué un fin ruban rose.
Comme mentionné, il n'y avait dans Aridossile que deux maisons: celle d'Erabatera et de sa famille, et celle d'un étrange vieillard avec qui le contact était pour le moins ardu... Mais outre ces bâtiments, c'était également ici, dans ce lieu totalement reculé, qu'un homme atypique avait élu domicile: le Professeur Boneau, spécialiste des fossiles de Pokémon, s'était installé ici il y a six ans, juste avant la naissance de la petite soeur d'Erabatera. Son laboratoire, construit à cette occasion, semblait pourtant beaucoup plus vieux que ce qu'il ne l'était: il semblait délabré, avec ses murs fissurés et sa fenêtre cassée. C'est là que vivait et travaillait le professeur. Il avait choisi Aridossile dans l'espoir d'y trouver des fossiles inconnus jusqu'alors, espoir nourri par les conditions géographiques et climatiques du lieu qui en faisait l'endroit idéal pour la découverte des restes de Pokémon préhistoriques.
C'était d'ailleurs une tâche à laquelle Erabatera aidait souvent et ce depuis des années: faute de passionnés capables d'accepter de travailler dans un lieu si peu hospitalier, elle servait en quelque sorte d'assistante au professeur. Pour le moment, celui-ci ne faisait pas vraiment chou blanc dans ses recherches, étant donné qu'il avait déjà trouvé des fragments de fossiles, notamment Dôme et Nautile, qui attestaient de la présence de fossiles sur le site de fouille et le confortait donc dans ses espérances. Mais il n'avait pas encore trouvé la perle rare, celle qu'il attendait depuis si longtemps...
A force de l'aider, c'était devenu l'activité principale d'Erabatera, si bien qu'aujourd'hui, elle pensait son avenir tout tracé: elle reprendrait le travail du professeur et achèverait son oeuvre.
D'ailleurs, depuis l'irruption du Professeur dans le village, le paysage aride avait quelque peu changé: des trous avaient été creusés est ils étaient rarement rebouchés, tandis qu'un bâtiment d'acier entouré d'une clôture de bois surplombait les lieux. Devant ce bâtiment, des caisses s'entassaient et de nombreux outils servant aux fouilles gisaient au sol, prouvant la négligence du professeur qui ne parvenait pas à concilier son caractère pressé avec une bonne organisation.
Décidant de s'y rendre un peu plus tard, elle se rapprocha d'abord de l'étang du hameau dans lequel sa petite soeur barbotait, une bouée autour d'elle. Cet étang avait la particularité d'être extrêmement profond en son centre. En fait, elle n'avait jamais réussi à en toucher le fond, ni même à l'entr'apercevoir.
« Eh soeurette! l'aborda l'enfant toute joyeuse. Tu viens te baigner avec moi? Elle est super bonne! »
L'adolescente lui sourit, mais elle ne pouvait pas accepter. Elle allait se diriger vers le site de fouilles, quand une voix en sortit :
« ERABARETA! »
Avant même qu'elle n'eut la possibilité de réagir, le Professeur apparut et, en l'apercevant, s'exclama:
« Ah, te voilà! Vite, dépêche-toi! »
C'était bien ce qu'elle comptait faire, mais au cas où elle était soudainement prise de panique et d'une soudaine envie de s'enfuir, il lui attrapa le bras et l'entraîna dans le site de fouille avec un empressement inhabituel. Il la lâcha en arrivant au bout du court tunnel, et, en sautillant presque sur place, ne put retenir l'excitation qui perçait dans sa voix:
« Regarde moi ça! C'est la plus grand découverte de toute ma vie! »
En effet, Erabatea ne tarda pas à découvrir, éclairés par les lampes, trois pierres, apparemment des fossiles, qui ne lui disait vraiment rien. Si elle les avait déjà vu dans des livres, elle l'avait totalement oublié... Le professeur ramassa les trois précieuses pierres et l'entraîna à nouveau dans sa course, qui se termina cette fois au laboratoire. Reprenant son souffle, il reprit:
« Erabareta, c'est un jour historique! Enfin, après tant d'années de recherches, je crois que nous touchons au but!" Sa voix était pleine de conviction. "D'après mes premières observations, ces fossiles sont uniques au monde! »
Il avait bien insisté sur le "uniques". Erabareta était rassurée quant à sa mémoire qui ne lui avait donc pas joué de mauvais tour, mais ne réalisait pas encore l'ampleur de l'évènement. Le professeur se tourna vers une immense machine qui trônait au fond du laboratoire. Erabareta s'était toujours demandé à quoi elle servait, mais ne l'avait jamais demandé. En fait, elle pensa que c'était du au caractère intimidant de l'appareil... Mais son ignorance était sur le point de disparaître.
« Cette machine que tu vois là fait partie des premières machines servant à restaurer des fossiles à partir de leur ADN! Je faisais partie de l'équipe qui travaillait sur ce projet il y a longtemps... Aujourd'hui, chaque région possède la sienne. Celle-ci n'a jamais servi, ce sera l'occasion de l'utiliser! »
Il se retourna vers la jeune fille, un sourire aux lèvres:
« Erabareta, ma chère assistante, comme tu m'as aidée pendant plusieurs années, je vais te laisser l'honneur de choisir le premier de ces trois fossiles qui sera restauré! En effet, si dans le passé nous devions imaginer et supposer comment pouvaient vivre ces créatures, et à quoi elles ressemblaient, aujourd'hui, nous pouvons observer directement leur comportement. Allez, va, très chère, choisis le premier!
-D'accord. »
Elle ne parvint pas vraiment à dire plus, car la longue tirade du vieil homme l'avait laissée pour le moins surprise. Et surtout... Elle allait faire face à un Pokémon, mais surtout à un Pokémon que personne d'autre n'avait encore jamais vu! C'était simplement incroyable.
Le premier fossile semblait des branches prises dans la roche, qui étaient légèrement charbonneuse. Celui-ci devait être sans aucun doute le fossile d'un Pokémon de type plante.
Le deuxième fossile découvert était un crâne assez petit et peu distinguable, seules deux incisives carrées ressortaient véritablement. La roche était noire et dure, comme si il s'agissait de roche volcanique, ce qui semblait indiquer qu'il s'agissait d'un Pokémon de type feu.
Le troisième et dernier fossile ne montrait qu'un tentacule pris dans le roc. La pierre semblait être calcaire, à la différence des autres, peut-être signe d'un Pokémon de type eau…
Erabareta n'avait aucune idée duquel choisir. Elle se dit simplement qu'un type Feu serait peut-être dangereux, et qu'un type Eau préfèrerait sûrement voir la mer, ou du moins l'eau, à sa renaissance... Son choix s'orienta donc vers ce qu'elle croyait les restes d'un Pokémon Plante. Elle le prit précautionneusement et le tendit au scientifique. Celui-ci hocha la tête et s'empara du fossile.
« D'accord. Tu as donc choisi ce fossile. Parfait! Je vais le placer de ce pas dans la machine. Je suis tout excité! »
Et effectivement, son excitation était facilement perceptible. Mais après tant d'efforts, on ne pouvait pas lui en vouloir s'il ne tenait plus en place, enfin arrivé à son objectif. Il ouvrit le capot de la machine, avec entrain, puis plaça le fossile à l'intérieur. Il rebrancha quelques fils avant de refermer précautionneusement le capot de métal, puis se posta devant le centre de commandes et commença à taper à toute allure sur son clavier. Ne tenant tout de même pas à faire une erreur, il relu les informations et les réglages qu'il avait entré avant d'appuyer sur Entrée d'un air satisfait. Il se redressa et actionna un petit levier. La machine se mit doucement en route, avant de soudainement s'emballer dans un vacarme assourdissant. Alors que les vibrations qui se répercutaient sur le sol commençaient franchement à effrayer Erabareta, qui ne put s'empêcher de faire quelques pas en arrière, l'appareil se calma brusquement, et le capot s'ouvrit à nouveau en laissant cette fois s'échapper une épaisse fumée noire. La jeune fille ferma ses yeux larmoyants et tenta de respirer sans s'étouffer, ce qui était moins aisé que ce que l'on pourrait croire. Elle crut entendre un petit cri, qui ressemblait à «Hériiii». Quand la fumée se fut dissipée, la première chose qu'elle vit en ouvrant les yeux la fit tressaillir de surprise. Non pas qu'elle ait vraiment douté, mais elle n'avait pas encore totalement pris conscience qu'une simple roche pouvait devenir la petite créature qui se trouvait à présent dans la machine. Le Pokémon était un quadrupède au dos hérissé de petites branches visiblement morte, et arborant une feuille solitaire au-dessus de son front. Sa petite bouille adorable charma directement Erabareta, qui sortit bien vite de ses rêveries avec l'exclamation du professeur:
«AH AH! J'ai réussi! Ce Pokémon était bel et bien totalement inconnu au monde! Je vais enfin être célèbre! Vite, restaurons les deux autres!»
Erabareta commençait à partager l'enthousiasme du chercheur. Elle comprenait enfin réellement son engouement: elle donnerait beaucoup pour revivre un moment comme celui qu'elle venait de passer... Ce qui tombait bien, puisqu'elle allait assister à la renaissance de deux autres fossiles!
Hâtif, le professeur Boneau déposa au sol le Pokémon encore tout désorienté, qui alla se réfugier sous un table pour évacuer le stress qui s'accumulait en lui face à cette avalanche de choses nouvelles à appréhender. Le vieil homme ne s'en formalisa pas et plaça les deux fossiles en même temps dans la machine. Il répéta le processus précédemment exécuté, et abaissa à nouveau le capot de la machine qui se remit en branle, à peine calmée de ses émotions de l'instant précédent. Alors qu'elle atteignait à nouveau son paroxysme sonore à grands renforts de tremblements, sifflements et grincements, le tout accompagné de quelques flash lumineux de plus ou moins bon goût, la machine à redonner la vie décida brusquement d'arrêter la son travail, pour une obscure raison. Et avec elle, tous les appareils électriques se mirent en grève. Dans l'obscurité nouvelle, après un court et pesant silence, le professeur parla. Sa voix avait perdu toute l'excitation dont il faisait montre quelques secondes auparavant, mais il n'était pas encore angoissé, plutôt surpris. Ce qui était compréhensible...
« Mais... Que s'est-il passé ? Les plombs ont sautés ? Allons voir les dégâts dehors... »
Erabareta acquiesça en silence et le suivit en dehors du laboratoire. Là, un étrange spectacle les attendaient. La jeune fille tenta de se souvenir, mais elle ne parvenait pas à se rappeler d'autre chose que du soleil en se levant. Et pas de ce ciel sombre et inquiétant, couvert en tous points par d'épais nuages ne semblant qu'attendre d'éclater dans un terrible orage. Ce qui serait plutôt inhabituel pour la région... A vrai dire, si elle avait sûrement déjà vu pleuvoir, c'était un événement particulièrement rare. Et entendre ainsi le sourd grondement du tonnerre encore lointain, c'était quelque chose d'à peu près inédit... Elle tourna son regard inquiet vers le vieil homme qui, comme elle, observait cet étrange phénomène, les sourcils froncés, la grosse ride qui barrait son front durant ses moments de réflexion bien apparente.
« Ca ne vient pas du labo, mais de la centrale, sans aucun doute. Erabareta, pourrais-tu y jeter un coup d'œil, voir ce qui se passe? Je vais essayer de relancer la machine.»
Et sur ces mots, il se dirigea vers la porte du laboratoire, d'un pas décidé, mais n'y pénétra pas. Sur le seuil, il se retourna vers la jeune fille, et l'avertit en lui jetant un regard qu'elle ne comprit pas vraiment :
« Ah, maintenant que j'y pense, vu que tu n'as pas de Pokémon, ne va pas dans les hautes herbes ! Ca peut être dangereux ! Et si tu ne sais pas où est la centrale, elle est juste à côté de la ville, un sentier y mène. »
Puis il rentra, sans attendre de réponse quelconque. L'adolescente se mordilla la lèvre. Que faire ? Non, évidemment, elle allait obéir au professeur, mais c'était bien la première fois qu'elle allait partir pour ce genre d'excursion... Et dans ce cadre là, elle n'était pas absolument rassurée. Mais, comme elle faisait confiance au vieux scientifique, elle prit son courage à demain et sortit du village par l'Ouest.
Le chemin qui menait à la Centrale était un long sentier, qui serpentait au milieu des hautes herbes jusqu'au grand bâtiment. Il était assez peu emprunté, vu le peu de passage dans le coin... Erabatera n'y était jamais allé seule. Elle avait un peu peur de se faire attaquer par des Pokémon sauvages, mais au fur et à mesure qu'elle s'éloignait d'Aridossile, son appréhension disparaissait, et elle jetait autour d'elle un regard curieux. Elle aurait peut-être même osé s'aventurer dans les herbes, mais le nombre d'avertissements qu'elle avait reçu l'en dissuada. Surtout que si elle était blessé, personne ne la trouverait avant quelques temps, surtout avec un temps aussi entraînant au voyage... Elle frissonna en envisageant cette possibilité, et resta bien sur le chemin, l'atmosphère pesante et le menaçant silence prenant soudain plus d'importance à ses yeux.
Finalement, elle arriva face à la Centrale. Sur son promontoire rocheux, l'imposant bâtiment de verre, métal et béton était parfaitement mis en valeur par le contexte... Et l'obscurité qui régnait apparemment à l'intérieur n'arrangeait pas les choses. Erabareta dut faire un gros effort de volonté pour surmonter la peur qui lui tenaillait maintenant le ventre, et avança avec courage vers la pénombre.
« Allez, t'es plus une fillette ! C'est pas le moment de se dégonfler ! » pensa-t-elle pour se motiver.
Elle entra donc et progressa doucement, en mettant avec précautions un pied devant l'autre... Elle s'arrêta. Ne venait-elle pas d'entendre quelque chose ? Non, ça devait être son imagination... Mais à peine allait-elle repartir, qu'un cri terrifiant et inhumain se fit entendre. Toute sa volonté disparut finalement avec l'apparition d'un éclair au fond de la central, qui acheva de la faire quitter les lieux en prenant ses jambes à son cou.
Dans la panique, elle manqua d'entrer en collision avec un nouvel arrivant. Elle bredouilla une excuse en baissant la tête, avant de regarder à qui elle avait affaire.
Le jeune homme, blond, portait un sweat rouge et un pantacourt noir,des chaussures rouge et blanc, une casquette jaune et noir, et un sac gris sur le dos. Il semblait avoir une vingtaine d'années. Intriguée par le look assez peu banal, elle se demandait comment elle devait agir dans cette situation légèrement gênante, mais c'est l'inconnu qui résolut ce dilemme pour elle, non sans l'avoir gratifié d'un regard qui trahissait à la fois sa surprise et le petit quelque chose de mépris qu'il éprouvait :
« Mais t'es qui toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Lâcha-t-il avec condescendance.
-J'habite à côté, le professeur Boneau m'a demandé d'aller voir ce qui se passait, » répondit la jeune fille légèrement bousculée par le ton de son interlocuteur, mais décidée à ne pas se laisser marcher sur les pieds.
« Ah, je vois… Donc le prof. Boneau envoie une gamine pour voir ce qui se passe à la centrale… Pffff… ça ne m'étonne même pas ! Et tu n'as pas de Pokémon j'imagine ?
-Euh… non… déclara timidement la jeune fille, visiblement gênée. » Le jeune home leva les yeux au ciel, l'air de dire « mais qu'est-ce que je fais ici avec cette fille moi ? »
« Ok, je m'en doutais… Bon, bah puisque t'es là, autant te laisser faire ce que t'avais à faire… Laisse moi deviner, il fait sombre, et on entend des bruits qui font peur ? lâcha-t-il d'un ton cynique et mauvais. Allez, tiens, cadeau, je te file ça… »
Il sorti alors de son sac une lampe torche qu'il tendit à Erabareta, la regardant d'un air navré. Celle-ci n'hésita pas longtemps avant de l'attraper, repensant à l'obscurité, qui lui faisait peur, elle ne pouvait pas non plus nier !
« C'est une lampe torche, ça te permettra de voir un peu devant toi. Ca vaut pas Flash, mais au moins, tu verras où tu mettra les pieds… »
La jeune fille le regarda sans dire un mot. Elle était très déstabilisée... Donner une lampe, mine de rien, c'était assez gentil, non ? Mais à côté de ça, on ne pouvait pas dire qu'il était très aimable !
« Eh oh ! Tu fais quoi là ? Vas-y donc quoi ! J'vais pas rester là comme un Ramoloss à te regarder hein ! »
… Non, il n'était pas gentil. Vexée, Erabareta fit volte face et s'enfonça à nouveau dans l'ombre, mais cette fois-ci, elle chassa les ténèbres en allumant la lampe torche. La façon avec laquelle le jeune homme lui avait parlé lui avait presque fait oublié les éclairs et les cris, mais c'était trop tard pour reculer. Alors qu'elle se rapprochait du fond de la Centrale, un nouveau cri la fit s'arrêter. Terrible. C'était l'inconnu qui l'effrayait... Mais elle devait surmonter sa peur !
Puis il y eu une petite étincelle, à peine visible. D'autres suivirent dans un bref crépitement, puis ce fut un déluge d'éclairs aveuglants qui naquit. Eblouie, Erabareta manqua trébucher en reculant et s'appuya au mur pour rester debout. Et dans la lumière, elle discerna un immense oiseau, au plumage jaune, ses ailes crénelées grandes ouvertes. Elle crut un instant qu'il la regardait de ses yeux perçants, mais il leva vite la tête et ouvrit son long bec orangé sur un de ces cris qui avaient plus tôt effrayé la jeune fille. Qui l'effrayaient d'ailleurs encore plus, maintenant qu'elle se tenait face à leur auteur. Soudain, le Pokémon abattit ses ailes et s'éleva au-dessus du sol, et, en quelques battements d'ailes, il quitta la centrale par la lucarne présente dans le plafond. Comme une coïncidence, le courant revint exactement à ce moment là. Encore stupéfiée, elle crut soudain sentir quelque chose derrière elle et se retourna prestement, en proie à un stress inhabituel du au surplus d'émotions. Elle crut distinguer une silhouette sombre, mais un clignement d'yeux plus tard, elle se demanda si elle ne venait pas de rêver. Alors qu'elle remettait en question ses « visions », elle vit que le jeune homme rencontré précédemment se trouvait non loin d'elle. Elle n'avait pas fait attention à son entrée, pas encore revenue à son état normal... Quand il parla, il avait l'air très pensif.
« Elekthor… Le légendaire de Kanto… Mais que pouvait-il bien faire ici ? A Aol ? Décidément, ces créatures me surprendront toujours… »
Elle ne savait absolument pas de quoi il faisait mention et ne comprenait pas de quoi il parlait, mais eu la confirmation que l'évènement l'avait bien plongé profondément dans ses pensées :
« Tiens, t'es là toi ? Eh beh, pour une pauvre gamine sans Pokémon sortant d'un hameau paumé, t'as du bol ! Ce genre de trucs, ça arrive pas tous les jours ! Bon, j'ai d'autre Miaous à fouetter, j'y vais… »
Et en effet, il y alla. Sans la saluer, cela allait de soi... Mais sans non plus reprendre sa lampe. De toute façon, il ne la méritait pas !... Et puis, vu que l'électricité était revenue, elle s'avérait maintenant assez peu utile. Erabareta la remit sans son sac.
Elle reprit le même chemin que précédemment, en sens inverse. Le ciel était toujours terriblement sombre... On se croyait en début de soirée tant peu de lumière filtrait, alors qu'on ne devait pas avoir dépassé treize heures. Perdue dans ses pensées, essayant de démêler tout ce qu'elle avait vécu en quelques heures seulement, elle réalisa soudainement qu'elle arrivait presque à Aridossile. Alors qu'elle s'approchait donc de son village natal, elle remarqua deux hommes qui semblaient habillés en noir, ou en tous cas, c'est ainsi qu'elle les vit habillés dans la pénombre, qui quittaient précipitamment le hameau. Elle ne se posa pas plus de questions, ayant déjà été assez remuée à son goût. Et de toutes façons, elle ne recroiserait jamais ses hommes, et eux n'auront jamais d'impact sur sa vie, alors à quoi bon se questionner...
Alors qu'elle arrivait, le sourire au lèvres, car après tout, sa mission était une réussite, aux alentours du laboratoire, elle vit le Professeur Boneau en sortir à toute allure et dans un état de panique totale, aux limites de la crise d'hystérie :
« NOOOOOOOON ! C'EST HORRIBLE ! »
Il se tourna vers elle et lui déclara :
« Erabareta, c'est atroce ... Dans la pénombre, pendant que je tentais de relancer la machine, des personnes sont venues… ET ONT VOLES LES FOSSILES ! C'est une catastrophe ... Ma vie est fichue ! »
Puis, sans attendre de réponse, il prit ses jambes à son cou et détala vers le site de fouilles, pour y faire elle ne savait quoi.
Elle resta un instant sur place, ahurie. Elle n'avait même pas envisagé la possibilité qu'on dérobe les fossiles... Certes, ils étaient précieux, mais qui se souciait aujourd'hui des activités de l'excentrique professeur? Eh bien, apparemment, des gens y avaient prêté attention... Elle était terriblement déçue. Combien elle aurait aimé voir, comme tout à l'heure, la restauration des deux fossiles !
Soudain, un petit cri apeuré la sortit de ses réflexions. Elle aperçut, dans l'entrebâillement de la porte, le Pokémon qui avait été restauré plus tôt dans la journée. Encore un peu craintif, mais ayant l'air plus sûr que tout à l'heure, il quitta doucement le laboratoire et regarda curieusement ce qui s'offrait à ses yeux. Comme il se dirigeait vers elle, mue par une sorte d'instinct, elle se baissa et lui sourit. Quand il fut à portée, elle tendit doucement le bras et lui caressa la tête. A son étonnement, il ne s'enfuit pas au contact et sembla même apprécier. Pensant que l'après-midi touchait à sa fin, elle décida de rentrer chez elle et se redressa. Elle n'avait pas mangé ce midi, et tout son corps semblait le lui reprocher... C'est vrai que ça n'était pas dans ses habitudes ! Alors, elle se dirigea vers chez elle. Sur le chemin, elle remarqua que le Pokémon ressuscité la suivait à une distance prudente. Elle ne dit rien, et choisit de ne pas réagir. Elle ne voulait surtout pas brusquer la petite créature... Elle reprit donc sa route, un sourire au lèvres. Il fallait voir les bons points de la journée, n'est-ce pas ?
Quand elle arriva sur le seuil, elle n'hésita pas longtemps : elle ouvrit la porte devant elle puis se déplaça. Elle chercha le petit Pokémon des yeux et l'invita à rentrer.
« Allez, viens ! Il ne va rien t'arriver de mal, ne t'inquiète pas... »
Il s'était immobilisé. Erabareta se demandait bien comment il allait réagir, quand il recommença à avancer doucement, et finit par entrer dans la maison. Elle l'y suivit. Son père lisait un journal dans un fauteuil, et le baissa en l'entendant entrer. Il allait dire quelque chose, quand il vit le nouveau venu.
« Tiens ? Quel est donc ce Pokémon ? Tu l'as trouvé où ? »
Il se leva et s'approcha en portant un regard curieux sur la créature, qui se réfugia derrière la jeune fille. Celle-ci lui expliqua :
« Le professeur l'a ressucité à partir d'un fossile. Le pauvre étant tout seul, il m'a suivi...
-Hmm, je vois... Ce qui explique que je ne l'ai jamais vu... »
Il fit quelques pas d'un air pensif, alors que sa fille se demandait s'il avait vu beaucoup de Pokémon dans sa vie. A la vérité, si elle savait que sa mère supportait la lourde tâche de championne d'Arène et avait donc forcément un contact régulier avec les Pokémon, elle n'avait aucune idée des activités passées et présentes de son père. En fait, elle ne savait même pas s'il en avait... Elle ne s'était jamais véritablement posé la question auparavant. Alors qu'elle s'apprêtait à la faire pour la première fois, il reprit la parole en faisant disparaître cette occasion :
« Erabareta. Tu ne t'en rends peut-être pas compte, mais tu es très mature pour ton âge... Je pense qu'il est temps pour toi d'apprendre à connaître le monde à l'extérieur d'Aridossile. »
Elle écoutait avec attention. Son père lui parlait rarement avec cette voix là...
« Quand nous avions ton âge, ta mère aussi, nous sommes parti à « l'aventure », comme nous aimions le dire. Nous avons voyagé dans tout Aol avec des Pokémons que nous rencontrions... Les buts des voyages étaient différents, par exemple, ta mère rêvait de devenir Maître, ce qui est loin d'être aisé avec si peu d'expérience. Mais je m'égare... »
Et en effet, il s'égarait. Erabareta dut faire un gros effort pour rester concentrée, surtout qu'il était assez inconfortable d'être attentif tout en étant debout.
« Aujourd'hui, cela se fait beaucoup moins. On a compris que ce n'était pas assez gérable... Mais pour toi, je pense que ce serait la meilleure voie possible. Pour ton épanouissement.... » Il avait un air important. Elle sut qu'elle devait bien écouter... « Erabareta, reprit-il, ton avenir n'est pas de demeurer toute ta vie à Aridossile. Tu dois apprendre à voler de tes propres ailes...
Après la centrale et les marais, il y a un petit village du nom de Maréboue. Un jeune homme du nom de Raoul s'y trouve : il pourra t'aider à quitter le ravin. Mais avant cela, il te faut un Pokémon. Et comme celui-ci semble t'apprécier, je ne sais pas trop pourquoi… Veux-tu le capturer ? Il t'accompagnera pendant ton périple. Alors, qu'en dis-tu ? »
C'était un instant très différent de tout ce qu'elle avait vécu. On l'avait toujours mis en garde à ne pas s'aventurer en dehors du village, et voilà qu'elle s'y trouvait presque poussée de force... Mais n'avait-il pas raison ? Devait-elle vraiment rester ici toute sa vie, et suivre la voie du Professeur Boneau ? Toutes ses certitudes étaient remises en question. Mais au fond d'elle, elle sentit quelque chose d'indéfinissable éclore, renaître après des années de sommeil... tel un fossile ramené à la vie... Elle parla avec une voix tremblante d'émotion :
« O... Oui papa. Je... je veux le faire.
-Ah... » Il la regarda avec un regard plein de bonté et de nostalgie. « Je m'y attendais. Après tout, tu es bien la fille de ta mère ! »
Cette petite réflexion fit « tilt » chez Erabareta. Elle s'exclama, un peu anxieuse :
« Et... Et maman ? On ne devrait pas l'attendre pour faire ça ?
-Ta mère serait d'accord. Nous en avions discuté, il y a quelques temps... Et en ce moment, elle a un emploi du temps très chargé. Elle ne pourra pas être là, ce soir.
-Oh... répondit simplement Erabareta, déçue.
-Tiens, prends cette Pokéball. » Il lui tendit un objet sphérique, rouge et blanc. « Il te suffit d'appuyer sur le bouton pour que ton compagnon fasse partie de ton équipe. »
Elle prit l'objet. Elle savait bien que c'était un objet très courant dans le monde du dressage de Pokémon, mais elle ne se souvenait pas en avoir déjà tenu... Elle se retourna vers le Pokémon, et comme le lui avait suggéré son père, appuya sur le bouton. Un rayon rouge alla frapper la créature qui fut ramenée dans la sphère. Celle-ci vibra une fois, deux fois, trois fois... Erabareta sentait une grande tension en elle. Et s'il ne voulait pas d'elle ? Et si... Mais ses inquiétudes s'envolèrent quand la Pokéball s'immobilisa avec un petit clic.
Et voilà. Elle avait un Pokémon. Un Pokémon à elle, avec lequel elle pourrait partager ses aventures... Son esprit n'était qu'un mélange d'émotions contradictoires. Elle avait eu une journée pour la moins inhabituelle...
Mais en vérité, elle se sentait heureuse. Heureuse et confiante, même si c'était sous un ciel de ténèbres qu'elle devait commencer son aventure... Plus que tout, à cet instant précis, elle se sentait prête.