Entre infini et au-delà de Cyrlight

Already gone - Kelly Clarkson


Lorsque Cassy poussa la porte de sa chambre, elle ne remarqua pas immédiatement le petit papier blanc à même le sol, si bien qu'elle marcha dessus par inadvertance. Quand elle s'aperçut qu'il était collé à la semelle de ses bottes, elle s'assit sur son lit et l'en retira. Elle le déplia :

Passe me voir dans ma chambre dès que tu trouveras ce message, c'est très important.
E.

Comprenant qu'Esméralda avait dû glisser ce billet rédigé à la hâte dans l'interstice du battant, elle ne prit pas la peine d'enlever son manteau et ressortit en trombe dans le couloir, qu'elle traversa d'un pas déterminée. Arrivée à hauteur de la pièce de sa consoeur, elle frappa de façon codée, comme elles s'étaient mises d'accord le premier jour.

Elle entendit une légère précipitation de l'autre côté, puis la gitane vint lui ouvrir. Malgré son teint basané, elle semblait pâle. L'anxiété se peignait sur son visage et, pendant un instant, la dresseuse eut peur qu'il ne soit arrivé malheur.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle aussitôt. Marion...
- Non, rien de grave. J'ai trouvé le glyphe que nous recherchions.

Cassy l'observa, désemparée. Ce n'était pas son genre de faire des plaisanteries de mauvais goûts, et encore moins lorsque la situation paraissait si peu propice à l'allégresse. Cependant, comme la voyante ne se départait pas de son sérieux, elle finit par déclarer d'une voix moins maîtrisée qu'elle ne l'aurait voulu :

- C'est impossible, étant donné que je viens de le découvrir à l'instant.
- Pourtant, je ne me trompe pas. J'ai même vérifié par projection astrale. C'est le type sol.
- Sol ? Et moi le type normal. Ce qui signifie... Il y avait deux glyphes à Voilaroc. C'est pour cela que le détecteur de Régis n'arrivait pas à isoler précisément les coordonnées. La présence des deux à proximité l'un de l'autre le rendait fou et il nous a fourni des informations imprécises. Où est-il ?
- Il attend dans ma chambre. Je l'ai ramené avec moi.

La jeune femme s'avança pour pousser la porte afin de rencontrer le nouveau membre de la Confrérie, mais Esméralda s'interposa. Elle semblait particulièrement mal à l'aise et il lui fallut un bon moment avant de parvenir à trouver les mots qu'elle souhaitait prononcer.

- Ecoute, la situation risque d'être un peu compliquée...
- Comme avec les autres, j'imagine. Mettre la main sur un glyphe est difficile, certes, mais pas autant que de réussir à les convaincre de notre sincérité par la suite.
- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Il... L'homme qui porte le symbole, je le connais. Depuis longtemps, même.
- En quoi cela est-il compliqué ? Au moins, il a plus de chance de nous faire confiance.
- C'était mon fiancé.

Cassy ouvrit des yeux ronds malgré elle. Jusqu'à présent, elle n'avait jamais entendu la gitane évoquer sa vie privée. D'ailleurs, elle ne savait rien d'elle hormis leur expérience commune depuis qu'elle avait rejoint la Confrérie.

- Qu'est-ce qui est arrivé ? interrogea-t-elle doucement, comme pour ne pas la brusquer.
- J'avais à peine seize ans, à l'époque, et... Au début, nous étions une grande communauté, jusqu'au jour où nous avons tous dû nous séparer. J'ai donc suivi mes parents, alors que lui est parti avec son oncle. Nous nous sommes revus, une fois, il y a quelques années. Je venais à peine de rejoindre la foire, et j'ai appris que lui travaillait dans un cirque en tant qu'acrobate.
- Et vous pensez que votre relation peut complexifier la situation ?
- Sûrement, surtout qu'il est marié, désormais.

La dresseuse haussa les sourcils. Cela risquait effectivement de poser problème, toutefois les évènements actuels rendaient déjà leur vie infernale. Avec peu plus ou un peu moins d'ennuis, elle ne verrait sans doute pas la différence.

- Peut-il trouver une excuse auprès de sa femme ?
- Il n'y aura pas de soucis de ce côté là, elle est en tournée pour huit mois avec son propre spectacle.
- Et pour vous ?
- Comment cela, pour moi ? s'étonna Esméralda.
- Je me doute bien que cela ne va pas être facile à vivre.
- Ne t'inquiète pas, j'ai connu déjà pire. L'important, pour l'instant, c'est d'en finir avec toute cette histoire. Je peux bien faire des compromis. Viens, maintenant, je vais te le présenter, mais s'il te plaît, pas un mot sur ce dont je viens de te parler.
- Vous avez ma parole.

La voyante la fit pénétrer à l'intérieur de la chambre, où un homme se trouvait assis sur le tabouret. Le teint mat, les cheveux noirs comme le pelage d'un Démolosse, les iris de même couleur, il se leva pour la saluer. La jeune femme l'observa, dans les limites permises par la bienséance.

- Bonsoir, lança-t-il avec un accent du sud, presqu'inconnu à son oreille. Vous devez être mademoiselle Cassy Rilène ?
- Juste Cassy, cela suffira. Je suis désolée, mais j'ignore votre prénom.
- Marco, pour vous servir. Esméralda m'a expliqué ce que je faisais là.
- Elle vous a tout dit ? De la Confrérie jusqu'à la Team Galaxie ? Et Li...
- Ahem, ahem ! toussota violemment la gitane dans son dos afin de l'interrompre. Marco, montre-lui ton glyphe, tu veux bien ? Afin qu'elle vérifie que je ne me suis pas trompée.

L'homme, âgée d'environ une petite quarantaine d'années, remonta la jambe de son pantalon ample, pour lui faire voir le symbole qu'il portait à la commissure du genou. Il s'agissait de deux traits horizontales superposés, à l'image d'un égal allongé.

- Effectivement, c'est bien le type sol. Il est apparu suite à un coup que vous a infligé un pokémon, c'est cela ?
- Oui, un Racaillou. Je ne me souviens plus de l'attaque qu'il avait lancé.
- Ce n'est pas grave. En tout cas, vous êtes des nôtres, désormais. Vous n'avez qu'à garder la chambre d'Esméralda pour la nuit, elle viendra dormir dans la mienne. Nous quitterons probablement Voilaroc demain. Maintenant, je vous prie de m'excuser, mais je dois m'entretenir avec elle au sujet d'un autre glyphe, et surtout nous devons aller voir si notre autre consoeur est de retour.
- Je comprends. Je ne bougerai pas d'ici.

Cassy le remercia d'un signe de tête pour sa coopération, puis elle regagna le couloir, la gitane sur ses talons. Après avoir soigneusement fermé la porte dans son sillage, elle se tourna vers son amie pour l'informer :

- La fille au type normal est encore au lycée. Elle a d'abord refusé de me croire, alors je l'ai laissée rentrer chez elle pour qu'elle puisse réfléchir au calme. Si elle accepte de nous suivre, je demanderai à Marion de raconter une histoire à ses parents sur un stage à la FSR de Fiore. Cela nous fera gagner un temps précieux.
- C'est une excellente idée.
- Merci, mais vous aussi, vous avez fait du bon travail. Il ne semble même pas inquiet des évènements à venir. En revanche, je ne comprends pas... Pourquoi m'avoir interrompue avant que je ne mentionne Lilith ?
- Tu nous a demandé une fois qui était croyant, au sein de la Confrérie. Sache que chez nous autres, les gens du voyage, la foi occupe une place prépondérante. Je n'ai rien dit à Marco parce que la seule mention du nom d'une démone aurait suffi à le faire disparaître dans la nature.
- Peu de gens la connaisse, je ne suis pas certaine...
- Si. Il y a une légende parmi notre communauté, peut-être même la plus redoutée de toute. Celle de la dévoreuse d'enfant.

Cassy leva les yeux au ciel. Si, après les religieux, les gitans se mettaient aussi à croire à de telles sornettes, plus personne n'accepterait de s'allier avec l'épouse de Giratina.

- Il ne se battra pas contre Arceus, et pourrait même se retourner contre toi s'il venait à apprendre qu'il s'agit de ton objectif. En revanche, il nous sera utile face à la Team Galaxie.
- Je ne suis pas sûre que lui avoir tu la vérité soit la meilleure option. Lilith aussi, est membre de la Confrérie, et ce sont des Gijinkas qui assurent notre protection, des démons. Que se passera-t-il si nous sommes attaqués par quelque légendaire ?
- Je... A ce moment là, nous aviserons. Tu sais très bien qu'il sera en danger s'il ne vient pas avec nous, or s'il sait tout cela, il n'acceptera jamais de nous suivre. Je t'en prie, laissons simplement faire les choses.
- De toute façon, se contenta de répondre la dresseuse avec un haussement d'épaule, j'ai toujours dit que je ne forcerai jamais quiconque à combattre Arceus, alors...

Esméralda lui jeta un regard reconnaissant juste avant qu'elles ne s'engagent dans les escaliers qui conduisaient à l'étage. Parvenues dans cet autre couloir, ils passèrent devant trois portes auxquelles elles ne prêtèrent aucune attention, puis s'immobilisèrent face à la quatrième. Cassy frappa deux coups longs, puis un court.

- Pas de réponse. Marion ne doit pas encore être revenue.
- Il n'est que huit heures moins vingt, elle a encore une petite marge avant que nous n'ayons à nous inquiéter.

La jeune femme s'efforça de paraître rassurée, mais cela ne fonctionna pas. Puisqu'il n'y avait plus de glyphe à trouver, elle ne comprenait pas pourquoi la Ranger, voyant que ses recherches ne la menaient nulle part, n'était pas déjà rentrée à l'hôtel.

Elles s'apprêtaient à tourner les talons lorsqu'une silhouette se découpa à l'extrémité du corridor, entre les portes ouvertes de l'ascenseur. La démarche légèrement claudiquante, elle s'avança dans leur direction. Quant elle fut à mi-chemin, elle distinguèrent les traits d'une Marion totalement échevelée.

- Bon sang, que vous est-il arrivé ? demanda aussitôt Cassy en se précipitant à sa rencontre.

Elle avait la lèvre inférieure ensanglantée, une ecchymose violacée sur la joue et l'oeil boursouflée. Des brindilles étaient accrochées dans ses cheveux, comme après avoir traversé un buisson épineux en rampant. Ses vêtements de randonneuse paraissaient abîmés en plusieurs endroits.

- Vous vous êtes faites attaquer ? Par qui ? Un Gijinka ? Ou l'un des sbires d'Arceus.
- Non, rien de la sorte.
- Alors qui vous a malmenée ainsi ?
- Une fille. Au début, elle a dû penser que je voulais l'agresser, car elle s'est défendue avec ardeur. Elle m'a sûrement prise pour une folle, mais vu la fougue dont elle a fait preuve, je comprends mieux pourquoi elle porte le glyphe feu.

Cassy et Esméralda échangèrent un regard, tandis que leur consoeur semblait satisfaite de la nouvelle qu'elle leur apportait.