Chapitre cinquième : Illumis
Alors que M. tenait encore le cristal dans la paume de sa main, son visage exprimait une anxiété indescriptible mêlée d'une expression perplexe trahissant un état de réflexion intense. Le silence était pesant, insoutenable mais personne n'osait engager la conversation, de crainte d'extraire le directeur de ses pensées. Les personnes présentes patientaient, attendant un signe pouvant leur faire comprendre qu'elles pouvaient alors parler. Finalement, Philippe, n'y tenant plus, tenta d'articuler dans un balbutiement à peine audible :
— Est-ce que vous... enfin... comment ?
Mais il ne put finir sa phrase et c'est à ce moment-là l'équipe J² comprit pourquoi l'on redoutait M., pourquoi on le craignait mais également pourquoi il était le plus brillant. Il ne laissait jamais ses émotions prendre le dessus dans une situation de crise. S'extirpant avec une rapidité fulgurante de sa profonde réflexion, il se leva, contourna son bureau, s'empara du téléphone rouge posé dans le coin de la table en acajou et composa un numéro. Il attendit quelques instants avant de s'exclamer d'une voix forte et assurée, ne laissant planer le doute sur l'autorité qui en émanait.
— Allô, QG de la Police Internationale ? Ici M. du QG de PISE, veuillez immédiatement me mettre en communication avec le responsable de la section 3.
Attendant alors que l'interlocuteur demandé ne réponde, les agents présents échangèrent un regard interdit. Qu'a donc pu faire point peur à M. pour qu'il se sente dans l'obligation de contacter un responsable haut placé ?
— Mathieu ? Il me faut une confirmation concernant un échantillon trouvé sur une scène de crime. Je suis presque sûr de son origine et j'en ai peur. Je t'envoie le brave Philippe te porter l'échantillon, mais veille à ne pas en parler à quiconque. Il en va de la survie de ce dernier car si mes craintes s'avéraient fondées, je pressens que quelque chose de plus grave, bien plus sombre peut survenir.
Mettant un terme à la conversation téléphonique, M. se tourna en direction de ses agents et leur dit :
— Je pense qu'il faut que je vous donne des explications après avoir assisté à cette scène. Chacun de vous, continua-t-il en posant son regard sur les agents un par un, et je dis bien chacun de vous, jouera un rôle crucial dans l'enquête qui suivra. Philippe, je vous communiquerai d'autres détails, mais pour l'instant, vous devez ramener ce cristal à Illumis, au QG de la PI. Vous serez alors pris en charge dès votre arrivée, mais gardez-vous de parler de votre mission à quiconque. Gardez le cristal au péril de votre vie s'il le faut, le sort de vos camarades est en jeu. Partez, maintenant, et n'échouez pas.
Le jeune homme se sentit soudain empreint d'une mission quasi divine, et il en éprouvait un immense orgueil, si bien que tout le monde rit en le voyant s'afficher ainsi. Oui, car si Philippe était un agent sympathique, honnête et avenant, il n'empêchait qu'il n'avait jamais vraiment brillé par son intelligence ou par ses exploits, à l'inverse de l'équipe J² qui cumulait les missions d'importance capitale. Sortant de la pièce comme il en était entré (bien que cette fois-ci, il ne détruisit pas la porte, vu qu'il n'y en avait plus vraiment), on entendait encore résonner ses pas dans les longs couloirs du bâtiment lorsque Jérémie osa, enfin, demander d'une voix ferme :
— Monsieur le Directeur, sauf votre respect, but what the fuck is going on ?
Prenant une longue inspiration et retournant à son bureau et s'asseyant avec précaution dans son fauteuil, M. répondit à ses agents d'une voix lente et grave :
— Équipe J², je ne suis pas encore totalement sûr, mais la façon dont le crime a été commis à Illumis, les indices laissés sur place et le corps mutilé me rappellent une lointaine affaire remontant à l'époque où je faisais encore équipe avec Beladonis.
Ces derniers mots peinèrent à sortir sous l'émotion; les missions aux côtés de son ami remontaient à si longtemps. Reprenant son souffle, il poursuivit alors d'une voix plus ferme.
— Je vous confie la mission suivante : rendez-vous à Illumis afin d'éclaircir ce mystère qui plane au-dessus de nos têtes, mais faites-vous discrets et prudents. Tout comme Philippe, vous pourrez être amenés à faire des rencontres inattendues, ce que je ne vous souhaite pas. Mon expérience me dit que ce ne sera pas simplement une mission de routine, mais bien quelque chose de plus important. Revenez entiers, les enfants, conclut-il en tentant d'esquisser un sourire.
Mélanie, Jérémie et JT se regardèrent tour à tour, leurs yeux ronds d'étonnement. Jamais ils n'avaient vu le directeur dans un tel état. Affichant habituellement si élégamment toute sa superbe et son assurance, il avait tout perdu. Il n'était plus que l'ombre de ce qu'ils avaient toujours vu : un homme au grand cœur avec une poigne de fer et un caractère d'acier. Maintenant, il ressemblait à un vieillard incrusté dans son fauteuil, le regard éteint, le souffle court et faisait peine à voir. Lorsque les trois amis tournèrent les talons et rejoignirent le trou de la porte, M. déclara dans un quasi murmure, plus à lui-même qu'à eux : « L'ennemi se terrera là où jamais on ne le penserait ».
Lorsque la porte, ou ce qu'il en restait, se referma (JT avait simplement remis la porte dans un état plutôt convenable), c'était comme si l'on avait fermé les pages d'un livre pour en commencer un nouveau.
Doublonville, six heures et trois minutes
Chang avait choisi comme point de sortie les environs du supermarché de Doublonville, la foule y affluant déjà de si bonne heure. Un panneau métallique coulissa et il émergea dans une petite ruelle bien choisie : il s'agissait d'un endroit qu'on évitait de fréquenter à cause des nombreuses apparitions fantomatiques inexpliquées (il devait vraisemblablement s'agir de Fantominus qui adoraient embêter les passants), si bien que Chang était sûr de ne pas faire de rencontres inattendues; et si un indésirable eût été présent, il n'aurait pu faire attention à lui, la pénombre ambiante rendant toute identification fortuite. Mais tout s'était passé comme prévu. L'Asiatique marcha quelques minutes avant d'atteindre le centre commercial devant lequel une berline noire patientait conformément à ses ordres.
À première vue, c'était une simple voiture d'homme d'affaires, un chauffeur au volant; mais comparer ce véhicule à une simple voiture reviendrait à comparer un vin millésime à de l'eau de Javel. Carrosserie à l'épreuve des Explosions d'un Fortress ou même de Ronflex, vitres et portes à l'épreuve d'un Canon Graine, aussi amphibie qu'un Wailord (et accessoirement presque aussi lourde), aussi rapide qu'un Léopardus, aucune attaque de l'extérieur n'était capable de blesser son occupant. Le Chinois aimait se sentir en sécurité et ce déploiement de moyen en témoignait d'une manière flagrante. Le chauffeur actionna l'ouverture automatique de la porte droite arrière lorsqu'il vit son employeur arriver à grands pas. Se posant sur un siège en cuir de noir immaculé, il lui ordonna alors de se rendre sans tarder à l'extérieur de la ville, où un avion supersonique, dont les défenses étaient tout aussi impénétrables que son véhicule terrestre, l'y attendait. Il fallait qu'il se rende à Illumis accomplir sa mission.
En cette journée estivale, plusieurs citoyens avaient déjà décidé de pointer leur nez dehors, se délectant des premières lueurs qui n'allaient pas tarder à pointer. Le grand supermarché de la métropole avait déjà quelques boutiques ouvertes, tels que les cafés qui accueilleraient les premiers travailleurs en quête d'un petit déjeuner. Dans une si grande ville, il n'était pas surprenant d'apercevoir une telle activité à une heure si matinale, à l'inverse de ce que l'on pouvait voir dans les faubourgs d'Ecorcia, ou même de Rosalia. Arpentant les principales artères et bravant les feux de signalisation, la berline noire se mouvait avec élégance dans la ville. Chang pouvait apercevoir à travers les vitres teintées les visages des piétons sur le trottoir. Il les méprisait, il n'accordait à leur vie aucun intérêt. Ces gens ordinaires étaient sans importance à ses yeux; ils pouvaient tout aussi bien mourir tout de suite qu'il n'aurait aucune réaction sensible. Chang assassinait de sang froid, sans se préoccuper de sa victime et seuls la réussite et l'argent lui importaient. C'était uniquement pour cette raison qu'il était considéré comme l'un des meilleurs assassins. Arrivé à l'aérodrome, il prit place dans son jet privé, tenant encore l'enveloppe remise lors de la réunion. La lourde porte blindée de l'appareil se referma dans un bruit sourd, et l'avion entama la procédure de décollage. S'alignant sur la piste, le pilote poussa les réacteurs à fond afin d'atteindre les 250 km/h nécessaires au décollage. Arrivé à la moitié de la piste, les roues de l'engin quittèrent le sol, les trains se rétractèrent, et l'aéronef continua son ascension dans les Cieux jusqu'à atteindre une altitude de croisière, mettant le cap sur Kalos.
Le voyage entre Johto et Kalos dura environ sept heures, un temps entièrement convenable pour lire ce qu'Aleph lui avait communiqué au sujet de sa cible. Voltero Ampere, âgé d'une cinquantaine d'années, était un scientifique mis à l'écart, ses pairs l'ayant toujours trouvé trop « excentrique » à leur goût. C'était pour cette raison qu'Aleph avait décidé de l'approcher : sans attaches familiales apparentes et peu supporté, il n'était pas le prototype de personne qui causerait des problèmes si jamais il venait à disparaître. Ainsi, le comité exécutif de l'organisation avait décidé de mettre un terme définitif à ses activités de crainte de le voir laisser échapper une information capitale lié au projet auquel il avait participé (et qui était maintenant terminé) après une soirée trop arrosée.
Assassiner une personnalité célèbre était toujours risqué. On était presque sûr que toutes les polices et services de renseignement du pays se mettraient en quête des coupables. Mais ce que l'on devinait moins, c'est que les conséquences d'un meurtre d'un inconnu ne pouvaient être entièrement prédites. Un inspecteur zélé mettrait tout en œuvre pour attraper l'assassin, mais il pouvait tout aussi considérer le problème comme mineur et le reléguer à une place secondaire. Pour cette raison, Aleph a décidé de tenter le tout pour le tout. Il fallait que le crime soit si atroce que l'enquête ne relèverait pas de la compétence d'un simple policier; il fallait attirer les agents de la Police Internationale, et même ceux de PISE sur les lieux.
Ces demandes l'étonnaient. Pourquoi Aleph voudrait-il prendre le risque de voir PISE enquêter sur eux d'une manière encore plus forte ? Malheureusement, si Chang était un individu ayant une place assez importante dans l'organisation, il n'était néanmoins pas assez haut gradé pour connaître les volontés du chef suprême. Continuant la lecture de la lettre, il mémorisa l'adresse du scientifique, ainsi que ses habitudes. Un homme d'habitudes est un homme prévisible, et donc vulnérable. Finalement, sortant un briquet de sa poche (car il lui arrivait de fumer par grandes occasions), il réduisit les informations en cendre.
Illumis, sept heures
Le petit jour n'allait pas tarder à être entièrement levé sur la métropole continentale. Voltero Ampere vivait au numéro quarante-sept, Rue de la Résistance, Quartier des Ohms. De corpulence moyenne, le visage banal, presque informel, il se préparait un copieux petit déjeuner bien mérité. La veille, il avait été en ville fêter la bonne nouvelle annoncée par un message d'Aleph :
« Monsieur,
vous nous avez bien servis et serez grandement remercié. Votre rémunération arrivera dans quelques jours par virement bancaire comme il en a été convenu. Gardez à l'esprit que vous ne serez pas oublié...
Veuillez croire en l'expression de notre sincère considération.
Aleph »
A la lecture du document, il avait été directement dans grand restaurant, dépensant et vidant ce qu'il lui restait sur son compte, tout en pensant qu'il allait bientôt être quelqu'un de riche, de très riche. Mais il n'avait jamais compté avec la perfidie d'Aleph. Si vous en savez trop, vous devez être éliminé, telle a toujours été la règle dans cette organisation. Et le scientifique n'était pas encore l'exception qui aurait pu confirmer quoique ce soit.
D'un pas de loup, Chang s'approchait de l'habitation. Il était arrivé un peu moins d'une heure auparavant, et le temps de reconnaître correctement les lieux, il en était arrivé à la conclusion que Voltero était encore chez lui. Optant pour une approche directe mais discrète il avait conceptualisé en entier son plan, conformément aux directives de l'organisation. Le meurtre allait être sanglant, il allait faire la une des journaux. Se rendant alors devant l'original paillasson « WelcOhm », il sonna. Si tout se passait comme prévu, Ampere n'avait plus que quelques minutes à vivre.
— Oui, qui est-ce ? demanda Voltero d'une voix un peu anxieuse vu qu'il n'attendait personne en particulier.
— C'est la Poste, nous avons un paquet pour vous, répondit Chang.
Si les dirigeants d'Aleph, M. ou l'équipe J² étaient des personnes méfiantes et prudentes, Voltero ne se doutait pas une seconde de ce qui l'attendait derrière sa porte. Il posa le livre qu'il lisait et ouvrit la porte. Sur le paillasson se tenait l'asiatique, totalement détendu, qui lui tendit le colis qu'il portait en lui demandant une signature et s'excusant que son stylo n'avait plus d'encre. Voltero grommela :
- Attendez-moi, je vais chercher un stylo, grommela Voltero.
Le scientifique se dirigea dans son salon pour y chercher un stylo et s'apprêtait à retourner vers le postier quand il remarqua que ce dernier se trouvait devant lui, deux PokéBall à la main. Avant même que Voltero n'ait pu demander des explications, Chang lança les deux PokéBall tout en ordonnant comme s'il eût commandé un thé :
— Dimoret, Trioxyhdre, faites votre office.
Voltero Ampere ne saura jamais ce qui lui est vraiment arrivé, il n'a même pas compris sur le coup qu'on l'avait trahi et manipulé, il ne reverra plus jamais la lumière du jour. Seul dans la pièce dévasté, Chang était content de lui. Le plan d'Aleph avait était simple à exécuter; personne n'avait entendu les bruits de lutte comme il se trouvait dans une zone située plutôt à l'écart des régions fréquentées. Néanmoins, Chang n'avait pas totalement terminé avec sa mission. Il avait aussi une autre idée en tête, une idée qui allait sonner le glas d'une vengeance personnelle. Cela lui était venu à l'esprit à la lecture de son ordre de mission dans l'avion. Se rappelant de ce qu'il s'était passé il y a quinze ans, il avait décidé de profiter de l'occasion. À l'époque, il avait failli réussir à se débarrasser de son ennemi de toujours, celui qui l'avait toujours traqué. Il avait pu l'attirer dans son repaire, le mettant à sa merci et pourtant ce dernier s'en réchappa, et lui avait dû fuir et changer d'identité. Mais maintenant, le travail commencé il y a si longtemps devait se terminer, et amener celui que tout le monde appelle M. à sa fin.