[Témoignage 1/3] L'homme qui en vit trop
C'était une nuit d'été, une nuit brûlante comme on en connaissait souvent par ici. Vois-tu, avant la catastrophe, cette région était déjà aride. Il n'y avait qu'une unique ville dans les environs : Salmyre. Notre ville. Bâtie en plein désert, autour d'une oasis depuis longtemps asséchée par l'exploitation de l'homme.
Salmyre était une assez grande ville. En tant qu'unique point de transit de la région, elle s'était vite développée, et les immeubles étaient tous plus hauts les uns que les autres au fur et à mesure que sa population grandissait.
Et puis, une nuit, ces immeubles se sont mis à trembler. Les murs se sont mis à trembler. La terre s'est mise à trembler. Et les hommes se sont aussi mis à trembler.
D'abord effrayés, puis totalement paniqués, les gens sont sortis dans les rues, terrorisés à l'idée que leurs habitations leur tombent dessus. Il faisait nuit noire, et il était impossible de voir son voisin. Les lampadaires clignotaient frénétiquement, et nous étions tous en proie à la peur, immobiles, attendant que la nature se calme.
Mais la situation n'a fait qu'empirer. La terre hurlait, et les gens s'étaient mis à crier également. Beaucoup couraient dans tous les sens, d'autres prenaient leur voiture mais restaient bloqués dans la marée humaine qui encombrait les rues.
Et puis, les immeubles se sont mis à tomber. Ça a été un carnage. C'est cette nuit là que le monde a sombré. Tout le monde courait, tout le monde mourait. Ceux qui avaient des Pokémon volants se sont enfuis par les airs ; certains Dresseurs essayaient de secourir les gens avec leurs créatures. Je ne m'en rappelle plus clairement... mais les cris et la douleur, ça, je m'en souviendrai à jamais.
J'ai d'abord tenté ma chance à la gare la plus proche. Noire de monde. Les gens suppliaient pour qu'on les laisse embarquer à bord des rares voitures qui réussissaient à s'extirper des bouchons ; peu importait la destination tant qu'ils pouvaient s'éloigner de Salmyre.
Impossible de passer. L'aéroport était tout aussi bloqué. Alors, je me suis résigné à rester dans cet enfer de béton et d'acier.
Je me suis abrité dans le sous-sol d'un bâtiment, avec quelques autres personnes. Certains essayaient de joindre leurs proches, mais toutes les communications étaient perturbées par on ne savait quoi. Des gens séparés de leur famille tentaient de les appeler au téléphone - tu ne dois pas savoir ce que c'est, je présume -, mais rien à faire. L'humanité était privée de sa technologie.
Quand le jour s'est levé, beaucoup des habitants étaient morts. D'autres avaient fui, dans le désert. Mais ceux-là n'auraient pas tenu très longtemps non plus, sans eau ni vivres.
Le soleil paraissait fort, très fort. Au début, nous n'y avons pas vraiment prêté attention. Les premiers jours, les survivants déambulaient dans les ruines de Salmyre, en cherchant à retrouver leurs proches, à récupérer leurs affaires. Les Pokémon les plus forts déblayaient les décombres pour essayer de pratiquer des passages à travers les débris.
Moi, j'étais seul, sans Pokémon pour m'aider, et je n'avais aucune famille dans la ville ; alors j'ai cherché à m'organiser. On n'avait aucune nouvelle des gouvernements, ni même d'autres villes. Le désert nous avait coupés du monde.
Les semaines qui ont suivi ont été un véritable enfer. Nous étions tous complètement perdus. Certains criaient à la fin du monde, d'autres se laissaient mourir, se croyant condamnés.
Le principal problème, c'était l'eau. Depuis l'assèchement des oasis par l'homme, Salmyre vivait de l'importation d'eau par les routes commerciales ; routes aujourd'hui hors d'état. Énormément ont tenté leur chance à travers le désert. Moi, je n'osais pas me lancer. J'ai préféré rester dans les ruines, quitte à attendre la mort.
Petit à petit, Salmyre se vidait. En deux semaines, il ne restait plus que quelques dizaines de survivants dans la ville. Moi et deux ou trois personnes croisées parmi les décombres avons formé un petit groupe. Je ne me rappelle même plus de leur nom, et nous ne parlions que très peu. Le but était de survivre.
Nous mangions tout ce que nous pouvions trouver ; conserves froides, pain rassi. Mais les réserves d'eau des magasins, dévalisées dans les premiers jours, diminuaient à vue d'œil. On attendait des secours, des provisions, des renforts de l'armée, un quelconque signe du gouvernement, qui nous indiquerait que la situation était meilleure ailleurs. En vain. Plus aucun appareil électronique ne fonctionnait ; nous avons essayé de contacter des secours par radio, par téléphone, mais rien ne répondait. Mais les rares véhicules ayant survécu au Changement fonctionnaient encore, et nous avons réussi à récupérer un fourgon.
Un beau jour, une jeune femme nous a rejoints. Amara, une Dresseuse. Elle et son Tortank nous ont apporté la délivrance : nous avions de l'eau ! Les Pokémon Eau étaient devenus le seul espoir des survivants ; leurs Dresseurs leur commandait sans cesse de générer de l'eau avec le peu d'humidité ambiante ; mais le soleil était plus fort chaque jour, et les plus fragiles dépérissaient. Tortank, quoi qu'affaiblit, était un des rares encore en vie.
Amara était très inquiète pour lui. Aussi avons-nous décidé de rationner l'eau le plus possible.
Nous nous sommes établis dans les décombres d'un magasin ; l'endroit était assez large pour nous quatre, et facilement défendable.
Le principal danger était devenu les autres. Certains Dresseurs n'hésitaient pas à lancer leurs Pokémon sur les autres survivants pour s'emparer de ce qu'eux avaient sauvé de la ruine. Nourriture, vêtements, armes - voilà les trois ressources qui, à partir du moment où vous en aviez, devenaient un danger mortel de par la convoitise qu'elles suscitaient.
Il y avait un autre groupe, à Salmyre. Bien plus grand, composé uniquement d'hommes et de femmes prêts à tout pour leur survie. Peut-être une trentaine. Je me suis laissé dire que certains étaient des repris de justice, des condamnés, échappés de la prison de la ville pendant le Changement. Quoi qu'il en soit, ce groupe, lassé de chercher dans les ruines, s'est rapidement mis à traquer et débusquer les autres survivants. Nous nous cachions de notre mieux. Amara était notre seule Dresseuse, et son Tortank ne tiendrait jamais face à nos ennemis.
Un beau jour, alors qu'Amara et moi fouillions à la lisière du désert, nous avons remarqué une silhouette qui titubait au milieu du sable. Je me suis précipité à sa rencontre. Au fur et à mesure que j'approchais, je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'un grand gaillard qui portait dans ses bras une jeune fille rousse inanimée. Il s'agissait de Thrak et Lina ici présents.
Nous les avons ramené à notre repère et soignés ; la chaleur du désert les avait presque fait mourir de soif. Thrak nous a alors raconté une histoire qui nous a glacé le sang. Mais je crois qu'il est préférable qu'il te la raconte lui-même, Lyrian...