Lumière. Éclatante, liquide, flot de clarté inondant l'arène entière.
Bruit. Clameur retentissante, brutale, qui vibrait et faisait vibrer.
Frisson. Le long de ma nuque, descendant, remontant, puis descendant encore au rythme du cocktail d'émotions qui m'assaillait : anticipation, excitation, détermination, agitation, impatience. L'une après l'autre, comme des perles sur un collier que l'on fait tourner machinalement.
Et puis soudain, sous les doigts, quelque chose d'inattendu : une perle noire qui s'est glissée parmi ses sœurs blanches. Une invitée indésirable.
La peur.
Presque une amie à ce stade, tant je l'avais côtoyée durant mon séjour dans le Pokémonde. Non, pas une amie, rectifiai-je mentalement, agacée. Une vieille compagne qui me collait au train, que je le veuille ou non. À force, j'avais appris à bien la connaître, et j'avais retenu une leçon des plus cruciales - la seule chose qu'i retenir de la peur, peut-être. Une vérité qu'il ne faut jamais oublier lorsque vous perdez pied ou que vous vous pensez perdu, une vérité qu'il fait bon asséner dans la face de l'inévitable, une vérité à laquelle je m'accrochais en ces moments fugaces où je flirtais avec l'abîme.
La peur...
La peur est une menteuse.
Elle vous dit que vous ne valez rien, vous chuchote à l'oreille que vous allez échouer, vous fait croire que vous perdez votre temps à même essayer. Elle s'insinue dans votre cerveau, dans vos tripes, et corrompt votre courage, le fissurant de ses insinuations perfides. Elle gratte et déterre vos démons enfouis, puis les agite sous votre nez. Elle manigance, elle manipule, elle se joue de vos certitudes, déroule toutes vos convictions et les éclabousse de son venin au nom d'hésitation. Elle vous prend, vous retourne, et vous écrabouille jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de vous, jusqu'à ce qu'elle vous ait réduit à une créature primaire, un relent de ce que l'Homme était au temps des cavernes lorsqu'il n'avait qu'un maigre feu pour se défendre face aux terreurs de la nuit et qu'il sursautait à chaque bruit, à chaque souffle ; une créature désarmée, perdue, qui ne peut que trembler et prier pour que tout s'arrange, pour que tout s'
arrête. Elle vous murmure que vous n'avez jamais été davantage que cette pauvre loque misérable, et que vous ne serez jamais, jamais plus que ça. Elle se rit de vos envies, se moque de vos espoirs, et vous plonge dans un monde d'illusions où rien n'est important et tout est toujours perdu d'avance.
La peur.
Cette peur qui me grignotait les entrailles sans relâche.
Cette peur qui me dévalait les vertèbres en coulée de glace vicieuse.
Cette peur qui me paralysait, jambes, bras, bouche, en un frisson omniprésent.
C'était tout mon être qu'elle pressait dans son étreinte impitoyable, tout mon être qu'elle s'appropriait, et je suffoquais, écrasée par le poids immatériel de tous mes doutes, de toutes mes erreurs et de toutes mes craintes. Mes respirations se faisaient plus courtes et moins profondes, l'expansion de ma cage thoracique bloquée par cet obstacle mental tandis que ma perspective inexorablement modifiée ne m'offrait en guise de futur qu'un éventail d'avenirs tristes et sombres.
Foutue peur.
Je savais qu'elle ne me soufflait que mensonges, savais que je valais bien plus que l'image qu'elle me renvoyait de moi. Mais voilà, les enjeux étaient tels que je ne pouvais empêcher mes paumes de se couvrir de sueur, mon cœur de battre plus vite, ou mes pensées de s'emballer. Ce combat allait tout décider, tout cristalliser ce qu'il y avait en suspens entre Zack et moi, et j'ignorais si j'étais prête pour ça. Ironie mordante. Oh, pour le reste, Mewtwo, Vivian et la Chieuse, ça allait oui, aucun problème. J'étais confiante en ma capacité à m'occuper d'eux. Mais Zack, Zack qui aurait dû être une simple étape à ce stade - la dernière étape -, Zack me posait problème.
Je me remémorai les mots qu'il m'avait jetés à la figure un mois auparavant, au sommet du Mont Braise.
T'as peur. Peur de tuer des Pokémon, peur de perdre tes Pokémon, peur des sentiments que tu éprouves pour moi.Parfaitement vrai à l'époque. Sauf qu'à présent, le premier point ne résonnait plus en moi. Tuer les Pokémon adverses ne m'arrivait que par accident, et ça aurait été folie que de craindre une conséquence du hasard, quelque chose sur lequel je ne disposais d'aucun contrôle. Le deuxième point était plus délicat. Perdre mes Pokémon n'était plus cette menace constante qui pesait autrefois sur moi : je savais que s'ils se trouvaient en danger, j'abdiquerais, tout simplement. Pourtant au vu des circonstances, quelques fragments épars de cette peur demeuraient plantés en moi, brillant férocement de leur lueur malsaine. Et puis le troisième point. Celui-là constituait les fondations mêmes de la peur qui me tenait entre ses griffes.
Je redoutais à parts égales le duel imminent et ce qui risquait de se passer ensuite.
Peur de perdre le combat, peur de perdre Zack.
Parce que...
***
Il était près de deux heures du matin lorsque mon portable sonna. Je me détournai du ciel nocturne et des étoiles qui y scintillaient pour attraper le téléphone, puis poussai un grognement en voyant le nom qui s'affichait.
Zack.
Pas étonnée pour un sou pourtant : je savais que ça serait lui dès l'instant où la première note de la sonnerie avait retenti.
- Il est tard, maugréai-je en guise de bonjour.
- Et pourtant tu ne dormais pas, contra-t-il.
Son ton suintait la suffisance, comme souvent. J'aurais pu mentir, prétendre qu'il venait de me réveiller, mais à quoi bon ? Tout était déjà bien trop compliqué entre nous, inutile d'en rajouter. Je laissai donc la vérité s'échapper de ma bouche :
- À la veille de notre match ? Bizarrement, non.
Il ne répondit pas. Pivotant sur mon séant, je me perdis à nouveau dans la contemplation du ciel, laissant mon regard dériver parmi les étoiles, songeant au fantôme de Teigne à mes côtés. Son poids étrangement réconfortant autour de ma nuque, le Scope Sylphe se balançait sur ma poitrine, retenu par sa lanière en plastique. Je rejetai la tête en arrière et mes yeux trouvèrent l'étoile d'Artikodin, éclat de glace enchâssé dans la voûte sombre qui dominait le monde.
Quelques moments passèrent.
- Zack ? le relançai-je, perdant finalement patience à ce petit jeu de je-ne-dis-rien-toi-non-plus.
- Toujours là.
- Ah, bien. Pendant un instant j'ai cru que t'avais choppé Alzheimer toi aussi et que t'avais oublié que tu venais de m'appeler.
Enchaînant sur ma remarque mordante, j'allais lui demander pourquoi m'appeler d'ailleurs s'il n'avait rien à me dire, lorsqu'il me prit de vitesse et lâcha brutalement :
- Ils veulent que je tue tes Pokémon.
***
On se regardait, lui et moi, chacun à un bout de l'arène, et je songeai à la conversation que nous avions eu hier au soir. Complexe, éprouvante, pleine de sous-entendus et de non-dits qui constituaient, si j'étais franche, 50% de notre relation - voire plus. Zack était-il en train de se la rejouer dans sa tête lui aussi ? On ne s'était pas quitté des yeux depuis qu'on avait pris place sur nos plate-formes respectives, et je cherchais en vain sur son visage un signe de ce qu'il ressentait. Expression fermée, yeux sombres, mains dans les poches, attitude faussement nonchalante, Zack était plus Zack que jamais. Ça valait aussi pour son look : il avait gardé ses vêtements habituels, T-shirt noir ainsi que pantalon violet, et ses cheveux en épi façon crête de dino défiaient toujours autant les lois de la gravité.
La situation me fit inévitablement penser à la vision que m'avait fait offerte Présage, l'Alakazam de Léo, lorsque je lui avais rendu visite dans son manoir la première fois que je m'étais trouvée à Azuria. Je nous avais vus, Zack et moi, nous affrontant dans cette arène-même pour le titre de champion. Les paroles qu'il avait alors proférées m'avaient toujours fait froid dans le dos à chaque fois que je me les remémorais.
Tu n'aurais pas dû me défier, Léa. Tes Pokémon ne sortiront pas vivants de ce combat, je te le promets.
Ce ne seraient pas les mots que Zack prononceraient aujourd'hui, et la haine était également absente de son regard par rapport à son double de la vision, mais pour autant, je ne pouvais pas m'empêcher de rester méfiante. Présage ne m'avait proposé que l'un des innombrables futurs possibles, le plus probable peut-être, et si j'avais réussi à l'éviter, je n'étais pas certaine que celui que j'avais récupéré à la place soit beaucoup mieux.
Interrompant mes ruminations, la voix du commentateur s'éleva tout à coup dans le stade, surpassant le vacarme de la foule qui scandait nos prénoms.
- Mesdames et messieurs, bienvenue ! Bienvenue à tous pour ce match qui s'annonce d'ores et déjà spectaculaire ! Et pour cause quand on regarde les deux dresseurs qui vont en découdre d'ici quelques minutes : notre tout récent champion, Zack Chen, petit-fils du célèbre professeur, déjà bien parti pour égaler voire dépasser son grand-père, contre Léa Norelle, son amie d'enfance qui s'est révélée être aussi douée que lui pour le dressage des Pokémon ! Ah mes chers spectateurs, croyez-moi lorsque je vous dis que c'est un nouveau chapitre de leur vie qui s'écrit ici ce soir, sous vos yeux !
Je me désintéressai du blablatage du mec tandis qu'il se lançait dans le résumé de notre parcours, à Zack et moi, ne l'écoutant qu'à demi d'une oreille (donc techniquement, d'un quart d'oreille). De toute façon il allait encore raconter n'importe quoi. Mes yeux scannèrent les environs, le ciel qui se teintait de pourpre et de mauve, les gradins qui flamboyaient d'or sous les rayons rasants du soleil couchant, le terrain de sable ocre fortement éclairé par la lumière crue et blanche des projecteurs.
- ...se sont ensuite retrouvés à Azuria dans leur quête du second badge...
Ma jambe me picotait. Je souris, sachant que Teigne se trouvait à mes côtés. L'ébahissement que j'avais ressenti en la découvrant sous forme de fantôme était passé, ne demeurait que le bonheur de l'avoir encore avec moi. À bien y réfléchir, le fait que la Colossinge soit restée n'aurait pas dû me surprendre, et j'aurais dû penser à vérifier avec le Scope Sylphe de moi-même. C'était tout Teigne de ne jamais abandonner, fût-ce face à la mort elle-même - ma Colossinge portait bien son surnom. Elle avait décidé de m'accompagner jusqu'au bout, jusqu'à Mewtwo, et je n'aurais pu être davantage honorée par son choix. Bien sûr je m'en voulais toujours de ne pas l'avoir sauvée, mais le chagrin immense qui m'étouffait ces derniers jours m'avait en partie délaissée. Teigne et moi allions continuer à avancer ensemble, et ça, ça comptait plus que tout. Je n'avais fait part du retour de la Colossinge qu'à Claire, qui avait sauté de joie en apprenant la nouvelle, tandis que Néréa s'était empressée de déclencher une bagarre à peine le Scope Sylphe fixé sur sa tête.
- ...rencontré à nouveau à Safrania avec chacun cinq badges en poche...
Et cette fois, mes Pokémon savaient pourquoi ils se battaient. Je leur avais enfin révélé la vérité, il n'y avait plus de secrets entre nous. Au contraire de ce que je craignais, connaître ma véritable nature ne les avait pas éloignés de moi, et à mon grand soulagement ils m'avaient tous entourée suite à ma révélation et m'avaient montré qu'ils ne m'abandonneraient jamais, certains par des déclarations verbales, d'autres de manière plus physiques. J'étais et je resterai toujours leur dresseuse - plus encore, leur amie.
- ...et à présent ils vont s'affronter pour le titre de Maître Pokémon ! Léa, Zack, si vous voulez échanger quelques mots avant le début officiel du duel...
Soudain, silence abyssal. Le bruit de ma respiration capté par le petit micro fixé à mon T-shirt filtra à travers les haut-parleurs, retransmis dans tout le stade. J'étais étonnée que le battement de mon cœur, lui, demeure inaudible, considérant la façon frénétique dont l'organe vital me martelait les côtes.
Mon regard alla trouver Zack. Petit choc électrique alors que nos yeux se rencontraient. Je le vis inspirer, puis sa voix retentit dans l'arène, un rien plus rauque que d'habitude :
- Tu sais comment tout ça se finit, Léa.
- Considère ça comme une leçon, Zack. La dernière, répondis-je.
Nos déclarations résonnèrent l'une contre l'autre, nos mots s'affrontant avant que leurs échos ne se s'entremêlent pour ne plus former qu'un seul et unique bruit de fond qui se dissipa graduellement.
- Et c'est parti ! vociféra le commentateur. Zack Chen vs Léa Norelle, mesdames messieurs !
La foule s'effaça, les bruits extérieurs se brouillèrent, et le monde se rétrécit jusqu'à ce qu'il n'existe plus d'autre réalité que Zack et moi. Nos premiers Pokémon apparurent sur le terrain, son Roucarnage contre mon Pleind'Soupe - deux opposés si marqués que nous n'aurions pas pu faire mieux quand bien même aurions-nous essayé.
L'oiseau fila aussitôt vers le ciel, exhibant son ventre couleur crème tandis qu'il grimpait et grimpait, battant rythmiquement ses larges ailes. Le Ronflex lui entreprit de se lever, un lent et long processus durant lequel chacune de ses pattes creusa des mini-cratères dans le sable, puis il fixa ses yeux sur son adversaire. Le Roucarnage poussa un cri strident avant de replier ses ailes. Chute libre soudaine qui changea l'oiseau en une masse de plumes indistinctes. Sa vitesse l'amena à portée de Pleind'Soupe en un clignement de paupières et son bec frappa avec une précision chirurgicale, perforant sa cible.
L'œil gauche du Ronflex.
Le sang gicla de la blessure, jaillissant à flots de l'orbite crevé. Je serrai les mâchoires alors que Pleind'Soupe rugissait sa douleur.
Zack, bordel...La riposte du Ronflex ne tarda pas, sans doute d'autant plus motivée par sa rage. Une bourrasque glacée frappa le Roucarnage en plein vol, les cristaux de neige montant à sa rencontre comme autant de morceaux de verre acérés. Ses plumes en prirent un coup, il voulut plonger pour échapper à la seconde vague de vent qui se profilait mais n'en eut pas le temps, et il changea de stratégie à la dernière seconde, ramenant tout à coup ses ailes autour de lui dans l'espoir de se former une protection contre la morsure de la glace. Son bouclier improvisé se révéla peu efficace, et bientôt son bec ne fut plus la seule partie de son corps couverte de sang.
Assourdie par le hurlement de la tempête, je contemplai l'oiseau alors qu'il se démenait au cœur du blizzard. La scène dura deux ou trois minutes, puis les vents s'apaisèrent et le Roucarnage s'extirpa de la zone encore mouvementée pour monter plus haut, ses premiers battements d'ailes quelque peu maladroits avant qu'il ne retrouve toute sa maîtrise. Il plana durant quelques instants, immobile, puis repartit à l'attaque. Sa vivacité n'avait rien à envier à celle d'une flèche, et c'est tout aussi brusquement qu'il fondit sur le Ronflex. Ce dernier l'attendait de pied ferme : la vitesse aérienne rencontra la force brute dans un choc qui fit trembler l'arène. Ce fut un échange particulièrement rapide, et je dus me référer au ralenti sur les écrans géants afin d'en saisir toutes les nuances. L'oiseau était parvenu à cisailler de nouveau le visage de Pleind'Soupe, manquant de peu son œil valide, et le Ronflex avait répliqué en choppant le Roucarnage à bras-le-corps puis en le jetant à terre. Il avait ensuite voulu l'écraser et s'était jeté sur lui, mais le Pokémon ailé s'était dérobé à la dernière seconde, le ventre du Ronflex percutant le sable sans causer le moindre dommage à son adversaire.
Le temps que le gros Pokémon se relève, l'oiseau était déjà loin, planant au-dessus de Zack à l'autre bout de l'arène. Je résistai à l'envie de croiser le regard de mon rival et indiquai son attaque suivante à Pleind'Soupe. Le sifflement du vent en colère se fit de nouveau entendre dans l'arène, un Blizzard prenant naissance autour du Roucarnage. Seulement, avant que les bourrasques n'aient eu le temps de prendre suffisamment de puissance pour le piéger, l'oiseau donna un brusque coup d'ailes et jaillit vers le haut, tout son corps tendu dans l'effort fourni afin de se soustraire à la tempête en formation. Il y eut un instant fugace où je crus que les rafales allaient avoir raison de lui et l'enfermer en leur sein, mais non, il parvint finalement à leur échapper, et son cri victorieux domina le hurlement du vent qui se déchaînait désormais en vain. Je le vis ensuite diriger ses yeux perçants vers Pleind'Soupe, et un picotement me saisit de la tête aux pieds, prélude à l'attaque imminente.
La seconde d'après, une flèche d'absolue tomba du ciel. La masse d'air déplacée par le mouvement fulgurant de l'oiseau vint frapper contre le bouclier qui protégeait ma plate-forme, le faisant ondoyer. Mais ça n'était rien à côté des serres du Roucarnage, qui elles, avaient atteint leur but : Pleind'Soupe tenait l'une de ses pattes pressée contre son œil droit, d'où s'échappait une rivière de sang. Ma main s'acheminait par réflexe vers le bouton qui déclenchait les Guérisons lorsqu'un grondement du Ronflex me stoppa net. Je vérifiai sur l'écran géant. Pleind'Soupe venait d'abaisser sa patte, et si la zone concernée était zébrée de profonds sillons et sévèrement charcutée, l'œil en lui-même était toujours intact. Soulagée, je hochai la tête à l'intention du Ronflex.
- OK mon gros, on continue ! m'exclamai-je.
Il me répondit d'un son grave qui fit tressauter le sable autour de lui, puis reporta son attention sur le Roucarnage qui décrivait des cercles au-dessus de lui. Ses serres rougies semblaient nous narguer, et lorsqu'il fit mine de plonger, basculant son corps afin de se présenter bec en avant, Pleind'Soupe réagit en créant une lame de vent d'une rare intensité, laquelle repoussa l'oiseau de plusieurs mètres, le déséquilibrant fortement. Une seconde suivit, tout aussi violente que la première sinon plus, contrecarrant les efforts du Roucarnage qui s'évertuait à tenter de descendre, et lorsque quelques secondes plus tard le Blizzard se leva pour de bon, l'oiseau se retrouva ballotté de part et d'autre, incapable de stabiliser son vol. La joute tourna en faveur de Pleind'Soupe tandis que le Pokémon de Zack luttait en vain contre les rafales de neige qui le giflaient continuellement, perdant de multiples plumes dans la bataille.
Finalement le Roucarnage s'abattit sur Pleind'Soupe, mais pas de sa propre volonté. Il était inconscient, la trajectoire de sa chute l'ayant amené à percuter le ventre du Ronflex avant de terminer dans le sable à ses pieds. Pleind'Soupe le repoussa d'une patte, mais il ne réagit pas, les yeux clos alors que ses flancs se soulevaient lentement.
Je soufflai.
Un de KO, cinq restants.À l'autre bout du terrain, Zack rappela son Pokémon sans trahir la moindre émotion. J'avais beau scruter son visage, je ne voyais rien.
Rien que son masque.
***
Ma main s'était crispée sur le Scope Sylphe, inconsciemment. Je dépliai mes doigts et demandai d'une voix quelque peu instable :
- Mais tu ne vas pas le faire, hein ?
Silence.
- Zack, tu ne vas quand même pas...
- C'est le prix pour être le champion, me coupa-t-il. Ils tuent les Pokémon des challengers, à chaque fois. Avec le niveau des dresseurs et de leurs Pokémon, ça promet toujours des affrontements spectaculaires, et les morts garanties attirent le public. Le spectacle avant tout.
Une boucherie en perspective. Je soupirai. Pourquoi cela ne pouvait-il jamais être simple ?
- De toute façon ça ne serait pas la première fois que je tuerai un de tes Pokémon, hein ? continua-t-il.
Tant d'amertume dans sa voix.
- Non, reconnus-je dans un souffle.
- Et ça n'a rien changé ?
Sa question me rappela celle de Claire, qui avait voulu savoir exactement la même chose. Je ne lui avais pas répondu l'exacte vérité. Oui, ça n'avait rien changé, mais c'était surtout à cause d'un élément crucial, un élément qui serait absent de notre match si j'en croyais Zack.
- C'était pas pareil, rétorquai-je. Tu voulais pas tuer Ficelle, et moi j'avais pas l'intention de tuer ton Rattata non plus.
- T'es sûre de ça ?***
Des yeux d'or, aussi profonds que perçants. Deux cuillères argentées, brandies à bout de bras. Une fourrure jaune-marron qui s'auréola soudain d'un halo, doré lui aussi - le reflet parfait de la couleur des prunelles de l'Alakazam. À l'autre bout de l'arène, la réponse fut donnée : une envolée de plumes, brusque, sauvage. Et puis deux yeux noirs qui scrutèrent le sable ocre, avant de se focaliser sur l'adversaire.
Tout n'était que silence pour le début de ce second round. C'était sans bruit que le Pokémon psy avait matérialisé une protection étincelante autour de lui, et sans bruit que le Rapasdepic avait pris son essor et qu'il planait à présent. Il n'y eut pas davantage de son lorsque Fulgure piqua, amorçant un plongeon abrupt tandis que son bec fendait l'air au devant de lui. Il arriva sur son adversaire à une vitesse hallucinante, et la collision, elle, brisa finalement l'emprise que maintenait le silence sur l'arène. Le choc sourd vibra à travers les hauts-parleurs, le bec de l'oiseau percutant la chair de l'Alakazam en une rencontre sanglante. Porté par une vrille effectuée au dernier moment, Fulgure avait ouvert une large plaie sur l'abdomen de son adversaire. Il ne s'attarda ensuite pas au ras du sol mais se dégagea rapidement, striant le sable de rouge d'une saccade de son bec avant de remonter vers le ciel.
Je le suivis des yeux, gardant également une part de mon attention sur le Pokémon psy. Il allait forcément riposter, je ne fus donc pas surprise lorsque le Rapasdepic vacilla alors qu'il atteignait l'apogée de sa longue courbe ascendante. Les ondes psychiques s'avéraient supérieures à Fulgure sur le plan de la vélocité - après tout, même un Rapasdepic ne pouvait excéder la vitesse de la pensée. L'attaque lui fit plutôt mal : son bec s'entrouvrit sous la douleur et ses ailes s'arrêtèrent de battre, puis son corps, trop crispé pour planer, dégringola. Ses yeux, eux, se fermèrent lentement tandis qu'il se rapprochait inexorablement du sol. Certains spectateurs le crurent perdu et une série d'exclamations secoua le stade. Mais non, Fulgure faisait ce à quoi il excellait, un art dans lequel l'oiseau était passé maître.
Il feintait.
Au moment où il allait s'écraser à terre, il déploya soudain ses immenses ailes, freinant net sa chute, puis, en un quart de seconde, il combla les quelques mètres qui le séparaient de l'Alakazam et ses redoutables serres raclèrent son bras droit, exposant les tendons sous la peau sanguinolente, ce qui fit chanceler le psy et l'obligea à lâcher l'une de ses cuillères. Une étincelle s'alluma aussitôt dans les yeux d'or de l'Alakazam, la riposte en préparation. Il n'eut pas l'occasion de libérer son attaque psychique car je rappelai Fulgure avant cela, et l'échangeai contre Plouf qui lui serait capable d'encaisser davantage de coups. Le Rapasdepic avait bien entamé l'Alakazam, et le Léviator allait se charger de finir le boulot. Du moins c'était mon plan, mais Zack le contrecarra en m'imitant.
Des cris de surprise retentirent dans le stade lorsqu'apparut le Pokémon qu'il avait choisi.
Patate.
- Pas encore... grommelai-je.
Zack avait apparemment décidé de rejouer notre duel du Bourg Palette, me replaçant face à la situation où j'avais donné l'ordre d'Hydrocanon à Plouf, ce qui avait constitué un danger mortel pour la Rhinoféros. À l'époque, je n'avais pas su exactement ce que je faisais, je voulais juste gagner. Plus tard, j'avais posé la question à Vivian, et selon lui les chances qu'un Pokémon telle que Patate perde la vie à cause d'un Hydrocanon de Plouf étaient minimes, de l'ordre de deux à trois pourcent.
Tout en sachant cela, j'hésitai au moment de donner mon ordre. La petite figurine porte-clef de Patate semblait soudain peser bien plus lourd à ma ceinture.
Deux à trois pourcent Léa. Est-ce que ça ne vaut pas le prix de la victoire ?
J'avais trop attendu, et Patate se ruait déjà sur Plouf, son énorme corne pointée en avant tandis que ses pattes arrières martelaient le sable avec lourdeur. En dépit de sa masse, elle était rapide et serait sur Plouf d'ici quelques secondes.
Je donnai mon signal.
Une vague d'eau jaillit, immense, s'étendant sur toute la largeur de l'arène, sa crête bordée d'écume sableuse culminant à plus de trois mètres de haut. Elle fondit sur Patate, la force des rouleaux stoppant net la course de la Rhinocorne, puis l'envoyant culbuter au sol dans une longue série de roulades brutales qui parurent la déstabiliser totalement. À une ou deux reprises elle tenta bien d'échapper à la vague, donnant des coups de pattes éperdues, mais elle renonça vite face à l'eau en furie et demeura ensuite inerte jusqu'à ce que finalement elle vienne s'échouer contre le mur, KO.
Voilà, Zack. C'est ce que tu voulais ? songeai-je.
Comme en réponse, ses yeux sombres vinrent se ficher dans les miens.
***
Je ne répondis pas, orientant la conversation différemment à la place.
- Alors quoi, tu vas faire ce que le Conseil te demande ? Ils ne te contrôlent pas Zack, t'es pas leur chien, lui rappelai-je violemment.
Son attitude m'énervait, et oui, j'étais peut-être en train de le chercher mais il l'avait amplement mérité.
- Je me fous du Conseil, me renvoya-t-il, brutal lui aussi. Mais c'est comme ça, OK ? Ça meure tout le temps les Pokémon, c'est pas nouveau.
- Ouais, lâchai-je machinalement, songeant à tous ceux que j'avais perdus durant ma quête.
Pause. Il y avait quelque chose dans l'air, quelque chose de lourd et de pesant. Regarder vers les étoiles ne m'apaisait plus. Née de mes frustrations, une phrase s'acheminait jusqu'à ma bouche malgré moi, les mots s'accumulant derrière le barrage de mes lèvres fermées, poussant pour sortir. Stupide phrase qui insistait et insistait...
Je la laissai filer, mordant les mots alors même que je les prononçais :
- Peut-être que je tuerai tes Pokémon en premier.
Ils avaient un goût de fiel.
- Menace creuse, jugea Zack.
- Ah oui, parce que tu me connais si bien que ça ?
- Ouais. Ouais Léa, je te connais.
Il n'y avait rien à répondre à ça, aussi demeurai-je silencieuse.
***
Deux yeux d'or, à nouveau.
L'Alakazam se lissa une moustache en un geste nonchalant, affectant un calme qu'il ne ressentait sans doute pas vu l'état désastreux de son bras et de son ventre. Quoique connaissant les Pokémon psy, il parvenait peut-être à supprimer complètement la douleur de ses blessures. La cuillère qu'il avait lâchée tantôt gisait à nouveau dans le sable : il n'avait apparemment pas assez de force au niveau de sa main droite pour la tenir. En bref, tout avantageait Plouf dans ce duel bien inégal.
Avec un rugissement bestial, mon Léviator se rua à l'assaut. Face à lui, Alakazam ne bougea pas d'un pouce : soit il essayait de mettre l'adversaire en confiance, soit il était occupé à lancer une attaque de nature invisible du genre Prescience. Sans doute la deuxième option. Je notai l'information pour plus tard tandis que Plouf arrivait au contact, l'immense serpent des mers dominant la frêle silhouette du Pokémon psy. S'enroulant autour de sa cible, le Léviator flanqua une puissante bourrade à Alakazam, le déséquilibrant, puis sa tête plongea et il fit jouer ses crocs, meurtrissant tout le côté droit du Pokémon psy dans son énorme gueule. Un sang sombre frappa le sable en sifflant et en fumant ; Alakazam s'affaissa sans émettre le moindre son, genou à terre.
Vaincu ?
Un
ding me répondit que non.
Une lueur dorée entoura ensuite le Pokémon psy, ne provenant pas de lui mais bien d'un de ses congénères dissimulés aux quatre coins de l'arène. Plouf secoua sa large tête, l'air agacé que ses efforts se retrouvent ainsi réduits à néant. Il n'était pas le seul. Alakazam comptait parmi les Pokémon les plus dangereux de Zack, j'aurais préféré que tout affrontement soit le plus court possible afin de minimiser les risques. Sauf qu'évidemment Zack ne m'avait jamais rendu les choses faciles, et ce n'était certainement pas aujourd'hui qu'il allait commencer.
Tant pis.
Je fis signe à Plouf et il repartit à l'assaut, enchaînant son attaque à bout portant. Ce fut un large jet d'eau qui tomba sur le Pokémon psy, brutal, glacial, lui martelant la tête et les épaules avec la force d'une cataracte et la vivacité d'un torrent. Je vis Alakazam vaciller, mais il résista vaillamment face au déluge dont l'accablait le Léviator : épaules courbées, jambes tendues, il parvint à rester debout tandis qu'une gigantesque flaque se formait à ses pieds, le sable se montrant incapable d'absorber toute cette eau. Plouf cracha et cracha encore tout ce qu'il pouvait, puis le flot se tarit finalement, révélant un Alakazam tout ruisselant, la fourrure complètement collée au corps. En d'autres circonstances, je crois que ça m'aurait fait rire, mais les enjeux du combat étaient trop élevés pour se laisser aller. Plouf l'avait bien compris et il n'attendit pas une seconde avant d'attaquer à nouveau : il recula, pivota, puis décocha un rayon arc-en-ciel sur son adversaire. Un Ultralaser qui pouvait potentiellement mettre fin au combat. Le faisceau fendit l'air en miroitant, frôla les pieds d'Alakazam qui s'était soudain élevé de plusieurs mètres en lévitant, et se perdit, allant frapper le mur loin derrière dans un grondement titanesque pour y laisser un cratère noir et craquelé. Le roulement de tonnerre de l'attaque ratée ne s'était pas encore éteint que Plouf grondait, frappant le sable de sa queue tout en découvrant ses dents. Ça, c'était la Prescience qui venait de le rattraper. Ses flancs se soulevant furieusement, il dirigea ensuite son regard dans ma direction, en quête d'instructions.
Encore.Des vagues s'élevèrent dans l'air, des ondes psychiques qui assaillirent Plouf et le firent grimacer. Sa gueule s'ouvrit, se referma, puis se rouvrit à nouveau pour laisser échapper un pilier d'énergie horizontal, droit vers l'Alakazam. Cette fois-ci ce dernier ne fut pas assez rapide pour esquiver, et le coup toucha au but, déclenchant une onde de choc colossale en venant percuter le Pokémon psy. Il y eut une explosion de sable à l'impact, des grains furent projetés partout, formant comme un immense dôme l'espace d'un instant - un dôme également constitué de gouttes de sang en suspension. Puis le sable comme le sang retombèrent en pluie tandis que le rayon d'énergie continuait de grésiller brutalement tout contre l'Alakazam, menaçant de l'engloutir entièrement tant il était large. Penché vers l'avant, sa cuillère restante tendue comme pour repousser le flot de lumière qui l'assaillait, le Pokémon psy luttait de toutes ses forces contre l'Ultralaser chatoyant qui pressait de plus en plus, implacable.
Plouf ne montrait aucun signe de faiblesse, et l'Alakazam semblait lui aussi prêt à supporter la décharge lumineuse indéfiniment. Je comptai les secondes, me demandant combien de temps Plouf pouvait cracher son Ultralaser. Il allait bien falloir qu'il s'arrête pour reprendre son souffle à un moment... Et combien de temps l'Alakazam pouvait-il tenir face à une telle attaque ? Sa cuillère tressautait entre ses doigts, et je me pris à penser que si le Pokémon psy était capable lui d'endurer sans faillir le déluge d'énergie, il n'en était peut-être pas de même pour son instrument d'argent. Mais j'avais tort : au final, ce fut son pied qui céda - le gauche, plus précisément. Il s'était enfoncé dans le sable tandis que l'Alakazam poussait sur ses jambes pour résister à la pression de l'attaque, et alors que la puissance du rayon s'intensifiait, il se tordit, ce qui entraîna l'effondrement de son propriétaire. Privé de tout appui, le Pokémon psy fut cueilli par l'Ultralaser comme une feuille morte par un coup de vent, et expédié en vol plané, loin, très haut. Un éclair d'argent indiqua qu'il avait lâché sa cuillère. Elle retomba au sol quelques secondes avant lui, se plantant presque comiquement dans le sable alors que l'Alakazam boulait sur plusieurs mètres.
Puis s'échoua dans la mare précédemment formée par l'Hydrocanon de Plouf.
Et ne bougea plus.
Les caméras zoomèrent sur lui et la foule retint son souffle dans l'attente du verdict. Mais les charognards se retrouvèrent déçus, car la main de l'Alakazam tressaillit soudain. Il déplia un doigt, puis un autre, puis les cinq, et tendit ensuite le bras vers sa cuillère plantée à quelques pas de lui. Je secouai la tête avec un demi-sourire. Il n'y avait pas que mes Pokémon qui étaient tête de mule et s'obstinaient envers et contre tout...
Une lumière rouge jaillie de la Pokéball du psy mit fin au combat.
Trois à zéro, songeai-je.
Mais je savais que Zack n'avait pas dit son dernier mot.
Loin de là.
***
- Tout ça pour le titre de champion, Zack ? constatai-je ensuite froidement. Tu y tiens tant que ça ?
- Tu sais très bien à quel point j'y tiens, me répondit mon rival. Être Maître Pokémon c'est tout ce que j'ai jamais voulu. La reconnaissance, la gloire... C'est pour ça que j'ai commencé mon voyage Pokémon. Toi aussi d'ailleurs.
- Non, le détrompai-je. Je me fiche totalement du titre.
Il émit un petit bruit, mi-surpris mi-interloqué.
- Alors pourquoi diable... oh, je vois. Tu veux te prouver que ta façon de faire est la meilleure, hein ? Et me le prouver aussi par la même occasion. Tu penses que devenir championne montrera à tous que l'on peut gagner en ménageant ses Pokémon.
- Peut-être, biaisai-je, réticente à trop en dévoiler. Peut-être que ça joue en partie... mais c'est pas la raison principale.
Silence. Puis il déclara un ton plus bas :
- Alors c'est ça ton secret.***
Quatrième manche.
Le hasard était de mon côté car ce fut le Noadkoko de Zack qui fit son apparition sur le terrain, tandis que j'avais choisi Vésuve. Ce dernier montra aussi son enthousiasme pour le combat à venir, sautillant sur place à la manière de Teigne alors que sa flamme caudale brillait haut et fort, et je souris en lui donnant son ordre. Je le vis inspirer une goulée d'air afin de la relâcher sous forme de flammes brûlantes, et elles auraient certainement porté un coup initial décisif au Noadkoko si ce dernier n'avait pas effectué son attaque en premier. Des dizaines de boules d'énergie brillantes traversèrent le terrain en crépitant, explosant dans de grandes gerbes de lumière alors qu'elles arrivaient au contact de Vésuve. Le Magmar essaya bien de les esquiver, mais il se retrouva pris de court par les nombreuses détonations, incapable de trouver une porte de sortie face à tant de projectiles. De plus le sable volait autour de lui, l'aveuglant, et le bruit consécutif des explosions devaient contribuer à sa confusion. Le calme revint au bout d'une minute, Vésuve s'immobilisant finalement. Je constatai que malgré ses efforts il avait dû encaisser la quasi totalité des assauts, comme en attestaient sa fourrure ébouriffée et les marques noires qu'il arborait désormais ici et là. À l'image de sa mentor Teigne, il ne perdit cependant pas de temps à exprimer sa souffrance et contre-attaqua prestement, projetant toute sa fureur dans la spirale enflammée qui sortit alors de son bec. Les flammes décrivirent un foudroyant arc de cercle tandis qu'elles se déclinaient en arabesques flamboyantes, des volutes pourpres, jaunes, oranges ou encore ambrées, puis la fournaise atteignit le Noakoko et se fit une joie de dévorer tout ce combustible offert. Les trois visages du Pokémon plante se tordirent de douleur tandis que les flammes s'attaquaient à son tronc ainsi qu'à ses feuilles ; il se roula dans le sable afin de les étouffer.
Entre-temps, Vésuve s'était rapproché de lui, ce qui fit que lorsque le Noadkoko se redressa d'un drôle de bond maladroit et lui balança une nouvelle fournée de boules étincelantes, le Magmar n'eut pas le temps de chercher à les éviter. Il y en avait toutefois moins que la première fois, et si Vésuve se les prit effectivement de plein fouet, les explosions s'enchaînant en l'espace de quelques secondes alors que chaque balle le percutait, les dégâts furent moindres. Secouant la tête pour s'éclaircir l'esprit, Vésuve sauta ensuite en arrière afin de disposer d'une plus large fenêtre de tir, et cracha un double jet de flammes qui rugirent en fondant sur le Noadkoko.
Et ce fut tout.
Il n'y eut ni flamboiement intense, ni panache de fumée, ni même odeur de plante cramée, car le Noadkoko s'était décalé avec une agilité dont n'aurait pas décemment dû pouvoir faire preuve un Pokémon qui consistait en ni plus ni moins qu'un simple tronc d'arbre. Pourtant, le fait était là : la Déflagration n'avait fait que l'effleurer. Sûrement vexé de voir sa superbe attaque ainsi esquivée, Vésuve réagit instinctivement, levant le poing et fonçant vers son adversaire. Seulement, son coup n'eut jamais l'occasion de porter : une nuée de spores blanchâtres venait de jaillir des trois bouches du Noadkoko, entourant le Magmar au sein d'un nuage cotonneux, le faisant trébucher. Il se reprit, voulut continuer son assaut... et s'effondra aux pieds du Pokémon plante, terrassé par la Poudre Dodo.
Applaudissements et cris de la part du public, grimace et juron de mon côté. Mon doigt toucha le bouton des Guérisons à l'instant même où le Noadkoko vomissait une énième série de bombes d'énergie, et je jurai de plus belle. Durant les premières secondes, je crus que le soin avait été refusé à Vésuve, repoussé jusqu'à la fin de l'attaque de son ennemi par une quelconque clause du règlement de la Ligue, puis, entre deux éclairs dégagés par les explosion, je distinguai une faible lueur dorée qui nimbait mon Magmar des pieds à la tête. Le soulagement enfla dans mes veines, torrent bienvenu.
Merci mon dieu.Un voile de sable s'était levé sur la scène, il ne retomba qu'après que le dernier des Bomb'œuf ait éclaté, tirant un frémissement à Vésuve qui gisait toujours à plat ventre dans le sable, au milieu de dizaines de cratères noircis. J'ignorais si la Guérison qu'avait reçue le Magmar avait été plus faible que d'habitude, mais en tout cas il n'était pas au meilleur de sa forme : de multiples zones de poils cramés parsemaient son corps et sa flamme caudale semblait réduite. Tout à coup, elle doubla de volume, puis tripla, et alors que le Noadkoko s'apprêtait à lui asséner un brutal coup de pied, Vésuve redressa la tête.
Ouvrit le bec.
Une éblouissante lance de feu en jaillit, un unique trait igné qui devint ensuite multitude. D'innombrables constellations de flammes déferlèrent sur le Pokémon plante. Brûlantes, vives, implacables. Le flamboiement rivalisa d'intensité avec les lumières de l'arène.
Carbonisé, le Noadkoko s'écroula.
***
- Oui, avouai-je, les battements de mon cœur s'accélérant car Zack venait de mettre le doigt sur un point crucial.
Il eut un rire à l'autre bout du fil.
- Ça doit être une sacrée putain de bonne raison.
- C'est le cas.
Nouveau silence.
- Tu sais que je vais gagner hein ? reprit-il. Le match sera pas fair-play. Ils veulent pas de toi comme championne, alors tout sera fait pour me favoriser. Mes Guérisons seront plus fortes et tout le tralala.
- Je m'en doutais, ouais. Mais je pense toujours pouvoir te battre.
Il faut que j'essaie de toute façon, n'ajoutai-je pas.
- T'es folle, estima-t-il, mais étrangement ça sonnait un peu comme un compliment.
- Plus folle que le gars qui insistait pour que son Salamèche se batte sous une pluie torrentielle ?
Je sentis son sourire lorsqu'il me répondit :
- Hey... Pour ton information c'était une stratégie mûrement réfléchie.
- Vraiment ?
J'avais souvent repensé à l'incident, et au final j'étais parvenue à une unique conclusion, que j'énonçai ici :
- Je crois que tu comptais sur moi pour abdiquer par peur de tuer ton Pokémon. Tu tablais sur ma compassion.
- Jouer sur les faiblesses de l'adversaire, c'est la base, confirma Zack.
- Ouais. Bah je laisserai ma compassion au vestiaire cette fois.***
La foule scandait nos noms, impatiente. Zack tenait sa Pokéball à bout de bras, moi de même, mais nous ne relâchions pas nos Pokémon. Pas encore. On faisait durer le moment, parce que nous savions l'un comme l'autre qu'il se terminerait bien trop tôt. Alors pendant qu'on le pouvait, on le savourait. Une seule chose gâchait le moment : la peur était toujours là, suffocante. Je me demandai si Zack la ressentait lui aussi. Ça ne me semblait pas être son genre. Peut-être qu'il se contentait de la rage et que la peur lui glissait dessus sans l'atteindre. Je me surpris à l'envier. Mais de la rage, j'en avais également à revendre, du moins si je pouvais appeler 'rage' cette espèce de force intérieure qui montait en tsunami, et je la libérai en m'exclamant :
- Allez Pleind'Soupe !
Le Ronflex répondit à mon encouragement par son propre cri modulé, un son rauque qui se propagea dans toute l'arène et fit crachoter les hauts-parleurs. Face au gros Pokémon s'en matérialisa un encore plus gros. Le Léviator lâcha un terrible rugissement tout en gratifiant Pleind'Soupe d'un regard meurtrier, mais le Ronflex, nullement impressionné, se contenta de venir quémander ses instructions, tournant son unique œil valide dans ma direction.
Blizzard, mon gros.Je vis à l'éclat de son regard qu'il avait enregistré mon ordre. Il n'eut cependant pas le temps de le mettre en pratique car un torrent de flammes bleues-violettes avait englouti sa grande silhouette, embrasant le sable tout autour de lui et changeant sa fourrure en un buisson ardent. Le feu brûla, sec, craquelant. Pleind'Soupe agita ses pattes pour tenter de l'éteindre, tapotant follement son ventre, puis, constatant que cela n'avait pas le moindre effet, il se roula dans le sable, ses quatre cent kilos se retournant comme une crêpe en une seule fois. Étouffées sous sa masse, les flammes se résorbèrent sans toutefois disparaître complètement : de petites langues de feu s'échappaient encore par endroits tandis que le sable luisait tel un tapis de braises cristallisées.
Un grognement plaintif monta du Ronflex. Il se redressa à moitié, et, sans vraiment viser eus-je l'impression, déchaîna un Blizzard, la tempête se levant pour aller hurler aux oreilles du Léviator. Rafales après rafales, la neige et la glace harcelèrent le grand serpent de mer tandis qu'il se débattait au cœur de la tornade rugissante. Il en sortit au bout d'une longue minute de lutte, les écailles recouvertes de givre, gueule ouverte sur une rangée de crocs aussi blancs que les flocons qui tombaient encore dans son dos, puis il se rua sur Pleind'Soupe - mon pauvre Pleind'Soupe qui tentait de se relever et n'y parvenait pas. Je lui envoyai un coup de pouce sous la forme d'une Guérison, ma deuxième et dernière. De tous mes Pokémon, le Ronflex était sans nul doute celui qui encaissait le mieux et il ne se situait pas non plus en reste niveau dégâts : c'était donc un choix purement stratégique que de le soigner lui plutôt qu'un autre. Revigoré, il se releva sur ses courtes pattes, se retourna, et fonça à la rencontre de l'adversaire. Deux lourdes foulées d'un côté, une ondulation serpentine de l'autre, puis la collision eut lieu. Des deux colosses, Pleind'Soupe gagna la bataille et le Léviator se trouva repoussé en arrière, son corps glissant légèrement de biais dû à l'impulsion donnée par le Ronflex.
S'ensuivit un temps de latence, brisé quelques secondes plus tard par le souffle de feu du grand serpent. Il avait dû mettre le paquet car ce fut une rivière de flammes si denses qu'elles en paraissaient liquides qui gicla au visage du Ronflex, avant que d'épaisses coulées d'une lave incandescente ne dégoulinent le long de son poitrail, brillant d'un bleu aussi vif qu'étrange. Pleind'Soupe devait commencer à s'habituer à pareil traitement car il cligna à peine des yeux.
Les deux Pokémon reculèrent ensuite, se toisèrent une milliseconde, puis repartirent à l'assaut. Leur échange suivant se limita à une répétition du précédent, en plus violent. La grosse tête de Pleind'Soupe vint percuter le dessous de la mâchoire du Léviator, l'impact lui faisant sauter une dent, et la riposte suivit dans la seconde, la lueur naissante au fond de la gorge du serpent se déployant pour devenir un Draco-Rage à part entière.
Choc, flammes.
Puis le calme.
Il ne dura pas longtemps, les vents se levant à nouveau. Destructeurs, puissants, ils emportèrent le Léviator dans leur sillage, lui ainsi qu'une demi-tonne de sable à vue de nez, les balançant tous deux à plusieurs mètres de là - queue par-dessus tête en ce qui concernait le serpent. Ses mâchoires claquèrent, un réflexe qui ne lui fut d'aucune utilité car elles ne se refermèrent que sur du vide, et les bourrasques se firent une joie de tordre encore et encore son grand corps de serpent, le chahutant de toute part. Un torchon dans une machine à laver... Il fatiguait clairement car c'est à peine s'il se débattit, du moins pour ce que j'en vis grâce au zoom des caméras.
Lorsque le blizzard faiblit et que le rideau de flocons qui bloquait plus ou moins la visibilité s'évanouit, tous purent constater que le Léviator s'était écroulé, terrassé. Deux projecteurs se trouvaient braqués sur lui et la neige tombait encore doucement, nappant le sable de son manteau immaculé, ce qui donnait l'impression que le serpent gisait dans une gigantesque flaque de lumière argentée. Une touche d'or vint soudain s'y mêler alors que la lueur guérisseuse nappait les flancs du monstre des mers. Un murmure parcourut la foule, chacun commentant la stratégie du champion. Moi, je souriais.
Tu ne gardes pas ta Guérison pour ton Dracaufeu, Zack ?Nous étions à égalité à présent, tout allait se finir sans possibilité de soin. J'avais bien conscience que c'était d'autant plus plus dangereux et en conséquence, je me tenais prête à abdiquer à tout moment si nécessaire. Pour l'instant, Pleind'Soupe avait encore la pêche. Son adversaire, bien entendu, était en meilleure forme. Il le prouva en fonçant sur le Ronflex à pleine vitesse et en lui flanquant une série de brutaux coups de queue, martyrisant le ventre de son adversaire comme s'il s'était agi d'un simple morceau de viande. L'air plutôt énervé qu'on le confondre avec un steak, Pleind'Soupe choppa à bras-le-corps l'appendice coupable et le rabattit au sol à plusieurs reprises. On ne dirait pas à première vue, mais un Ronflex, lorsqu'il s'y met vraiment, est capable de déployer une énergie formidable.
BAM BAM BAM.Tout trembla. Mes genoux, la plate-forme, le tapis de sable de l'arène - les grains tressautant en une folle sarabande. L'écran doré qui me protégeait vacilla même quelque peu, ce que je trouvais plutôt étrange : rien n'était pourtant venu le frapper. En bas, Pleind'Soupe relâcha sa prise d'un seul coup, ce qui donna lieu à un énième tremblement de terre. Le Léviator s'éloigna, se secoua énergiquement à la manière d'un chien après une baignade, puis, comme pour rester dans le thème canin, montra les crocs. Je devinai qu'il s'apprêtait à se précipiter de nouveau sur le Ronflex et en décidai autrement.
- Reviens, mon gros.
La Pokéball récupéra Pleind'Soupe dans un flash de lumière rouge. Un second causa l'apparition de Salade ; le mastodonte vert poussa un brame et fit claquer ses lianes en guise d'introduction, ce qui lui valut les acclamations de la foule en délire. Elles furent presque aussitôt noyées par un grondement de tonnerre sorti de la gueule du Léviator, lequel attaqua immédiatement. Il percuta le Florizarre tel un train rencontrant un mur de béton, son long corps bleu s'écrasant avec une violence extraordinaire sur la masse verte de Salade. Les quatre énormes pattes de mon bulbe préféré ployèrent dangereusement, puis son arbre commença à plier alors que le Léviator s'enroulait tout autour et l'enfermait dans ses anneaux. Salade se défendit en déclenchant une volée de feuilles qui vrombirent sourdement, leurs côtés acérés lacérant les écailles de l'autre dans une débauche de sang. Un manteau d'écarlate recouvrit alors la peau du Florizarre, le liquide rouge cascadant le long de ses flancs en de larges coulées.
Une riposte des plus efficaces : le serpent de mer avait reculé et se tenait à présent à quelques pas de Salade, le corps dressé, le visage ensanglanté. Sa queue se changea en un flou bleu alors qu'il cherchait à frapper à nouveau, mais le sang dans ses yeux devait l'aveugler car le coup ne fit que frôler Salade. Pendant ce temps, le Florizarre s'était préparé et sa fleur pulsait de plus en plus rapidement à chaque seconde qui passait. Le rythme s'accéléra encore. Tout à coup, un rayon opalescent fusa du cœur, un Lance-Soleil irisé qui vint s'écraser au visage du Léviator avec une puissance phénoménale et le repoussa si brutalement que le corps du serpent creusa une profonde tranchée dans le sable de l'arène. Le Léviator fut acculé presque jusqu'au mur opposé, incapable de résister à la formidable pression dégagée par l'attaque de Salade.
Cependant il était loin d'être affaibli, car à peine le Florizarre avait-il refermé sa gueule, la lumière vacillant et s'éteignant, que le serpent chargeait, encensé. Un nuage de Poudre Dodo s'étendit sur le terrain ; la masse de spores atteignit le Léviator en quelques instants, mais elle n'eut pas l'air d'avoir de l'effet car il la traversa en accélérant, sans montre le moindre signe d'un quelconque endormissement. Ce n'était pas l'heure de la sieste et il était enragé. Salade en fit les frais. La peur me mordit le ventre tandis que je contemplais le martèlement que subissait le Florizarre, coup de queue après coup de queue. Rentrant la tête dans les épaules, Salade se planta fermement dans le sable afin de pouvoir encaisser ce déchaînement d'attaques le mieux possible. Son arbre trembla, les grandes feuilles de sa fleur frémirent et se plièrent. Deux lianes claquèrent en riposte, vainement car le Léviator s'était fendu en arrière, esquivant les deux fouets vivants et s'en tirant totalement indemne. Ayant tout de même réussi à repousser son opposant, Salade recula, le regard déterminé, prêt à gérer la suite.
Qui ne tarda pas.
Nouvel assaut de la part du Léviator, et je vis qu'une telle répétition de coups de boutoir commençait sérieusement à peser sur Salade considérant la façon dont il haletait. Mais c'était Salade, mon gros bulbe vert, tenace comme pas deux, et malgré sa fatigue son attaque suivante fut tout aussi vive que les précédentes, les feuilles de son Tranch'herbe sifflant dans l'air pour venir semer de profondes entailles sur le visage du serpent. Le Léviator eut un mouvement de recul, lâcha un grondement sourd, et je remarquai que sa posture s'était légèrement affaissée. Mon regard croisa celui de Zack.
Ton Pokémon faiblit, mon cher.Ses yeux flamboyèrent en réponse.
Le tien aussi, très chère, voilà ce que ça voulait dire.
Qu'à cela ne tienne.
- Encore un, Salade ! m'écriai-je.
Il me répondit en rugissant, puis une ribambelle de rubans verts apparut entre les deux Pokémon, s'envolant en direction de Salade. Sa peau brilla un bref instant, il gronda de plaisir suite à la vague d'énergie qu'il venait d'absorber. Face à lui, le Léviator dodelina de la tête ; il voulut se lancer à l'assaut mais s'écroula à mi-chemin, sa tête venant buter contre l'une des pattes avant de Salade alors que son élan l'emportait malgré lui. Le Florizarre le gratifia d'un regard de défi et lui souffla dessus, exhalant profondément. Tentant de répondre à ce challenge, le serpent de mer chercha à se redresser, mais il abandonna finalement, ses paupières se fermant toutes seules. La volonté de se battre était bien là, mais son corps ne suivait plus.
L'issue du combat était claire.
Un tonnerre d'applaudissements éclata, crépitant tout autour de nous. Puis mon nom monta des gradins, chanté par la foule d'une seule et même voix, et je le sentis qui enflammait mes sens et inondait mes veines comme un feu ardent, balayant presque la peur.
Presque.
Mais elle n'en avait plus pour très longtemps, cette foutue peur, parce qu'il ne restait plus qu'une manche. Le match touchait à sa fin. Un match que j'allais gagner. Je croisai le regard de Zack et y lus la même résolution. Il y croyait encore, mon cher rival, il se pensait capable de renverser la vapeur armé de son seul Dracaufeu. Il était vrai qu'il s'agissait d'un Pokémon redoutable, sûrement le plus puissant que mon équipe ait jamais affronté en dehors des oiseaux légendaires. Il était vrai aussi que la dernière fois, lors de notre duel au Bourg Palette, j'avais perdu à cause de lui. Étions-nous capables de le vaincre à présent ?
D'ici quelques instants, nous serions fixés.
***
- Est-ce que ça doit vraiment finir comme ça ? souffla Zack.
Une question, comme une main tendue entre lui et moi. Une dernière tentative d'éviter la tempête qui se profilait à l'horizon, peut-être.
Mais il était trop tard. Il avait toujours été trop tard.
- Ça sert à rien de se voiler la face, lui répondis-je. On savait tous les deux que ça finirait comme ça dès le premier instant où on a reçu nos Pokémon.
Un soupir. Puis un aveu :
- Ouais, c'était couru d'avance.***
Dracaufeu.
Ultime obstacle avant la victoire - et non des moindres.
En conséquence, j'avais rappelé Salade pour lui substituer Plouf. Le Léviator, Vésuve et Pleind'Soupe constituaient les trois dernières cartouches que je pouvais encore tirer, les trois Pokémon valides de l'équipe. Pas question que je risque mon bulbe vert, évidemment, et quant à Fulgure, il avait été trop durement touché par les attaques psychiques de l'Alakazam. Comme je ne disposais plus d'aucune Guérison, la conclusion s'imposait d'elle-même.
Pour commencer, ce serait serpent de mer contre dragon ailé.
La bave dégoulinait de la gueule dudit dragon par paquets, ses flancs se soulevaient lentement à intervalles réguliers, et sa flamme caudale brillait avec l'intensité d'un mini-soleil. Maîtrise parfaite, corps de prédateur. Face à lui, distant de seulement quelques mètres, Plouf se dressait de tout son long, crocs découverts et yeux plissés dans une grimace terrifiante. Ses écailles luisaient d'un bleu lustré sous les projecteurs, jetant de brefs éclairs ça et là. Sur le plan théorique, le Léviator avait l'avantage, mais je ne m'attendais pas pour autant à un combat facile.
Des flammes débordèrent soudainement de la gueule du Dracaufeu, un plasma en fusion qu'il projeta en direction de Plouf. La lumière flamboyante de l'attaque se détacha vivement, entre ciel et sable. Du rouge, vibrant, contre du bleu, sombre, et du jaune, ocre. Atteignant Plouf, le feu lui crama le poitrail ainsi que le ventre, se déroulant sur sa peau et y dessinant d'étranges torsades noires, vaguement semblables à des peintures de guerres que l'on aurait tracées à la suie. J'aurais trouvé ça joli si ça ne s'était pas accompagné d'écailles fondues et d'une douleur atroce pour le Léviator.
Ce premier assaut avait marqué le coup d'envoi de cette dernière manche, et Plouf ne manqua pas de riposter. Au feu, il opposa l'eau, un monstrueux jet qui bouillonna en jaillissant de sa gueule mais qui manqua malheureusement sa cible car le Dracaufeu avait pris son essor en un décollage éclair, fonçant vers le ciel nocturne. Seul le sable reçut l'attaque liquide.
Montant toujours, le Dracaufeu se mit ensuite à planer au-dessous de Plouf ; il lâcha plusieurs gerbes de flammes qui illuminèrent la nuit tandis que les spectateurs l'acclamaient à grands cris. Puis, après un tournant effectué à 180°, abrupt au possible, il perdit de l'altitude et passa en coup de vent au-dessous du Léviator, le mitraillant de plusieurs salves flamboyantes. Accablé, le Léviator fit le gros dos, avant de se retourner pour suivre la trajectoire de son adversaire et de cracher dans la foulée une immense lance liquide. Cette fois-ci, le coup fit mouche. Déséquilibré, les ailes du dragon battirent de manière erratique le temps de quelques inspirations, alors qu'il cherchait un appui plus stable. Il se rétablit finalement et continua à planer tout en braquant son regard sur Plouf. Ce dernier paraissait essoufflé, et l'état de ses écailles suite à la plus récente Déflagration prouvait qu'il faiblissait. Trop. Je savais combien les attaques du Dracaufeu pouvaient s'avérer dangereuses - d'autant plus que Plouf avait déjà été amoché face à l'Alakazam.
La prudence avant tout.
Je le rappelai et envoyai Vésuve : le feu contre le feu. Bondissant littéralement, le Magmar leva un poing vers le Dracaufeu qui n'avait pas cessé de tournoyer tout là-haut. Je frappai deux coups sur la rambarde, indiquant son ordre à Vésuve, et l'air vibra en réponse. D'habitude l'attaque Psyko n'était qu'assez peu perceptible, et il fallait prêter une attention particulière afin d'en déceler les effets, mais celle-ci troubla l'espace avec force, les rides voyageant à une vitesse éclair pour atteindre le Dracaufeu. Et le faire vaciller. Là, il avait eu mal.
Contre-attaque immédiate. Un souffle brûlant s'abattit sur Vésuve, noyant ses couleurs or et rouge dans un déluge de feu ambré. Durant un court instant, le Magmar disparut complètement, englouti par les flammes. Mon cœur battit plus vite. Des cendres s'élevèrent, retombèrent.
Le feu s'éteignit, et Vésuve s'écroula.
Le monde partit de côté l'espace d'un instant, j'étouffai un cri en me mordant les lèvres jusqu'au sang.
La peur, la peur, la peur.
Un ouragan de peur qui me submergea.
Vésuve... Non...Je scrutai sa forme immobile gisant sur le sable, oubliant tout le reste. La foule qui hurlait, le commentateur déchaîné qui alignait phrases après phrases, mon propre corps que j'avais l'impression de ne plus maîtriser. Même Zack. Seul comptait le Magmar et le fait, atroce, qu'il ne bougeait plus.
Un instant passa.
Puis un autre.
Et toujours rien. Rien, rien, rien.
J'en vins à m'adresser un dieu qui n'existait peut-être pas, priant, suppliant, promettant tout ce que je pouvais, pourvu que Vésuve vive.
S'il vous plaît... s'il vous plaît...Je passais ensuite aux dieux du Pokémonde, et oui, c'était ridicule, je ne connaissais même pas leurs noms, et ça n'était qu'un putain de jeu, mais j'aurais fait n'importe quoi pour venir en aide au Magmar.
Je vous en prie...Et là, enfin,
enfin, il y eut du mouvement du côté de Vésuve. L'une de ses mains venait de se refermer sur une poignée de sable. L'autre suivit, puis ses bras tressautèrent, et il releva la tête.
Regard d'or en fusion. Tenace. Teigneux.
Une vague de soulagement vint balayer ma peur, la rejetant au loin. Pas disparue, mais repoussée. Je remerciai mentalement le Magmar - le remerciai de s'être battu, d'avoir tenu le coup, d'être resté avec moi. Mon Vésuve, le digne successeur d'une certaine Colossinge. Comme elle devait être fière de lui en cet instant.
Je rappelai le valeureux guerrier, lui octroyant un repos bien mérité au fond de sa Pokéball, puis fis sortir Pleind'Soupe. Mon dernier Pokémon valide. Aucun des autres ne se trouvaient en mesure de poursuivre ce combat sans que cela ne mette leur vie en danger. Le duel allait se jouer sur le fil du rasoir. Et en jetant un regard vers Zack, je constatai qu'il souriait. Le sourire d'un mec assuré de sa victoire. Il savait pertinemment que j'abdiquerai si jamais la vie de Pleind'Soupe venait à peser dans la balance, et c'était sur ce terrain-là qu'il jouait. Comme Giovanni l'avait fait lors de mon duel contre lui pour le Badge Terre...
Je n'eus pas le loisir de m'appesantir davantage sur ce souvenir car Zack venait de faire un mouvement de main à l'adresse de son Dracaufeu. Le dragon tomba du ciel, pure flèche de feu, et se planta dans le ventre de Pleind'Soupe, toutes griffes dehors. De longues et puissantes griffes qui raclèrent tout ce qu'elles purent, creusant d'implacables sillons dans la chair du Ronflex. Avalanche de sang qui se déversa en cascade. Un véritable rideau écarlate, des deux côtés. Tellement de sang...
Ne flanche pas.Je serrai les dents. Les pattes de Pleind'Soupe jaillirent et plaquèrent le Dracaufeu contre son ventre, l'emprisonnant fermement, puis le Ronflex amorça un mouvement de retournement. Battement frénétique des ailes du dragon tandis que ses griffes arrières labouraient la chair à leur portée. Du sang, du sang... Mais Pleind'Soupe ne se laissa pas distraire et bascula complètement, l'arène tremblant lorsque son ventre rencontra le sable. Au dernier moment, le Dracaufeu eut un sursaut et parvint presque à se dégager ; il termina à moitié coincé sous la masse du Ronflex. Un cri s'échappa de sa gueule à cette occasion, un cri de douleur pure. Il cracha des flammes, prit appui sur ses deux pattes libres et tira éperdument tandis qu'il cherchait à s'extraire du piège formé par Pleind'Soupe. Son aile libre s'agita rapidement, soulevant un nuage de sable.
Finalement, à force de s'acharner, il réussit à se dégager et s'envola pour aller se poser à quelques mètres de là. Pesamment, le Ronflex se leva, puis les deux Pokémon se jaugèrent.
Silence dans l'arène. La foule attendait, sentant que le dénouement approchait. Les deux combattants avaient chacun reçu des coups conséquents qui avaient sérieusement entamé leurs forces, et l'un comme l'autre fonctionnaient à présent sur leurs dernières réserves. Il y avait de bonnes chances pour que le prochain échange soit le dernier, celui qui offrirait la victoire à l'un de nous deux. Je ne connaissais pas assez bien le Dracaufeu pour juger finement de son état de santé, mais je savais que Pleind'Soupe, lui, pouvait encore encaisser une attaque. Possiblement deux. Mes yeux s'attardèrent sur ses oreilles dressées et la façon dont il se tenait, légèrement penché vers l'avant. Oui, deux.
Quelque chose me brûlait.
Zack.
Je redressai la tête et croisai son regard, comprenant ce qu'il avait à me dire aussi clairement que s'il l'avait exprimé à voix haute.
Abandonne. J'ai pas envie de tuer ton Pokémon.
Non, lui opposai-je.
Abandonne, Léa.
Non.Il soupira, et fit le geste dont je savais qu'il signifiait "Déflagration", cet espèce de battement de ses doigts l'un sur l'autre. Je répliquai par le mien, un poing fermé posé sur la rambarde. Blizzard.
Nos Pokémon rugirent de concert, puis lancèrent leurs assauts exactement au même instant. Ils se croisèrent, le flot corrosif de flammes se mêlant aux bourrasques glacées. Il y eut un instant fugace où les deux attaques parurent presque jouer ensemble avant qu'elles ne se déploient pleinement, atteignant leurs cibles respectives et laissant éclater leur potentiel meurtrier. Les rafales hurlantes claquèrent contre le Dracaufeu, le meurtrissant de plein fouet alors que les flammes léchaient Pleind'Soupe tout entier, noircissant sa fourrure. Le vent forcit, charriant des étincelles de glace et de feu, le sable ocre venant également s'ajouter à la tempête. Une sphère se créa, elle engloba d'abord les deux Pokémon en son sein puis s'étendit encore et encore jusqu'à occuper quasiment la moitié de l'arène, jetant un voile opaque sur les événements. Aux brèves flambées de lumière pourpre, on devinait que le Dracaufeu continuait à cracher ses flammes, et le Blizzard de Pleind'Soupe faisait toujours rage.
Violence des éléments déchaînés au-delà de toute raison.
Atmosphère saturée.
Fièvre.
Elle se déroula en frisson le long de mon dos, atteignit mes orteils, me fit crisper les mâchoires. La foule criait peut-être, le commentateur devait parler lui aussi, mais je n'entendais plus rien, mes oreilles comme bouchées par de la ouate. Mes mains serrant la rambarde avec toute la force qu'il me restait, je tanguais, fixant du regard le centre de l'arène.
Tout finit par se calmer. Il demeura en suspension un linceul de sable et de neige, tandis qu'un halo d'une lumière cristalline, incandescente, était tombé sur la scène. Comme si les flammes crachées par le Dracaufeu avaient fondu pour se mêler à la substance même de l'air.
Puis le voile se déchira, révélant le verdict tant attendu. Les deux Pokémon se trouvaient à terre, sur le dos l'un comme l'autre. Vivants. Mais un seul était encore conscient, et un seul laissa échapper un long cri pour le faire savoir.
Le mugissement victorieux du Ronflex troua le silence.
Mugissement qui fut couvert une demi-seconde plus tard par l'ovation du public, tonitruante. La foule se leva comme un seul homme, les applaudissements crépitèrent tel le tonnerre tandis que tous me faisaient un triomphe. Mon nom fut scandé par des milliers de voix alors que le commentateur s'égosillait pour tenter de se faire entendre.
- Mesdames et messieurs, c'est officiel, nous avons une nouvelle championne ! Léa Norelle, seize ans, originaire de Bourg Palette ! Bravo, bravo ! Ah, mes amis, ce fut un match haut en couleur, qui nous aura tenu en haleine tout du long...
Je cessai vite de prêter attention à ce qu'il racontait. Je venais de rappeler Pleind'Soupe ; ma plate-forme descendait, celle de Zack également, et je n'étais que trop consciente de l'expression torturée affichée sur son visage. Ses yeux fuyaient les miens. Comme si je venais de le poignarder dans le dos... On aurait dit une bête sauvage blessée. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Ça me retournait l'estomac, et l'adrénaline du match qui ne s'évacuait pas me rendait d'autant plus fébrile.
À peine la plate-forme s'était-elle immobilisée que je courus à sa rencontre, sans me préoccuper le moins du monde du micro tendu dans ma direction par le journaliste. Tout autour de moi, la foule bruissait toujours et le commentateur devait être en train de s'en donner à cœur joie au vu de mes actions, mais je m'en fichais. Complètement.
J'interceptai Zack à mi-chemin, lui bloquant le passage alors qu'il se dirigeait vers le tunnel.
- Attends...
Il me renvoya un regard qui aurait gelé une supernova.
- Quoi, tu viens me filer mon lot de consolation ? Me dire qu'on peut être ensemble maintenant ?
Son visage était rigide, son ton mordant. Plein de hargne. Une hargne qui atteignait même ses yeux, lesquels lançaient des éclairs à mon encontre.
- J'ai quelque chose à te dire, me contentai-je de répondre, espérant désamorcer la bombe qu'était Zack en m'en tenant à un truc simple.
Son expression se fit soudain sérieuse. Grave, même.
- Moi aussi, répliqua-t-il.
Je soufflai. Me décidai.
- Pas ici. Ma chambre.
Je m'attendais à moitié à ce qu'il proteste et exige que je lui déballe mon secret ici et maintenant. Mais non, il se contenta d'un hochement de tête, et c'est ensemble que nous quittâmes l'arène. Voilà, c'était fait, aussi simplement que cela. À présent c'était une confrontation différente qui allait se jouer, celle des émotions et non des Pokémon. Bien plus volatile, quelque part. Au creux de mon ventre, la peur refit son apparition, dévorante. Mais ça allait aller.
Parce qu'après tout, la peur est une menteuse.
Et moi, j'avais décidé de ne plus l'être.
***
Je peux pas vous dire à quel point je suis soulagée de pas avoir perdu de Pokémon dans le duel contre le rival... Autrement la fin du chapitre aurait été bien différente, et la suite aussi. xD
Reste plus que trois chapitres avant l'épilogue, les révélations vont arriver en vrac. ^^Équipe actuelle :

Salade

Plouf

Pleind'Soupe

Fulgure

Vésuve
Cimetière :

Ficelle

Touffu

Souris

Poilue

Poilu

Princesse

Grignotte

Teigne