Entre infini et au-delà de Cyrlight

Léa - Brice Conrad


- Givrali, utilise Laser-Glace !
- Altaria, Lance-Flamme !

Les deux attaques se heurtèrent dans un grand fracas, et le feu eut raison du rayon bleuté qui éclata en milliers de paillettes rutilantes. Cassy savait que ses pokémon gagneraient en robustesse en affrontant ceux de Yohanna, dont le type leur conférait l'avantage, toutefois elle n'était pas certaine que cela soit une bonne idée puisque son équipe commençait tout juste l'entraînement, alors que la sienne avait déjà une longue expérience derrière elle. La religieuse insistait cependant pour s'exercer régulièrement en sa compagnie.

- Eclats Glace pour te couvrir, puis fonce avec Crocs-Givre.
- Fais les fondre avec Danse-Flamme, et essaye d'esquiver.

Le dragon évita de justesse la première attaque, cependant la gueule de l'évolition se referma sur son aile cotonneuse. Incapable de voler car elle se recouvra d'une fine pellicule polaire, il se posa en catastrophe sur le sol, où il était quasiment réduit à l'impuissance. Sa dresseuse savait qu'il en faudrait plus que cela pour le défaire, mais elle dut interrompre le match lorsque Sandra l'appela depuis le corridor :

- Cassy ! Visiophone !
- Je te prie de m'excuser, il faut que j'aille répondre. Ce doit être Régis.

Sa consoeur lui fit signe de prendre congé, en lui promettant même de donner un Antigel à son pokémon pendant son absence. Il s'agissait là de la règle d'or de leurs affrontements mutuels : le but n'était pas la victoire, simplement l'exercice de leur équipe respective sans risquer de les accidenter. Elle trouva donc parfaitement normal que Yohanna voulut prendre soin d'Altaria.

En arrivant face à l'appareil de communication, la jeune femme constata qu'elle ne s'était pas trompée. Le scientifique patientait à l'écran, et elle put distinguer Esméralda dans son dos, bien qu'elle se tenait légèrement en retrait.

- Du nouveau ? demanda-t-elle sitôt après l'avoir salué froidement.
- J'ai bien avancé sur ce que tu m'as demandé. Je crois que j'aurais terminé d'ici la semaine prochaine. J'ai pu récolté toutes les données dont j'avais besoin, il ne me reste plus qu'à construire le détecteur.
- Est-ce qu'il a une chance de fonctionner ?
- Je ne suis pas ton frère, donc ce n'est pas infaillible. Il n'y a cependant aucune raison pour que cela échoue.
- A ce sujet... Je dois te confesser... Il est vivant. Eric n'est pas mort aux Colonnes Lances comme je te l'ai affirmé.
- Pardon ?
- Il... Il a parlé d'immortalité, penses-tu que cela soit possible ?
- Le glyphe de Lilith le lui permet bien, non ?
- Justement, le sien et le sien seul. Lui possède déjà le pouvoir de dédoublement. Est-ce qu'il peut avoir trouvé un procédé chimique qui lui procure la vie éternelle ?
- Alchimique, dans ce cas, et cela s'appelle la pierre philosophale. Ce n'est qu'un conte, Cassy. Néanmoins, puisque la magie est beaucoup plus présente que ce qu'on imaginait, elle existe peut-être quelque part. Tu devrais interroger Léa à ce sujet.
- Léa ?
- Si quelqu'un est la mieux placée pour avoir des informations à ce sujet, c'est Circé, d'après tout ce que tu m'as raconté.
- Tu as raison. Je vais l'interroger là-dessus. Si tu n'as plus besoin d'Esméralda au Bourg-Palette, dis-lui qu'elle peut regagner Ebénelle. Ah, il faut qu'elle emmène des fleurs de Gracidée avec elle. Nous risquerons d'en avoir besoin à l'avenir.
- Vous avez encore été attaqués, récemment ?
- Non. Deux Gijinkas de Lilith, une Walkyrie et un Vampire, montent la garde dans l'Antre du Dragon. Après ce qui s'est passé l'autre nuit, je doute qu'Eve ose réapparaître, mais il reste bon nombre d'humains légendaires bien plus puissants qu'elle.
- Je vois. J'enverrai une personne de confiance te porter le détecteur dès que j'aurai terminé.
- Je préfère que l'une d'entre nous vienne le chercher, si tu n'y vois pas d'inconvénient.

Le jeune homme hocha la tête en signe de dénégation, puis raccrocha le combiné, sans prononcer la moindre parole chaleureuse. Leur relation ne pourrait jamais plus redevenir la même qu'autrefois : trop de choses s'étaient écoulées afin de leur permettre de revenir en arrière.

- Avez-vous vu Léa ? s'enquit-elle en passant la tête dans la cuisine, où Sandra et Tina préparaient le repas.
- Je crois qu'elle est toujours dans notre chambre. Elle n'en est pas sortie depuis ce matin.
- Elle n'est pas malade, au moins ?
- Non, elle m'a juste dit qu'elle avait quelque chose à faire et m'a demandé de ne pas poser de questions. Pourquoi ?
- Pour rien. C'est juste que... Régis vient d'émettre une hypothèse et je voudrais en discuter avec elle.
- A condition que tu frappes avant d'entrer, elle devrait t'ouvrir.

Cassy remercia la rouquine pour ses informations puis gagna l'étage. Elle s'arrêta devant les anciens appartements de Sylvain, où les deux adolescentes résidaient à présent. Elle donna un petit coup sec contre le battant en bois.

Aussitôt, ce fut l'effervescence à l'intérieur. Elle entendit beaucoup de mouvements, de la précipitation, puis au bout d'une demi-minute un pas hâtif qui vint tirer le verrou. La jeune fille portait toujours son pyjama Teddiursa et n'était pas coiffée, comme si elle sortait à peine du lit.

- Oui ? Oh ! C'est déjà l'heure du repas ? Excuse-moi, je n'ai pas vu le temps passé. Je m'habille et je descends dans...
- Léa ? Que t'arrive-t-il ?
- Rien, rien. J'en ai pour une seconde.
- Léa !

Son ton se fit plus autoritaire. Elle n'avait pas besoin d'être voyante, à l'instar d'Esméralda, pour deviner que sa consoeur dissimulait un secret. Sa nervosité le trahissait d'elle-même. En dehors des draps défaits, néanmoins, rien ne semblait inhabituel dans la pièce.

- Je... Je vais bien. Vraiment. Pourquoi es-tu venue ?
- Il faut que je te parle.
- A quel sujet ? répondit immédiatement l'intéressée en perdant ses couleurs.
- Quand tu étais la disciple de Circé, a-t-elle jamais mentionné la pierre philosophale ? L'élixir de longue vie ?

L'adolescente déglutit bruyamment et son regard se fit fuyant. Elle évitait absolument de croiser le sien, aussi se tourna-t-elle en direction de la fenêtre. Cassy fit un pas à l'intérieur de la chambre sans qu'elle ne l'y ait invité.

- Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Je te rappelle que mon frère est toujours vivant, alors que je l'ai tué de mes propres mains. J'ai tout intérêt à découvrir comment cela est possible. Régis m'a suggéré qu'il avait peut-être trouvé le secret ultime de l'alchimie. C'est pour cela que je souhaite savoir si une telle chose est réalisable.
- Je... Je n'en ai pas la moindre idée. Circé est la maîtresse des poisons.
- Mais elle sait aussi faire des décoctions en tout genre. Elle manipule chacune des plantes.
- Je te dit que j'en sais rien !

Sa respiration se faisait de plus en plus saccadée. De la sueur perlait sur son front,̀ tandis que son corps se mettait à trembler. La dresseuse l'observa un long moment, dans l'espoir de comprendre ce qui n'allait pas, puis scruta assidument les alentours. Elle finit par repérer un détail surprenant, le coin obscur d'un livre dépassant de la taie d'oreiller.

- Qu'est-ce que c'est que cela ?

Léa voulut faire barrage, toutefois elle fut plus rapide. Elle plongea à plein ventre sur le lit pour attraper l'ouvrage. Épais d'une quinzaine de centimètres, la couverture était en cuir noire, et des attaches en argent empêchaient de l'ouvrir. Il n'y avait rien dessus, ni titre, ni quelque autre information.

- Je t'interdis de toucher à cela !
- Alors explique-moi de quoi il s'agit.
- Cela ne te regarde pas. C'est une affaire qui ne concerne que moi. Après tout, Tina m'a révélé la vérité sur ton compte et celui de Sven, mais toi, tu nous l'as tue. Pourquoi serais-tu la seule à garder tes secrets ?
- J'admets que je ne suis pas toujours un exemple à suivre, alors je t'engage à ne pas trop agir de la sorte.
- Pourquoi obéis-tu au doigt et à la lettre dès que Lilith te donne un ordre ?
- Je...
- Tu es sa disciple, n'est-ce pas ? Exactement comme Sven est celui d'Artémis. Inutile de le nier, il ne m'a pas fallu beaucoup de temps pour m'en apercevoir.
- C'est vrai... concéda-t-elle après un long moment. C'est à cause de cela que Régis m'a chassé du Bourg-Palette et c'est uniquement sur ses instances que j'ai affronté Peter. J'espère que tu es satisfaite. Maintenant, à ton tout de m'avouer la vérité.
- Je ne peux pas... Je n'ai pas le droit de tout te dire. Shaymin est venu me voir très tôt ce matin. Circé a voulu me faire parvenir son grimoire.
- Celui que la Team Galaxie avait volé ?
- Exactement. Nous l'avons récupéré pendant mon apprentissage. Quand j'étaid encore à ses côtés, elle m'a expliqué qu'il contenait la recette de toutes les potions qu'elle avait confectionné dans sa vie, ainsi qu'un secret.
- Un secret ? Quel genre de secret ?
- Un secret concernant Arceus.
- Et toi, tu le connais, ce secret ?
- Oui. Malheureusement c'est ici que s'arrête mon récit. Je n'ai pas le droit d'en parler davantage, et si tu as déjà fait des serments à Lilith par le passé, tu comprendras pourquoi je ne peux pas trahir ma parole.
- Bien sûr, même si cela me dérange un peu de ne pas en savoir plus. En tout cas, tu n'as pas répondu à ma question à propos de la pierre philosophale.
- Une pierre magique qui possède la capacité de changer le plomb en or n'existe pas. Ce ne sont que des mythes. Cependant, je suis en mesure de t'affirmer ceci : si Eric a découvert le secret de l'élixir de longue vie, ce n'est pas du grimoire de Circé qu'il le tient.
- En es-tu certaine ?
- Je peux même te le jurer.
- Dans ce cas, je te crois. Merci, et... Excuse-moi pour tout cela.
- Ce n'est pas grave. Tu sais, je commence vraiment à croire que nous avons tous notre part d'ombre. Sven, toi, et maintenant moi... J'ignore si ce sont les glyphes, les humains légendaires ou je ne sais quoi qui provoque cela, mais...
- Non, seulement la vie, Léa.

Cassy lui caressa tendrement la joue dans un geste de réconfort. Mentalement, elle se demanda si Lilith était au courant de cette histoire, à propos du secret d'Arceus, mais comme elle venait de promettre de garder cela pour elle, elle ne pourrait évoquer le sujet avec elle. Elle espérait seulement que Circé lui en avait également parlé, car il s'agissait peut-être là d'un avantage à prendre sur lui.