Entre infini et au-delà de Cyrlight

Tel que tu es - Claire Keim


Lorsque Cassy se réveilla, à l'aube, elle était étendue sur un drap, nue, en compagnie de Vlad. Elle n'avait pas songé à cela lorsque la Walkyrie avait évoqué son apprentissage, toutefois à la vue de la nuit qu'elle venait de passer, ce n'était pas pour lui déplaire.

Elle se rhabilla en hâte, car il faisait très frais dans l'Antre du Dragon où elle avait passé la nuit. Le sac de couchage de Sven n'était même pas déplié, preuve que lui ne s'était pas couché du tout. Elle le chercha du regard, mais ne le trouva pas. Aucun bruit ne lui parvint, d'ailleurs.

Elle revêtit sa cape sur ses épaules, puis sortit de la grotte. Le spectacle qui l'attendait au dehors lui coupa le souffle. Il s'entraînait au combat avec Freyja Vanadís et elle semblait avoir nettement le dessus. En dehors d'Artémis, elle n'aurait jamais cru qu'une femme puisse lui donner tant de fil à retordre, pas même une Gijinka.

Le jeune homme se redressa, haletant, après avoir encaissé un violent coup dans le creux des reins. Il dut prendre appui sur la paroi rocheuse pour parvenir à se tenir debout, car les forces commençaient apparemment à lui manquer.

- Vous devriez peut-être vous en arrêter là, non ? suggéra la dresseuse en les rejoignant, prudente, afin de ne pas être victime d'un assaut manqué.
- Lilith attend de vous que vous surpassiez vos limites.
- Ce qu'elle ne sait pas, c'est que nous revenons tout juste d'une mission particulièrement difficile, qui nous a tous éprouvés aussi bien physiquement que psychologiquement. Laissez Sven se reposer un peu. Il va falloir que nous nous réunissions dès que Marion sera de retour, alors j'ai besoin qu'il soit en forme.

Le regard de l'espion ne laissa rien paraître, étant donné qu'il n'aurait jamais admis une quelconque faiblesse, toutefois il ne chercha pas à la contredire non plus, preuve qu'elle avait touché dans le mille. La Walkyrie réfléchit un moment, puis acquiesça :

- Elle n'approuverait sans doute pas que je vous tue accidentellement à la tâche. Nous reprendrons ce soir, au coucher du soleil.

Elle tourna les talons avec un grâce surprenante pour un corps aussi musclé. Le jeune homme, lui, décida de lâcher la paroi afin d'avancer, mais il chancela. Cassy se précipita vers lui afin de le soutenir.

- Est-ce que tout va bien ?
- Pas sûr. Je crains que mon orgueil ne s'en remette jamais. Elle m'a humilié à plates coutures.
- Dis-toi que c'est une Gijinka, et une guerrière, en plus.
- Ce n'est pas une raison. J'ai été formé par Artémis. Si je n'arrive pas à la vaincre elle, comment pourrais-je réussir à vaincre les autres poké-humains ?
- Nous verrons cela le moment venu. Pour l'instant, l'important, c'est que tu retrouves des forces. Tu es courbaturé de partout, ce qu'il te faut, c'est un bon lit.
- Si tu comptes m'emmener à l'Arène, tu sais très bien que...
- Elles ne diront rien. Tu nous as aidées à revenir indemne, alors même si ta présence les dérange, elles ne te le feront plus savoir comme avant. Enfin, profites-en tant que Marion n'est pas revenue.

Sven lui jeta un regard blasé. La Ranger et lui n'avaient de cesse de se jauger mutuellement, en attendant de savoir lequel serait le premier à attaquer l'autre. Pour l'instant, Cassy parvenait à maintenir un équilibre précaire entre eux pour les empêcher d'en venir aux mains, mais combien de temps cela durerait-il encore ?

Ils poussèrent la porte d'entrée où, comme elle s'en doutait, personne ne prononça le moindre mot. Depuis le salon, Sandra et Léa les virent passer ensemble, tout comme Tina qui sortait de l'ancien appartement de Sylvain à l'étage, toutefois aucune ne sembla réellement s'offusquer de la venue de Sven à l'intérieur.

- Voici le dortoir commun. C'est ici que loge les dresseurs, et où vivent Esméralda et Marion lorsqu'elles sont ici. Tu peux rester là tant qu'il n'y a personne. Je viendrais te réveiller vers une heure de l'après-midi.

L'intéressé approuva d'un bref hochement de tête, puis elle le laissa prendre ses aises. Elle regagna ensuite le rez-de-chaussée, portée par l'odeur embaumante qui s'échappait de la cuisine entrouverte. Lorsqu'elle pénétra à l'intérieur, elle trouva Yohanna aux fourneaux, en train de s'affairer à préparer des pancakes.

- Bien le bonjour, lança-t-elle de sa voix chantante. Tu peux t'asseoir, si tu veux. J'ai presque terminé.

Ses yeux bleus étaient cernés, à croire qu'elle n'avait pas dormi de la nuit non plus. Lorsque la jeune femme l'interrogea à ce sujet, elle se contenta de sourire, en déposant un flacon de sirop d'érable sur la table. Finalement, elle révéla :

- Je dormais, lorsque vous êtes rentrés. Léa m'avait donné une potion pour m'aider à trouver le sommeil. Quand je me suis réveillée, j'ai décidé de m'installer à la fenêtre afin d'observer le combat au dehors.
- Sven et Vanadís.
- Ils sont vraiment impressionnants. On dirait un spectacle de capoera. Enfin, ce n'est que ce matin, en retrouvant les autres, que j'ai appris qu'il s'agissait d'une Gijinka.
- Arrives-tu à t'habituer à toute cette histoire ?
- Mieux que Peter, en tout cas. Je l'ai aperçu il y a un bon quart d'heure lorsque Sandra lui a porté un médicament contre le mal de crâne. Il fait peine à voir, pourtant il refuse toujours de se laisser soigner. Il ne sort même plus de ces appartements.
- Je ne le pensais pas têtu à ce point, c'est vrai, mais j'imagine que c'est aussi cette détermination qui fait de lui un grand Maître.
- Pourtant tu l'as battu, non ?
- Comment sais-tu cela ?
- Sandra passe son temps à le lui rappeler, ou simplement à s'en vanter lorsqu'il n'est pas présent.
- Je suis décidément de plus en plus convaincue d'avoir réalisé ce jour-là le rêve de sa vie.

Elles éclatèrent de rire tandis que les autres les rejoignaient, attirées par le délicieux parfum de la pâte qui dorait dans la poêle. Elles prirent place autour de la table, la dracologue s'installant comme à son habitude à côté de Cassy.

- Que voulaient les Gijinkas ? demanda-t-elle en dépliant sa serviette.
- Oh, euh... Lilith... Elle les a envoyés pour assurer notre sécurité.
- C'est pour cela que Sven s'est battu toute la nuit avec la Charmina ?
- Il s'agit d'une Walkyrie, une guerrière. C'est le disciple d'Artémis, alors il doit continuer de pratiquer l'art du combat, surtout s'il veut pouvoir affronter les autres espèces de poké-humains.
- Et toi ? Tu étais avec le Vampire ?

La jeune femme s'efforça de contenir le rouge qui lui montait aux joues. Elle se contenta de répondre par l'affirmative en précisant qu'il avait quelques informations à lui communiquer sur leurs anciens frères, mais au final rien qu'elle ne savait pas déjà.

- Ils ne t'ont pas dit quand est-ce que Lilith comptait revenir ? Non pas que votre présence m'indispose, mais par pure curiosité.
- Je ne suis même pas certaine qu'ils connaissent l'endroit où elle se trouve. Probablement avec Circé et Artémis, mais rien n'est moins sûr. Elle est totalement imprévisible, alors elle peut être n'importe où, et surtout réapparaître n'importe quand.

Sandra se contenta de cette réponse, et elles se mirent à manger avec appétit. Seule Léa ne touchait pas à son assiette. En l'observant bien, la porteuse du glyphe dragon s'aperçut qu'elle paraissait contrariée.

- Quelque chose ne va pas ?
- Non, non... Enfin, si. Ou plutôt, pas exactement.
- Tu peux nous en parler, si tu veux.
- Ce n'est rien, juste une idée que j'ai eu, mais... Laissez tomber. Il vaut mieux oublier cela.
- Allons, tu sais très bien qu'en pareille période, tout est bon à prendre.
- Même si ce n'est guère louable ?

Cassy allait acquiescer sans la moindre hésitation, lorsque l'expression sceptique de ses consoeurs réfréna ses ardeurs. Au lieu de parler sans réfléchir,̀ elle chercha à nuancer un peu ses propos :

- Cela dépend dans quel sens tu l'entends. A quoi as-tu pensé ?
- Ce matin, j'ai trouvé ceci dans tes affaires, Tina. Pardon de l'avoir prise sans te demander la permission, mais j'ai aussitôt compris que cela appartenait à Sven.

Elle sortit de sa poche la sarbacane qu'il avait remise la veille à la rouquine au QG de la Team Galaxie. Elle la fit tournoyer entre ses doigts avant d'en sortir une minuscule fléchette toxique.

- Elle n'a presque plus de munitions, et le poison dont il se sert n'est pas des plus efficaces, sûrement parce qu'il ne s'y connait pas suffisamment dans ce domaine.
- Oui, je pense que c'était Eric qui les produisait pour le compte de l'organisation, autrefois. Je vois où tu veux en venir. Tu songes à l'aider de manière à en fabriquer de nouvelles ?
- C'est à peu près cela. Je me disais aussi... Pourquoi ne pas utiliser la recette de Circé ?

Cassy fronça les sourcils à cette mention. La composition de l'humaine légendaire leur avait posé quantité de problèmes par le passé, justement à cause de sa redoutable efficacité. Même si à présent, elles en connaissaient l'antidote -bien que la culture de Gracidées se trouve au Bourg-Palette, dans le laboratoire du professeur Chen-, manipuler un tel poison restait excessivement dangereux.

- Je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure chose à faire. Tu en sais assez sur le sujet, désormais, pour trouver une autre toxine.
- Mais je suis également capable de manipuler celle-ci. N'oublie pas que j'ai été sa disciple pendant près de deux ans. Je suis la mieux placée en dehors d'elle-même pour utiliser sa décoction signature.
- Très bien, concéda finalement la jeune femme en songeant qu'ils pratiquaient chacun plus ou moins des activités relativement dangereuses. Cependant, je veux que tu attendes le retour d'Esméralda. Lorsque je contacterai Régis, j'en profiterai pour lui demander de ramener quelques fleurs afin que tu aies toujours sur toi un antidote et, tant qu'à faire, nous aussi, d'accord ?
- Tu peux compter sur moi !
- Ne commence pas à t'enthousiasmer si vite. Ce n'est pas parce que j'ai accepté que Sven en fera autant. Il n'aime pas que l'on change ses habitudes, et encore moins que l'on interfère dans ses affaires.
- Il fait parti de la Confrérie, à présent. Tu l'as dit toi-même. Alors, si tu lui en donnes l'ordre, il...
- Non. J'ai eu tort en agissant de la sorte. Personne ne l'a accepté, et moi j'ai tenté de le domestiquer. Nous sommes toutes fautives, dans l'histoire. D'ailleurs, cette erreur a failli nous couter très cher. C'est un électron libre, il faudra nous y faire. Il travaille seul, et coopère avec nous uniquement lorsque cela s'avère nécessaire.