Crise cardiaque
Je me réveillai au beau milieu de la nuit artificielle créée par l'absence de lumière du laboratoire. Les événements de la veille avaient fini par avoir raison de mon sommeil, et, ne sachant combien de temps j'avais pu dormir, je me résignai donc à attendre. Même si j'avais certainement peu dormi, je me sentais plus reposée, et calmée, bien que toujours aussi anxieuse et mal à l'aise. Aussi étrange que celui puisse paraître le fait d'être dans le noir quasi complet ne me dérangeait pas du tout. Au contraire, je me sentais bien : cela apportait un sentiment de sécurité réconfortant.
Peu de temps après, les lumières s'allumèrent subitement. Me cachant les yeux un instant et m'habituant ensuite à la lumière, j'entendis arriver, quelques minutes plus tard, ma geôlière. Elle déposa quelques affaires sur la table et se dirigea vers moi.
« Bonjour, Sujet 8F. Si vous êtes déjà réveillée je suppose que vous avez assez dormi. J'espère que cela suffira car aujourd'hui nous allons commencer par vous présenter au reste des sujets. Nous avions auparavant laissé des sujets trop longtemps seuls, et ils avaient fini par se renfermer complètement sur eux-mêmes et devenir asociaux, ce qui fut, bien évidement, une très mauvaise chose. »
Ainsi j'allais déjà quitter cette cellule ? J'avais moyennement hâte, cependant, d'aller rencontrer d'autres individus « comme moi »... Je supposais qu'elle avait raison. Elle s'y connaissait bien entendu mieux que moi à ce sujet...
« Bien entendu vous n'allez pas passer la journée avec vos semblables. Viendra le moment où nous allons vous faire passer quelques tests de routine pour récolter des informations qui nous seront utiles à l'enrayement de la contamination. Nous partirons dans quelques dizaines de minutes. D'ici là... Je suppose que je peux vous ouvrir la porte. »
Ayant dit cela, elle s'approcha de la porte métallique située sur le côté droit de la vitre. Suite à un bruit de glissement de plastique dans une fente, la porte s'ouvrit automatiquement. Doucement, j'avançai hors de ma cellule, sous les yeux attentifs de la scientifique blonde qui avait reculé de quelques pas.
« Le sol est froid ici, il n'est pas chauffé comme dans votre cabine. Faites attention. »
Lorsque je posai le pieds sur le sol, en effet, je ressentis sentiment de fraîcheur, très agréable. Ne sachant que faire ensuite, j'attendis debout face à elle. Des quelques affaires qu'elle avait déposé sur la table elle me tendit de quoi me nourrir.
« Vous feriez mieux de manger ça, vu que vous n'avez rien mangé depuis presque deux semaines. Même si lors de votre sommeil artificiel il vous a été injecté un liquide hautement nutritif, vous devez manger de la vraie nourriture. Il y a des fruits, et des baies. Mangez selon votre faim. Malgré tout, j'espère que vous allez aimer parce que vous n'allez guère manger d'autres choses: vous devez conserver le même régime, bien entendu dans des proportions adaptées à un être humain, qu'avant votre métamorphose pour ne pas fausser nos résultats. Ce qui se passe aujourd'hui est exceptionnel car vous n'aurez pas d'examens corporels : nous allons seulement pousser les tests effectués hier de manière à trouver d'éventuels problèmes de santé que j'aurais pu ne pas voir. À partir de demain, vous serez nourrie le midi, juste après, de manière à être à jeun lorsque nous étudierons votre métabolisme.»
Mangeant sans appétit la nourriture qu'elle me présenta, je me demandais à quoi je pouvais bien ressembler auparavant. Ma geôlière le savait, mais refusait de me le dire. Comme toujours, lorsque j'essayai de faire appel à des souvenirs de mon ancienne vie, mon esprit se heurta à un mur. Peu de temps après mon repas végétalien, la porte menant à l'extérieur de ma cellule s'ouvrit. Me faisant signe de venir, la scientifique pris la parole avec quelqu'un qui se situait à l'extérieur.
« -Elle n'a pour le moment présenté aucun signe de violence. Pas besoin de prendre autant de précautions qu'avec les autres.
-Si vous le dites, madame, répondit une voix masculine. Mais sachez qu'au moindre problème elle sera entravée.
-Merci de me faire confiance, répondit-elle ironie. (Se retournant vers moi:) Suivez-moi, Sujet 8F. »
Intimidée, je me collai derrière son dos et je la suivais de près. Les deux autres personnes portaient des tenues très différentes d'elle : un casque, une chemise bleue, un jean épais, et par-dessus leur chemise, un gilet pare-balle avec une petite carte en plastique indiquant leurs nom et prénom. Un holster accroché à leur cuisse contenait une arme à feu. Logiquement, il devait s'agir de la sécurité du laboratoire. Je ne pris pas plus de temps pour les examiner et je regardais de manière évasive les couloirs, tout de blanc vêtus, en foulant le carrelage frais au sol. Après avoir longé un couloir orné de plusieurs portes toutes surmontées d'un numéro, nous changeâmes de direction plusieurs fois, si rapidement que je ne sus quel chemin nous priment, avant d'arriver devant une double-porte, plus imposante que les autres. Passant une carte magnétique dans la fente située à sa gauche pour ouvrir la porte, ma geôlière entra dans la salle avec moi. Là, ce que je vis dépassai mon imagination. Ici se trouvait, toutes tournées vers moi, un grand nombre de créatures mi humaines, mi Pokémon. Des créatures comme moi...
« Bonjour à tous, déclara ma geôlière. Je vous présente le Sujet 8F, qui remplacera désormais le défunt Sujet 8E. J'espère que vous lui réserverez un bon accueil. »
Ensuite, elle s'éclipsa rapidement, me laissant seule. Il y avait en tout dix-neuf autres créatures ici, toutes du sexe masculin, à première vue de tous les âges, vêtus d'une blouse semblable à la mienne. Il ne fallut que peu de temps avant que l'une d'elle ne s'approche de moi rapidement. Elle ne me laissa pas le temps de l'identifier et se colla à moi. Paniquée, je ne bougeai pas d'un iota et elle me renifla longuement, avant de déclarer :
« C'est la première fois qu'ils apportent une femelle... Et tu ne peux pas savoir à quel point je suis... Excité. »
J'avais peur de comprendre de quoi il parlait. Alors qu'il voulut porter sa main à ma poitrine, il reçut un violent coup de poing dans l'estomac de la part d'une autre créature, l'envoyant voltiger deux mètres plus loin. Celui qui avait écarté de manière musclée l'enquiquineur rugit aux autres :
« -Vous n'êtes plus des animaux, bandes d'obsédés ! Ne l'oubliez pas ! Le prochain qui agit comme un rustre, je le met mon poing ailleurs que dans le ventre.
-Excusez-moi... C'est juste que, mon instinct à reprit le dessus. Je ne me contrôlais pas.
-Je ne veux pas le savoir, répliqua l'hybride qui m'avait sauvée. »
Il se tourna ensuite vers moi. Il semblait très âgé car son visage était couvert de rides. Mais dans ses yeux rouges se lisait une solide expérience, et une forte volonté. Chose étrange quand on sait que, comme moi, il avait perdu la mémoire à son réveil. Sur sa blouse se lisait « Sujet 18B ». B ? Il devait être ici depuis très longtemps. Peut-être même était-il le plus ancien ?
« J'espère que vous n'avez pas été trop effrayée par cet imbécile. Certains ici ne sont que des brutes qui ont oublié d'apprendre à réfléchir avant d'agir, et qui sont trop impulsifs. Mais ne vous inquiétez pas. Ils me respectent tous ici, et tant que je serai là, ils vous laisseront tranquille. »
J'examinais avec plus d'attention le vieil hybride. Comme moi, il était recouvert d'une fine fourrure, blanche, celle-ci, sauf sur son visage, où elle était très sombre. Ses cheveux étaient blancs aussi, si l'on exceptait une tâche noire au milieu des cheveux qui tombaient sur son front. Alors que ses cheveux étaient beaucoup plus longs sur le gauche, du côté droit de sa tête dépassait une impressionnante corne noire, qui ressemblait beaucoup à une lame courbe, et semblait tout aussi tranchante. Alors que je l'examinais, il se plia littéralement en deux devant moi, comme frappé par une lame invisible.
« -Mes douleurs recommencent, gémit-il. C'est pire que la dernière fois. J'ai l'impression que quelque chose m'écrase le bras, c'est insupportable...
-18B remet ça, il faut l'allonger!
-Vite, appelez le médecin ! »
Il n'eut besoin de l'aide de personne pour s'écrouler sur le sol blanc de la grande salle. Hormis moi, tout le monde recula prudemment, comme si ils craignaient une maladie contagieuse. Incapable d'abandonner la pauvre créature à son sort funeste je fus tout mon possible pour lui venir en aide. C'était plus fort que moi : peut-être aurais-je du, comme les autres, reculer et attendre les secours, mais cela était impossible. Le simple fait de le voir souffrir suffisait à me remplir de pitié et je voulais l'aider. Pourquoi ? Il s'agissait d'un comportement purement humain et j'étais avant tout un Pokémon. Cela me dépassait... Ne sachant pas comment l'aider, je le regardais, inutile, mourir. Incapable de supporter plus longtemps ma propre impuissance, je lâchai des larmes, mélanges de tristesse et de honte. Alors qu'il était devenu extrêmement pâle et était couvert de sueur, il tourna ses yeux vers les miens. Me prenant la main, il me fixa avec insistance et me dit, dans son ultime souffle de vie:
« Merci... »
Les quelques secondes qui suivirent, il ferma finalement les yeux, ses mains finirent par devenir faibles et lâchèrent les miennes. Elles retombèrent contre lui, dont le visage maintenant si tranquille pouvait laisser penser qu'il dormait... Il ne respirait plus, mais son cœur battait toujours de manière complètement aléatoire. Alors que je continuais à le fixer les yeux embués de larmes, un médecin et deux gardes arrivèrent, et l'on m'écarta du Sujet 18B. Posant une batterie sur le sol, le médecin essaya de le réanimer à l'aide d'un défibrillateur. Dix fois de suite, le médecin pressa les deux plaques sur le corps, l'une sur son cœur et l'autre sur son flanc. Dix fois de suite, le corps eut un soubresaut, on l'aurait cru revenir à lui. Mais dix fois de suite, il retomba et resta inerte. Cette fois, son cœur ne battait plus. Finalement, le médecin soupira :
« Je suis arrivé trop tard. Je ne peux plus rien faire pour lui. »
Il ne fallut que peu de temps avant que son corps soit enfermé dans un sac mortuaire et embarqué par deux brancardiers. Immédiatement après, tous les sujets retournèrent dans leur cellule, et je fus la première à partir. Le moment « communautaire » entre les autres sujets s'était terminé d'une manière incroyablement abrupte... Alors c'est cela quand un hybride comme moi avait un problème de santé? Une mort rapide et douloureuse qui frappe sans prévenir? Incapable de supporter ma propre inutilité lors de son décès, je continuais à pleurer. Une fois ma cellule regagnée, je fus à nouveau enfermée derrière ces murs qui formaient mon espace vital. Allongée sur mon lit, je ne voulais qu'une seule chose: tout oublier. Je ne voulais plus me souvenir de ce qui venait à peine de se passer. Ce monde dans lequel je venais d'atterrir me semblait déjà trop impitoyable et je ne pouvais pas le supporter. Si seulement tout pouvait s'arrêter, subitement. Continuant à verser de chaudes larmes, je finis par entendre la porte derrière moi s'ouvrir. Ma geôlière était là. Elle s'approcha de la vitre et me dit:
« Je suis vraiment navrée de vous avoir forcé, même involontairement, à assister à ça... Mais ne vous méprenez pas. Vous avez fait ce que vous pouviez pour lui. Son dernier souvenir sera de savoir que quelqu'un veillait sur lui et c'était la seule chose que vous puissiez faire, de toute façon. Personne n'aurait pu faire quelque chose pour lui, même les secours, vu la vitesse de sa mort. »
Ses paroles me réconfortèrent légèrement. Après tout, elle avait raison : qu'aurais-je pu faire de plus ? Rien. Je n'avais aucun talent dans la domaine de la médecine... Me calmant peu à peu, je finis par ma rapprocher de la vitre. Elle continua:
« Vous m'avez l'air fortement altruiste. Vous n'aimez pas voir souffrir. Auriez-vous donné votre vie pour sauver la sienne, si cela avait été possible? »
J'hésitais longuement. Qu'est-ce que ma vie maintenant ? Rester condamnée à vivre derrière cette vitre ? Jusqu'à ce que moi aussi je sois terrassée aussi rapidement que lui ? Mais d'un autre côté, j'avais de la chance d'être en vie et je sentais que je devais saisir cette chance. Je ne puis répondre à sa question. Malgré tout, elle continua :
« Vous n'êtes pas comme les autres. Eux ont tous reculé de peur d'attraper une quelconque maladie et vous êtes restée. De l'inconscience, bien entendu, mais une volonté d'aider surprenante malgré le fait que vous soyez impuissante. Alors que, comme vous l'avez vous-même remarqué dès votre arrivée, certains autres sujets sont violents, instables, conduits par leur instinct et pas par un raisonnement. »
Effectivement, j'avais eu l'occasion de m'en rendre compte. Si il n'avait pas été arrêté, le sujet qui m'avait presque sauté dessus les premières minutes m'aurait certainement... Agressée. Je frémis en pensant à ça. Mais, non, bien sur que non. Il aurait certainement été stoppé par la sécurité du laboratoire avant de pouvoir passer à l'acte. N'est-ce pas ?...
« Le sujet le plus apte après vous était, malheureusement, le sujet 18B. Premièrement, avant de se transformer, il s'agissait d'un Absol, il avait donc des capacités innées très intéressantes. Ensuite, il était peut-être brutal mais il savait se faire obéir. Et pourtant, tout le monde l'a laissé périr, alors qu'il était, pour ainsi dire, le « chef de meute » des autres. Maintenant qu'il n'est plus je me demande comment ils vont s'y prendre pour en élire un nouveau? Vont-ils choisir celui qui est ici depuis le plus longtemps ? Ou le plus fort ? »
Ainsi, je ne m'étais pas trompée : il avait été le plus vieux d'entre eux. Il avait certainement acquis une expérience dans ce laboratoire, à force de voir passer d'autres sujets tels que lui. Malgré tout, je me demandai ce qui allait se passer le lendemain, lors de notre prochaine « rencontre communautaire ». Je n'avais aucune envie de recommencer.
« Vu les événements qui ont eu lieu aujourd'hui, nous préférons vous laisser vous reposer toute la journée. Mais avant de partir, je songeais à ce que nous pourrions vous apprendre pour que vous soyez prête en sortant d'ici, le moment venu. Vous êtes disciplinée, attentive, et altruiste. J'y ai beaucoup réfléchi aujourd'hui, et je pense que faire de vous une infirmière est un bon choix. Qu'en pensez-vous ? ».
Faire de moi une infirmière? J'ai été terrassée par la honte de mon inutilité plus tôt dans la journée parce que je n'avais aucun talent, et je ne voulais pas qu'une autre situation comme celle-là se reproduise. Je n'étais pas sure de pouvoir le supporter. Alors, séchant mes dernière larmes d'un revers de manche, je finis par me tourner vers ma geôlière et je hochai la tête.
« Je suis ravie que vous soyez d'accord. Dans ce cas, je vais vous laisser vous reposer et je reviendrai demain. Au revoir, Sujet 8F. »
Sur ce, elle ramassa ses affaires et partit, me laissant dans la cage vitrée, avec pour seule compagnie mon simple lit, sur lequel je finis par m'allonger, fatiguée, avant de m'endormir.