Renaissance
Lentement, j'avais l'impression de revenir à moi. Tout mes sens étaient brouillés et je me sentais fatiguée, comme si je m'éveillais après un long moment d'inconscience : impossible d'ouvrir les yeux ou même de bouger le moindre muscle. Pourtant, je sentais bien que, autour de moi, il y avait de l'activité. J'avais l'impression que l'on me palpait, que l'on m'examinait sous tous les angles. Encore complètement assommée, je finis par sentir mes sens revenir très lentement à moi. Je commençais à entendre des sons de plus en plus précisément, je sentais des odeurs d'alcool, et malgré mes paupières closes, je devinais une forte luminosité. Je ne comprenais pas ce que je faisais ici, ni même où j'étais. J'étais allongée sur une paroi légèrement souple, bien droite, sur le dos. Lorsque je finis par comprendre ce qui se disait autour de moi, j'entendis :
« -Activité cérébrale en forte hausse, monsieur. Le sujet va reprendre le contrôle de lui-même d'un moment à l'autre.
-Tant mieux. Cela prouve que jusqu'ici le traitement fonctionne comme prévu. Mais c'est encore beaucoup trop tôt. Nous n'avons même pas fait la moitié des vérifications corporelles.
-Dois-je préparer une autre dose ?
-Bien entendu. Si elle venait à se réveiller maintenant cela pourrait être fatal pour elle. Le traitement n'est pas encore terminé.
-Bien compris. Je vous prépare une autre seringue.
-Merci. »
Alors que je luttais instinctivement pour reprendre contrôle de mon corps, je sentis quelque chose s'enfoncer dans mon épaule. S'ensuivit un très fort sentiment de pincement, suivit d'un déferlement de chaleur dans mon bras, puis dans tout mon corps et, quelques instants plus tard, un irrésistible sentiment de sommeil s'empara de moi, et je sombrai dans un sommeil noir, sans rêve.
Je repris conscience cette fois avec plus de facilité que la première, sans doute habituée à la substance injectée en moi. Lentement, ne pensant qu'a reprendre le contrôle de mon corps, je luttais de toute mes forces pour vaincre ce sentiment oppressant de léthargie qui me paralysait. Finalement, je finis par réussir à ouvrir les yeux. Totalement éblouie je les refermai aussitôt. La douleur occasionnée par la lumière me força à essayer de me redresser pour pouvoir m'en cacher. Encore ankylosée, je finis par réussir à m'asseoir. C'est à ce moment que je me rendis compte que quelque chose clochait. Je n'étais pas habituée à ce corps : il me rendait mal à l'aise. Il me paraissait étranger, trop grand, et je n'arrivais pas à savoir pourquoi. J'essayai de me souvenir du pourquoi de ma présence ici. Je me concentrai le plus possible. Rien ne se passa. Lentement, tant bien que mal, je fis tout mon possible pour reprendre, enfin, le contrôle de mon corps.
Lorsque je fus enfin habituée à la forte luminosité du lieu, je fus estomaquée. Alors que je m'attendais, sans vraiment savoir pourquoi, à me trouver dans un lieu naturel, je constatai que c'était le contraire. Je me trouvais dans une petite pièce rectangulaire, toute blanche. Dans un coin se trouvait un simple lit d'hôpital, et, de l'autre côté de la pièce, au milieu du mur, se trouvait une très grande vitre et une porte métallique. Complètement paniquée, je regardai partout dans la pièce : aucune issue possible. Ma seule réaction fut de chercher un endroit où me réfugier, mais je restais immobile, assise par terre.
Soudain, un bruit me fit sursauter. De l'autre côté de la vitre se trouvait une pièce plus grande que ma cellule. Dans cette pièce, meublée d'une table au milieu et de quelques armoires sur les côtés, venait de pénétrer quelqu'un. Ma vision encore embrouillée, je fus incapable de distinguer qui. Plus la personne s'approchait de la vitre, plus mon cœur accélérait, et il faillit lâcher lorsqu'elle prit la parole :
« Calmez-vous. Tout va bien. C'est normal que vous vous sentiez déboussolée. Il va vous falloir du temps pour reprendre pleinement contrôle de votre corps. C'est pourquoi je suis ici. Mais plus important. Comprenez-vous ce que je dis ? »
Aussi imprévisible que cela puisse paraître, je comprenais parfaitement ce que la voix féminine me disait. Pourtant, lorsqu'elle m'annonça qu'il n'y avait aucune raison de paniquer, j'essayai de me calmer, mais cela semblait impossible. Encore toute tremblante, je hochai la tête.
« Très bien. Prenez votre temps et calmez-vous. »
Un flot impressionnant de questions affluait en moi depuis mon réveil et cela ne me facilitait pas du tout la tâche. Où suis-je ? Qui est-ce ? Pourquoi est-ce aussi lumineux et blanc ? Pourquoi suis-je enfermée ? Au bout d'un moment, je finis par arriver à mettre toutes ces questions de côté et je commençai à me calmer un peu. La peur primale avait laissé place à l'inquiétude, et je tremblais moins. Alors, lorsque ma vue redevint normale, je me tournai vers la personne qui m'observait toujours : il s'agissait d'une jeune femme blonde, vêtue d'une tenue de scientifique blanche.
« Je constate que vous recouvrez peu à peu vos facultés. C'est normal : il reste quelques somnifères dans votre corps qui devraient bientôt ne plus faire effet. Maintenant que vous pouvez vous déplacer, je vais devoir faire quelques vérifications. Premièrement, levez-vous. »
Mon instinct me força à lui obéir sans contester. Pourquoi ? Je n'en savais pour le moment rien. Mais ma première tentative pour me relever fut un échec. J'avais les jambes engourdies. Finalement, je réussis à me hisser sur mes deux pieds. Le fait d'être debout me paraissait totalement étranger, et j'avais du mal à garder mon équilibre : j'étais obligée de mettre ma main contre un mur pour ne pas retomber.
« Très bien. Vous semblez pour l'instant ne pas avoir de problèmes. Maintenant, essayez de marcher un peu. »
Ce fut plus laborieux cette fois-ci. J'avais l'impression d'avoir des jambes en plomb. Chaque pas était un exploit à lui tout seul, et, au bout de quelques uns, elle parut satisfaite.
« On dirait que tout se passe comme prévu ! Maintenant, restez debout sans vous tenir. »
Encore une fois, j'obéis. Mes quelques pas avaient aidé mon corps à trouver l'équilibre, et je pus, sans trop de problèmes, rester debout au milieu de la pièce. Elle semblait encore une fois satisfaite, voire fière de moi...
« Toutes mes félicitations, Sujet 8F. Vous m'avez l'air en parfaite santé. Maintenant, essayez de dire un mot. N'importe lequel. »
Que voulait-elle dire par « Sujet 8F » ? S'agissait-il de moi ? Je n'en savais rien, et je devais attendre qu'elle m'en dise plus. Pour le moment, je devais lui obéir. Instinctivement, mes poumons émirent un souffle léger, censé faire vibrer mes cordes vocales. Mais le souffle sortit de ma bouche sans le moindre son. J'essayai tant bien que mal d'émettre un son, aussi futile soit-il, uniquement pour lui faire plaisir. Au bout de plusieurs minutes, j'abandonnai. Baissant les yeux de peur d'être réprimandée, elle me répondit :
« Alors on ne m'avait pas menti : vous êtes dépourvue de cordes vocales. Mais ne vous inquiétez pas. D'autres moyens de communications existent. Comme par exemple... »
Quelque chose dans sa poche sonna. Elle s'interrompit, et sortit un petit appareil. Après l'avoir consulté, elle déclara :
« Lorsque mon bipeur sonne c'est que l'on a besoin de moi ailleurs. Je reviendrai dès que possible. En attendant, habituez-vous à votre corps. »
Sur ce, elle partit, me laissant dans ma cellule blanche.
Une fois la porte fermée, je marchai jusqu'au lit, ne pouvant supporter plus longtemps la dureté du sol carrelé. J'avais beau être habillée d'une blouse, où une petite étiquette sur le côté gauche de la poitrine indiquait « Sujet 8F », et d'un pantalon blancs, j'avais les pieds nus. Une fois allongée dessus, j'essayai de me reposer, mais surtout de me calmer. Cela semblait toujours aussi impossible... Lorsque la sensation de picotement dans mes jambes se calma enfin, je pus me relever et faire quelques pas sans souci.
Quelque chose me frappa tout d'abord, et, pour vérifier que je m'étais pas trompée, je regardai plus attentivement mon bras. Une fourrure brune le recouvrait. Certes, il ne s'agissait pas d'une épaisse touffe de poils d'une dizaine de centimètres. Mais le fait était bien là : bien plus épais, foncés et nombreux que des poils humains. Faciles à différencier de poils normaux : une fois qu'on l'avait remarqué, on ne voyait plus que ça. Cette fourrure recouvrait quasiment tout mon corps, même mon visage n'était pas épargné... Ce corps, qui me semblait à première celui d'une jeune humaine d'une vingtaine d'année, n'était finalement pas aussi humain qu'il le paraissait. Anxieuse, j'examinai mon corps avec plus de précisions et je constatai d'autres anomalies. D'abord, autour de mon cou, se trouvait une épaisse crinière beige, presque blanche. On aurait pu croire qu'il s'agissait d'une écharpe de fourrure. La suivante, qu'à première vu je n'avais pas remarqué : une épaisse queue poilue, brune foncée, dont la pointe se terminait par une couleur beaucoup plus claire, la même que ma crinière. Et mes oreilles, elles non plus, n'avaient rien d'humain. Bien que se trouvant à l'endroit normal, dépassant de mes longs cheveux, elles étaient extrêmement longues, fines, et légèrement poilues. Mes ongles, aussi, étaient en réalité des griffes.
Je constatai aussi que, outre ma crinière et le bout de ma queue qui étaient d'un beige très clair, ma queue, ma fourrure, mes cheveux et mes oreilles étaient châtains. Et le plus étrange est que j'avais l'air d'y être habituée. Je n'étais pas habituée à une position debout, mais je me sentais réconfortée par une crinière et une queue ? C'était totalement invraisemblable. Confuse, je finis par me rallonger sur mon lit. Peut-être que la scientifique de tout à l'heure allait m'en dire plus ? La raison de ma présence ici, ce qu'ils comptaient faire de moi ? Incapable de m'endormir à cause de la lumière, je me résignai à attendre le retour de le jeune scientifique blonde, ma gardienne... Ma geôlière.
Je ne puis dire combien de temps j'attendis, non sans impatience, son retour. Je sus qu'elle arrivait avant même que le porte ne s'ouvre, grâce à une ouïe très développée sans doute due à mes oreilles animales. Lorsqu'elle revint, je me levai rapidement pour m'approcher de la vitre. Tout en me regardant, elle déposa des affaires sur la table, et se retourna vers moi.
« Je suppose que maintenant, vous avez remarqué que quelque chose est différent chez vous, n'est-ce pas ? »
Face à cette question dont la réponse était évidente, je hochai la tête. J'avais l'air tellement différente d'un autre être humain, et cela me rendait extrêmement mal à l'aise...
« Toi et moi allons passer beaucoup de temps ensemble. Alors je vais être honnête avec toi. Avant de venir dans ce laboratoire, tu étais, je suppose que tu as finis par t'en rendre compte, un Pokémon. »
Pendant quelques secondes, ma respiration se coupa, et je méditai sur cette phrase. Un Pokémon ? Un Pokémon ne peut pas se transformer en être humain, cela défiait l'entendement. J'avais un raisonnement d'être humain, je pensais comme eux, je les comprenais. Il s'agissait certainement du contraire ? Un être humain devenu un Pokémon me semblait plus logique. Reprenant rapidement mes esprits, je me rendis compte que, pourtant, au fond de moi, je le savais... Sinon, comment aurais-je pu trouver anormal d'avoir un corps humain tout en ayant l'étrange sensation d'être habituée aux parties « anormales » de celui-ci ? Fixant le sol, j'attendais que la scientifique reprenne son discours.
« J'étais certaine que cela vous ferait un choc. Mais que vous vous en remettiez aussi facilement est tout aussi étrange... D'habitude, les autres spécimens deviennent très violents. Ils essaient de casser cette vitre, ils hurlent. Ils se tapent la tête contre un mur. Mais vous êtes différente, Sujet 8F. Dès que je vous ai vu, j'ai su que vous seriez plus... Mature intellectuellement. Plus sage. Vous obéissez au doigt et à l'œil, comme si vous y aviez été habituée. Cela se lit dans vos yeux. Instinctivement, vous voulez bien faire de peur d'être punie. Mais maintenant, je vais vous expliquer pourquoi vous êtes ici. En réalité, vous avez été infectée. »
Infectée ? Par quoi ? En y repensant, lorsque je m'étais réveillée pour la toute première fois, les personnes autour de moi avaient mentionné un traitement. J'avais rapidement oublié, mais maintenant que cela me revenait en mémoire, je commençai à me faire une petite idée de ma présence ici.
« Vous n'êtes certainement pas le premier Pokémon atteint. Votre nouveau nom, 8F, vient du fait que vous vous trouvez dans le huitième bloc et que vous êtes arrivée après le Sujet 8E, et que, si vous êtes aussi malchanceuse que lui, le Sujet 8G prendra votre place. »
Est-ce tellement dangereux d'être atteint par cette maladie ? Hormis la sensation étrange et désagréable d'être dans un corps qui n'est pas le mien, je ne me sentais pas malade.
« Le virus qui vous a infecté a disparu depuis plusieurs jours maintenant. Vous n'êtes plus contagieuse ni pour moi ni pour personne. Le problème ne vient plus directement de lui mais de vous. Ce virus agit sur l'ADN même d'un être vivant. En particulier celui d'un Pokémon. Il contient une banque gigantesque de données génétiques humaines, lui permettant de complètement remodeler ledit ADN. Il est ainsi capable de transformer en deux semaines à peine un Pokémon en créature hybride, mi humaine, mi animale, possèdent des capacités innées en tant que Pokémon et gagnant des capacités en tant qu'humain. »
Ainsi je ne m'étais pas trompée et je pouvais plus nier l'évidence. Ce corps n'était pas le mien... Pas totalement. Mais alors, si je suis guérie, pourquoi me garder emprisonnée ? Comme elle voyait que je me questionnais, elle fit quelques pas devant la vitre, et continua :
« Nous vous gardons en observation car votre corps peut être défectueux. Ce virus a bien entendu été attaqué par les défenses immunitaires de votre organisme et peut avoir été défaillant dans certains domaines. Par exemple, nous savons dorénavant que dans votre cas il aura échoué à créer des cordes vocales efficaces. »
En effet, je ne pouvais pas parler. J'avais essayé plusieurs fois, rien à faire : je n'émettais aucun son audible. Je me demandai quels pouvaient être les autres problèmes que je pouvais rencontrer ? Ma geôlière, quant à elle, continua :
« Mais le plus important est : qu'allons-nous faire de vous ? Nous pourrions tout simplement vous utiliser comme un simple cobaye et vous disséquer. Bien entendu, vous vous rendez bien compte que si vous êtes réveillée, c'est que cela est pour nous hors de question. Au contraire, nous allons vous apprendre à utiliser vos nouvelles facultés, en échange de quoi nous allons vous étudier : faire des prises de sang, étudiez votre génome, etc. Cela nous permettra de chercher un moyen d'enrayer la propagation de ce virus tout en vous rendant apte à commencer une nouvelle vie. »
Alors que je triais ses paroles pour pouvoir me faire ma propre idée, les lumières de la salle commencèrent à diminuer. Soupirant, la jeune femme blonde se dirigea vers la table pour ramasser ses affaires, en me disant :
« Lorsque les lumières se coupent c'est qu'il vous faut dormir, maintenant. Je reviendrai demain. Alors maintenant, reposez-vous. Au revoir, Sujet 8F. »
Sur ce, elle partit, et la salle se retrouva plongée dans le noir lorsque la porte se referma automatiquement derrière elle. Seules deux petites lumières vertes, une au-dessus de chaque porte, subsistaient. Toujours aussi mal à l'aise, anxieuse, et l'esprit en pagaille, je me dirigeai vers mon lit, rapidement habituée à l'obscurité. Mon esprit était en surchauffe et j'avais besoin d'un vrai sommeil, et pas d'un sommeil artificiel à base de somnifères, pour pouvoir enfin être calmée. Une fois allongée sur mon lit, j'étais tellement fatiguée que je m'endormis immédiatement.