… ceux qui s’opposent [23]
Ce soir là, les astres brillaient d'un intense éclat sombre. Presque maléfique. Ou plutôt, était-ce un éclat salvateur ? Shiro ne saurait réellement de dire. Elle était là, sur ce toit, et fixait ce qui se trouvait devant elle. La demoiselle ne pouvait en aucune manière expliquer ce qui se passait, mais quelque part au fond d'elle, elle espérait que ce moment, cette confrontation intérieure, arriverait. Même si elle n'aurait jamais pensé que cela prendra une forme aussi concrète.
Cette nuit, alors que Shiro allait s'endormir comme d'habitude dans sa chambre, elle sentit quelque chose l'observer. Ou plutôt l'appeler. Instinctivement, la demoiselle savait qu'elle devait lui répondre. Répondre à cette chose surnaturelle. Shiro n'eut aucun mal à suivre cette ombre jusqu'au toit de l'Institut. Et pour cause, cette chose obscure émettait une aura particulière… une aura très familière pour la demoiselle.
« Qui es-tu ? »
Aucune réponse. La créature restait passive, à fixer Shiro de ses deux yeux inertes. Ses longs cheveux noirs flottaient au vent, exactement de la même manière que ceux de Shiro. On aurait dit qu'un miroir était placé entre ces deux personnages, tant ils se ressemblaient.
« Enfin, soupira Shiro. J'imagine que cette question est inutile. »
Le souffle nocturne s'affola un court instant, avant se calmer presque par obligation.
« Tu es moi, n'est-pas ? »
Impossible de se tromper. Devant, Shiro se dressait… une autre Shiro. Si ce n'est que cette dernière était complètement sombre, d'un obscur noir uni. Seuls ses grands yeux blancs montraient un signe de vie.
Shiro ne savait pas expliquer ce phénomène. Et le fait qu'elle n'éprouve aucune peur devant son clone la surprenait elle-même. A vrai dire, si une personne se retrouverait face à sa version "obscure" tout d'un coup, on pourrait parier sans se tromper que cette personne en ferait des cauchemars toute sa vie. Ce n'était pas le cas de Shiro. Pas qu'elle était particulièrement courageuse, mais… elle le sentait. Cette Shiro "obscure" et elle-même… devait se rencontrer un moment ou un autre. Comme si c'était un destin irréfragable, qui se devait de s'accomplir.
« Répond moi, continua la demoiselle. Comment dois-je t'appeler, dans ce cas ? Shiro ? Dark Shiro ? Voir même Kuro ?
–Pourquoi… pourquoi chercher à me nommer ? lâcha enfin l'apparition. Je suis toi… et tu es moi…
–Oh ? ironisa Shiro. Tu serais donc mon subconscient ? Merci de venir me voir, alors, mais je n'ai pas besoin de toi dans l'immédiat. »
Une grande confiance sonnait dans le discours de la demoiselle. Une mystérieuse assurance, presque innée. Comme si Shiro savait qu'elle avait toutes les armes en sa possession pour ne rien craindre de son clone obscur.
« Tu n'as pas peur de moi… tu… tu le sens, n'est-ce pas ? reprit la Shiro obscure. Cette connexion entre toi et moi… »
L'espace d'un instant, le clone se brouilla et laissa apparaître une jeune fille souriante, aux longs cheveux blanc pur voltigeant au vent, juste avant de reprendre son aspect sombre.
« Je suis simplement venue te prévenir, Shiro. Tu t'apprêtes faire une grossière erreur. On ne peut pas revenir sur le passé.»
Instinctivement, la demoiselle comprit ce que son double voulait dire. Cependant, Shiro ne perdu aucunement son assurance et lui rendit un grand sourire.
« Ce n'était pas de ma faute. »
L'apparition sembla choquée l'espace d'un instant. L'on pouvait voir un étrange sentiment dans ses yeux, une sorte de dangereux mélange de haine et de tristesse.
« Comment… balbutia son double, comment peux-tu dire cela ? Tu … le sais très bien… si tu n'avais pas autant insisté… rien de tout cela ne serait arrivé. »
Une pause, une simple pause. Aucune des deux ne continua de parler pendant un simple instant. Le visage calme, Shiro fixait à son tour son interlocutrice. Un vent furieux soufflait entre-elle, annonciateur d'une révolution.
« Je ne suis plus comme avant "Shiro", déclara celle-ci son double. Je ne sais pas ce que tu es très exactement… quoiqu'il en soit, j'ai réussis à passer autre chose. Ici, j'ai trouvé des gens qui m'acceptent comme je suis, sans que j'aie besoin de les prouver quoique ce soit. Je suis une nouvelle Shiro. Je ne me laisserais plus entraver par des faits passés. »
Le clone obscur sembla réfléchir un court instant, avant de reprendre la parole.
« Chercherais-tu à… renier ce qu'il s'est passé ce jour là ?
–Non, et je ne le pourrai jamais. Si tu es vraiment moi, tu devrais le savoir.
–Alors… pourquoi ? Comment ? Je ne comprends pas… je… tu… tu étais tellement abattue. Ce que tu as trouvé ici est-il suffisamment précieux pour que tu fasses table rase du passé ?
–Oui. »
La réponse fut d'une telle franchise que le double trembla un moment. Puis, ce dernier sembla se crisper, comme s'il n'énervait.
« C'est idiot ! Tout était de ta faute ! Et maintenant… maintenant… il est trop tard ! Tout ça, à cause de toi !
– Je… je n'y peux plus rien… comme tu l'as dis toi-même, on ne peut pas changer le passé.
–Oui ! Exactement ! Et ton crime ne sera jamais oublié ! Il restera, là, graver dans ton cœur, que tu le veuilles ou non !
–Ce… ce n'étais pas de ma faute…
–Et tu oses le répéter ! Si tu n'étais pas là, cet incident n'aurait jamais eu lieu ! Tout ça à cause de ta stupidité ! Et tu viens me dire que tu oses encore vivre comme si de rien n'était ?!
–… »
Shiro détourna le regard. Incapable de faire face à son opposante. Calmement, la demoiselle se rappela de ses convictions. Ici, dans cet Institut, elle a vraiment fait la rencontre de personnes mémorables. Que ce soit ce naïf de Célio, l'impulsive Fa ou même… ce passionné de Yuki. En chacun d'entre eux, Shiro y trouvait un point d'appui que l'aidait à riposter face à son double.
« Mes mains resteront à jamais marquées par ce que j'ai fais. Et je pense sérieusement ne jamais pouvoir me le pardonner. Mais… j'ai appris… que rester piégé dans le passé n'apporte rien de bon. Désormais, mon regard sera toujours porté vers l'avenir.
–Ah ! s'exclama son clone. L'avenir dis-tu ? Parce que tu crois encore en avoir un ? C'est pour bientôt, n'est-ce pas ? Le temps où ton terrible crime portera enfin ses fruits !
–Décidément, sourit Shiro. Tu es bien moi, toute aussi bornée… Oui, c'est demain. J'imagine que c'est pour cela que tu es venue me voir.
–Et tu vas y aller ? Vas-tu oser montrer ton affreux visage couvert de sang et de honte ?!
–Je n'ai pas le choix après tout. Il faut… que tout se termine. Je suis certaine que c'est ce qu'il veut également.
–Tu oses même parler à sa place ?! Jusqu'à quel point es-tu devenue insolente ?!
–Si tu cherche quelqu'un à blâmer, dans ce cas, blâme-toi. Après tout, tu es moi, n'est-ce pas ?
–Shiro, laisse-moi te dire quelque chose. Même si tu parviens à te pardonner ce crime, les gens autour de toi continueront à jamais de te le reprocher. Personne n'arrivera à te le pardonner, et tu le sais très bien !
–Je ne peux pas le savoir, avant de l'avoir tenter.
–Pardon ?
–Mon crime n'a pas à rester secret. Je sais ce que j'ai fais, et qu'au fond, ce n'était qu'un accident. Aucune des personnes que j'aime ne me le reprochera.
–Ah ! Et tu le penses franchement ? Soit réaliste petite, c'est impossible !
–Je te le prouverais, à toi, la partie de moi qui refuse encore de le croire. Rien n'est impossible.
–Tu t'apprêtes à faire une énorme erreur.
–C'est ce que l'on verra. »
Le regard remplis de colère, le double de Shiro commença à s'évaporer dans l'air. Disparaissant lentement et assurément, celui-ci en profita pour lâcher dans un soupir.
« Tu le regretteras. »
A cela, Shiro ne répondit rien. Elle n'avait pas besoin de rajouter un mot de plus, elle savait ce qu'il lui restait à faire. Shiro fut remplie d'une telle force de conviction, que lorsqu'elle fit demi-tour, elle n'entendit pas l'ultime réplique de son homologue ténébreux.
« "Yuurei" ne le permettra pas… »
***
Le soleil venait de se lever à l'Institut, comme si rien ne s'était passé ses derniers jours. Comme d'habitude, l'astre diurne éclairait le ciel encore juvénile de ses purs rayons chaleureux. Et encore une fois, Célio se réveilla à la petite sonnerie de son réveil bleu. Vraiment personne n'aurait pu dire en le voyant, qu'il venait de sortir d'une terrible épreuve forestière.
Le garçonnet fit rapidement sa toilette, durant cette étape, Célio fut légèrement surpris de trouver autant de petites égratignures sur son corps. Ce disant qu'il avait juste dû se frotter à une plante épieuse quelques part sans s'en rendre compte, Célio se dépêcha de finir de se préparer avant de se diriger vers le réfectoire en compagnie de son Osselait.
En chemin, le garçonnet rencontra Yuki qui l'accompagna sans un mot vers sa destination. Une fois arrivé, les deux garçons constatèrent avec surprise que ni Shiro ni Fa n'étaient présentes.
« Voilà qui est… inhabituelle, lâcha enfin le loup solitaire.
–Oui…
–Hum, j'aurais préféré attendre que tout le monde soit là, mais après tout, je n'ai pas de temps à perdre.
–Hein ? s'étonna Célio. Que veux-tu dire ?
–Assieds-toi confortablement, tu vas en avoir besoin. »
De plus en plus intrigué, le garçonnet obéit sans poser plus de question. Le regard de son ami était plus perçant que jamais, c'était bien là le signe qu'il ne plaisantait pas.
« Tu sais, hier, j'ai vraiment tenté d'éclaircir le problème de la Sortie Forestière. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, là dedans.
–Ah ? Je pensais que Lann et Lynn nous l'avaient expliqué en détails.
–Justement, il y a comme un léger problème… temporel. »
Célio était un peu perdu, constatant son regard confus, Yuki poursuivit calmement ses explications.
« Voilà, j'ai fais de mon mieux pour me souvenir de tout ce que je pouvais me souvenir. Je vais te faire un petit schéma simplifié de notre aventure, arrête-moi si tu penses que je me trompe. »
Raclant sa gorge, et toussotant un bon coup, le loup solitaire commença son récit.
« Le premier jour, nous avons directement été confronté à Poggy, le Porigon-Z de Mr. Ivy. J'imagine que tu te souviens aussi de son attaque surprise ?
–Oui, je m'en rappelle…
–Puis, mis-à part quelques problèmes de… nourriture, tout s'est passé normalement. Ensuite vint le deuxième jour, Poggy a refait son apparition, plus violente cette fois. Après l'avoir vaincu, nous avons affronté les Papinox. C'est là que nous avons trouvé Lynn.
Célio se contentait d'approuver d'un mouvement de tête.
–Ensuite le troisième jour… nous avons rien fait. Shiro était encore très perturbée par l'histoire de Lynn. Ce n'est que le quatrième jour qu'elle s'est reprise et que nous sommes repartis à la chasse au totem. Et puis…
–… trou de mémoire… conclut Célio à sa place.
–Exactement. Rien ne te choque ?
–Hein ? Je veux dire… les Papinox sont revenues se venger, et Lynn s'est enfuit à retrouver son groupe… avant d'aller voir les professeurs pour nous aider, non ?
–Sauf que tu oublies un détail, Célio. Lann et Lynn ont gagné la Sortie Forestière.
–Mais je pensais que c'était parce que lorsqu'ils ont demandé de l'aide, c'était la fin de la sortie ?
–Admettons Célio. Que par hasard, Lann et Lynn étaient revenue à l'entrée de la forêt le dernier jour… ce qui reviendrait à dire… qu'ils ont alerté les professeurs, le septième jour.
–…
–Tu comprends ? De ce quatrième jour à ce septième… que s'est-il passé ? Tu ne trouves pas que cela fait beaucoup pour un trou de mémoire ? L'attaque des Papinox n'aurait jamais duré aussi longtemps. Et il me semble même que les jumeaux ont dit hier que tout s'était passé le tout dernier jour, le septième donc. Alors je le redemande Célio, que s'est-il passé durant ses quatre jours ?
–… je … je vois…
–Et ce n'est pas tout. J'ai discuté avec les deux autres membres du groupe des Ciel. A ce qu'il parait, les jumeaux auraient tout bonnement disparut suite à une attaque de Papinox, coïncidence, le troisième jour, avec une partie des rations de survie et de leur émetteur de secours. Et puis, ils seraient tout bonnement réapparus par miracle le dernier jour, prétextant s'être perdus, et qu'ils devaient rejoindre l'entrée au plus vite.
–Hum… euh… ce n'était pas pour venir nous aider, ça ?
–Cela confirme juste que, selon eux, les Papinox nous ont bien attaqués le septième jour. De ce fait… le quatrième jour, le cinquième et le sixième… aucun signe de papillons en vu. De plus, Lynn devait théoriquement se trouver avec nous. Pourquoi elle ne nous a rien dit, alors ?
–… peut… peut-être qu'elle pensait que nous avons seulement oublié l'attaque des Papinox ? Et qu'elle ne jugeait pas nécessaire de nous retracer toute notre aventure…
–C'est possible, oui… mais n'empêche… pourquoi avoir couru vers les professeurs, s'ils avaient l'émetteur de secours ? Si tu veux vraiment aider quelqu'un, tu choisis la méthode la plus efficace, non ? Tu ne prends pas de risque supplémentaire. »
Un lourd silence s'installa entre les deux jeunes garçons. Célio ne pouvait qu'être d'accord avec le raisonnement de son ami. C'était évident, quelque chose ne tournait pas rond. En y repensant, Lynn avait l'air très pressée de s'enfuir après s'être expliquée hier…ce qui n'évita pas de faire grandir les graines de suspicion que Yuki avait planté en lui.
D'un regard, les deux amis savaient ce qui leur restait à faire. Profiter des quelques jours de repos que l'Institut avait attribués aux premières années, afin de tirer cette affaire au clair. La première chose à faire serait certainement d'aller directement rendre des comptes à Lynn.
Encore plongés dans leur réflexion, ni Célio, ni Yuki ne s'attendaient à ce que Fa débarque littéralement au réfectoire tel un Donphan enragé.
« ALERTE ! hurla le garçon manqué. Alerte générale, Célio ! Yuki ! Vite ! Ce n'est pas le moment de rêvasser !
–Fa ! s'étonna Célio. Euh… bonjour ?
–Ce n'est pas le moment des salutations ! Regardez-ça !
Dans ses mains, Fa tenait fermement un petit carnet blanc. Sur la couverture, l'on pouvait parfaitement distinguer un nom bien particulier.
–Qu'est-ce que… lâcha Yuki en se mordant les lèvres. Mais c'est… à Shiro ?
–Evidement ! ironisa Fa. Je vois que tu sais lire, toi aussi ! Mais ce n'est pas ça qui est important, vous avez vu ce qu'il contient ?
–Comment veux-tu qu'on le sache, vu que c'est toi qui le tiens, génie ?
–Oh. Juste. Enfin bref ! Je l'ai trouvé ce matin, sous la porte de ma chambre. Je suis quasiment certaine que c'est Shiro qui l'a déposée elle-même.
–Ah ? questionna Célio. Pourquoi ?
–Je m'attendais à cette question ! Tadaa ! »
Triomphalement, le garçon manqué sortie une petite note, écrite à la main, du carnet. Constatant avec satisfaction qu'elle avait attiré les regards de tous ses coéquipiers, Fa déposa le bout de papier sur la table bien en évidence afin qu'il soit lisible. Ne pouvant attendre, Yuki le lut à voix haute :
« Tout se termine aujourd'hui. Libre à vous de me suivre ou pas. Lisez ce qu'il y a écrit dans ce carnet, et vous comprendrez tout. En tout cas, quelle que soit votre décision, je ne vous en voudrais pas. Je souhaiterais juste vous remercier pour ces quelques jours que l'on a passés ensemble. Encore une fois, merci. Shiro. »
Le loup solitaire fit une petite pause avant de regarder durement son amie.
« Fa. Qu'est-ce que cela signifie ?!
–Eh, ne t'énerve pas tout de suite ! Shiro l'a dit elle-même, non ? Tout est dans le carnet.
–Alors qu'est-ce que tu attends ?! Lis-le !
–Waah ! Ok, ok ! Je commence ! … je vous conseille de bien rester accroché à vos sièges en tout cas. Je pense que vous allez… tout comprendre… »
Lentement, Fa s'assit à son tour et ouvrit le petit livret. Elle tourna quelques pages avant d'arriver à là où elle avait trouvé la note. Légèrement nerveuse, Fa balaya du regard son auditoire avant de se concentrer sur le carnet. Que se soit pour Yuki ou Célio, la tension était insoutenable. Les secrets les mieux gardés de Shiro s'apprêtaient à faire surface. Que pouvait être suffisamment terrible pour pousser cette demoiselle à agir aussi précipitamment ? Quoiqu'il en soit, les deux "Rewriters" n'allaient pas tarder à le savoir.