Parce que tu pars - Lara FabianLe Corboss de Sven n'était pas aussi rapide que son Dracolosse et Cassy commençait à montrer des signes d'impatience lorsqu'Azuria arriva enfin dans leur champ de vision. Le toit en verre de l'Arène d'Ondine se réfléchissait sous les pâles rayons du soleil au point de les éblouir.
- C'est laquelle, déjà, Chloé ? s'enquit l'espion alors que son pokémon amorçait une descente.
- La brune. Celle du Pokéathlon. Le glyphe eau, si tu préfères.
La jeune femme leva les yeux au ciel. Elle n'osait même pas imaginer les répercussions des tensions cette alliance inattendue s'apprêtait à provoquer au sein de la Confrérie. Apparemment, aucun des partis ne semblait vouloir mettre du sien à tenter d'améliorer la situation déjà relativement ambiguë en elle-même.
La créature noire se posa en douceur devant le centre aquatique de la ville et Sven sauta à terre avant qu'elle n'eut replié ses ailes. La dresseuse se laissa glisser le long de son flanc pour atterrir face à lui. Ils restèrent ainsi, à se regarder, durant quelques secondes, puis elle se détourna la première.
Elle s'apprêtait à se mettre en route lorsqu'il la retint par le bras. Lentement, il l'attira vers lui, où il effleura sa joue du revers de sa main. Cassy resta figée, n'exprimant pas la moindre émotion alors qu'il semblait bien décidé à l'embrasser. Au moment où ses lèvres se rapprochèrent des siennes, elle pencha légèrement la tête vers l'arrière.
- Ne mélangeons pas le personnel et le professionnel, veux-tu ? Nous sommes là parce que nous avons une mission à accomplir. Si tu tiens tant que cela à t'amuser, attends que nous en ayons terminé.
- Comme si ta Chloé allait se noyer en l'espace de cinq minutes.
La jeune femme se contenta de hausser les épaules et ils se mirent en route, marchant côte à côte d'un bon pas. Seuls quelques mètres les séparaient de la grande entrée vitrée. Bien vite, les portes en verre coulissèrent afin de les laisser passer. Le sol carrelé claqua sous leur pied quand ils se dirigèrent vers l'accueil.
Le hall était étonnamment petit par rapport à la taille du bâtiment dans son intégralité. Un unique bureau se trouvait sur leur gauche, derrière lequel une adolescente de seize ans au plus se tenait assise en paréo, ce qu'elle pouvait se permettre vu la chaleur qui régnait à l'intérieur. Deux portes se situaient juste dans son dos, chacune marquée d'un symbole, féminin ou masculin. Il devait sans nul doute s'agir des vestiaires.
- Bonjour. Un ticket pour deux personnes ? Ce sera juste la piscine ou également le parc aqualudique ?
- En fait, nous ne sommes pas ici pour cela.
- Que puis-je pour vous, dans ce cas ?
- L'une de mes amies, Chloé Summer, s'entraîne quotidiennement dans votre centre aquatique. Je voudrais savoir si elle est présente aujourd'hui.
- Hum... Chloé... Non, elle a démissionné.
- Je vous demande pardon ?
- Vous la manquez de peu, d'ailleurs. Il y a cinq ou six jours, trois femmes, les plus étranges que j'aie jamais vu, sont venues afin de la rencontrer. Je crois qu'elles avaient une proposition de contrat à lui soumettre, et apparemment elle l'a acceptée puisque le soir même, elle a annoncé à son entraîneur qu'elle quittait l'équipe. Le pauvre, cela lui a causé un choc. J'ai cru qu'il allait faire un malaise cardiaque.
- Ces femmes... Est-ce qu'elles portaient une combinaison blanche futuriste avec un G dessiné au niveau de la poitrine ?
- Oh non, rien de similaire. Elles avaient toutes une espèce de tenue de plongée bleu extrêmement moulante et elles devaient mesurer dans les un mètre quatre-vingt ou quatre-vingt dix. Leur peau était étrange, comme nacrée et leur cheveux avait la couleur de la mer.
- Des Gijinkas, souffla Cassy dans un souffle à l'intention de Sven. Je mettrais ma main à couper qu'il s'agit de Naïades.
Ils gardèrent le silence l'espace d'un instant, tandis que la jeune hôtesse les scrutait avec assiduité, comme si elle les trouvait aussi surprenants que ces parfaites inconnues qu'elle venait d'évoquer.
- Vous savez si Chloé les a suivies de son plein gré ?
- Bien sûr ! Vous ne croyez tout de même pas qu'elles lui ont mis un couteau sous la gorge ? Elles sont parties ensemble, mais elle n'a pas voulu me dire où elle comptait se rendre, désormais.
La meneuse de la Confrérie se prit la tête dans les mains, incapable de répondre. Sven, comprenant que leur présence ici ne servait plus à rien, remercia l'adolescente puis entraîna son amie vers la sortie.
Une fois en plein air, il l'obligea à s'asseoir sur le sol, où elle laissa son visage retombait vers l'avant, entre ses jambes repliées. Elle respirait mal, victime d'une crise de panique. L'espion fit preuve d'une patience surprenante, attendant qu'elle se calme, mais son tempérament finit par reprendre le dessus :
- A mon avis, elle est déjà morte, à l'heure qu'il est, surtout si elle n'avait pas ses gants de combat. Tu crois qu'elles l'ont noyée ?
- Comment oses-tu dire une chose pareille ?
- Inutile de monter sur tes grands Galopa, je ne fais que constater l'évidence. Sérieusement, réfléchis une minute. Combien de temps crois-tu que tu aurais tenu face au Grahyéna-garou si je n'étais pas intervenu avec les humaines légendaires ? Même à trois, nous avons eu du mal à le vaincre. Là, c'était le contraire. Ta copine se trouvait toute seule face à elles.
- Ce n'est pas possible. Il ne peut pas être arrivé quelque chose à Chloé. Nous l'aurions forcément senti, par nos glyphes ou par une espèce de connexion magique.
- Tu as éprouvé quelque chose quand ton frère est mort ?
- C'est différent, c'est...
- En théorie, non, interrompit Sven. Il fait autant partie de la Confrérie qu'elle, alors si nous étions liés d'une quelconque manière, nous l'aurions tous ressentis ce jour-là.
La jeune femme lui jeta un regard assassin, le corps tremblant de rage. Qu'était-il passé par la tête de sa consoeur pour qu'elle suive sans mégarde des Gijinkas inconnues ? Avait-elle songé que s'étant battues à leur côtés face à la Team Galaxie, elles en restaient des alliées ?
- Ce n'est pas la peine de réfléchir, elle est morte, je te dis. Tu perds ton temps.
- Voudrais-tu bien de taire ? J'essaye de me concentrer !
Comme ses frissons s'atténuaient, elle en profita pour se mettre debout et commença à faire les cents pas devant le centre aquatique. Les passants la prenaient pour une hurluberlu, mais elle s'en moquait. Une main sous le menton, tic hérité de Cynthia, elle accéléra le pas au point de s'en donner le tournis à elle-même.
- Ce n'est pas normal, finit-elle par déclarer. Il y a autre chose que les Gijinkas derrière toute cette histoire.
- Ou alors Lilith s'est trompée en beauté dans son plan et ils sont bel et bien en train de se retourner contre elle.
- Non, justement. C'est à ce niveau que cela bloque. Ils ont passé pratiquement un millénaire à ses ordres, alors qu'ils sont à présent livrés à eux-mêmes. Que le Grahyéna-garou nous attaque dans le cimetière, je veux bien admettre que cela puisse être une coïncidence, mais avec les Naïades en plus, je ne peux pas croire au fruit du hasard. Les hybrides n'ont aucune raison de s'en prendre à nous en particulier.
- Tu penses que cela a été prémédité ? Arceus aurait-il réussi à prendre le contrôle des monstres de Darkrai ?
- Je ne sais pas. En tout cas, une chose est sûre : s'il agit de la sorte, il s'enfonce lui-même dans ses propres filets en se vouant aux ténèbres.
- Comment veux-tu en avoir le coeur net ?
- C'est impossible, du moins tant qu'il ne se trahira pas. Cependant, je garde un doute sur cette hypothèse. Lilith a toujours dit qu'il haïssait ces êtres qu'il qualifiait de perversion de la nature. Même pour nous détruire, je trouve cela étrange qu'il ait choisi de s'associer avec eux.
- De qui d'autre pourrait-il s'agir, alors ?
- C'est cela, l'ennui. Je ne vois personne.
La dresseuse reprit les allers et venues qu'elle avait interrompu le temps de partager son point de vue avec son ami. Cela ne les avançait guère, cependant, et quel humain serait d'ailleurs capable de pouvoir préméditer, ou ne serait-ce même que déchiffrer les actions d'une divinité ?
Alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir la bouche pour récapituler, une sensation désagréable parcourut l'ensemble de son corps. Elle eut l'impression d'être épié, comme cela fut déjà le cas à la Ligue de Johto. D'un coup d'oeil furtif, elle observa les alentours. A part quelques badauds qui erraient dans les rues, il n'y avait personne d'autre.
- Que se passe-t-il ?
- Rien. Je... J'ai dû rêver. Revenons-en à nos Wattouat. Si seulement Lilith était là, elle nous montrerait la voie à suivre.
- Décidément, toi, tu ne peux plus vivre sans elle, rétorqua Sven d'un ton moqueur. Ce n'est pas parce qu'elle est l'épouse de Giratina et que tu es sa disciple que nous ne pouvons pas nous en sortir sans elle. Prends des initiatives, pour une fois, au lieu de guetter constamment ses ordres ! Comment faisais-tu avant de la connaitre ?
- D'aussi loin que je le souvienne, elle m'a toujours guidée à chaque fois que je me croyais perdue.
- Alors, aujourd'hui, prends les devants. Et puis, tu n'es pas perdue : tu es avec moi.
Une bourrasque de vent glacée se leva sur Azuria. Le malaise de Cassy reprit, plus intense encore. Elle regarda la lignée d'arbre s'agiter, de l'autre côté de la rue. Quelque chose ne semblait pas naturel dans leur mouvement, comme si les feuilles cherchaient à s'exprimer. Même Sven paraissait l'avoir senti.
- Ce n'est pas bon signe, souligna-t-elle en se rapprochant de lui tandis qu'il sortait une demi-douzaine de couteaux de jet de ses fourreaux. Tu as un plan, j'espère ?
- Un plan ? Qu'est-ce donc encore que cette invention saugrenue ?
Il esquissa un sourire félin, le même que celui qu'il arborait avant chaque combat. Cela ne faisait aucune doute : il prenait encore un plaisir sadique à affronter ses ennemis et à leur ôter la vie si l'occasion se présentait.
- Tu ferais bien d'ouvrir les yeux et d'en prendre de la graine. Tu n'arriveras à rien si tu laisses ton esprit te commander. C'est l'instinct qui doit primer, exactement comme chez les pokémon.
Les végétaux continuèrent leur étrange ballet. Toutes les feuilles que l'automne n'avait pas encore faites tomber s'envolèrent dans une élégante spirale qui tourbillonna jusqu'à eux. La jeune femme ajusta l'élastique de ses gants, paume vers l'avant, prête à libérer son puissant souffle du dragon à la première marque d'hostilité.
La trombe perdit peu à peu de son intensité, pendant qu'une silhouette se découpait en son sein. Grande, elle devait mesurer environ la même taille que Cynthia, mais ses traits n'étaient pas encore visibles. Cassy serra ses doigts sur la bille en verre contenant l'énergie accumulée au cours de ses entraînements. Encore une seconde et elle passerait à l'attaque. Sven se tenait déjà en position de lancer à côté d'elle. Ils retinrent leur souffle et la créature apparut pour de bon.