Nul bonheur ne doit égaler celui de tenir la chair de sa chair, le sang de son sang contre soi. Nos enfants sont notre raison de combattre, car ils sont tout ce qu'il restera de nous une fois que nous serons que poussière. Aujourd'hui mon ami a son héritier. J'espère avoir un jour le mien... ***** Vingt-quatre ans plus tôt... Les plaines de Normous, quelques heures encore vertes et pleines de vie, n'en finissaient plus de fumer. Après la première bataille, ce n'était plus qu'un champ mort et stérile, où quantité de cendres flottaient. Du gris à perte de vue. Un paysage bien triste. Non pas que la guerre eut jamais été joyeuse... Pourtant, c'était tout ce que savait faire le prince Rushon Haldar. Il n'avait que vingt-six ans, et pourtant il avait passé la moitié de sa vie à se battre. À l'épée. À l'arc. À la lance. À la hache. Avec les Pokemon de son père. À mains nues. Contre tellement d'ennemis qu'il en oubliait le nombre. Et tout ça pour la gloire de son père le roi. Pour la gloire du royaume. Pour la gloire de Cinhol.
Mais quand est-ce que ça finira ? Rushon n'avait pas encore d'enfants, mais quand ils arriveraient, il ne tenait pas à ce qu'ils aient la même vie que lui. À dormir plus dans des tentes de combats qu'au château, à se demander s'il serait encore en vie demain. Cinhol était pourtant le royaume le plus puissant du monde, qui englobait près de 70% de la planète. Mais ce n'était pas assez pour le roi. Il voulait encore plus de terres et de pouvoir. On ne l'appellait pas Festil le Conquérant pour rien, après tout... Rushon se demandait vaguement comment diable il ferait pour gouverner un royaume si grand si jamais il survivait assez longtemps pour devenir roi à son tour.
- Shino ?
Rushon se tourna à côté de lui. Son fidèle ami Shinobourge, l'un des six Pokemon de son père, était à ses côtés et l'interrogeaient du regard. Le prince lui tapota la tête.
- Ne t'en fais pas, mon vieux. Le pauvre humain que je suis ne cesse de penser au futur alors qu'il devrait penser au présent. Allez, repassons derrière nos lignes. La Tribu des Chevaux va revenir.
Il revint derrière les barricades formées de piques du camp de Cinhol, où ses hommes se tenaient debouts en regardant au loin, attendant l'armée ennemie. Quand il passa devant eux, les fidèles soldats inclinèrent la tête. Rushon eut un mot pour chacun d'entre eux. Il les connaissait tous. C'était les hommes de son bataillon, la Gloire Rouge. Le plus célèbre et le plus puissant bataillon du royaume. Il s'arrêta devant l'un d'entre eux, un colosse avec une barbe rousse, aux galons de capitaine. Il le salua avec effusion.
- Isgon, vielle crapule, pas encore mort ?
Le géant pouffa de rire.
- Chez la Tribu des Chevaux, ce sont les chevaux que je crains le plus, par leurs maîtres. Ces sauvages ne savent même pas dans quel sens tenir leurs épées !
Rushon trouva marrant qu'Isgon les qualifie de sauvages, car il y a encore quatre ans, son peuple, les Rimerlot, n'étaient pas mieux lotis, et mangeaient encore la viande crue. Mais Rushon aimait bien Isgon. Un brave type, sur qui on pouvait compter. Guère subtil certes, mais capable de tuer un homme avec son petit doigt. Autrefois, lui et son peuple étaient les ennemis de Cinhol. Rushon l'avait alors combattu nombre de fois. Qu'il s'en soit sorti en un seul morceau à chaque fois tenait du miracle. Puis Isgon avait fini par reconnaître la puissance du roi Festil et lui avait fait allégeance, au terme d'un duel à l'épée qui resterait à jamais dans les mémoires. Depuis, le duc du Rimerlot se battait autant de fois qu'il le pouvait aux côtés de ses alliés de Cinhol, pour la bonne raison qu'il aime se battre, tout simplement.
Sa présence avait du bon, car il ramenait souvent avec lui plusieurs hommes de ses terres, et les Rimerlot étaient sans nul doute les meilleurs combattants de tous les royaumes réunis. Le duché produisait aussi quantité de belles femmes à la chevelure rousse. Rushon pensait à la belle Elya de Durmeo, dont Isgon était le chevalier lige. Avec un peu de chance, le roi serait d'accord pour que Rushon l'épouse. Etant d'une bonne lignée, ce serait un choix judicieux pour unir plus encore Cinhol et le Rimerlot. Et puis, en outre, c'était sans nul doute la plus belle femme de la planète, et Rushon aimait croire qu'elle ne lui était pas totalement indifférente.
Enfin, avant l'amour, il y avait la guerre. Cette bataille des plaines de Normous, si elle était gagnée, serait un gros coup porté à la Tribu des Chevaux, qui n'aurait d'autre choix, à terme, de négocier la paix avec le roi. Il tardait à Rushon que ce soit terminé avec eux. Il n'aimait pas ces gens-là. Un ennemi restait un ennemi bien sûr, et Rushon les combattait tous de son mieux, mais il savait juger l'honneur chez un peuple. Les guerriers du Rimerlot étaient des gens fiers et honorables, que Rushon avait toujours respectés, même en tant qu'ennemis. Mais cette Tribu des Chevaux était belliqueuse et sans honneur.
Rushon se dirigea vers le dernier homme de son bataillon, posté plus loin pour observer les lignes ennemies. C'était son commandant en second, et aussi son frère cadet, le prince Astarias. Il entrait seulement dans sa vingtaine, et son visage n'avait pas encore perdu totalement les traits poupins de l'enfance. Mais Rushon lui aurait confié sa vie. D'ailleurs, il l'avait fait plusieurs fois. Astarias était certes moins célèbre que son frère en terme de qualité au combat, mais il demeurait un stratège bien plus compétant que Rushon. Il était toujours réfléchi, sérieux, posé, alors que Rushon était du genre à foncer tête baissée en n'écoutant que son courage et sa force. Malgré cela, ils se complétaient. Rushon lui posa la main sur l'épaule.
- Aucun signe ?
- Ils s'agitent là-bas, répondit Astarias. Ils ne vont pas tarder.
- Et le messager qu'on leur a envoyé pour négocier ?
- On aura de la chance si on retrouve un jour sa tête, fit Astarias, imperturbable. Ces sauvages ne savent pas ce que le mot négocier veut dire.
- On va leur apprendre, et vite. Je vais les faire sortir de leur trou. Prépare les hommes en embuscade.
- Tu y vas tout seul ?! Demanda Astarias, accablé. Tu te souviens de ce qui s'est passé la dernière fois ?
- La dernière fois, je n'avais pas trois Pokemon de Père avec moi.
Il désigna Shinobourge à ses côtés, Soprielo qui volait au-dessus d'eux, ainsi que la fourche rouge posée contre une rambarde non loin.
- Je vais brûler cette fichue forêt dans laquelle ils se planquent. Les combattre sur leur terrain serait trop risqué. Dès qu'ils sortiront, referme la tenaille, et prépare les catapultes à longue portée. S'il n'en reste pas beaucoup, je m'en chargerais à moi tout seul. On n'aura pas à perdre beaucoup d'homme.
Astarias croisa les bras, guère convaincu.
- Mais qu'est-ce que diront les hommes si jamais ils perdaient leur prince et général ?
Rushon haussa les épaules avec un sourire.
- Ils en ont un autre. J'en ai assez de me tourner les pouces depuis des heures ici.
- La guerre est un jeu de patience, mon frère.
- Dans ce cas, pourquoi ce sont les gens avec aussi peu de patience que père, Isgon ou moi qui y jouons le mieux ?
Sans attendre de réponse, il siffla pour appeler Soprielo. Juste avant de monter sur lui, il se saisit d'Hafodes, le plus puissant des Pokemon royaux, bloqué sur sa forme Arme depuis la mort de Castel. Seul le Fondateur pouvait le faire passer de sa forme Arme, qui était une fourche, à sa véritable forme, dont il ne restait que peu de croquis la représentant. Rushon aurait bien aimé voir le Pokemon tel qu'il était en réalité, mais l'utilisation de la fourche avait ses avantages aussi. Elle était une arme des plus meurtrières, capables de cracher un feu immense, que seul celui qui tenait la fourche pouvait contrôler.
Hafodes en main, il grimpa sur le corps duveteux et cotonneux de Soprielo, un très grand oiseau bleu dont le corps était entièrement recouvert d'une substance rappelant le coton ou les nuages. Seul le bout de ses ailes, ses pattes et sa tête sortaient de cette boule blanche. Quand Rushon monta sur son dos, le Pokemon poussa un cri de toute beauté et d'une grande pureté, comme le son d'une note de musique. Soprielo était très gracieux mais aussi très puissant. Sa pré-évolution, Altaria, était déjà un Pokemon fort et résistant, et donc Soprielo pouvait se vanter de sa puissance. Enfin... il en était de même pour les six Pokemon royaux bien sûr. Ils avaient été entraînés par le grand Castel en personne, et avaient été béni par Arceus lui-même en accédant à l'immortalité.
Rushon oublia un court moment le combat imminent pour seulement savourer l'air qui fouettait son visage, bien plus pur à cette hauteur que celui à l'odeur de soufre d'en dessous. Voler sur Soprielo avait toujours été un grand plaisir, plaisir qui n'était dû qu'à la maison des Haldar. Rushon se rappelait, qu'un jour, alors qu'il n'avait que six ans, il avait chevauché Soprielo en cachette, sans l'autorisation de son père. Quand celui-ci l'avait su, Rushon avait subi la pire correction de sa vie. Le prince héritier adorait les Pokemon, même s'il n'en avait vu que très peu : les six royaux et leurs pré-évolution.
D'ailleurs, il n'avait même pas vu celle de Shinobourge, qui était resté le même depuis la naissance de Rushon. Non pas que Rushon aurait voulu qu'il meure pour satisfaire sa curiosité de voir sa pré-évolution. Mais Shinobourge était très vieux. La dernière fois qu'il était né, c'était quand le roi Festil était encore jeune prince. Shinobourge avait cinquante-sept ans. Pour un Pokemon de son type, c'était beaucoup. La fin n'allait pas tarder à venir, et pourtant, le Pokemon insistait pour se joindre à toutes les batailles que menaient Rushon. Des six, il était sans nul doute le plus valeureux.
Dès que Rushon fut positionné au-dessus des arbres où la Tribu des Cheveux se terrait, il demanda à Soprielo de descendre un peu pour qu'il puisse les repérer. Il n'attendit pas longtemps avant que des flèches sifflent autour de lui. Le prince retint un ricanement moqueur. Leurs petites épines de bois n'iraient jamais aussi vite que Soprielo, et même si c'était le cas, jamais elles ne pourraient percer sa peau de dragon. Rushon pointa la fourche d'Hafodes vers le bas. Un torrent de feu vint s'abattre sur la forêt, et Rushon entendit de là les cris de ses ennemis. C'était tristement trop facile. Aucune armée ne pouvait lutter contre des Pokemon. C'était pour cela que Cinhol, le seul royaume sur terre qui en possédait six, était amené à devenir le seul et unique royaume mondial et à dominer tous les autres. Tel était la vision du roi, et Rushon allait la réaliser pour lui.
Les guerriers de la Tribu des Chevaux commencèrent à sortir en désordre de la forêt en feu, devenu un piège mortel. Comme prévu, les troupes d'Astarias les attendaient dehors. La mêlée commença. Rushon décida d'y prendre part un peu. Il fallait qu'il s'exerce les muscles, et pas seulement tirer du feu du haut de son Soprielo. D'une, ce n'était pas très glorieux, et deux, il n'aimait pas trop dépendre des Pokemon. Arceus lui avait fait des bras et des jambes pour qu'il puisse se battre lui aussi.
Il descendit en plein vol de Soprielo, droit vers le milieu du combat. Armé d'Hafodes, son feu autour de lui, il inspira la terreur la plus totale à ses ennemis et l'admiration la plus aigüe à ses soldats. Rushon se mit à taillader, à transpercer et à brûler les guerriers de la Tribu des Chevaux, tandis qu'il était quasi-invulnérable avec ce feu vivant qui le protégeait. Rushon avait à peine tué qu'une dizaine d'ennemis quand ceux-ci décidèrent de fuir ou de se rendre. Il en fut surpris, et mécontent.
- Mais... ça vient à peine de commencer, bon sang ! La Tribu des Chevaux est-elle aussi lâche ?
- Au contraire, elle a plus de bon sens que toi, répondit Astarias qui venait d'arriver. Toujours à trop en faire... et tu t'étonnes que nos ennemis ne puissent plus suivre.
Le duc Isgon du Rimerlot, sa double hache déjà trempe de sang, éclata de son rire guttural habituel.
- Les gars qui peuvent oser défier un Haldar tenant la fourche d'Hafodes ne sont pas encore nés, sacrebleu ! Par le cul d'Arceus Rushon, la prochaine fois, arrive un peu plus tard, que j'en profite un peu. À cause de vos stupides conventions de la guerre, dès qu'un ennemi se rend, je n'ai plus le droit de le massacrer !
Mais le ton d'Isgon restait plus amusé qu'offensé. Et tous les hommes autour d'eux acclamèrent leur prince général, le héros de Cinhol :
- Rushon ! Rushon ! Rushon !
***
De retour au palais royal, la première chose que fit le prince héritier fut de se rendre auprès du roi. Il était fatigué et sale, mais informer son père de son succès passait avant tout. Festil le Conquérant, par la grâce d'Arceus roi de Cinhol, était un homme âgé. Il avait eu ses enfants assez tard, et maintenant il dépassait la soixantaine. Mais le sous-estimer aurait été une erreur. Il était toujours aussi solide qu'un roc, et ses yeux aussi vifs que jadis. Il respirait la force, la puissance et l'intelligence. Ce n'était pas pour rien que le peuple le considérait comme le plus grand roi de Cinhol depuis le Fondateur.
Rushon respectait et admirait cet homme. Il le servait avec joie et loyauté. Par contre, s'il y avait bien une chose dans laquelle Festil le Conquérant n'excellait pas, c'était dans ses devoirs de père. Il n'avait jamais été très présent dans l'éducation de ses fils, et très souvent indifférent à leur égard. Rushon savait que son père tenait à lui bien sûr, mais seulement en tant qu'héritier de la couronne. Il se fichait de son bonheur comme il se fichait de son autre fils. Heureusement, Astarias était trop noble pour mal le prendre. Rushon s'inclina devant le roi, et attendit son bon vouloir. Festil daigna, au bout d'un moment, lever les yeux de sa contemplation de l'épée royale Meminyar qu'il tenait entre ses mains pour les poser sur son fils.
- Je t'écoute...
- Sire, vos ennemis ont été défaits aux plaines de Normous. Cinhol a de nouveau triomphé.
Festil fit un geste agacé comme si Rushon venait de lui dire qu'il faisait noir la nuit.
- Evidement... Ne me dérange plus avec de telles futilités.
Rushon retint un sourire. C'était tout son père ça. Jamais un merci, ni même un simple « très bien ». Le prince le connaissait depuis assez longtemps pour ne plus s'en vexer.
- Majesté, si je peux me permettre, peut-être serait-il temps d'ouvrir des négociations avec Lyaderix. Il se sait acculé, et se montrera plus ouvert aux demandes de Cinhol...
- Cinhol n'a qu'une seule demande, coupa le roi. C'est toujours la même : la domination des autres. Je n'accepterai de reddition du seigneur des chevaux que s'il me jure allégeance et que la Tribu des Chevaux fasse désormais parti de Cinhol. Il acceptera, ou je balaierai sa bande de sauvages de la surface de la Terre !
Rushon acquiesça, mais au fond de lui il espérait que le roi se montre raisonnable. Lyaderix était peut-être un sauvage, mais il était loin d'être idiot. Il savait qu'il allait perdre. Mais il avait toutefois son honneur. Il acceptera de plier face à Cinhol... jusqu'à un certain point. Si Festil le poussait trop à bout, il préfèrera mourir en combattant jusqu'à la fin, ce qui serait à la fois dommage pour la Tribu et pour Cinhol. Le prince se promit d'essayer de convaincre son père plus tard, mais pour l'instant, il avait l'air d'une humeur massacrante... même si au fond, c'était son humeur habituelle. Il sorti de la salle du trône avec dans l'idée de prendre un long bain chaud aux thermes, quand il croisa le chemin d'une silhouette presque fantomatique, affublé d'une robe grise délavée et d'un voile blanc qui ne laissait rien voir du visage en dessous. Instantanément, Rushon se mit à frissonner.
- Dame Venisi, la salua-t-il.
La femme derrière le voile sembla tourner la tête vers lui.
- Prince Rushon... Encore une victoire à votre actif, à ce que j'ai entendu dire ?
- Rien de bien glorieux, fit modestement Rushon.
- Toute victoire à notre actif est sujet de gloire, Votre Altesse. C'était l'une des phrases favorites de Castel le Fondateur, si je ne m'abuse. Je vous souhaite une bonne journée...
Elle s'éloigna presque en flottant dans les airs, comme le fantôme qu'elle devait sûrement être. Rushon ne croyait pas à ça, pourtant, en présence de Dame Venisi, même le plus sceptique aurait des doutes. Cette femme était là depuis bien avant la naissance de Rushon, et son propre père semblait la connaître depuis toujours. Quel âge avait-elle précisément ? Nul ne pouvait le dire, en raison de son voile qui cachait constement son visage. Elle se disait alliée de Cinhol et servait le roi, bien que Rushon ignore de quelle manière. On la surnommait entre les murs du palais la Veuve Grise, en raison de sa tendance à sangloter à tout moment. L'on disait qu'elle avait perdu son époux qu'elle aimait plus que tout, et qu'elle ne s'en était pas remise. Bref, tout en elle donnait la chair de poule à Rushon, qui pourtant avait peu d'occasion d'expérimenter la peur. Quand il croisa son ami Isgon un peu plus loin, son trouble dut se voir sur son visage, car le duc ricana et fit :
- Eh bien, on dirait que tu viens de croiser un fantôme.
Rushon sourit faiblement.
- Y'a un peu de ça, oui...
- On ressort toujours comme ça d'une audience avec le roi, plaisanta Isgon. Le vieux Festil sait jeter un froid. Qu'est-ce qu'il a dit ?
- Attend voir, que je trouve ses termes... Ah oui, qu'il allait « balayer la bande de sauvage de Lyaderix de la surface de la Terre » si ce dernier n'acceptait pas de se soumettre.
Isgon éclata de rire.
- Je reconnais bien là le vieux serpent ! Ah, bougre de diable, ça va faire cinq ans qu'on s'est affronté à l'épée lui et moi, et j'en tremble encore. Il a beau être encore plus vieux aujourd'hui, je me pisserai dessus si je devais à nouveau lui faire face, par Arceus !
Et il éclata encore de rire. Sûr qu'après la froideur implacable de Festil, la bonne humeur braillante d'Isgon était rafraichissante.
- Tu as l'air fichtrement content, dis-moi...
- Que oui, par les couilles du Créateur ! Tonna le duc. Un de mes hommes vient de m'informer que mon enfant est né. Un garçon, nom de nom ! Mon héritier !
Rushon lui tapa affectueusement dans le dos.
- Content pour toi, vieux. Mes félicitations.
- Ah, ma chienne de femme a fait les choses comme il fallait, pour une fois ! J'espère juste qu'elle n'aura pas choisi le nom avant que je revienne, cette vipère ! Je vais appeler mon fils Padreis, comme mon grand-père.
Rushon savait qu'Isgon n'aimait guère sa femme. Il avait été forcé de l'épouser sur ordre de son défunt père pour des raisons politiques. Le lot de tous les nobles hélas...
- Eh bien, ton fils est d'ores et déjà membre de la cour royale de Cinhol, fit Rushon. J'espère qu'un jour nos deux maisons pourront s'unir par le sang, comme par jadis.
- Eh bien, pour ça, faudrait que tu t'y mettes aussi, plaisanta Isgon. Faudrait que tu te dépêches de trouver femme. Pour un prince héritier, ça la foutrait mal...
- Je cherche je cherche... éluda Rushon.
- Tu ne cherches peut-être pas aux bons endroits. Tiens, ce soir, mes hommes et moi, on fait une fête comme on sait les faire au Rimerlot, pas comme les vôtres pleines de chichis et de raffinement.
Rushon acquiesça. À choisir, il préférait une franche beuverie avec les Rimerlot - qui se finissait inévitablement dans le lit d'une femme avec la tête prête à exploser, sans aucune idée de comment on était arrivé là - qu'une soirée à la cour royale à échanger ragots et complots.
- Il se peut qu'Elya soit de la partie, conclut Isgon avec un clin d'œil.
- Alors j'y serai bien évidement.
- Parfait. Amène donc ton coincé de frangin aussi. Il est plus que temps de le dépuceler, ce beau damoiseau.
Rushon le suivit avec amusement.
***
Le professeur Karl Wufot, célèbre anthropologue expert en civilisations perdues, arpentait depuis plusieurs jours le désert de Buskanfield, au sud de la région Bakan. Une terre inhospitalière et très peu peuplée, si ce n'était par de beaux spécimens de Pokemon qui attendaient avec impatience qu'un humain inconscient s'aventure près d'eux pour le dévorer. Heureusement, le professeur Wufot n'était pas un humain inexpérimenté. Il savait comment éviter les pièges des Pokemon sol qui voulaient vous engloutir sous des tonnes de sables, tout comme il savait que c'était dans ce genre d'endroit que les gens de son métier faisaient le plus de découvertes intéressantes.
Wufot était arrivé à Bakan il y a deux ans. Originaire d'Unys, ses pas l'avaient guidé dans cette région car elle abritait nombre de légendes sur un royaume perdu nommé Cinhol. Un royaume qui aurait défié la République il y a cinq siècles. Un royaume qui vénérait presque les Pokemon et voulait renverser l'ordre établi de leur soumission envers les humains, pour vivre en harmonie avec eux. On racontait même que le fondateur de ce royaume, le légendaire Castel Haldar, possédait un Pokemon Légendaire. Outre les civilisations antiques, Wufot était obsédé des légendes sur les Pokemon, et naturellement, il ne pouvait que rechercher des indices de cette époque-là.
Sauf que le gouvernement local lui avait mis des bâtons dans les roues. Etudier et enquêter sur le royaume de Cinhol étaient interdit, car ce royaume n'avait aucune existence légale pour la République de Bakan, et son nom était synonyme de rébellion et de contestation. La République de Bakan, la plus vieille du monde, était fière de son unité, et n'acceptait pas qu'un petit royaume qui avait existé à peine un an entache sa prétendue souveraineté éternelle sur la région.
Mais les gouvernants de Bakan étaient de parfaits idiots. Selon Wufot, étudier le passé ne pouvait jamais être nocif, même si le passé en lui-même était horrible. On ne pouvait qu'apprendre des expériences de nos ancêtres. Connaître son passé était un élément de réussite pour le futur. Alors le professeur avait fait fi des ordres et des menaces du gouvernement. Il avait continué à rechercher des vestiges de Cinhol sans leur aide et dans leur dos, avec notamment l'aide de la Stormy Sky, une organisation illégale qui avait des intérêts dans la région. Eux au moins n'étaient pas aussi étroits d'esprits, et s'intéressaient grandement à ce que Wufot pourrait découvrir. Aussi le professeur travaillait pour eux. En échange de leur aide et de leur financement, il partagerait avec eux le fruit de ses découvertes et les bénéfices qui en découleraient.
Et aujourd'hui, il était sur une piste. Selon différents textes, le désert de Buskanfield était l'endroit où Castel et son ami Uriel découvrirent une météorite dans laquelle ils forgèrent leurs deux épées légendaires. Bien entendu, le rocher de l'espace avait dû être emporté, caché, détruit, ou alors totalement utilisé pour forger quantité de choses. Mais il pouvait subsister des traces dans cet endroit. Wufot voulait une preuve que la légende est vraie.
Et aujourd'hui fut son jour de chance. Il dénicha une grotte entourée de sables mouvants et de Pokemon dangereux. Le matériel de la Stormy Sky lui permit de passer sans encombre, et quelle ne fut pas sa joie quand, à l'intérieur, il trouva un immense rocher noir qui semblait aspirer la lumière même. La météorite était quasiment intacte ! Et mieux encore, il y avait, devant elle, plantée dans le sol, une épée antique, de la même couleur que la météorite : d'un noir de jais. Wufot sentit comme un grand froid l'envahir, mais ça ne rafraîchit en rien son esprit enflammé par la joie de la découverte. Il s'avança pour examiner l'épée de plus près, quand il remarqua avec horreur qu'il marchait sur quantité d'os et de crânes. Des ossements humains.
Tandis qu'il se demandait de quoi tous ces gens étaient morts, la météorite brilla, et trois choses en sortirent. Wufot en tomba de surprise, et bien qu'il ait peur, sa curiosité de scientifique fut encore plus forte. C'était trois Pokemon. Assez semblables, mais aussi différents. Ils semblaient tous les trois de type Spectre, mais l'un avait les bras et le dos couverts de givre et un regard sournois, le second avait des bras en foudre et des éclairs qui lui sortaient de la tête, et le dernier avait un visage de feu et des flammes qui formaient un espèce de nuage dans le dos. Wufot ne les connaissait pas, ni ne les avait jamais vu. Il avait pourtant, à Unys, une jeune élève qui se targuait de tout connaître des Pokemon Spectre, mais ceux-là, ils étaient inconnus au bataillon. Et s'approchèrent dangereusement du professeur.
- Un nouveau candidat... murmura celui de glace au regard vicieux.
- Vie ou mort ? Demanda celui de foudre.
- Il décidera, conclut celui de feu. Il décide toujours...
- Q-qui êtes-vous ? Balbutia Wufot.
- On nous appelle le Trio des Ombres, répondit celui au masque de glace. Polascar, Glauquardant et Revener. Nous protégeons Peine. Nous le protégeons... lui.
- Touche l'épée, ordonna Revener. Il veut te rencontrer. Il te choisira... ou pas.
- S'il ne te choisit pas, tu mourras comme tous ceux que tu piétines maintenant, ajouta Glauquardant avec un rire gutural.
Cette fois, la peur gagna bel et bien le professeur, qui ne souhaitait plus que repartir. Mais il doutait que les trois Pokemon le laissent faire. Il fit donc ce qu'ils demandèrent, et toucha la garde de l'épée noire. Elle était glacée, et il semblait à Wufot que ce froid mortel se transmit de l'épée jusqu'au plus profond de son être. Il ne voyait plus rien de la grotte. Ni les Pokemon, ni la météorite, ni l'épée. Il se tenait dans un lieu tout noir, dans lequel seuls deux yeux terrifiants qui dévisageaient Wufot se trouvaient.
-
Oh oui... Je le sens en toi... Tu me ressembles... Tu es le bon, celui que j'attendais... La voix semblait encore plus sombre que ce lieu de ténèbres. Mais elle avait aussi quelque chose d'attirant.
-
Tu étudies le passé pour l'immortaliser. Mais que diras-tu d'être toi-même immortel, pour vivre aux travers des âges et transcender le passé, le présent et le futur ? C'est ton plus cher désir, je le sais. Je peux te l'accorder. Tu seras le premier parmi les hommes. Wufot ne put que balbutier la même question qu'il avait posée aux trois Pokemon. La voix ricana et dit :
-
Je suis Uriel, le Rejeté de la Lumière. Je ne suis que haine. Je ne suis que ressentiment. Je me nourris des cris de ceux qui sombrent dans les ténèbres, et je maudis ceux dont l'éclat rayonne. Et toi... tu es à moi, désormais. Je te renomme Ryates, l'exécuteur de la vérité. Toi et moi, nous allons la faire éclater au grand jour en brisant cette illusion famélique qui se nomme Cinhol.**********
Image de Soprielo :