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Ne lâche pas la corde - [O.S] de Lugunium



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» Auteur : Lugunium - Voir le profil
» Créé le 05/12/2013 à 19:31
» Dernière mise à jour le 05/12/2013 à 19:31

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Sombre gradation - (Chapitre unique)
Ah, la vie...

Une suite de déceptions. Certes ponctuée par des moments heureux, car comme l'autre a dit, la roue tourne. Elle tourne néanmoins très lentement, et s'arrête souvent, en panne d'huile. Mais si l'on excepte les retrouvailles, les compliments, les petites choses qui peuvent rendre la vie un peu plus supportable, il reste le noir. Et le noir, on ne peut que le broyer.

Une suite de déceptions... à tel point que j'hésite. Non, pardon, je m'égare. Reprenons depuis le début...

J'affirmais donc que cette vie, que nous, pauvres humains partageons avec les Pokémon dans une paix qui demeure précaire, est si fade à mon goût qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécue jusqu'au bout. C'est une excellente expérience avant l'Enfer. Enfin, je n'y crois pas, à l'Enfer et au Paradis. Aux divinités suprêmes qui régissent dans les cieux et seraient la cause de notre vécu. Cette croyance populaire, j'ai réussi à la briser.

Oups, pardonnez-moi, j'avance trop vite.

La vie est une suite de déceptions. Tenez, je prends un exemple. Pas plus tard qu'avant-hier. Un refus. Ce que je hais plus que tout.

-Comment ça, ma carte Dresseur ne passe pas ? A tempêté ma mère.
-Ce n'est pas la peine de vous en prendre à moi, a gémi le pauvre caissier dans le magasin. Si vous voulez rejeter la faute sur quelqu'un, prenez-vous en à votre banque, ce sera légitime.
-Très bien, a grogné Maman en abattant sa main sur l'ordinateur et en tournant les talons.

Autant vous dire qu'après ça, nous ne sommes plus jamais allés dans ce magasin. Du moins, si je le pouvais, j'aurais voulu.

Peu après notre sortie remarquée, j'ai demandé :

-Dis-le moi franchement, maman, nous n'avons plus rien à manger ?

Elle a coulé un regard tendre mais douloureux.

-Non, et je ne sais pas comment remédier à ça, a-t-elle répondu d'une voix tiraillée par l'anxiété.

Nous sommes rentrés.

C'étaient toutes ces petites choses pénibles de la vie qui attisaient ma haine contre le monde.

Évidemment, il s'est passé des choses beaucoup plus horribles que ça. Ce qui pourrait expliquer ce que je vous raconte là. Cette répulsion du bonheur, cette crainte et cette frayeur de la vie. Ah, qu'elle me manque, la douce insouciance de l'enfance...

Autre épisode marquant de ma misérable existence. J'ai perdu un Pokémon. Et pas n'importe lequel : mon tout premier. Celui avec qui on forge des liens indestructibles. Seulement friables par la mort. Dans mon cas, mon amitié pour mon Meganium décédé s'est nettement renforcée. J'y songe même à l'article de la mort... zut, je suis encore allé trop vite.

Ah... quand j'y repense, je souris froidement. Au lieu de serrer les poings et de me mettre à hurler de chagrin.

C'était... oh, quelle importance ! On se fiche royalement de la date. Ce qui est important, c'est histoire, l'anecdote catastrophique et dramatique. Je suis persuadé que vous allez sourire ironiquement en découvrant les faits. En effet, je marchais dans la rue. Chose banale. J'allais en fait acheter de quoi guérir une récente blessure de mon Meganium. Il n'était pas ressorti indemne de son dernier combat contre mon frère.

Je marchais tranquillement. Quand tout à coup, la Poké Ball qui contient mon seul Pokémon Plante s'est détachée de ma ceinture et s'est mise à rouler droit sur la route.

-Mais...? Vas-tu revenir ici, saleté de balle !

Elle a failli tomber dans une bouche d'égout ouverte, un trou béant vers l'effroyable tunnel peuplé de toutes sortes de rats immondes.

J'aurais préféré.

Car elle est passée au dessus en ricochant sur le trottoir. Elle a fini sa course sur la bande blanche au centre de la route. Tandis que je me réjouissais qu'elle ne soit pas tombée dans les égouts, l'horrible réalité a fait irruption sans toquer à la porte.

Je repense au bruit.

Crac.

Mon cœur s'est mis à accélérer brutalement.

Puis le bruit de cette voiture. Vroum... clang !

-Putain de...

La voiture avait écrasé littéralement la Poké Ball. Mes yeux se sont écarquillés, si bien qu'ils ont failli sortir de leur orbites. Une larme glaciale s'est écoulée vitesse éclair sur ma joue, pour venir s'écraser sur l'asphalte.

La voiture, qui avait dépassé largement la limitation de vitesse, a voltigé à plus d'un mètre au dessus du sol. Puis elle heurta avec force fracas une maison. Les vitres ont explosé sous le choc, et les débris se sont éparpillés partout sur son jardin. Le véhicule s'est enfin encastré sur la porte d'entrée de la bâtisse, pulvérisant au passage la moitié du mur porteur de celle-ci. Ce qui a entraîné l'effondrement partiel de la toiture. Des énormes morceaux de briques rouges sont tombés sur la voiture, et la poussière a caché la portière.

-Pu... putain de...

J'ai ensuite fixé cette Poké Ball qui désormais était réduite à une crêpe blanche dont de l'électricité s'échappait parfois. J'ai voulu attraper l'objet détruit avec ma main, mais de la cendre a coulé entre mes doigts lorsque j'ai saisi la Poké Ball. Je suis resté là, immobile, et j'ai regardé la balle, pendant plusieurs longues minutes. Je n'ai su que plus tard que mon Meganium est mort instantanément.

Mon regard s'est porté alors vers cette voiture. Déjà, une foule compacte de gens paniqués s'y agglutinaient. Je me suis douté que l'homme dans le cadavre mécanique du véhicule avait rejoint mon Pokémon dans l'autre monde.

Je suis tombé bien bas.

J'ai vu une main ensanglantée sortir du pare-brise. Puis l'autre main, L'homme s'est agrippé aux essuie-glaces et a tiré pour qu'enfin je puisse voir son visage.

Choc.

-Oh non, putain... putain de...

Je passai une main tremblante sur mon front, et sentit la chaleur de la fièvre monter.

Mon professeur de Physique.

Nos regards se sont croisés. Ses yeux étaient vides. La douleur avait sans doute consumé ses émotions. Les miens, non. Pas encore.

Je le regardai de l'expression la plus haineuse, la plus noire, la plus effrayante, la plus sombre, la plus froide. Il s'est figé.

Puis il est mort. Voilà. Tout simplement.

Sa tête est tombée sur le capot éventré. Du sang visqueux a coulé doucement de ses deux narines. Ses graves blessures avaient eu raison de lui.

Je vois encore ce pique de verre enfoncé dans sa cage thoracique. Ses poumons ont été transpercés de part en part par ce poignard transparent. Son sternum avait été broyé. Une cheville était accrochée au rétroviseur.

Je n'ai jamais su pourquoi il avait roulé aussi vite.

Il paraît que j'ai hurlé «Putain de merde» pendant vingt minutes en pleurant toutes les larmes de mon corps.

Et après...

Je suis resté traumatisé pendant plus de six mois. J'ai arrêté le collège pendant tout ce temps. La plaie était encore présente malgré le temps passé.



Voilà ? Convaincu ?

Vous pouvez me prendre pour un fou, un dégénéré, un traumatisé de cet accident tragique, mais ma résolution reste la même. La vie n'est qu'une succession de chocs, de douleurs et de peines. Personne ne pourra me contredire.

Il s'est encore passé quelque chose de très marquant, quelque chose qui m'a ouvert à l'obscurité. Je peux vous jurer que ce nouvel épisode a été extrêmement difficile pour moi, cela pourrait même expliquer ma soi-disant folie.

La perte de ma sœur. Cette grande sœur que j'adulais. Cette grande sœur que je suivais partout, parce qu'elle était ma porte de sortie de ces pensées ténébreuses. Cette grande sœur qui m'aimait tout autant que moi je l'adorais. Cette grande sœur qui a partagé mes pires moments avec le sourire. Cette grande sœur pleine de courage qui m'a sauvé d'une bande de brutes qui voulaient me frapper injustement, lorsque j'avais encore la taille d'un lilliputien. Ce genre de personne formidable avec qui on ne voit pas le temps passer lorsque l'on joue ou parle avec elle, avec qui la séparation de quelques heures est un supplice (enfin, presque), avec qui les disputes sont vraiment très violentes mais la réconciliation est aussi rapide que le règlement de comptes, avec qui la moindre petite tâche donnée devient un moment de plaisir...

Bref, la sœur que vous n'avez pas.

Je n'arrive pas à comprendre certaines personnes. Ces gens qui ne peuvent pas vivre comme des personnes normales. Qui doivent obligatoirement tuer, voler ou cambrioler quelqu'un pour survivre. Pourtant, le monde n'était pas encore plongé dans une guerre civile.

Il y a ces personnes, du même genre, qui tuent, volent ou cambriolent pour se venger. La vengeance. Une fois qu'elle vous tient à sa merci, vous n'avez que cette idée en tête.

Cet homme-ci était un vengeur.

Tout se passait comme si rien n'allait se passer. J'étais chez moi et profitais de la présence de ma tendre et chère sœur, et l'absence des parents, pour vider mon sac et me soulager du lourd fardeau qu'était la mort de mon professeur de Physique. Compréhensive qu'elle était, et avec de belles paroles pleines de sens et d'amour, ma sœur est parvenue à me faire presque oublier ces derniers événements. J'étais allongé sur le canapé, elle était près de mes pieds, assise paisiblement et somnolente. Nous regardions une série que j'appréciais tout particulièrement.

Aucun bruit ne venait perturber la tranquillité absolue du moment. Même notre Chacripan ne bougeait pas. Il dormait. Il ne sautillait pas dans toutes les directions. Car il était un peu super actif, normalement.

Sauf que Meganium n'était pas là pour diffuser ce parfum doux et enivrant qui embaumait le salon.

Je sentais comme un trou dans la poitrine, alors même qu'une scène cocasse se déroulait à la télévision.

Un calme rare demeurait.

Mais il fut rompu.

Nous avons entendu marcher dans le jardin. Des pas pesants et lourds. Ma sœur s'est affolée.

-Tu as entendu, petit frère ?
-Oui, il y a quelqu'un dehors, qui vient.

Elle s'est levée et s'est dirigée vers la porte.

-Calmons-nous. C'est peut-être juste nos parents qui rentrent.

J'en doutais. Il semblait qu'il n'y avait qu'une seule personne.

-Vas-y, lui ai-je dis.

J'aurais vraiment dû fermer ma gueule.

Une balle de pistolet passa à travers la porte et se ficha dans un cadre. Ce dernier se fracassa au sol dans un bruit assourdissant de verre.

Ma sœur était par terre. Fort heureusement, la balle ne l'avait pas touchée.

-M-m-m-mais...?! Qu'est ce qu'il se passe ? a-t-elle balbutié.

Une ombre s'est présentée. Je l'ai vue avec le trou qu'a fait la balle. Du bois tombait en lambeaux.

L'homme ouvrit la porte promptement. La poignée s'est cognée sur le porte-manteau.

-LEVEZ VOS MAINS ! TOUS LES DEUX !!

L'homme ne s'était même pas pris la peine de se camoufler à travers une cagoule noire. Non, il était venu de façon à ce que moi et ma sœur puissions le reconnaître.

D'ailleurs, quand ma pauvre sœur a reconnu ce visage écarlate de colère et de rage, elle a hurlé, terrifiée.

Son ex.

J'ai posé la main sur le mur, de peur de m'écrouler.

Elle m'avait raconté, peu après nous être posés devant la série, qu'elle avait rompu il y avait deux semaines avec son petit copain. Elle avait découvert un adultère bien caché. Elle était tellement déchirée par la révélation qu'elle l'avait frappé avec une lampe, avec toute sa fureur. Elle avait visé la joue. Le pauvre homme s'était retrouvé avec une entaille profonde et une fracture de la mâchoire.

Il était là, avec sa cicatrice toute fraîche et sa mâchoire réparée.

Il braquait un pistolet droit sur ma sœur. Quand il a vu que je m'approchais, le canon s'est dirigé sur moi.

-TOI, LE MOME, TU BOUGES UN DOIGT ET JE TE FLINGUE !! C'EST UNE AFFAIRE ENTRE TA SOEUR ET MOI !

Je suis resté pétrifié. Déjà, ma sœur pleurait à chaudes larmes. Chacripan était sorti de ma chambre et, en découvrant la scène, est reparti aussi sec.

-MAINTENANT, TU VAS M'EXPLIQUER, ESPECE DE SALOPE, POURQUOI TU NE M'AS PAS ECOUTE CE SOIR-LA !!

Les mots sont sortis presque immédiatement de la bouche de ma sœur.

-Je... je pensais qu'on était heureux ensemble ! Qu'on... qu'on formait un couple parfait...
-Connasse, a sifflé l'homme, dont les veines étaient apparentes au niveau de sa tempe. Si tu étais restée, tu aurais su qui elle était en vrai !
-Qui est-elle alors ?

Le meurtrier tira sur la lampe du salon.

-Si tu ne m'avais pas frappé avec cette lampe, si tu m'avais laissé parler, tu aurais su !...

Au tour de la télévision.

L'homme avait des yeux qui exprimaient une expression inhumaine. Une haine incroyable.

-C'était qui ?! hurla ma sœur en paniquant.
-C'était ma meilleure amie !

Je me suis esquissé très discrètement dans la cuisine en profitant de ne pas avoir toute l'attention de cet homme sur ma petite personne. J'ai préféré ne pas connaître la vraie histoire de leur séparation. Tout ce qui comptait à ce moment-là, c'était sortir de cette merde qui commençait à nous noyer.

J'ai fait quelques pas avant d'être pris par une migraine intense et soudaine, qui m'a fait trébucher et m'étaler sur le carrelage de la pièce. Ces maux de tête étaient dû à une nervosité trop haute. Ces "crises marteau", comme je les appelais, sont apparues pour la première fois quelques jours après le décès poignant de mon Meganium.

En l'occurrence, ces crises marteau portaient bien leur nom. Car j'avais l'impression que l'on me tapait de toutes ses forces sur la tempe, et souvent, je voyais trouble, ou les contours des choses étaient floutés.

Cette fois-ci, elle était tout particulièrement violente.

-Arrrr... argh... gnnn...

Je respirais par saccade bruyante, que j'essayais de retenir pour éviter d'éveiller l'attention envers moi et mon futur coup bas. Je me tenais la tête, tout en me balançant. La crise a duré dix minutes pendant lequel les deux anciens amoureux réglaient leurs comptes. Si on peut appeler ça ainsi...

Je me suis relevé avec peine. Je me suis emparé d'une casserole et ai marché en titubant vers la porte intérieure du garage. Avec la configuration étrange de la maison, je pouvais passer par l'autre côté du salon sans être vu. Encore fallait-il que je ne fasse aucun bruit. Sinon, les carottes étaient cuites, voire même brûlés.

J'entendais les cris de rage, qui parfois sonnaient plutôt comme des cris de désespoir et de douleur de la part de l'homme. J'étais sûr qu'il ne sortirait pas de cette maison sans que je ne l'assomme ou qu'il ne se suicide.

Dans les deux cas, ma sœur serait sauvée.

Mais...

Car dans toutes les histoires, il y a un mais qui domine. Ce "mais" a été fatal.

Je suis arrivé à l'ultime porte, où d'ici, je pouvais donner le coup de grâce à l'homme. J'étais bien caché dans l'obscurité, la porte était entrouverte. Il suffisait juste que j'ouvre cette porte et que je donne un coup au dingue qui tirait sur tout dans la maison, et cette affaire serait terminée.

Bon scénario. Mais malheureusement, je suis resté paralysé par la peur de mourir.

Je n'ai jamais autant tenu à la vie qu'à ce moment-là.

L'homme avait fini son baratin sur le malentendu d'il y a deux semaines. Il pointait toujours l'arme chargée à bloc sur ma sœur, adossée contre un mur, tétanisée. Elle devait se sentir bien stupide sur le coup.

Il a jeté un regard torturé vers elle.

-Tu sais tout. Tout. Et tout aurait pu être meilleur...

«Crétin, c'est pendant le choc du moment qu'elle t'a frappé avec cette lampe, tu n'as pas à lui en vouloir autant pour ça !», a parlé mon adrénaline, prête à crisper tous mes muscles.

Néanmoins, d'après ce que j'avais entendu, l'homme, sans foyer, sans argent et sans famille, après cette rupture agressive, s'était retrouvé seul et perdu.

-Maintenant, tu vas revenir avec moi, que ce soit porté par tes sentiments ou non, et tu vas faire ma vie avec moi, tu subviendras à mes besoins de gré ou de force, et si tu refuses, je te tire une balle dans le cœur.

Ma sœur s'est accrochée encore plus sur ce mur.

Elle a serré les poings.

S'est redressée, lentement.

Jusqu'à tenir debout.

Elle fusilla du regard cette homme dont la folie avait dépassé les limites.

Et elle lança, pertinemment consciente du risque gigantesque qu'elle prenait :

-Connard, tues-moi si tu veux, mais je ne ferais jamais ma vie avec un dépravé comme toi.

Une décharge électrique a passé à travers l'ex de ma sœur.

Métaphoriquement.

Par contre, les treize balles qui ont pourfendu le corps menu de ma sœur n'étaient pas des images.

Ils étaient bien réels.

Comme ce cœur qui lâchait. Comme ce corps qui chutait, doucement. Comme ce sang qui s'est aspergé contre le mur sur lequel elle se tenait quelques secondes, quand elle était encore en vie. Comme cette mare rouge qui se formait là où, peu après, elle tomba, raide morte. Comme cette âme qui était partie d'un seul coup. Comme cette âme dont le fardeau de la vie s'était allégé pour devenir le néant. Comme ce bras qui formait un angle inhabituel. Comme cette épaule qui s'est déboîtée en heurtant le mur tâché de sang.

Comme moi et ma casserole en main, comme ce saut, cet élan d'énergie chargé de haine et de tristesse, comme cet ustensile qui a cogné durement sur le crâne de cet homme dont son visage allait me hanter jusqu'à la fin de ma vie. Comme cette personne qui s'est écroulée la tête la première sur le sol du salon, inconscient.

Et moi.

Oui, moi.

J'ai chuté à mon tour sur le corps inerte de ma sœur. J'ai fixé ses yeux verts sans vie, qui regardaient le plafond. Puis j'ai tourné la tête vers la fenêtre, et la seule chose que j'ai vu avant le noir complet a été cette lumière de phare qui m'a ébloui. Mes parents étaient rentrés trop tard.



Je vous passe la suite des faits, la police, le traumatisme de ma mère et de mon père, les ambulances, l'enterrement, les crises qui se multipliaient, les larmes brûlantes que je versais jusqu'à plus soif, le relâchement des Pokémon de ma sœur dans la nature...

Voilà. Je pense que vous avez compris maintenant d'où vient cette folie qui me consume. C'est pas banal de vivre autant d'épisodes tragiques dans une pauvre vie. On m'a dit que je n'avais pas de chance. Ha ha.

Je pense aussi que vous êtes prêts...

… prêts à connaître la fin de mon histoire.

J'espère que vous ferez le bon choix si il vous arrive la même chose dans le futur. On ne sait pas de quoi le vôtre sera fait.

Vous, vous pouvez le construire.

Moi, je l'ai démoli.

Bon, trêve de bavardages. Il est temps que je vous dise exactement ce qu'il se passe alors même que vous lisez ces lignes.



Devant, la lumière. Tellement blanche et rassurante qu'elle vous attire malgré votre volonté de la repousser. Derrière, le vide. Noir, les ténèbres absolus.

Vous voyez le topo ?

De ce noir, vient une corde. Une fine corde disparaît vers cet obscur chemin.

Je tiens cette corde à bout de main. Elle est lourde, si lourde...

Pour parvenir à tenir, je me remémore ce dernier épisode.

Encore des voitures. Je suis assis tranquillement sur le siège. C'est avant-hier. Enfin, d'après moi, ça fait deux jours, mais en fait, ça fait trois mois, il paraît. Mon père conduit, et ma mère, derrière, tortille ses doigts dans un bracelet que lui avait offert ma grand-mère il y avait quelques jours. Nous roulons sans parler, en silence, dans le calme. Nous avons emmené Chacripan dans la voiture, et

Et... oh, et puis merde, je suis trop fatigué pour raconter en détail et en appuyant sur mes sentiments. Je vais faire le récit de cet accident le plus brièvement possible.

Eh bien, le téléphone de mon père à sonné. Il répondit presque immédiatement.

-Allo ?

Une voix grave a dit des trucs inaudibles à nos oreilles.

-Pardon ? Je... Oui ? C'est pas vrai ? Vous... vous plaisantez ?
-Une mauvaise nouvelle, mon chéri ? a demandé ma mère, soudain inquiète.

Papa a raccroché poliment puis a affiché un grand sourire.

-Mais non, penses-tu ! J'ai eu une augmentation. Mon patron a été très satisfait de mon dernier article, il nous reversera dans les plus brefs délais une somme assez alléchante.
-Mais c'est super ! s'est-elle exclamée. Avec ça, on pourra acheter de quoi...

Elle n'a pas eu le temps de terminer sa phrase qu'elle fut projetée.

Personne n'avait regardé la route. Papa avait roulé à plus de 120 kilomètres à l'heure sur l'autoroute, mais n'avait pas vu qu'une voiture s'était pratiquement arrêtée devant nous. Un petit vieux avait calé.

Et bien évidemment, vu que personne n'avait l'attention focalisée sur l'asphalte de la route, nous avons heurté de plein fouet cette Audi.

Mes parents sont morts sur le coup. Chacripan a succombé peu après à ses graves blessures. Moi, j'ai survécu. Comme toujours.

Je suis même tombé dans le coma.

Un automobiliste qui avait vu l'accident s'est hâté d'appeler les secours et de me sortir de la carcasse de notre voiture.

On m'a transféré dans un état critique dans un Centre Pokémon réputé pour ses excellents soins, partie soins des humains, bien sûr.

Comment je le sais ?

Seule ma tante est venue à mon chevet pendant que mon corps s'était détaché de mes véritables chairs. Je flottais au-dessus de moi-même, parcouru de tuyaux et de perfusions qui ne finissaient pas d'apparaître au fil du temps. Et personne ne pouvait me voir.

J'étais comme un spectre.

Vous saisissez ? Vous voyez où je suis, précisément, maintenant ?

Je fis partie de ces gens qui font cette expérience unique. Ces gens qui parviennent aux portes de la mort, qui marchent dans le tunnel vers la lumière. Et qui tiennent inexorablement cette corde qu'ils ne doivent pas lâcher. Absolument.

Cette corde... qui ressemble étrangement à un cordon ombilical.

Je ferme les yeux. Je suis en sueur.

Quand je les rouvre vers la lumière, tout à coup apparaît Meganium.

-M... Meganium ?!

Retour du trou dans le ventre qui tord mes boyaux.

Je vois dans ses yeux, qu'il veut que je le rejoigne, dans ce monde lumineux auquel il appartient maintenant et auquel sa deuxième vie se déroule, pérenne.

Je le sens. Il m'appelle. «Viens avec moi, me dit-il, viens. Tout est meilleur ici.»

Une pensée me traverse l'esprit. «En fait, la vie, ce n'est que le début de la mort, et la mort est le début de la vie...»

Mes cellules vibrent et sont toutes d'accord pour une chose : partir vers la lumière.

Là où mon Pokémon me réclame.

Là où m'attendent mes parents.

Ma sœur.

Mon Chacripan.

Toutes ces personnes que j'aime et que j'ai perdu.

Celles que je veux rejoindre.

Mon cerveau est d'accord.

Alors ?

Dois-je lâcher la corde et partir vers ce monde nitide, et vivre enfin comme tout être vivant doit vivre, rejoindre les miens, et cette population fantomatique de morts qui en fait vivent et se portent aussi bien que vous et moi, vivre comme un enfant, insouciant, un monde où les crimes et le mal n'existent pas, où la souffrance ne survient jamais, un monde inconnu et palpitant, un monde où mon Meganium m'attend à bras ouverts, un monde accueillant, un monde qui arrive même à m'empêcher de faire de l'ironie sur mon sort, qui bloque mon cynisme habituel, mes pensées charbonneuses ? Ou dois-je tirer jusqu'à temps que j'arrive à revenir dans ce corps qui est le mien, branché à moult machines qui émettent des bruits grinçants, et repasser à l'état de simple mortel, malade, blessé mentalement et physiquement, intubé, subissant les anciennes douleurs et les récentes, et reconstruire une vie emplie de crises, de colère, d'épisodes abominables, dans un monde meurtri, touché dans son propre cœur par la bêtise humaine ?

Qu'ai-je fait d'après vous ?



J'ai lâché la corde.