Chapitre 201 : Conditionnement
Tuno demanda aux gardes de sortir. C'était sans doute mieux s'il voulait gagner la confiance d'Ujianie, mais ça le rendait nerveux de se trouver avec elle dans un espace clos, même si elle était solidement attachée et sans un seul couteau. Mais au regard effrayé et implorant qu'elle lui lança, il sut qu'elle ne le reconnaissait pas.
- Va-t-on enfin me dire quelque chose ?! Qui êtes-vous ? Pourquoi je ne me souviens de rien ? Et d'abord où je suis là ? Pourquoi m'a-t-on attachée ?!
Tuno leva les mains d'un air qui se voulait rassurant.
- Je comprends votre confusion, mais calmez-vous. Vous n'avez rien à craindre. Vous êtes avec des amis.
- Je ne sais même pas qui je suis... Comment pourrai-je savoir qui sont mes amis ? D'ailleurs, pourquoi des amis m'attacheraient-ils et posteraient-ils des gardes devant moi ?
Bon, elle était peut-être amnésique, mais pas idiote...
- C'est une longue histoire, éluda Tuno. Sachez d'abord que, lors d'un combat contre nos ennemis, vous avez reçu une grave blessure à la tête. Ça a causé un traumatisme profond, et on a failli vous perdre. Votre perte de mémoire résulte de cela.
- Nos ennemis ? De quoi parlez-vous ? Que...
Ujianie s'interrompit, puis soupira en se laissant aller dans son lit.
- Bon, procédons par ordre, sinon je sens que je vais devenir folle. Pouvez-vous me dire qui je suis ?
- Bien sûr. Vous vous appelez Laurinda Prefion.
Tuno avait sorti sans réfléchir le nom d'une des filles qui bossaient dans le bordel que tenait sa mère. Mieux valait n'importe quoi plutôt qu'Ujianie. S'il lui disait son vrai nom, ça risquait de lui raviver des souvenirs.
- Vous travaillez pour la Team Rocket, une organisation semi-militaire qui est actuellement en guerre contre le gouvernement local. Vous vous souvenez de la Team Rocket ?
Ujianie hocha lentement la tête.
- Ce nom me dit quelque chose, oui... Quel est mon travail au juste ?
- Euh... Vous faites partie d'une unité spéciale que je dirige. Je suis votre supérieur, le colonel Tuno. Nous sommes de grands amis.
- Heureuse de le savoir. Continuez, s'il vous plait.
- Lors de notre dernière mission, nous combattions les... les Shadow Hunters. Ça vous dit quelque chose ?
Tuno n'avait pas voulu prononcer le nom de l'ancienne équipe d'Ujianie, mais il ne pourrait pas lui cacher de toute façon s'il voulait qu'elle les aide contre eux.
- Shadow Hunters... répéta Ujianie. Non, ça ne me dit rien. Qui sont-ils ?
- Les plus puissants agents du gouvernement contre lequel nous luttons. Ils sont dotés d'une force surhumaine, et de bien peu de morale.
- Ce sont eux qui m'ont blessé ?
- J'y viens. En fait, vous avez été capturée par les Shadow Hunters. Ils vous ont amené dans leur base. Je crains que le temps que nous vous retrouvions, ils aient déjà commis... certaines choses sur vous.
Ujianie blêmit.
- Quelle genre de chose ? M'ont-ils violé ?
- Euh non, pas ce genre de chose. Disons qu'ils ont pratiqué sur vous leurs expériences sordides qu'ils se sont infligés à eux-mêmes pour devenir surhumain. Ils ont fait de vous l'une des leurs, et ont tenté par la même de laver votre esprit. Quand on vous a retrouvé, vous nous avez attaqués.
- Je... je ne m'en rappelle pas. Si c'est le cas, je vous fais mes excuses.
Elle avait l'air tellement sincère que Tuno manqua de sourire, en imaginant bien l'absurde de la situation.
- Ce n'était pas votre faute, Laurinda. Mais nous avons été obligés de nous défendre. Ce coup que vous avez reçu... C'est de notre fait, je le crains. Et donc votre amnésie aussi. C'est à moi de m'excuser.
Ujianie secoua la tête.
- Vous m'avez sauvé de nos ennemis. Mieux vaut être amnésique mais parmi les miens que de les servir eux sans le vouloir.
- Oui, nous sommes tous très soulagés de vous revoir. On espère que votre amnésie sera de courte durée. On a bon espoir que retrouver peu à peu votre ancienne vie stimule votre mémoire. En attendant, vous pouvez compter sur nous tous pour vous aider, Laurinda.
Ujianie sourit. Ça faisait très bizarre à Tuno, de voir ça sur le visage de cette femme si froide. On aurait dit une autre personne.
- Alors, je serai devenue surhumaine ? Demanda-t-elle, vaguement amusée. Je n'ai pourtant pas l'impression de pouvoir sauter par-dessus les buildings...
- Nous ne savons pas encore très bien comment fonctionne les capacités des Shadow Hunters. En tous cas, je peux vous assurer que vous les avez activés, même si vous ne vous en rappelez pas.
- Je vois. Et c'est pour ça alors, ces entraves ?
- Euh... oui. Nous ne pouvons pas être sûrs que votre lavage de cerveau ne se manifeste pas, et nous n'aimerions pas devoir vous maîtriser à nouveau.
- Mais si je suis vraiment devenue une superwoman, je ne pourrai pas me libérer en un clin d'œil ?
- Peut-être, répondit Tuno, l'air de rien. Mais même si vous vous détachez, cette pièce est blindée, et protégée à l'extérieur par des Pokemon Psy qui vous entraverons à distance à la moindre alerte. De plus, dans votre état, je doute que vous puissiez faire grand-chose. Vous n'êtes pas totalement guérie. Reposez-vous. Si nous ne constatons pas de problèmes, nous vous réintègrerons peu à peu.
Tuno s'apprêta à sortir, quand Ujianie lui demanda :
- Vous reviendrez me voir ?
- Bien sûr, répondit le colonel avec un sourire hésitant. On parlera beaucoup pour tenter de vous faire retrouver la mémoire. J'essaierai même de vous amener les autres membres de mon unité. Mais j'ai peu de temps libre. Vous comprenez, la guerre, et tout ça...
Ujianie fronça les sourcils.
- Vous avez l'air triste. Un problème ?
Elle voyait aussi bien qu'elle visait. Tuno devrait prendre garde à bien cacher ses émotions.
- Je reviens juste d'un enterrement, s'expliqua le colonel. Un de mes plus vieux amis, qui a été tué par les Shadow Hunters.
- J'en suis désolée, dit Ujianie, sincère. Ces Shadow Hunters sont vraiment des pourritures, n'est-ce pas ?
Tuno haussa les épaules.
- Ils font leur boulot, comme nous faisons le nôtre. Je ne pense pas qu'au fond, nous soyons si différents.
- Quand même, j'aimerai leur rendre la monnaie de leur pièce pour ce qu'ils m'ont fait. J'ai hâte de pouvoir réintégrer votre unité, colonel.
Tuno hocha la tête et fit signe à la caméra devant la porte pour qu'on lui ouvre. Quand elle le fut, Ujianie dit pensivement :
- J'ai de la chance. J'ai perdu la mémoire, mais de tous ceux que j'aurai pu rencontrer en premier, je suis tombé sur quelqu'un de gentil...
Tuno ne se retourna pas, histoire qu'Ujianie ne le voit pas rougir. Quand la porte se referma derrière lui, il put prendre une grande inspiration. Tender et le docteur l'attendaient. Le général avait un air ironique sur le visage.
- Belle prestation, le félicita-t-il. Pour une fois, vous avez fait votre petit effet devant une femme.
- Hélas, si toutes pouvaient être amnésiques...
- Vous pensez qu'il était sage de lui parler de ses capacités, colonel ? Demanda anxieusement le médecin. Si elle les utilise, ça pourrait activer un pan perdu de sa mémoire.
- Ses capacités font parties intégrantes d'elle-même, doc, se justifia Tuno. Et puis, si nous faisons tout ça, c'est justement pour pouvoir en profiter après. Je suis assez fier de ma trouvaille sur le lavage de cerveau des Shadow Hunters. Si jamais des souvenirs remontaient en elle, elle pourra penser que ce sont des effluves de son prétendu conditionnement. Il faudrait également qu'on puisse utiliser des Pokemon Psy sur elle, afin d'être sûr que sa mémoire ne va pas remonter. On pourra lui dire qu'on s'en sert au contraire pour qu'elle recouvre ses souvenirs.
- Bonne idée, approuva le docteur.
- Dorénavant, il vaudrait mieux se passer des gardes à l'intérieur, poursuivit Tuno. Ceci dans le but de lui prouver notre confiance. Que les infirmières lui parlent souvent. Elle a besoin de contact humain. Mais qu'elles prennent garde de ne rien révéler de dangereux, et de bien utiliser le nom que je lui ai donné.
- Vous comptez réellement l'intégrer dans la X-Squad plus tard ? Demanda Tender. Je doute que le Boss soit très d'accord...
- Il faut attendre et voir. Si sa mémoire reste perdue et si on parvint à la convaincre de notre histoire, ça serait idiot de ne pas l'utiliser. Bien sûr, on devra constamment l'avoir à l'œil, mais privée de son Ysalry, les jumeaux Crust pourront la maîtriser sans problème si jamais.
Tender hésita, puis dit :
- On joue avec le feu, Tuno. Ce n'est pas seulement ce que pourrait faire cette femme si jamais elle retrouvait ses esprits qui est dangereux. Car si ça devait arriver, Siena ne manquera pas de se servir de la situation à son profit auprès du Boss et des Agents, et Arceus sait ce qu'elle pourrait faire... Alors à moins que vous ayez envie d'avoir cette petite arriviste prétentieuse et sa police secrète comme commandant de cette base, ou pire, que la X-Squad soit dissoute, je vous suggère de ne pas foirer votre coup.
- Une guerre ne se gagne pas sans risque, général, répondit Tuno.
- Ni sans perte, ajouta Tender, le visage marqué.
***
Siena déboula dans le bureau de Vilius, sans s'être annoncée ni avoir frappé, son pas rapide d'une fureur toujours pas contenue. L'Agent 003, qui était en train de signer divers papiers que lui tendait sa secrétaire Fatra, leva calmement les yeux de sa paperasse pour affronter le regard furibond de sa plus fidèle alliée. Une alliée devenue difficilement contrôlable et hautement explosive, ces derniers temps.
- Siena. Quelle bonne surprise !
La réaction de Fatra, elle, fut plus instantanée, et elle s'agenouilla carrément devant Siena comme si c'était la déesse de l'univers. Siena avait désormais l'habitude des attitudes serviles à son égard, mais ce fut plus que ça qu'elle lisait dans les yeux de cette adolescente. C'était de l'adoration.
- Veuillez nous laisser, Fatra, lui dit Vilius. Je vous rappellerai après.
Son assistante hocha la tête et quitta le bureau, son oser regarder Siena en face. Dès qu'elle fut sortie, et sans attendre d'y être invitée, Siena s'assit dans l'un des deux sièges en face de Vilius. Celui-ci haussa les sourcils mais décida de ne pas en prendre ombrage. Siena avait l'air encore plus en pétard que d'habitude, ce qui n'était pas peu dire. Il lui semblait que cette femme était dans un état perpétuel d'insatisfaction. Vilius ne voyait pas pourquoi. Tout roulait à merveille pour elle. Pour eux.
- J'ai appris pour votre frère, commença Vilius en tâchant de prendre un ton compatissant. Je suis désolé.
Siena lui jeta un regard mi- amusé, mi- méprisant.
- Non, vous ne l'êtes pas.
Vilius sourit pauvrement.
- C'est vrai, je n'aimais pas Lusso Tender. On a eu des relations difficiles dans notre jeunesse. Il était plus âgé que moi et en profitait pour faire de moi son souffre-douleur. Je me rappelle encore la cuvette des toilette qu'il m'avait forcé à aller voir de très près. Mais je ne mentais pas. Je ne suis pas désolé pour lui, mais pour vous. Vous avez ma sympathie.
Siena balaya la remarque d'un geste, comme si sa sympathie ne valait rien.
- Je ne suis pas là pour chercher du réconfort. Lusso est mort, et ça ne sert à rien de s'attarder là-dessus. Seul compte le futur.
- Comme toujours, aussi tranchante et froide qu'une épée, ricana Vilius. Alors, parlons du futur. Qu'est-ce qui vous amène ?
- Vous avez eu vent du plan de Tender et Tuno avec la Shadow Hunter ?
- Oui, le Boss nous l'a annoncé. Il n'était pas trop chaud, mais il fait confiance à votre père.
- Pas moi. Ce plan n'est que folie. Mais pire encore, Tender a balayé mon autorité et a gardé cette assassin contre mon gré ! Il m'a défié !
Vilius, étonné par l'éclat de Siena, haussa les épaules.
- Ben... C'est qu'il est général, et vous colonel. De plus, c'est sa base, et c'est la X-Squad qui a capturé cette femme, à ce que j'ai entendu dire...
- Mon autorité ne peut souffrir une telle défiance de la part de la hiérarchie classique, riposta Siena. Je vais bien au-delà des généraux. Je suis la commandante de la GSR ! Les généraux tremblent devant moi, et à raison, car j'en ai arrêté plus d'un ! Tender compte peut-être que je déniche quelques cadavres dans son placard, pour qu'il fasse un séjour dans l'une de mes geôles et expérimente comment on interroge les suspects dans mon unité...
Vilius ne cacha même plus sa stupéfaction.
- Enfin Siena... Hegan Tender est un Rocket loyal.
- Envers Giovanni. Par envers moi.
Vilius n'aima pas le choix du mot « moi » dans cette phrase.
- C'est votre père... Vous seriez prête à fabriquer de fausses preuves contre lui comme vous l'avez fait pour ces quelques généraux qui nous gênaient ?
- Il n'est rien pour moi, stipula Siena. Je n'hésiterai pas à l'éliminer s'il devenait un obstacle. Lui et ces empêcheurs de tourner en rond de la X-Squad, qui nous concurrencent directement mon unité et moi.
Vilius fut un peu effrayé. Siena Crust était-elle déjà à ce point sans cœur la première fois qu'il l'avait rencontré ? Il était sûr que non. La guerre et le pouvoir l'avaient bien transformé... Vilius tenta de calmer le jeu.
- Inutile de prendre des mesures regrettables. Tender est vieux. Il tirera sa révérence en même temps que le Boss. Tous les deux sont de la même génération. Et pour cette affaire de Shadow Hunter, nul besoin de s'inquiéter. C'est tout bénef. Si ça marche, on aura un Shadow Hunter apprivoisé, et ça sera un plus pour la Team Rocket. Si ça foire, Tender et la X-Squad se retrouveront décrédibilisé, et ça sera un plus pour nous.
Vilius voyait bien que Siena préférait le « nous » à la « Team Rocket ». Non pas qu'il en fut autrement pour Vilius.
- Ne vous inquiétez pas, dit l'Agent en servant un verre à son invitée. Nous finirons par l'emporter. C'est écrit. De génération en génération, c'est ainsi. Urgania et Karus. Giovanni et Tender. Nos grands-parents et nos pères respectifs ont toujours travaillé et régné ensemble, pour la plus grande gloire de la Team. Ce sera bientôt à notre tour, Vilius et Siena, de laisser notre marque sur l'histoire de la Team Rocket. Une marque qui sera bien plus grande que celles de nos prédécesseurs, si illustres soient-ils...
- Ils n'étaient en rien illustres, coupa Siena. Ils n'ont rien accomplit. Urgania a fondé la Team, mais sans aucune ambition derrière. Votre père l'a reprise et l'a laissée décrépir dans la clandestinité et l'amour du profit. Karus a tenté d'imposer sa vision inique des choses et du monde. Quant à Tender, il n'a strictement rien fait. Aucun d'eux ne mérite ni mon admiration ni mon respect. Et ils ne devraient pas mériter les vôtres...
Siena but son verre d'un coup - un alcool pourtant corsé - et se leva sans plus de cérémonie qu'elle était entrée. Vilius n'apprécia que très peu d'être chapitré comme un demeuré dans son propre bureau.
- Attendez, l'arrêt a-t-il. Il y a autre chose.
Il tapota la sonnette sous son bureau, et Fatra arriva à l'instant. Cette fois, elle ne s'inclina pas devant Siena mais se mit au garde à vous.
- Voici mon assistante personnelle, présenta Vilius à Siena. Fatra Rebuilt. Dix-sept ans, à peine sortie de nos centres de formation, et pourtant hautement qualifiée dans tout ce qui est tâche administrative et protocole. Elle a été formée dans à peu près toutes les disciples de la Team Rocket, et s'est montrée excellente dans toute. Elle ferait une aide de choix pour votre unité, aussi ai-je décidé de vous l'offrir.
Siena jugea la fille du regard. Peu pouvaient prétendre soutenir les yeux du colonel de la GSR, pourtant Fatra ne cilla pas. Siena y vit une dévotion sans faille et une confiance en ses propres compétences. Une bonne recrue, assurément.
- C'est fort aimable de votre part, dit Siena, mais je m'en voudrais de vous voler votre assistante.
- Je ne me sépare pas d'elle avec joie, c'est sûr, avoua Vilius. Elle sera dure à remplacer, mais Fatra ne m'a jamais caché l'admiration qu'elle vous portait.
L'adolescente inclina le buste devant Siena.
- Ce serait un immense honneur de vous servir, madame. Je suivais avec passion les exploits de la GSR quand j'étais en formation. J'ai vu en direct votre discourt au monde entier après la défaite du Dignitaire Igeus. Ce jour-là, j'ai su que mon rêve était de faire partie de la GSR, et d'œuvrer avec vous à la naissance de ce monde idéal que vous portez.
Siena fut impressionnée. Un bien beau discours de la part d'une fille de son âge, et d'autant plus vrai qu'il était sincère. Ces étoiles dans ses yeux ne pouvaient la tromper. C'était une fille avec une passion. La même passion qui habitait Siena quand elle avait son âge. Elle se vit en elle, et cela lui fit l'effet d'une étrange nostalgie.
- Très bien, accepta-t-elle. Vous voilà officiellement membre de la GSR, Fatra Rebuit. Vous servirez pour l'instant comme enseigne à bord du Lussocop. Vous me transmettrez les informations de mes troupes, et je vous transmettrez les miennes. Vous serez ma voix et mes oreilles.
Fatra rougit, et s'inclina à nouveau.
- C'est... Je ne sais pas quoi dire, madame... c'est... Merci. Juste, merci ! Je promets de bien vous servir.
- Je suis sûre que vous le ferez Fatra, lui dit Vilius.
- Merci pour votre bienveillance, Agent 003.
- Vous la méritiez.
Siena coupa court à ses politesses en quittant le bureau de Vilius. La jeune Fatra se hâta de la suivre.
- Rassurez-moi, dit Siena avec amusement. Vilius ne vous envoie pas chez moi pour jouer les espionnes, hein ?
- Sûrement pas, madame ! Et l'aurait-il demandé, je n'en aurais rien fait, malgré tout le respect que j'ai pour lui.
- Bon. C'est qu'avec lui, je peux m'attendre à tout... Parlez-moi de vous, Fatra. Quand avez-vous rejoint la Team Rocket, et pourquoi ?
Fatra prit son inspiration et commença à parler. Elle semblait aussi à l'aise que si elle récitait un règlement ou une liste de rendez-vous. Sérieuse dans ses mots, dans son ton, dans son maintien. Tout en elle respirait le formalisme et l'efficacité. Siena était sûre qu'elle aurait utilisé le même ton si elle lui avait demandé de lui parler de la reproduction des Ramoloss.
- J'avais treize ans, madame. C'était pendant l'invasion de Vriff. Mon père était un fervent supporter de la Team Rocket. Il a toujours dit qu'elle seule serait capable de nous débarrasser des barbares venus du nord. À force de voir les villes de Kanto tomber sans que les Dignitaires ne fassent rien, il a décidé de nous amener, ma mère et moi, dans l'une des bases Rocket pour y trouver la sécurité, en échange de quoi, il m'a offert à la Team.
Siena haussa les sourcils.
- Voilà qui n'est pas très digne pour un père...
- Il pensait sincèrement que c'était le mieux pour moi, que je ferais parti de quelque chose de grand. Et je le crois. Grâce à ma réussite à l'école de formation Rocket, je fais sa fierté. Puis vous avez créé la GSR, et ce fut comme une révélation pour moi. C'était ça, la vraie Team Rocket que je voulais intégrer. Je... j'ai du mal à l'expliquer, colonel. Les valeurs que vous clamez... il me semble les partager depuis toujours !
Siena hocha la tête, comme si c'était tout à fait naturel.
- Bon nombre de Rockets savent que je suis dans le vrai. Mais tous n'ont pas le courage que vous avez de me rejoindre. Pourtant, nous sommes de plus en plus nombreux dans la GSR. Et plus nous serons nombreux, plus nous nous ferons entendre. Vous avez choisi le camp des vainqueurs, Fatra.
- Le camp des vainqueurs n'est pas toujours le bon, Siena, fit une voix bourrue derrière eux. Je pense te l'avoir déjà enseigné.
Siena se retourna, et fut un moment prise de court de voir le commandant Penan, son père adoptif. Mais elle se reprit très vite et replaça son air stoïque sur son visage. Fatra, elle, qui devait connaître l'ancien commandant de réputation, se mit au garde à vous, mais resta en retrait quand Siena s'avança.
- Que faites-vous là commandant ? C'est rare de vous voir au Quartier Général...
- J'ai encore quelques vieux amis ici. Du moins ceux que tu n'aspas déjà coffrés.
Bien sûr, la plupart des gradés que la GSR avait écartés, de gré ou de force, étaient pratiquement tous de la génération de Penan. Trop vieux, avait jugé Siena. Trop ancré dans leurs habitudes, trop archaïques, trop inaptes au changement. Ceux-là n'avaient aucune place dans la nouvelle Team Rocket que Siena voulait créer. Penan avait apparemment l'intention de lui faire la morale, mais Siena n'était pas d'humeur.
- Eh bien, allez-donc voir vos amis, fit-elle en faisant mine de repartir. Que les vieux parlent entre eux du bon vieux temps perdu, tandis que les jeunes forgent l'avenir. Un pur reflet de la société moderne...
Ça, Penan ne le laissa pas passer, et posa sa main sur l'épaule de Siena pour l'empêcher de tourner les talons.
- Ton insolence est stupéfiante. Fréquenter Vilius ne te réussit pas.
- Ce n'est pas de l'insolence, commandant, ce sont des faits, riposta Siena. J'ai le plus grand respect pour vous, en dépit de votre âge.
- Vraiment ? S'étonna Penan. Alors dis-moi, pourquoi m'appelles-tu désormais « commandant » et plus « père », comme jadis ? N'est-ce pas ce que j'ai été pour toi toutes ces années ?
Siena haussa les épaules, indifférente.
- Je ne vous appelle plus père parce que vous ne l'êtes pas. Mais ne soyez pas vexé. Je n'appelle pas non plus Tender de la sorte.
- Pourquoi ?
- Par défi, je présume...
Penan secoua la tête, le visage emplit de tristesse.
- Laisse-moi redéfinir plus clairement, Siena. Si tu ne m'appelles plus père, c'est par indifférence. Et le défi que tu t'imagines à l'égard de Tender n'est rien de plus que de la méchanceté, du mépris. Et c'est comme ça que tu traites tout le monde désormais, Siena. Par l'indifférence ou le mépris. Je me demande ce que j'ai mal fait pour que tu en viennes à devenir comme ça...
Siena se dégagea, furieuse.
- Peut-être ne m'avez-vous jamais réellement comprise. Tout comme vous n'avez jamais compris qui était réellement votre grand ami Karus. Vos sentiments vous ont toujours aveuglé. Voilà pourquoi je ne m'embarrasse plus d'eux. À présent, j'y vois plus clair. Le chemin que je dois emprunter brille devant moi plus que jamais. Vous, vous êtes derrière.
Et elle laissa là Penan, qui la regarda s'éloigner avec une profonde blessure dans le cœur.