ILLIAN
Shalkia Rafa aimait déambuler dans le palais à une heure avancée, lorsque les couloirs étaient vides de monde. A part quelques gardes faisant leur ronde, elle ne croisait jamais quelqu'un.
Parfois, il arrivait qu'un garde s'approche trop près d'elle, mais son assurance naturelle et son répondant parvenait à bout des velléités masculines.
Garder le cristal en sécurité était pourtant essentiel, si Kuyrem mettait la main dessus, le royaume de l'Atlantide, dernier refuge des hommes en Antarctique serait perdu.
Elle commençait tous les matins à 6H00, il lui restait donc une heure en cette belle matinée de juin.
Devant la terrasse de l'aile nord se tenait le capitaine, en fonction depuis un mois, Isac Liorne, comme à son habitude.
C'était un soldat, un homme peu rompu aux usages de la cour, mais qui était derrière son masque de rudesse un grand homme. Shalkia l'aimait beaucoup.
- Alors, capitaine, les nouvelles ?
Liorne se gratta la barbe, signe qu'il était épuisé.
- Rien, pas une agression cette nuit, il y a juste eu un vol de pain signalé dans le quartier minier et un gosse de 12 ans en a pour un mois de prison avec sursis. Je vous le dis, où vas le monde ?
- Si jeune ! s'étonna Shalkia.
- La misère est un mal aux multiples têtes, vous lui en coupez une que deux têtes repoussent aussitôt ! cracha le soldat dans sa barbe.
- Tout ses jeunes s'en avenir.
- Je les aurais bien pris dans ma légion ma petite dame, mais une armée, ça coûte cher à entretenir.
- Du côté des marches du Sud ?
- Même pas un Hexagel à l'horizon, ça fait trop longtemps que j'en ai plus vu. A mon avis, ça cache quelque chose. C'est pas tout, ça me fait plaisir de discuter, mais faut que je fasse mon rapport.
- Je me fis à votre jugement, capitaine, au fait, comment va Illian ?
Le capitaine qui s'apprêtait à partir s'arrêta sourire aux lèvres.
- Moustique ? Il va bien, il finit de nettoyer les écuries et il ferre les chevaux depuis hier soir.
- Il faudra que je lui ramène quelque chose à boire et à manger, le petit doit être épuisé.
- Vous faîtes pas de souci, j'ai vu beaucoup de jeune gars des rues enrôlé dans l'armée qui s'effondrait à la fin, mais Illian, il est pas comme les autres, c'est qu'il est plus costaud qu'il n'y paraît le petit. Et il est pas débile non plus. S'il avait reçu de l'éducation comme les fils de la cour, il aurait pu étudier. Mais soldat, c'est mieux que voleur de bourse.
Le capitaine la laissa seul. Shalkia sortit et pris pied sur le promontoire d'où l'on pouvait admirer l'océan pacifique qui déversait un doux courant d'air chaud faisant léviter ses cheveux blonds.
Comme par magie, le soleil décida de se dévoiler à cet instant, colorant l'eau d'une teinte pourpre.
C'est cela qu'elle appréciait, les plaisirs simples de la vie qui vous libérez des contraintes quotidiennes. En ce moment, à l'abri des regards, elle se sentait elle-même.
Son regard portait loin à l'horizon. Elle savait comme tous les atlantes qu'au-delà de l'horizon, on trouvait le monde des non-pokemons. Elle aurait été curieuse de voir à quoi ressemblaient ces hommes.
Ils devaient certainement se sentir parfois seuls.
Privilège de fréquenter la crème de la société, Shalkia était souvent en contact avec des pokemons. Elle appréciait autant leur compagnie que celle des hommes.
Elle avait essayé de glisser discrètement à l'oreille de la Reine que les quartiers défavorisés bénéficieraient de la proximité avec ses êtres des temps reculés, mais la Reine lui avait rétorqué que c'était une main-d'œuvre précieuse et que leur tâche étaient uniquement d'assurer la sécurité du royaume.
Les enfants de mineur ne voyaient des pokemons que pendant la fête nationale, qui commémorait la destruction de l'empire il y a 40 000 ans.
La Reine demeurait populaire, malgré sa politique économique peu fructueuse, le développement piétinait, les quartiers populaires grossissaient par le flux massif d'immigration. Elle était divinisée par le peuple, légitimée par le sang de la première reine élue qui coulait dans ses veines. Personne n'oserait la contredire publiquement.
Lorsque la reine pénétra dans la salle des audiences à 8 H 00 précise, la cohue se tut comme si elle avait été frappée d'un sortilège de mutisme. Elle s'assit pleine de majesté sur son fauteuil de marbre et fit signe de faire entrer les premiers plaignants.
Le litige était très sérieux. Le paysan portait plainte contre le Démolosse de son voisin, qui avait ravagé sa basse-cour, lui coûtant toutes ses poules.
La reine se concerta un instant avec ses conseillers.
- Dis-moi, dresseur, est-ce toi qui as dompté ce démolosse ? l'interrogea-t-elle en désignant le chien aux cornes de Cerbère qui se tenait apeuré à ses pieds.
- Non, bégaya l'homme mal à l'aise, Flafi était à mon grand-père, d'habitude, c'est un gentil pokemon, mais ça faisait une semaine qu'il n'avait rien eu à manger, nous ne sommes pas riche, son instinct a repris le dessus.
- C'est une bête féroce, répliqua le paysan, il avait déjà une fois ravagé le poulailler il y a quelques mois, les pertes ont été énormes.
- Cet individu vous a-t-il remboursé les dégâts ? intervint un conseiller.
- Non, j'exige que réparation soit faite.
- Demande retenue, accepta la Reine, Juge Auffrac, la loi 3809 du code des pokemons a été bafouée.
- Tout a fait, admit l'homme en toge noir qui ressemblait à s'y méprendre à un corbeau, le pokemon a sans aucun doute récidivé et preuve en est que son dresseur n'est plus en mesure de le maîtriser. En conséquence, il devra selon ladite loi effectuer une peine d'intérêt général d'un mois qui pourra être commutée en peine avec sursis. Un casier sera ouvert en son nom. Votre brevet d'aptitude de dompteur de pokemon vous sera retiré et rendu le cas échéant après réparation à celui ici présent qui a subi préjudice.
- Et Flafi ? S'inquiéta le dresseur.
- Il sera exécuté dans l'arène aux prochains jeux.
Le verdict du juge terrassa le dresseur.
- Pitié, supplia-t-il, Flafi est un gentil pokemon.
- La loi est sans appel, acheva le juge.
- Que le pokemon soit retiré à son dresseur, ordonna la Reine selon le protocole officiel. Aldabor Rabe, vous êtes destitué de votre brevet de dresseur et la sentence promulguée précédemment sera appliquée à la lettre.
Le chien fut retiré à la garde du dresseur et conduit vers les donjons.
- Le prochain plaignant, appela le juge Auffrac de sa voix de ténor.
Une dizaine de garde firent leur entrée, conduits par le capitaine Liorne en personne qui s'inclina, imités par ses hommes ;
- Capitaine, que signifie ceci ? s'étonna le juge d'un regard noir.
- Désolé de vous interrompre, mais on a capturé un Carchacrok sauvage près des marécages. Il pouvait représenter une menace pour la population, je me suis dit que je ferais bien de vous l'amenez ici.
- Vous avez bien fait capitaine Liorne, le gratifia la Reine, notre hôte est-il maîtrisé ?
- On lui a administré une bonne dose de spore.
- Il pourrait servira dans les prochains jeux, proposa le juge. Qu'en dîtes-vous, Illvar.
Le maître de l'arène sortit des rangs des conseillers et s'inclina.
- Je suis honoré des deux dons que vous me faîtes en ce jour, je suis sûr que le peuple appréciera.
- Penses-tu être capable de dompter un Carchacrok sauvage ? le pressa la Reine, le regard avide.
- Sauf votre respect ma dame, aucun pokemon ne m'a résisté jusqu'à aujourd'hui.
- Très bien, voilà qui est conclut, vous et vos hommes pouvez disposés Capitaine.
Le soir la nouvelle s'était répandu dans toute la citée qu'un Carchacrok avait été capturé.
Toutes les 10 000 places de l'arène avaient été réservées.
Ce soir, dans la salle des officiers, le capitaine était au centre de l'attention.
- Comment tu l'as capturé, Liorne ? lui demanda avidement son commandant.
- Un coup de chance, il s'était pris dans un de nos pièges.
- Pas très malignes ses bestioles, ricana son commandant. Dommage qu'il soit déjà adulte, j'aurais bien eu besoin d'un Carmache dans mon régiment. Mon dernier Carchacrok est mort il y a 2 ans dans un blizzard dans une campagne contre des hexagels.
- Oui, m'en souviens, se remémora Liorne, c'est quand j'étais encore caporal dans ma petite bourgade près du lac des Echappées. C'est un des paysans je crois qui avait retrouvé le corps du Carchacrok.
- Ah voilà la fraîcheur qui arrive.
Les serveuses apportait enfin leur dîner, soupe aux lentilles, rien d'extraordinaire ce soir.
Parmi leur allé-venu, Liorne mit quelques temps à trouver Shalkia.
- Alors, lui demanda-t-elle discrètement. C'est vrai ce qu'on raconte.
- Ouais, Liorne a coincé un Carchacrok, j'ai hâte de voir ça pendant les jeux, se réjouit le commandant.
- Je ne parlais pas de ça, le réduisit Shalkia au silence, le Délolosse va être exécuté.
- Non, je ne crois pas, d'habitude, on le fait participer aux jeux, l'informa Liorne.
- Mais qu'il est con l'autre, le nargua son commandant, à la fin, ça finit toujours pareille. J'ai parié 200 noirgrumes que ce serait Carchacrok qui en finirait avec le chien.
- Mais où sont-ils en ce moment ?
La curiosité de la serveuse n'échappa pas au commandant.
- Top secret, ma petite dame, mais pour tes jolis yeux, je peux te le révéler, le chien est dans le donjon et il est enragé. On a essayé avec Liorne et Illvar de le nourrir mais il ne laisse personne s'approcher. Il n'arrête pas de glapir. Je pense que si on n'arrive pas à lui faire avaler quelque chose avant les jeux, il se fera écrasé dès les premiers combats.
- Pauvre bête, se désola Liorne, petit dans ma tanière, on avait un Démolosse qui appartenait à feu mon grand-oncle.
- Allons, c'est qu'un Démolosse quoi, le secoua son commandant.
- Un démolosse peut devenir très puissant s'il méga-évolue, le contredit Shalkia.
- T'en sait des choses petites souris, s'étonna Liorne. Mais vu que toutes les gemmes de méga-évolutions sont dans le trésor d'la Reine, le clebs n'aura aucune chance contre un type dragon sol.
Son service achevée à 17H00, Shalkia se rendit dans les écuries pour y retrouver Illian.
Elle-même n'avait pas eu d'enfants, elle considérait le gamin comme son petit protégé.
A l'intérieur, elle ne le trouva pas dans la première étable, elle se mit donc à scruter les environs.
Une forme surgit alors d'un tas de paille et elle se retrouva par terre, le gamin debout riant d'une voix claire, mi-enfant, mi-adolescent.
- Illian, le gronda-t-elle, tu m'as fichu une de ses trouilles.
- Désolé Sha, je t'ai vu entrer par la fenêtre, c'était trop tentant.
- Par Arcéus, tu es couvert de sueur tu dois être épuisé. Viens mon garçon, je t'ai apporté du pain, de l'eau et du chocolat.
- J'ai sué parce que j'étais impatient de pouvoir te ficher la trouille ! affirma le garçon la voix enrouée.
- Tu dis n'importe quoi, en plus, t'es tout sale.
Elle sortit un pan de linge blanc d'une dame de la cour et lui essuya son visage.
Celui-ci rougit un peu mais se reprit vite.
- Mais c'est pas le linge d'une Nobliote ? la transperça-t-il .
- Eh bien, la dame devra attendre que je lui lave une nouvelle fois son linge, de toute façon elle en a des dizaines comme ça, soupira Shalkia.
- Sha avoir des problèmes ! chantonna-t-il gaiement.
- Petit farceur, dis-moi, j'espère que tu as repos demain.
- Ouais, j'ai même vacance jusqu'aux prochains jeux, dit-il le ton amère.
- Tu n'es pas content d'avoir des vacances ?
- J'aime pas entendre le cri des pokemons qui meurt, avoua-t-il. Dis-moi qui ça va être cette fois.
- D'après les rumeurs un Carchacrok et un démolosse.
Le garçon trembla comme une feuille. Shalkia aurait voulu le prendre dans ses bras pour le consoler.
Elle savait ce qui le tourmentait. Illian était chargé de nourrir les pokemons du donjon. L'imaginer seul au fond du donjon dans l'obscurité et l'humidité en train de nourrir des pokemons terrifiants lui fit froid dans le dos.
- Bon, si c'est un Démolosse enragé, peut-être qu'on le tuera avant demain, espéra-t-il.
- Illian, ne dis plus jamais ça. Si ce pokemon est méchant, ce n'est pas de sa faute.
- Mais je préfère ne pas finir comme repas.
- Un pokemon sait faire la différence entre un poulet et un homme. Ce pokemon n'a rien fait de mal. Il a juste manger chez un voisin et il le paye très cher. Il a été séparé de son dresseur, il doit se sentir seul dans sa cage. J'ai entendu dire qu'il ne mangeait plus rien. Pauvre bête, elle est condamnée à périr dans l'arène.
- S'il a pas faim alors tout va bien ! se réjouit le garçon en reprenant des couleurs.
- Illian, viens approche-toi, j'ai quelque chose à te dire – elle se mit à sa hauteur- le chien a une chance de s'en sortir, s'il est vainqueur trois fois à la suite, il sera peut-être intégré dans l'armée si un maître veut de lui. Mais, faible comme il est, on ne peut rien faire.
- J'aimerais un jour devenir dresseur dans l'armée ! rougit le garçon, je m'y connais en pokemon, j'entends toujours quand les grands ils en parlent et petit dans la rue, j'avais un Rattatac comme ami.
- Ah bon, s'étonna Shalkia. Je suis sûr alors que tu deviendras dresseur, s'amusa Shalkia en lui ébouriffant ses cheveux châtains.
- Je pense pas, Sha, avoua l'enfant honteusement, j'ai pas assez d'argent et j'ai jamais été à l'école.
- La chance, Bonhomme ne tombe pas du ciel, il faut que tu ailles au bout de tes convictions et tu y arriveras.
- Waouh, cette phrase est vraiment de toi, elle est presque spirituelle.
- Allons, petit coquin, je te laisse finir ton travail et profite de tes vacances.
« Ca oui, je vais en profiter », songea Illian en regarder par la fenêtre.
Au loin se découpait le donjon du palais, tour grise et lugubre en comparaison avec la magnificence du château. Illian ne savait pas si son imagination lui jouait des tours mais il aurait juré avoir entendu l'espace d'un cours instant le hurlement d'un chien qui déchirait le calme apparent de la ville.