Chapitre unique : Convictions
Insouciance.
Joie.
Inquiétude.
Soupçon.
Angoisse.
Colère.
Douleur.
Peine.
Frustration.
Attente.
Souffrance.
Rien.
…
Rien.
…Plus rien.
Rien…
…
« Où… suis-je ? »
…
« Qu'est-ce que… je fais ici ? »
…
Ce furent les premières pensées que je prononçais à voix haute alors que je me réveillais. Je ne comprenais rien à ce qu'il se passait. Le décor qui m'entourait n'avait aucun sens ; aucune couleur, aucune consistance, aucune forme ne pouvaient le qualifier. C'était à la fois le Néant et le Tout. Une sorte de thébaïde, une dimension de mon esprit.
Ma tête était posée sur mes deux pattes avant, comme si je m'étais simplement endormi dessus, ou qu'on m'avait déposé ici avec délicatesse. Ma corne n'arrivait plus à sentir quoi que ce soit. Peut-être n'y avait-il rien à sentir ? Alors que je me relevais doucement, mon ombre s'allongeait de tous les côtés autour de moi. C'était étrange : où que je regardais, elle semblait également me fixer, mais son expression différait. Comme plusieurs aspects flous de ma propre personnalité, se mêlant les uns aux autres sans réellement se décider de la figure à afficher.
Je relevais la tête. Cette aveuglante obscurité qui m'entourait me déconcertait, tout comme l'absence du bruit de mes griffes sur le sol alors que j'effectuais mon premier pas, mais je ne ressentais pourtant aucune crainte. Seulement de la confusion.
Marchant alors lentement dans une direction approximative, le regard balayant cet univers qui m'entourait et qui se complexifiait au fur et à mesure de mon avancée, je tentais de rassembler tant bien que mal mes souvenirs. Soudain, une voix résonna avec douceur derrière moi :
-Es-tu certain que tu as fait le bon choix ?
Je me retournais, pour ne voir que mon propre reflet apparaissant sur un miroir dont il me fut impossible de distinguer les bords. Je me rapprochais alors de cet Absol à la figure pensive jusqu'à frôler son museau et plonger mes yeux dans les siens. On aurait dit que ceux-ci me sondaient et lisaient en mon âme comme si ce fut un livre. J'inclinais la tête sur le côté, et il en fit de même. Mais, sans que je ne fasse quoi que ce soit d'autre, il ouvrit alors la bouche et reprit :
-Penses-tu que ce nouveau choix était le bon ?
Malgré le calme avec lequel ce reflet prononça ces mots, je ne pus m'empêcher de faire un bond en arrière et de montrer les crocs.
C'est alors que je Le vis. Il se tenait derrière cette pâle figure à mon image, alors que celle-ci se fondait peu à peu en Lui. Il ne ressemblait pas aux représentations que j'avais pu voir par le passé et qui refaisaient à l'instant surface dans ma mémoire. Il apparaissant ici à l'image de ce monde, telle une entité indescriptible, et néanmoins je Le reconnus immédiatement. Inconsciemment, je pliais une patte et me penchais en avant devant Lui, baissant la tête.
-Allons, allons, point n'est besoin d'en faire autant, fit la voix pleine de sagesse d'Arceus. Désires-tu que je répète ma question ?
Devant l'air incrédule que je devais Lui présenter alors que je posais finalement mes yeux sur Lui, Il me posa une fois encore, dans Sa grande patience, cette même question :
-Es-tu certain d'avoir fait le bon choix ?
J'arrivais enfin alors enfin à ouvrir la bouche et demandais timidement, en guise de réponse :
-Quel choix ?
-La direction… Celle dans laquelle tu as commencé à placer tes pas.
-Je… ne sais pas, m'étonnais-je devant Sa réponse. C'est seulement celle vers laquelle j'étais tourné alors que je me suis réveillé.
-Et ne t'est-il pas venu à l'esprit d'en changer, mis à part quand Je t'ai fait faire demi-tour ? Ne t'es-tu pas demandé ce qu'il aurait pu se passer si tu étais parti vers un autre endroit ?
-N… Non, balbutiais-je comme si je me sentais fautif.
-Ou plutôt : pourquoi avoir choisi même de te lever et d'avancer ? Ne penses-tu pas qu'il aurait pu être plus sage de rester immobile et d'attendre que quelque chose ne vienne à toi ? C'est pourtant une décision qui ne M'aurait pas surprise venant de toi…
Ses questions me perdaient, mon esprit était encore plus embrouillé qu'auparavant ; quel intérêt pouvait-il y avoir derrière ces interrogations ?
-Je… Excusez-moi de Vous interrompre ainsi, mais… Que cherchez-Vous exactement à me faire comprendre ?
J'eus l'impression que, derrière ce visage impassible que je Lui devinais, il prenait une profonde inspiration, comme s'Il se préparait à d'importantes révélations.
-Je désirais te faire ouvrir les yeux sur ces choix que tu as pu faire dans ta vie, reprit-Il dans un souffle.
-Dans ma v…
Les mots s'étranglaient dans ma gorge.
-Vous voulez dire que je suis… ?
Il ne dit d'abord rien, me laissant le temps d'apaiser tous ces mots qui se bousculaient dans ma tête. –Est-ce réellement une surprise ?, se contenta-t-Il de me répondre. C'est toi qui as fait le choix d'être ici.
Je vacillais et je haletais sous le poids de Ses mots. Comment ? Qu'avais-je bien pu faire dans cette vie pour que je sois ainsi…
-Laisse-Moi rafraîchir ta mémoire, continua-t-Il comme s'Il avait lu dans mes pensées. Tu vivais dans ces montagnes enneigées…
Alors qu'Il commençait à parler, Arceus fit un pas vers moi, et le monde se distordit lorsque ce qui devait être Son front vint se poser sur la pointe de ma corne.
***
C'est vrai. Je me souvenais maintenant.
J'étais né dans un monde froid et hostile, où la neige recouvrait tout et où le Printemps ne durait que peu de temps. Je n'ai que très peu connu mes parents, et même maintenant je n'en garde qu'une vague image. Alors que j'étais encore jeune, une nouvelle famille vint s'installer près de chez moi. Parmi eux se trouvait une jeune Évoli qui évolua rapidement en Givrali afin de s'adapter à ce rude climat dans lequel nous vivions. Désireux de briser cette solitude qui m'avait longtemps enveloppé, je m'étais peu à peu rapproché d'elle. J'appréciais ces moments passés à ses côtés, qui me faisaient goûter à une affection que je n'avais jamais pu découvrir auparavant. Mes sentiments pour elle se développaient de jour en jour…
Mais rapidement, un rival vint faire son apparition. C'était un Arcanin de passage dans la région, arrivant du pays du Soleil, et qui prit sa décision de rester ici lorsqu'il succomba au charme de mon amie. Je découvris alors que je pouvais ressentir cet empoisonnant sentiment qu'était la jalousie dès qu'elle s'approchait de ce mâle qui, je dois bien l'avouer, dégageait une réelle aura de grâce et de prestige. Et, de la même manière, il m'enviait chaque fois que je passais du temps aux côtés de ma belle. La situation devint rapidement intenable entre nous, et la décision fut prise qu'elle reviendrait à celui d'entre nous qui sortirait vainqueur d'un combat. Ce dernier fut intense, mais je le remportai finalement après plusieurs heures de conflit acharné. Ma douce Givrali était désormais mienne, et rien ne semblait pouvoir troubler cette paix dans laquelle nous vivions désormais.
C'est alors qu'il vint. Cet Humain. Il combattit d'abord l'Arcanin, qu'il fit finalement disparaître à l'aide d'une boule colorée, mais c'était à ma bien-aimée qu'il en voulait, et ne voulais pas qu'elle subisse le même sort. D'autres Pokémon se trouvaient à ses côtés et semblaient également apparaître et disparaître selon son bon vouloir. Je m'interposais alors pour la protéger, les combattant un à un de toutes mes forces. Mais malgré mes efforts, ils eurent finalement raison de moi, et je la vis une dernière fois, endormie et sans défense, s'effacer de ce monde alors que l'une de ces boules mystérieuses s'abattait sur elle. Rassemblant le peu d'énergie qu'il me restait, je rejetais moi-même ces objets sphériques qu'il me lançait les uns après les autres dessus, refusant de me soumettre et convaincu de me battre jusqu'à ce qu'il me la rendit. Mais il n'en fit rien ; lassé, il arrêta de me jeter ces boules, et me laissa ainsi, effondré dans la neige. J'eus quelques temps de répit avant qu'il ne reparaisse rapidement. Ses Pokémon ne m'attaquèrent pas comme la dernière fois, mais je grognais toujours à son approche, alors que je le voyais tenir d'étranges objets. Je voulais simplement qu'il me rende celle que j'aimais, pas qu'il vienne me torturer de sa déplaisante présence. Une fois, il déposa quelques baies dans la neige, mais je me refusais à ne serait-ce que les regarder, flairant un probable piège. Le temps passait, du givre se formait dans mes poils blancs, et je ne bougeais toujours pas. J'attendais. J'attendais…
***
Je repris alors conscience aux pattes d'Arceus. Celui-ci fixait vers mois Ses yeux divins et semblait attendre une réaction de ma part.
-Vous savez ce qu'il est advenu d'elle ?, me contentais-je de lui demander.
Il ne répondit d'abord rien. C'est lorsqu'Il posa une fois encore sa question que je sentis que j'avais dû Le décevoir :
-Es-tu satisfait des choix que tu as faits ? Penses-tu avoir mené pleinement la vie que tu aurais méritée ?
Sa voix forte mais calme résonnait dans ma tête.
-Je… Je suppose que oui, dis-je faiblement. Je me suis battu pour ce en quoi je croyais tout du long de mon existence, j'ai tout fait pour vivre heureux auprès de celle que j'aimais et pour qu'elle m'aime en retour…
-Et c'est bien là ton erreur, m'interrompit-Il.
Je ne comprenais pas ce qu'Il voulait dire, et ressentais quelques inquiétudes quant à la suite. Il poursuivit :
-Tes convictions n'étaient pas réelles. Ce pour quoi tu t'es battu, c'est ce que tu t'es créé. Tu t'es toi-même aveuglé sur le sens de ta vie.
-Vous… Vous croyez ?, demandais-je, sceptique.
-C'est à toi de croire en Moi, rétorqua-t-il. Je suis ici pour que ton âme trouve le repos qu'elle mérite. Tu n'as vu uniquement ce que tu voulais voir. Ta vie a tourné autour de ton amour pour cette Givrali. Mais elle ne t'a jamais aimé en retour.
Mon esprit subit à nouveau un choc. Ces paroles me paraissaient si irréelles, impossibles à croire. A l'instant même, Arceus venait de réduire à néant la vision que j'avais eue de la totalité ma vie. Ce n'était pas possible, Il ne pouvait pas se tromper. Et pourtant, je refusais d'y croire.
-Mais, dis-je finalement, comment est-ce possible ? J'ai toujours fait tout ce que je pouvais pour elle ! Je ne lui ai jamais rien refusé, même dans les périodes les plus rudes ! J'étais plein de bonnes intentions à son égard !
-Oui, et cela elle l'avait remarqué. Ce n'est pas un tort en soi, seulement c'est là que se trouvait ton premier défaut ; dès qu'il était clair pour elle que tu serais toujours là pour combler ses attentes, elle a commencé à se servir de toi. Et cela, par amour pour elle, tu as refusé de l'accepter. Alors que tu aurais pu la laisser tomber et éventuellement t'intéresser à d'autres femelles des alentours, tu as continué à écouter ses demandes et à les exaucer servilement, parfois même au péril de ta propre vie.
J'accusais le choc. Je repensais à tout ce que j'avais pu faire pour elle, à ces moments passés ensembles, à son sourire alors qu'elle me remerciait…
-Foutaises que tout cela, lâcha posément Sa forte voix. Elle te manipulait totalement et savait pertinemment que tu saurais te contenter de bien peu de choses. Elle n'a jamais été réellement sincère envers toi.
-Je… J'ai pourtant gagné ce fameux combat pour elle ! N'était-ce pas une preuve suffisante pour qu'elle reste à mes côtés ?
Je sentis deux yeux se poser sur moi et me dévisager longuement.
-C'est encore là une preuve que tu te mens à toi-même. C'est toi qui avais demandé ce combat car tu savais que son cœur commençait à pencher pour cet Arcanin. Tu savais également que tu étais plus fort que lui. Ce n'était qu'un prétexte pour te rassurer toi-même. Et une mauvaise idée, qui plus est. Crois-tu vraiment qu'un conflit est ce qui permet le mieux aux émotions de s'épanouir ?
A ces mots, je baissais encore plus la tête et croisait le regard de l'une de mes ombres. Celle-ci semblait se moquer de moi.
-Les sentiments féminins demeurent un mystère, même pour Moi, reprit-Il alors qu'il levait la tête vers ce qui devait être le ciel. Cependant, je pense pouvoir t'éclairer quelques peu sur les siens à l'issue de ce combat : en vérité, tu ne t'es révélé en rien plus séduisant pour elle. Féroces et violents comme vous l'étiez, tu l'as sans doute même plus effrayée. Et pour tout te dire, c'est ton adversaire qui a pu finalement en tirer parti. Il était clair pour tout le monde que ta force était supérieure à la sienne, et pourtant il s'est lancé dans ce combat perdu d'avance et a résisté plus longtemps que n'importe qui aurait pu le penser. Et cela, pour elle aussi. Cette Givrali l'a senti et, à défaut de grandir pour toi, ses sentiments se sont développés pour cet Arcanin que tu as terrassé.
-Pourtant, hésitais-je et n'arrivant pas à accepter ce scénario, elle est bel et bien restée auprès de moi par la suite, non ?
-Une fois encore, elle se jouait de toi. Sitôt que tu avais le dos tourné, elle s'en allait rejoindre celui qu'elle aimait vraiment (Il s'interrompit brièvement en voyant que je serrais les dents à l'évocation de ces mots difficiles pour moi). Tu n'imagines pas le nombre de fois où ils se sont retrouvés à rire ensemble devant le résultat de tes efforts dont ils profitaient désormais tous les deux.
Des larmes commençaient à courir le long de mes joues. Tout cela n'avait-il donc été qu'une immense tromperie ? Ma vie s'était-elle ainsi résumée ? Sans conviction, je Lui demandais alors :
-Et au sujet de cet Humain ? Qu'a-t-elle pensé de mes efforts pour la défendre ?
-Tiens-tu réellement à le savoir ?
Sa question était significative. Néanmoins, entre deux sanglots, je trouvais le courage de murmurer un faible « oui ».
-Rien.
L'effet de surprise interrompit momentanément mes pleurs. Il poursuivit :
-Oui, rien. Pour tout te dire, elle en a déduit que tu restais malgré tout incapable de la protéger, et donc qu'elle n'avait aucun intérêt à rester avec toi.
Mes larmes reprirent de plus belle et ma voix tremblait :
-Mais cet Arcanin a lui-même été vaincu, non ?
-Oui, souffla-t-il, mais encore une fois, il eut la défaite heureuse. Il se trouve désormais auprès de ce même Humain qui l'a attrapé, et non pas simplement fait disparaître comme tu le penses. Et il en de même pour cette Givrali. En un mot comme en cent, d'un certain point de vue, tu as gagné et perdu aux moments où l'inverse t'aurait sans doute été plus profitable.
Je tombais au sol. Elle et lui. Pour toujours ensemble. Et moi, ici. A me demander encore pourquoi j'en étais arrivé là.
-Je te l'ai déjà dit, continua-t-Il alors qu'Il lisait à nouveau mes pensées. Je suis venu ici pour t'ouvrir les yeux. Et J'en arrive enfin au point que Je voulais évoquer. Tu as continué à te méfier de cet Humain longtemps après qu'il ait abandonné l'idée de t'attraper. Il n'était pas mauvais. A l'origine, il voulait que tu viennes avec lui, toi aussi, puis, quand il eut compris que tu t'y refusais de toute manière, il décida simplement d'essayer de te soigner afin que tu puisses survivre dans ton habitat hostile.
Je bondis alors sur mes pattes tandis que les larmes affluaient toujours plus et rugit :
-Comment aurais-je seulement pu l'accepter ! Il venait de me retirer ce que j'avais de plus précieux ! Si j'en avais encore eu la force, je lui aurais arraché la tête d'un coup de corne avant de trépasser !
-Ce n'est pas cela qui l'aurait faite revenir à toi. Et c'est bien ce que j'essaye de te faire comprendre. Regarde seulement : tu t'es laissé mourir pour une femelle qui n'a jamais voulu de toi. Tu avais encore de beaux et nombreux jours devant toi ! Un avenir radieux te tendait sans doute les bras ! Et au lieu de cela, tu as préféré les gâcher pour une Givrali qui ne te serait de toute manière pas revenue ! Moi qui suis celui qui t'avais accordé cette vie, crois-tu que Je n'allais pas réagir face à une erreur si lamentable !? Je ne peux Me permettre de laisser ainsi une âme dans un tel tourment…
Malgré l'intensité de Ses mots, Son ton restait étonnement doux. Cependant, je retournais à mes pleurs en enfouissait mon visage entre mes pattes.
-Je te laisse méditer sur cela, souffla-t-il. Oublie ces faux espoirs que tu avais fondés et ces rêves d'un avenir illusoire. Fais-Moi simplement savoir quand tu seras prêt.
Sur ces mots, Il disparut peu à peu, comme s'Il se fondait dans l'étrange décor qui m'entourait, me laissant recroquevillé et baignant dans mes pleurs.
***
Tout était si clair. Tout était si confus. Que devais-je croire ? Qu'avait donc valu ma vie ? Qu'allait-il en rester ? Avais-je donc tout raté ? Aurais-je une seconde chance ?
J'y repensais encore. Toutes ces preuves d'affection qu'elle m'avait données, n'étaient-elles donc que des artifices ? M'étais-je donc fourvoyé à ce point ? Ou y a-t-il des choses que j'ai bel et bien obscurcies, pensant me protéger ?
Je me refusais naturellement à cette idée d'avoir gâché ma vie. J'avais fait tout mon possible pour ce que je pensais juste. C'était par conséquent une vie bien remplie, non ? Arceus ou non, pouvait-il décider à ma place de ce qui était réellement juste ? Comment pouvais-je désormais refouler des sentiments si profondément ancré en mon cœur ?
Trop de questions me traversaient l'esprit sans qu'une réponse ne vienne en contredire une autre. Autour de moi, mes ombres riaient de mon désarroi dans des éclats de voix qui me hérissaient le poil. J'allais bientôt devenir fou. Une petite voix venait me souffler à l'oreille que je n'avais qu'à tout accepter, que je devais souffrir une ultime fois pour trouver définitivement le repos, mais tout le reste de mon esprit luttait contre elle et me criait que je ne pouvais pas abandonner ce que je croyais, que la Givrali m'avait toujours aimé comme je l'avais pensé, que tout cela n'était qu'un mauvais rêve.
Les ombres s'approchaient et s'éloignaient dans une danse disgracieuse. Certaines s'amusaient à reproduire les efforts que j'avais fournis pour celle que j'aimais tant, avant de toujours me faire chuter d'une manière ou d'une autre devant elle. Elle qui se tournait alors vers moi. Elle s'approchait petit à petit, jusqu'à n'être qu'à un pas. Tandis que je m'avançais alors à mon tour, elle frottait ses joues sur les miennes, avant de poser sa tête contre mon cou. Je ne pouvais pas oublier cette sensation qu'elle m'avait si souvent faite ressentir auparavant et à laquelle je croyais tant. Puis j'entendis un petit son au niveau de mon oreille. Un petit gloussement. Qui se mua bientôt en un petit rire, lui-même devenant de plus en plus fort jusqu'à devenir de véritables hurlement. Elle se recula soudain le temps de plonger son regard dément dans le mien, tandis qu'elle riait toujours, puis se jeta sur moi et planta ses crocs dans ma gorge. Toutes les ombres se jetèrent ensuite sur moi et en firent de même, me déchiquetant sans vergogne.
Le monde tournait. Du sang translucide me recouvrait les yeux. De la neige tombait et brûlait mes plaies.
…
Est-ce que je pouvais bien continuer à penser de la sorte ?
…
Pourquoi continuer ainsi à s'accrocher ?
…
L'amour doit-il toujours être aussi douloureux ?
…
Alors pourquoi l'épargner ?
***
Je me relève doucement. Les ombres continuent à me dévorer. Je prends alors la direction que j'avais commencée à emprunter à mon arrivée dans ce lieu étrange. Tandis que mon âme continue à s'éloigner d'eux, mes sombres reflets continuent à s'extasier sur ce que j'étais, déchirant sans peine cet esprit malade et moelleux qui fut le mien.
Je ne me retourne pas. Je pose une patte devant l'autre. Bientôt, je n'entends plus ces bruits semblables à de la guimauve que l'on déchire dans de sombres giclées roses et rouges.
Je me sens peu à peu fondre dans ce mystérieux décor. Ce n'est pas désagréable. Cela m'appaise.
Mais peu importe…
…
… tant que je vais de l'avant.