La mélodie
Sous le choc, j'avançais hors de cet endroit inondé. Après avoir monté de petits escaliers j'arrivais à la surface. J'étais en réalité juste à côté de la plage. Je descendais la falaise et arrivais sur l'estran. Je marchais sans savoir où aller, certes l'homme qui vivait là était mort mais cette île était sûrement pleine d'autres menaces, je continuais ma route contemplant au passage ce paysage chaotique, j'ai décidé d'aller voir dans le fortin que j'avais vu depuis le dos de lokhlass dans l'espoir d'y trouver un abri. Le bunker était inaccessible depuis la côte, j'ai donc dû contourner par les dunes, marchant sur un chemin entre les oyats, puis je suis arrivé devant la porte d'entrée du bunker
. La porte était assez haute et débouchait sur un poste de garde avec deux affûts où étaient encore placés deux vieilles mitrailleuses MG-42 rouillés. Je passais entre ces monstres morts et arrivais dans une salle bien trop sombre pour y voir quoi que ce soit. Je n'osais pas aller voir dans les ténèbres de ce bunker, il m'aurait fallu du feu mais mon briquet était noyé depuis bien longtemps. Certes j'étais armé mais sans lumière hors de question de m'aventurer là-dedans. Tiens, à propos d'arme, je me saisis d'une pierre qui traînait là et fit sauter l'ardillon de ma flèche, disposant ainsi d'une arme réutilisable facilement. Mais j'avais faim, très faim, il fallait que je mange.
Je suis donc partis en quête de nourriture et accessoirement d'un briquet. L'estran semblait être un bon endroit pour ça, tout s'y trouvait, je suis ainsi passé devant des bouées, des instruments de navigation, des ancres mais aucun briquet en état de marche. Dans un zodiac j'ai pu trouver une lampe de plongée qui marchait encore, c'était déjà ça pour éclairer mon fortin, mais pour combien de temps? Je l'ai attaché sous mon arme avec des cordes trouvées par terre. Pour la nourriture je me suis contenté de quelques berniques ramassées sur les cailloux. J'en ai mangé jusqu'à plus faim puis je suis rentré au blockhaus.
Je me suis aventuré dans les ténèbres, mais avec mon bricolage je n'avais pas besoin de tenir le fusil dans une main et la lampe dans l'autre. Dans cet endroit désolé il y avait des gravats, des flaques d'eau... et des corps: des soldats Allemands. Ils étaient presque entièrement décomposés et dégageaient une odeur épouvantable. J'ai tenté de voir s'il y avait des armes utilisables mais elles étaient toutes rouillées ou enrayées. J'ai continué dans une autre salle et y ai découvert des tables et des lits superposés ainsi que des cadavres allemands. Une feuille attira mon attention sur l'un des lits: il y avait une date et un long texte, une page de journal intime en Allemand, Valentin savait parler et lire l'Allemand, il aurait pu me la déchiffrer, mais il était mort, je lâchais de grosses larmes à cette idée puis repris mon expédition.
Je voulais comprendre ce qui s'était passé ici, pourquoi ces soldats n'avaient-ils pas étés rapatriés pour être inhumés? Pourquoi toutes ces épaves? Sur les parois du bunker, il y avait des traces de mains et d'effrayants dessins faits à la craie: des nuées de nosferaptis, un gueriaigle tenant une croix gammée entre ses serres, des inscriptions en allemand mais aussi des dessins qui semblaient plus récents dont l'un représentait un cargo coupé en deux avec à côté trente-cinq bonshommes en bâton dont vingt deux étaient barrés d'un trait, pas besoin d'être un génie pour en comprendre la signification. Il y avait donc des survivants autres que moi et ce psychopathe récemment tué? Si oui quelles sont leurs intentions? Je l'ignore mais je préfère les éviter s'ils sont comme leur taré de pote. Parmi les autres graffitis beaucoup de ceux postérieurs à la guerre étaient en Français ou en Anglais, il y avait entre autres :"falling down","death embrace","Je t'aime ma chérie","Why?","craignez les griffes noires""the sun is rising". Cette île avait pris et brisé tant de vies.Tous ces messages laissaient transparaitre de la souffrance et de la folie. Je trouvais ensuite dans le blockhaus de simples reliques sans intérêt: plaques d'identifications, balles rouillées, restes de nourritures, cornes de cerfrousses, cahiers de dessins remplis d'horreurs.
Lassé par toutes ces choses témoignant d'un passé et d'un présent horribles je décidais d'aller dormir. J'installai le matelas d'un des lits Allemands à l'entrée et m'apprêtais à me coucher quand j'entendis une faible mélodie. inquiet mais curieux je me saisis de mon fusil pour aller voir cela. Je sortais de mon fortin m'enfonçant dans la nuit pour identifier la source de cette musique. Elle me conduit du long de la dune à un sentier côtier dans une forêt de feuillus. j'entendis un bruit, je fis volte-face, heureusement je ne vis qu'un cerfrousse en train de brouter. La source de la musique était de plus en plus proche, c'était une voix des années 1940-1950 à donner froid dans le dos avec une instru très angoissante.
Elle me conduit à d'anciennes tranchées qui donnaient sur un petit bunker. Il était éclairé par des lampes à pétrole, j'avais vraiment peur mais j'avançais poussé par la curiosité. Il y avait une entrée qui donnait sur deux couloirs: le premier allait vers la falaise et donnait sur la plage où il s'était d'ailleurs effondré. Le second lui m'intéressait déjà plus car c'est de lui qu'émanait cette musique. Il donnait sur une petite salle ou se trouvait une peau de cerfrousse ainsi que de la viande, le sol était jonché de bouteilles d'alcool et surtout une table où se trouvait la source de cette musique, un vieux gramophone qui tournait. Un terrible pressentiment me saisis, je me retournai et vit deux silhouettes.Ces deux personnes venaient d'entrer dans le bunker. Je savais que je n'avais quasiment aucune chance, je décidai donc de leur laisser un sale souvenir de moi. Fusil prêt à tirer je vis le premier. J'allais presser la gâchette quand je reconnus mon ami Valentin suivi par Élouan.
- Valentin? Elouan? Vous avez survécu? Oh, merci! Mais comment? Cet endroit est à des kilomètres du lieu de notre naufrage.
- Je n'en sais pas plus que toi on s'est accroché à une planche qui flottait, on a bien crû que c'était là fin puis on a aperçu cette île, on a rassemblé toutes nos forces pour l'atteindre et on y est arrivé. On a tout de suite vu que cet endroit est louche, toutes ces épaves et ces dessins, on était en train de dormir quand on a entendu cette musique- m'expliqua Valentin, me rappelant le fait que cette horrible musique tournait encore- et toi comment tu à atterri ici?
- Moi? Eh ben, c'est vraiment n'importe quoi. Je m'étais accroché à une épave comme vous et j'ai été sauvé par un lokhlass...
- Un lokhlass?
- Ouais, je lui ai demandé de me ramener à terre et il m'a ramené ici. Il m'a sauvé des eaux mais je pense que l'on était plus en sécurité dans cette tempête qu'ici.
- Tu as vu des gens?
- Ouais, une espèce de taré qui vivait dans une grotte littorale, Il m'a séquestré le dedans et à voir celui qui était passé avant moi il me voulait pas du bien. J'ai dû le tuer, c'était horrible.
- Ouais, ça a dû être une sacrée épreuve. T'en a vu d'autres?
- Non personne rien que des cadavres et des dessins, je déteste cet endroit.
- Moi aussi, j'espère qu'on s'en sortira.
- Je pense que non -répondit une voix derrière nous.
Un homme se tenait là derrière nous un fusil d'assaut à la main. Il était habillé avec un treillis, avait un holster contenant un pistolet à sa cuisse, un laporeille mort encore saignant accroché à sa ceinture, des grosses rangers avec une coque en acier de 2 cm d'épaisseur à ses pieds. Il nous tenait en respect avec son arme.
- Dites-moi mes petits messieurs ce qu'il y a ici vous intéresse? -nous lança-t-il cyniquement.
- Oui qui êtes vous? -demanda Élouan.
- Moi, je suis un naufragé comme vous et à vous entendre on voit que vous êtes nouveaux ici.
- Il y en a d'autres?
- Oui, nous sommes très nombreux ici, tu as vu toutes ces épaves sur la plage? Moi je viens du porte container, on était les premiers ici nous et notre maitre. Nous étions trente-cinq, seulement treizes ont survécu au naufrage et après sur l'île quatre ont étés tués il ne restait que moi le maitre et des membres de l'équipage.
- Ce maitre qui c'est? Et qui a tué vos amis?
- Désolé, vous en savez trop, maintenant préparez-vous à mourir.
Il pointa son AK-47 vers nous en ricanant quand soudain il fut mis à terre par un éclair blanc.