Premières gouttes de sang
Quand je me suis réveillé il pleuvait et ventait, de l'eau douce, enfin...
-Ah tu t'es réveillé . Vite il faut que tu boives tu est tout déshydraté.- me fit Élouan un peu choqué en me tendant un gobelet à café rempli d'eau de pluie, je bus à grandes gorgés.
- Ah m-m-merci Élouan, je n'ai jamais été aussi heureux de boire.
- Ben, il y a bien cette fois du temps qu'on était au collège où tu avais fait ce pari archi con de tenir un jour entier sans eau. Ta tronche sur le chemin du retour, tu n'arrêtais pas de me dire qu'en rentrant tu descendrais une bouteille.
- Ben là pour le coup crois-moi je pourrai t'en finir au moins trois.
- Ah, ah, ouais.
- Euh, mais dit moi ça se gâte dehors.- En effet à l'extérieur des vagues roulaient dans l'immensité grise de l'Atlantique nord.
- Ouais, mais ça va, ça n'a pas l'air trop violent pour le moment.
Pour le moment, effectivement ça allait, mais au bout de quelques minutes la gentille brise de force 2 devint une tempête de force 10.
- Oh merde ça ne va pas recommencer! -criai je- celle-ci est encore pire que la précédente.
Nous dérivâmes violemment sur des kilomètres, quand un courant surpuissant frappa la coque; sous la pression la planche que j'avais placée céda remplissant la cale d'eau. Nous tentions en vain de vider le bateau, mais les vagues étaient bien plus rapides pour le remplir. Au bout d'une demi-heure de lutte une grosse lame s'écrasa sur le navire, le brisant en morceaux, la Girelle avait vécu. Je m'accrochai à une planche flottante. Entraîné par le courant, je vis, impuissant, à la lueur d'un éclair Valentin et Élouan accrochés à une autre planche s'éloigner vers le large. J'ai dérivé longtemps et soudain j'aperçus une ombre gigantesque arriver vers moi; un lokhlass. Voyant que j'avais des difficultés il m'attrapa délicatement avec sa gueule et me posa sur son dos.
-Merci, tu m'as sauvé -dis-je, reconnaissant envers le pokémon- S'il te plaît ramène-moi sur la terre ferme.
Le lokhlass fit un signe de tête. Il avait compris. Il continua vers cette direction, au bout d'une navigation de deux heures j'aperçus à l'horizon une île. Elle était plutôt grande, délimitée par de grandes falaises de granite où se trouvaient, encastrés dans la roche des vieux bunkers de la seconde guerre mondiale, cet endroit faisait probablement partie du mur de l'Atlantique à l'époque. À première vue elle n'était pas habitée, il y avait principalement de la forêt au sommet, mais après ces grandes falaises un spectacle surréaliste m'attendait. Lokhlass avait tourné à l'angle d'une falaise et là je vis une immense plage de sable calcaire, sur ce sable il y avait un fouillis effrayant d'épaves diverses. À l'extrémité de l'estran rocheux où commençait la plage il y avait un gigantesque cargo porte container dont la coque rouge décolorée par l'eau de mer était éventrée laissant apparaître sa cale. Sur le sable il y avait de nombreux hérissons tchèques* et barges de débarquement ainsi que des embarcations légères du même genre que la Girelle entrainés par les tempêtes. À l'arrière il y avait des dunes où poussaient des oyats* et où était placé un gros fortin. Au milieu une immense épave attira mon attention: un méthanier*, Il avait une coque verte à moitié rouillée sur laquelle était marquée B.D.N Maximus, ce nom me frappa, je l'avais lu dans un journal il y a dix ans, ce navire était porté disparu en mer. Tout le monde pensait qu'il avait sombré, mais non il était échoué là. Une chose m'intrigua: un tuyau improvisé sortait de chacune des quatre cuves de gaz, parcourait la plage et disparaissait sous les oyats. J'oubliais vite ce détail à la vue d'une autre épave bien plus ancienne: un galion. Le trois-mâts en bois était échoué sur le sable, la coque recouverte de coquillages et de balanes était perforé de part en part, sur la plage il y avait aussi des balises et des bouées maritimes échouées et la plage se terminait sur un autre estran rocheux recouvert de petites épaves, je remarquais plusieurs bateaux de commerces et de pêche ainsi qu'un catamaran de plaisance.
Lokhlass me déposa près d'un rocher. Je le remerciai en lui donnant quelques coquillages trouvés sur le sable. Le sympathique pokémon broyait leur coquille et les mangeait en poussant des petits cris satisfaits. Après cela il s'en alla s'enfonçant dans les rochers. J'étais seul ici, qu'étaient devenus mes amis? Je ne le savais pas, mais je ne me faisais guère d'illusions, ils étaient sûrement morts noyés. Je marchais sur le sable désespéré m'aventurant prés des carcasses de bateaux. Je regardais mélancolique un krabby qui marchait sur le sable entre les algues, soudain je reçu un coup monumental à la tête et je tombai dans les pommes. À mon réveil j'étais dans une grotte située à l'intérieur de la falaise. En effet un creux s'ouvrait vers la mer. Par terre parmi d'autres débris chariés par les tempêtes j'en reconnut un: mon harpon. Je le saisis me disant que ce qui m'avait frappé et emmené là n'était peut-être pas loin. Le creux rocheux aurait pu être la sortie, mais à l'extérieur la houle était trop violente et j'avais eu ma dose de courant ces derniers temps. Je continuais donc vers le fond de la grotte, elle était incroyablement profonde et se résumait à de la roche couverte de balanes, au milieu il y avait un petit canal d'un mètre de profondeur à son milieu. Au bout d'un moment j'apperçus un rocher sur lequel était posé une masse sombre où un gros staross se tenait. Je m'approchai pour voir quelle était cette masse. Puis j'ai vu, horrifié j'ai reculé, ce staross était en train de se repaitre d'un tronc humain. À quel psychopathe avais-je affaire ?
Je ne voulais pas en savoir plus, je serrai mon harpon dans mes mains, prêt à tirer sachant que je n'avais qu'un tir, cette arme étant particulièrement dure a charger, je n'étais qu'a moitié rassuré. Et quand bien même je me débarrasserais de lui, tuer était quelque chose que je n'avais pas envie de connaître. Quelques pas après je trouvais les membres qui allaient avec le sinistre repas de ce staross. Dégoûté j'arrivais au bout du couloir qui débouchait sur une sorte de débarras remplis d'objet de toutes sortes sûrement récupérés lors de naufrages par ce qui habitait cette caverne.
Au fond il y avait de la lumière, la fin de ce cauchemar? je l'espérais, j'étais arrivé au milieu de la salle quand derrière moi j'entendis des clapotis d'eau, je me retournais immédiatement, un horrible bonhomme se tenait derrière moi armé d'un gros couteau militaire partiellement rouillé. Il avait une grande barbe crasseuse et des yeux déterminés, des yeux de fou, il avançait vers moi en me parlant, il me disait de le rejoindre, qu'il ne me voulait aucun mal (son couteau à la main). Je le tenais en respect avec mon arme, nous nous sommes regardés pendant de longues minutes, je suais, lui ne bougeait pas, il avait un regard déterminé et me fixait.
J'avais baissé ma garde une seconde après avoir entendu un plouf venant de derrière moi, il sauta à ma gorge sans me laisser réagir. il me maintenait la tête sous l'eau. Dans un ultime instinct de survie je lui lançais un coup de pied phénoménal dans l'estomac. Il tituba un peu et tenta à nouveau de m'attaquer en bondissant sur moi, mais pendant qu'il était étourdi j'avais récupéré mon harpon.
Ce qui va suivre je m'en rappellerais toute ma vie, j'ai visé, mes yeux se sont fermé et j'ai pressé la détente, j'ai entendu un hurlement déchirant, un gros plouf et puis plus un bruit. J'ai ouvert les yeux et j'ai cru que j'allais m'évanouir tant la scène qui s'offrait à moi était horrible. Mon agresseur était en train de flotter entre deux eaux, ma flèche plantée dans sa tête. J'ai d'abord tenté de la retirer, j'ai donc dû retourner le corps et là j'ai vu qu'elle était entrée par un oeil et était sortie de l'autre côté, comme les flèches de harpons sont accrochés à une corde je devais la sortir en finissant par la tête de la flèche. Je l'ai tirée doucement vers moi puis soudain elle s'est bloquée : l'ardillon* de la flèche m'empêchait de la retirer je l'ai remis en position fermée et en fermant les yeux je l'ai tirée hors de cette tête en serrant les dents au moment de la retirer d'un coup sec de l'oeil ou l'ardillon avait glissé à nouveau en position ouverte.
Quelle épreuve horrible, j'étais seul au milieu d'une salle inondée avec un cadavre et un harpon souillé de sang humain. Mes premières gouttes de sang et ce n'étaient pas les dernières...
*hérisson tchèque: obstacle antichar utilisés pour éventrer les barges durant les débarquements
*oyat: plante qui pousse sur les dunes
*méthanier: trés gros bateau transportant du gaz méthane dans des grosses cuves
*ardillon: pièce de métal articulée placée sur les flèches de fusils harpons qui se bloque de facon à empecher le poisson de s'enfuir une fois tiré.