Livre Second - Aventures à Ogoesse
« Nous y voilà ! »
Ogoesse, le lieu de ma première vision. Nous y étions finalement parvenus ! Nous n'avions pas eu à faire trop de chemin, étant donné que Blu et moi nous trouvions à proximité d'Arabelle lors de notre départ et que nous n'avions fait aucune mauvaise rencontre.
Restait à trouver Malosse.
« Reposons-nous et cherchons de quoi manger avant de continuer, intervint Blu, comme s'il avait lu dans mes pensées. J'acquiesçai en silence, découvrant sur le coup que j'étais bel et bien affamée. Quoi de plus normal puisque nous n'avions fait que marcher depuis l'aube ?
Nous nous mîmes à chercher dans la ville quelque menue pitance, juste de quoi remplir nos pauvres estomacs affamés.
Ne trouvant rien, j'allais me résoudre à entrer dans le restaurant-arène dans l'espoir d'intercepter une commande – oui, oui, je sais, ce n'est pas bien – lorsqu'une douce fragrance me fit lever la tête. J'humai l'air. Non, je ne me trompais pas ! C'était bien du miel qu'il me semblait avoir senti ! Je courus prévenir Blu qui tentait de chiper un morceau de sandwich à un homme assis sur un banc. L'homme me regarda approcher et n'en fit d'abord rien, mais lorsqu'il vit que je me dirigeais vers un point proche de son sandwich, il se retourna et aperçu Blu, la patte sur son repas. Il se mit alors dans une colère énorme et commença à pourchasser Blu qui fonça dans ma direction et m'entraîna vers le parc en bordure de ville. Nous réussîmes à le semer, mais nous entendions toujours les « sales petits voleurs ! » qu'il proférait à notre intention.
Tout essoufflé, Blu me regarda d'un œil noir :
« Tu as failli me faire rater ! Je sais que ce n'est pas bien, mais tu voulais qu'on meure de faim ? »
- Non, le détrompai-je, un peu vexée, je voulais simplement te dire que j'avais senti du miel d'Apitrini. Je crois qu'elle venait justement de ce parc.
- Pardonne-moi, s'excusa Blu. Tiens ? Je sens aussi l'odeur ! Elle vient de cet arbre, précisa-t-il.
En faisant très attention à ne pas faire de bruit, nous nous approchâmes en silence de l'arbre en question. Apparemment, les Apitrinis étaient partis butiner et l'Apireine dormait profondément, ce qui nous laissait champ libre pour engloutir tout le miel que nous voulions, ce que nous fîmes sans attendre. J'en étais à ma dixième bouchée de miel lorsqu'un hurlement de douleur se fit entendre. Je jetai un œil vers Blu. Lui aussi avait entendu.
La première vision était en train de se réaliser.
* De là où j'étais, je ne pouvais pas savoir exactement d'où venait le cri. Les évènements ne me permettant pas de traîner, je bondis le plus haut possible et réussis de justesse à attraper la branche se trouvant au-dessus de ma tête. Poussée par l'urgence, je sautai de branche en branche jusqu'au sommet de l'arbre. Le vent sifflait à mes oreilles, m'empêchant d'entendre les autres hurlements, en supposant qu'il y en eût d'autres. Je scrutai l'horizon de toutes mes forces, malgré mes yeux fragiles. Ce Pokémon ne devait pas mourir !
Au bout de quelques instants, je dus me résoudre à fermer les yeux ; ils me piquaient comme mille éclats de gel. J'étais désespérée : si je ne pouvais ni entendre, ni voir, jamais je ne viendrais à bout de ma mission ! Je baissai les yeux. Ainsi, j'aurais échoué dès la première épreuve. C'était si... pathétique...
Soudain, je relevai la tête. Ou plutôt, « il » relevait la tête. Car ce n'était pas moi qui contrôlais mon corps à cet instant précis.
C'était lui.
Mon instinct.
Le don d'Arceus fit sauter mon corps d'une hauteur inimaginable. J'allais me fracasser contre le sol, j'en étais sûre ! Pourtant, mon corps atterrit sans dommage. Incroyable. « Il » se mit à marcher, enfin, à courir, dans une direction bien précise, car « il » savait où il allait.
Il avait vu.
Blu, qui était en train de chercher l'aura de souffrance du Malosse, m'aperçut et me suivit, bien que surpris que mon aura soit si uniforme. S'il savait...
L'instinct, qui tenait toujours mon corps pour sa propriété, nous entraînait à une allure folle en direction d'un petit bosquet que je n'avais pas vu. À l'instant même où nous le franchissions, un second hurlement nous vrilla les tympans, plus fort et plus chargé de douleur que le précédent. La souffrance devait être insoutenable.
Nous surgîmes enfin du bosquet, et nous découvrîmes à cet instant l'effroyable spectacle :
le Malosse, dégoulinant de sang, était étendu par terre, le flanc lacéré de multiples blessures ; le souffle court, il tenait bon pourtant. Il s'accrochait à la vie. Je levai des yeux chargés de haine vers son dresseur. L'instinct m'avait quittée temporairement. L'abominable être qui se tenait devant moi n'avait plus grand-chose à voir avec un être humain : ses traits déformés par la haine ne laissaient presque pas apparaître ses petits yeux porcins, lesquels lançaient littéralement des éclairs. Une lueur de folie dans l'œil, il s'apprêta à frapper son Pokémon pour la troisième et dernière fois. Je ne lui en laissai pas le temps ; courant à toute vitesse dans sa direction, je m'élançai souplement et agrippai fermement le manche du fouet qu'il s'apprêtait à abaisser.
L'homme enragé poussa un mugissement contrarié, et il tenta de me faire lâcher prise en secouant violemment son fouet. Malheureusement pour lui, je tins bon et fis même plus encore ; d'un coup sec, je me dégageai et lui mordis sauvagement la main. L'homme poussa un cri bref qui suffit à me faire frissonner. D'un revers de la main, il tenta de me faire lâcher prise, mais voyant le coup venir, je me tordis en un arc de cercle gracieux et triple-pirouettai en arrière, atterrissant souplement sur le sol à trois mètres de lui.
Etouffant un juron, mon adversaire me fixa de ses yeux rouge sang, puis fouilla dans sa poche. Il en sortit trois Pokéballs : à travers leurs toits rouges, on apercevait vaguement les Pokémons qui y siégeaient. Dans ce cas, ce serait plutôt « qui y étaient emprisonnés ». L'une d'elles était vide, sans doute celle du Malosse. D'un geste brusque, il lança ses Pokéballs, libérant ainsi le Medhyena et le Noctali qui y étaient enfermés.
Ce serait un combat à deux contre deux.
Avec Blu à mes côtés, je me sentais forte.
Puissante.
Un élan de sauvagerie monta du fond de mon être et découvrit mes dents d'un sourire carnassier. De plus, je remarquai que les billes d'électricité étaient revenues. Assurée, je fixai les yeux de mon adversaire, histoire de lui montrer que je n'avais pas peur de lui. Je hoquetai de surprise : de rouge sang, ses yeux étaient devenus bleu glacier !
Un froid glacial m'envahit. Je ne parvenais pas à détacher mon regard de ces yeux. Les billes poussèrent mentalement un cri de stupeur et se gelèrent sous mes yeux, retombant mollement sur le sol. Des billes qui parlent ? Il faudrait que j'élucide ce mystère plus tard.
En attendant, j'étais toujours gelée, et, à en croire mon intuition, Blu n'était pas en meilleur état.
« Que nous arrive-t-il ? » me demanda-t-il mentalement.
- Je... j-je...
Bon. Impossible de parler mentalement aussi. Super.
Avec une étrange fascination, je regardais les Pokémons Ténébreux avancer d'une façon lente et inquiétante. Je vis le Noctali préparer une attaque Ball'Ombre. J'essayais toujours sans succès de défaire mes liens psychiques, et cela m'inquiéta encore plus lorsque je m'aperçus que Blu faisait son possible pour m'aider. La Ball'Ombre partit, chargée de toute sa puissance maléfique. Soudain, au loin, un chant retentit.
Ce chant... je l'avais déjà entendu quelque part...
« Je suis l'Alpha et l'Oméga
La fin et le commencement
Je suis le Yin et le Yang
Le tout et le rien.
Le Qi gelé détruit le monde
Les Dragons ne peuvent l'en empêcher
Il y a ici mes envoyés
Les deux de la légende.
Ils sont le bras qui lance l'arme
Je suis la pointe de la flèche
L'espoir est leur énergie
Ce chant sacré l'aide divine... »
La douce mélopée continuait ainsi et me berçait doucement. Je ne me rendis même pas compte que mes liens s'étaient brisés, que l'homme se bouchait les oreilles en poussant des cris de douleur et que la Ball'Ombre poursuivait les Pokémons ennemis.
*
* *
Une douce brise souffla sur son visage et le réveilla.
Il se releva posément et examina les alentours avec intérêt. L'homme avait disparu. Elle était affalée sur le sol, son petit corps secoué de multiples spasmes, mais il savait qu'elle allait bien. Le Malosse, en revanche...
Il s'approcha du Pokémon qui gisait à terre, inerte. Le flot de sang s'était arrêté. Peut-être n'était-il pas trop tard ?...
Il posa la main sur le cœur du chien-démon et psalmodia une courte prière à son intention, priant Arceus de lui venir en aide, avant qu'il ne...
Il se secoua. Ce n'était pas le moment. Il devait se concentrer pleinement sur sa prière.
Il y mit tout son pouvoir, toute sa volonté, toute sa détermination. Il y mit même un peu de son bonheur...
Il sentit le petit cœur reprendre faiblement, mais ce n'était pas assez. Le Malosse avait failli mourir, et il avait cru pouvoir l'aider, mais il était trop faible. Encore trop faible...
Soudain, il sentit un regain d'énergie monter en lui. Il ne pouvait y mettre qu'un mot : bleu. Comme ses yeux. Il sentit sa présence à ses côtés, tellement puissante que c'en était presque... effrayant. Ensemble, ils reprirent le chant de vie, en y mettant toujours plus d'ardeur, plus d'énergie. Blu fut même obligé de fermer les yeux, car des images qui lui apparaissaient émanaient tant d'émotions et de réalisme qu'il aurait pu être le Malosse à qui appartenaient ces scènes de vie. Le cœur battait un peu plus fort. Encore plus fort. Toujours plus fort...
Il ouvrit les yeux.
Le Malosse était tiré d'affaire.
Son regard se posa sur Lily. Ses yeux s'agrandirent de surprise en la voyant : il irradiait d'elle une aura indéfinissable, qui mêlait sagesse, puissance et omnipotence, et ses yeux d'un bleu profond luisaient d'un éclat irréel. Une seconde plus tard, elle redevenait normale.
« Lily me cache quelque chose d'important, se dit-il, et tout cela a un lien avec Arceus et le fin du monde que nous connaissons ». Il ne put s'empêcher de rajouter, avec une pointe de tristesse dans la voix : « Et elle ne veut pas me le dire ». Il savait que cela ne faisait que deux jours qu'ils se connaissaient, mais la petite Pichu était devenue dans son esprit sa meilleure amie. Il ne doutait d'ailleurs pas qu'elle l'aimât aussi, ce qui ne faisait que renforcer son doute : que lui cachait-elle ?
La petite Pichu le dévisagea avec des yeux étonnés. Elle était surprise que Blu ne fasse rien à part la regarder avec des yeux perdus dans le vague. Il devait beaucoup réfléchir.
Blu se reprit et entreprit de refermer les dernières plaies du Malosse. Ce dernier leva la tête et lui adressa un regard qui se résumait en un mot : merci.
Le jeune Riolu sourit.
« Lily m'a beaucoup aidée, dit-il simplement.
Le Malosse acquiesça et se recoucha.
« Nous allons t'amener à un centre Pokémon. Ils te soigneront mieux, là-bas, et tu trouveras peut-être un meilleur dresseur, intervint Lily.
- Non, grogna doucement le Malosse. Ma place est ici, maintenant.
- Vraiment ?
- Regardez autour de vous.
Lily et Blu levèrent la tête en un ensemble parfait. Autour d'eux, une horde de Démolosse et de Malosse les observait craintivement, éparpillée parmi les buissons qui entouraient la clairière.
« Je vous remercie pour ce que vous avez fait, reprit le Malosse, et je vous en serai éternellement reconnaissant. Mais maintenant, je vivrai avec eux, ma famille que j'ai quittée tout petit déjà, la grande famille des Pokémon ».
Sur ce, il se leva, trébucha, recommença, fit quelques pas fébriles, s'assura et trottina vers la horde. Ses semblables l'accueillirent avec joie. Il avait rejoint sa famille.
Lily et Blu ne purent retenir une larme.
* *
Arceus était satisfait. Les petits s'en sortaient bien.
Soudain, une vague de doute le submergea : ils avaient tout-de-même eu besoin du Chant... Réussiraient-ils seulement à empêcher la deuxième vision ? Aurait-il mal choisi ses Elus ?...
Il se secoua. Il ne fallait pas douter.
Pas maintenant.
Les petits réussiraient. Il n'était pas le Créateur pour rien.
Arceus décocha un sourire mystérieux à son geôlier.