Chapitre 3 : Chasse à la recrue.
Un bon feu ronflait dans l'âtre, éclairant les lieux d'une belle lueur orange, pas trop vive, juste ce qu'il fallait. J'étais dans une bâtisse en bois et en pierre que les humains nomment chalet, situé dans les montagnes. Willelmina jouait aux cartes avec son père sur la table à manger et sa mère cousait dans un fauteuil près du feu. Et moi, j'étais couché aux pieds de cette dernière, sur mon cher coussin, aussi sombre et moelleux qu'un nuage d'orage le côté humide en moins. Une bonne odeur de canarticho rôti aux herbes du jardin et pommes de terre s'élevait de l'âtre, promesse d'un véritable festin. J'avais toujours droits aux os, et Willelmina oubliait souvent de la viande dans les petits interstice. Un régal. J'en salivais d'avance. De temps à autre la mère de ma dresseuse se levait et retournait un peu la viande et l'arrosait pour qu'elle ne soit pas trop sèche.
Dehors, le vent soufflait en rafale tandis que la nuit s'abattait sur le monde, et tout était pour le mieux.
Puis soudain, mon humaine abattit ses cartes sur la table, se précipita vers moi et déclara d'un ton ferme :
-Debout Onix, on repart !
Et brutalement, je fus tiré de mon rêve. Mais pas complètement, je me raccrochai aux images que je voyais, aussi me contentai-je de ne bouger qu'un minimum. Un simple mouvement de queue signifiant « oui, peut-être, mais là, je dors. » A moitié endormi, ou peut-être étais-je encore dans mon rêve, je regardais dehors. L'obscurité régnait et la tempête semblait avoir disparu.
Rêve ou réalité c'était donc l'heure de dormir. Aucune raison de bouger donc. La voix de ma dresseuse était sûrement le fruit de mon imagination.
Je bâillais et replongeais immédiatement dans les bras de Cresselia, tout en me trouvant une position plus confortable.
Mais tout ne se passa pas comme prévu. Je sentis comme une pince géante m'attraper à bras le corps pour me soulever. Quelque chose essayait de m'éloigner de la maîtresse des rêves. Soit j'avais sombré dans les bras de Darkrai et un parasect géant allait me dévorer, soit ma dresseuse avait soudainement décidé de devenir somnambule. Dans un cas comme dans l'autre, pas question de me séparer de mon temple bienfaiteur et protecteur dédié au repos qu'était mon coussin. Quitte à faire des cauchemars, autant les faire sur un coussin aussi doux et sombre que le pelage de ma mère.

Il s'avéra quelques instants plus tard que je n'étais pas train de me faire emporter par un parasect géant, pas plus que ma dresseuse ne faisait ses grands débuts de somnambule.
Les courants d'air froids qui traversaient la guilde me tirèrent suffisamment et désagréablement de ma torpeur pour me permettre de réaliser que ma dresseuse m'entraînait à travers les couloirs de l' immonde bâtisse qu'elle avait choisi comme lieu de résidence.
A cette heure, les lieux grouillaient de gens de la guilde vaquant à leurs affaires, et j'aurais aimé que ma chère humaine me laisse les imiter, à savoir qu'elle me laisse finir ma nuit. Elle ne m'avait pas habitué à vivre le jour, un mode de vie particulièrement épuisant pour mes pauvres yeux et mes pauvres oreilles, pour me priver de mes heures de sommeil, ça, pas question !
Elle voulait que je vive le jour, soit, mais qu'on me laisse alors dormir la nuit ! Il me sembla l'entendre parler mais je n'y fis pas attention. J'avais d'autres choses en tête, du sommeil par exemple, surtout avec la journée que nous avions passé la veille !
Finalement, ma dresseuse sembla atteindre un banc quelque part et décida de s'y installer. Elle me posa avec le coussin que j'avais emporté, mais tandis que j'espérais enfin qu'elle me laisse tranquille, elle commença à me parler.
- Onix, je sais pourquoi nous n'arrivons pas à réussir nos missions !
La belle affaire. Ce n'est pas en accumulant la fatigue et les heures de sommeil manqués que nous allions mieux y parvenir. Rassemblant mes forces, je parvins à grommeler un :
-C'parcequet'espasdouée.
Ce à quoi elle répondit de but en noir :
-Il nous faut des coéquipiers.
Comme si j'en avais quelque chose à f... Une seconde... Elle a dit quoi ? Elle veut QUOI !?
Elle a bien dit coéquipier là ?
Comme dans équipiers qui vont avec nous ?
Elle parle de coéquipiers humains hein ?
Elle ne veut pas dire coéquipier pokémon hein ?
Elle ne vas pas chercher quelqu'un qui va me piquer mon humaine hein ?
Elle n'envisage pas de me remplacer hein ?
Elle m'aime toujours hein ?
Voyant que cette fois, j'étais parfaitement réveillé, elle ajouta avec une pointe de fierté dans la voix :
- L'union fait la force comme on dit ! Alors nous allons chercher un pokémon de type ténèbres, auquel nous prouverons notre vaillance jusqu'à ce qu'il nous suive. Il faut partir maintenant parce que les pokémons ténèbres se trouvent plus facilement la nuit. Alors, tu viens ?
Elle ne pouvait pas sérieusement être sérieuse là ? Elle allait vraiment essayer de me remplacer par un autre ! Moi, son premier pokémon et son plus fidèle compagnon ! Elle ne pouvait pas me faire ça ! Pas à moi ! Pas question que je l'aide à mettre cette idée stupide en pratique ! Ce sera sans moi !
Je le lui dis.
-Je ne t'aiderais pas à trouver un pokémon qui me remplacera dans ton cœur ! Même pas en rêve !
Et joignant le geste à la parole, je me recouchai. Elle me contempla quelques secondes, bras croisés comme chaque fois qu'elle voulait faire sa grande sérieuse, puis elle déclara :
- Très bien, comme tu veux. Je vais donc partir toute seule, en pleine nuit, à la merci de tous les pokémons sauvages et autres dangers divers. Si ça ne te pose pas de problèmes de conscience de ne pas m'accompagner, je te laisse dormir…
Et sur ces paroles, elle commença à s'éloigner.
Je savais qu'elle ne pouvait pas partir sans moi. Elle s'éloigna de plus en plus. Elle n'était quand même pas inconsciente à ce point. Elle fit d'autres pas supplémentaires. Quoique à la réflexion, si, elle pouvait. Et elle n'étais pas vraiment douée non plus. Elle continua d'avancer. Je me demandais vaguement à quoi pourrait ressembler la vie dans cette guilde avec un dresseur plus talentueux...
Elle ne arrêta pas, ne se retourna pas, bien au contraire.
Raah, et puis flûte !
Je devais la protéger, je lui devais bien ça après ce qu'elle avait fait pour moi...
Mais pas question de l'aider. J'y allais juste pour la protéger en cas d'attaque, et sûrement pas pour lui filer un coup de patte pour me remplacer. Sur ces considérations je me mis en route. Sans oublier mon coussin. Pas question de le laisse là pour qu'un ahuri me pique mon beau coussin-comme-le-ventre-de-maman. Non mais sans blague. Se faire remplacer était déjà bien assez pénible.
Elle sourit et me dit :
- Je savais que tu ne résisterais pas à une nouvelle aventure avec moi ! Bon, je range ton coussin dans mon sac et on y va.
Ouais, c'est ça. Et si un « coéquipier » s'avisait de me piquer ma dresseuse, il pourrait s'attendre à être rôti avant de finir dans mon estomac !
Puis nous nous mîmes en route.

Nous avions presque atteint la sortie de la ville.
La ville de nuit était très différente de celle de jour. Beaucoup plus agréable déjà, car moins lumineuse et moins bruyante. Mais les gens y étaient moins sympathiques, même de loin.
Des hommes puant l'alcool beuglant des choses incompréhensibles et des sortes d'humaines qui semblaient faire le concours de celle qui tomberait malade en premier en ayant le moins de fausse fourrure possible. Certains humains étaient vraiment irrécupérables.
Mais la ville avait toujours ses odeurs, qui retombaient à peine, et on pouvait sans peine s'imaginer à quoi elle ressemblait le jour. Ici, il y avait un étal de poisson. Ici, une charrette où une femme enrobée vendait des baies marrons chaudes. Là on sentait encore le passage une charrette tirée par un Zeblitz aux odeurs qui m'étaient inconnues, sûrement un marchand. Et par là, l'odeur des égouts qui remontait, masquant l'odeur d'une charrette de foin qui avait stationné un moment, probablement du fourrage vendu là pour les montures des marchands et voyageurs de passage, à en juger par le parfum que les pokémons avaient laissé.
La ville était également envahie par les dresseurs de la guilde Spectre et leurs fantômes. Comme notre meute à nous, ces illuminés aimaient le noir et trouvaient stylé de sortir la nuit. Comme si les humains étaient fait pour la vie nocturne ! Il n'y avait qu'à voir tout ces magasins fermés pour s'en rendre compte, mais eux semblaient penser qu'on faisait de meilleures affaires la nuit.
Un fantominus poisseux et puant comme s'il ne s'était pas aéré les gazs depuis une semaine vint me coller.
-Hé, t'as une baie ! Allez dis, t'as une baie ! Juste un bout !
J'oubliais que ces idiots de la guilde Spectre ne nourrissaient pas correctement leurs pokémons, pensant qu'ils étaient morts et que les morts n'avaient pas besoin de se nourrir. Comme si des morts pouvaient se reproduire entre eux ou avec d'autres espèces vivantes ! Ces pauvres spectres étaient donc livrés à eux même pour se nourrir, volant des bouts de nourritures ça et là, ou aspirant l'énergie vitale et les rêves des citoyens endormis. Après tout, il était impensable pour ces guignols de laisser leurs propres pokémons se nourrir de leur énergie vitale et de leurs rêves, c'était beaucoup plus profitable de les lâcher sur d'innocentes victimes... Eux valaient beaucoup mieux que ça, eux n'étaient pas de la nourriture à pokémon. Les gens ordinaires, si.
Je détestais cette mentalité.
Mais l'autre commençait vraiment à me taper sur le système.
-J'ai rien, je vais en mission, alors du balai !
-Oh aller, fais pas ta radasse, file moi un truc à béqueter !
Un coup de morsure et l'importun s'éloigna à toute vitesse. Je le ratai, mais je ne tenais pas non plus à avaler de leurs gazs toxiques. Autour de nous, d'autres spectres nous épièrent, ainsi que leurs dresseurs, mais ils n'osèrent pas nous approcher. Je n'étais pas spécialement fort, mais je pouvais quand même poser un sérieux problème à un type désavantagé face à moi. Et surtout, il ne savaient pas que j'étais plutôt faible et préféraient ne pas se risquer à le découvrir par une défaite.
Certains fantômes essayèrent quand même de nous aborder. Des spectres sans humains, nés des pokémons amenés par cette guilde de fous furieux qui n'avaient pas assez de dresseurs pour les prendre en charge ou abandonnés par leurs parents qui leur souhaitaient un avenir meilleur ailleurs, ou de rencontrer des humains plus consciencieux. Parfois, l'un d'eux dégénérait et prenait possession d'un humain ce qui donnait lieu à tout un tas d'histoires qui sombraient dans l'oubli ou devenaient des légendes urbaines...
Un feuforêve particulièrement agaçant voulut nous coller aux basques mais je réussi à le mettre en fuite. Un jour, il faudrait que quelqu'un aille remercier la guilde Spectre d'avoir amené un tel fléau dans les villes...
Et enfin, nous atteignîmes la sortie. Devant nous, le chemin était large, désert, à peine balayé par une petit brise qui chamboulait les odeurs des gens passés là, invitant au voyage l'aventurier motivé. Mais motivée, ma dresseuse ne semblait pas l'être tant que ça, finalement...
Je me rendis vite compte qu'elle ne m'avait pas suivi sur le chemin qui menait vers des lieux inconnus et des ténèbres bienvenues. Je fis demi tour pour la voir plantée dans la lueur d'un réverbère à huile. Ah oui, j'oubliais qu'elle avait toujours des considérations hautement philosophiques à exprimer lorsque nous quittions la ville pour partir en mission ou en voyage. Peut-être qu'elle allait renoncer à son projet ?
Mais cette fois ci, je n'eus droit à aucune remarque sur le bien fondé de notre expédition, ni sur l'aspect fooormidable des voyages. Elle se contenta d'avancer, pas à pas, très lentement, comme si elle réfléchissait en même temps. Peut-être était-elle vraiment en train de remettre en question l'utilité de trouver des piqueurs de dresseuse !
Mais tous mes espoirs furent réduis à néant lorsque je la vis sortir une lanterne de son sac. Comment voulait-elle que ses yeux s'adaptent à l'obscurité avec un machin pareil ? Ça allait complètement annuler ma vision nocturne ! Voyant que je tirais une drôle de gueule, elle me lança :
- Ben quoi ? Je ne risque pas de faire fuir un pokémon ténèbres si près de la ville, et encore moins avec cette ridicule lumière tout de même ! Je l'éteindrai lorsque nous commencerons à chercher ton coéquipier dans la forêt.
Évidemment. Tout compte fait, cette lampe risquait en effet de faire fuir un éventuel rival malvenu. Ça valait bien de se priver de nyctalopie...
Il suffirait juste de me mettre assez loin du halo lumineux pour ne pas être trop aveuglé... Et tranquillement, accompagné de la fraîcheur nocturne et du bruissement du vent dans les champs, nous nous enfonçâmes dans la campagne.
Et soudain :
- Attends-moi Onix, tu vas trop vite ! Reste plus près de moi s'il te plaît.
Depuis quand mon allure était-elle trop rapide pour elle ? Elle débloquait ou quoi ? Remarque, avec sa visibilité réduite, je devais sûrement paraître plus rapide... Mais rester plus près d'elle m'obligeait à rester plus près de cette fichue lumière. Comment pourrais-je la protéger en cas d'attaque soudaine si je ne pouvais pas voir arriver d'éventuels ennemis ? Je pouvais les sentir, mais c'était toujours mieux de les voir arriver. Et en revanche, eux ne pouvaient pas nous louper avec cette loupiotte qui devait se repérer à des kilomètres à la ronde...
En parlant d'ennemi... Je sentis un pokémon s'approcher de nous. Un pokémon à l'odeur d'herbe, et de baie Carot. Un laporeille ou un lockpin, qui avait sans doute été éveillé par la lumière inhabituelle. Cependant, impossible de déterminer sa position exacte avec cette fichue lumière aveuglante. Nous avions croisés jusque là quelques pokémons qui n'avaient pas fait attention à nous, des rattatas, des aspicots, et des hoothoots, qui nous avaient regardé passer, il n'y avait donc pas lieux de s'inquiéter. Willelmina expliqua :
- Ben quoi ? Il ne faut pas qu'on se sépare, si jamais on m'attaaaaaaaaah ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est ?
Le dit pokémon venait de faire remuer une touffe d'herbe et émergeait sur la route. Il avait vraiment l'air dans le coton et nous regarda à travers le voile du sommeil. Son regard sembla faire le point sur ma dresseuse, il fallut quelques temps à l'information pour remonter jusqu'à son cerveau d'herbivore, puis il détala, probablement soucieux de mettre le plus de distance possible entre lui et une humaine susceptible de le faire frire avec quelques patates et une sauce au poivre. Dire que ma dresseuse avait eu peur d'un pokémon qui avait beaucoup plus de raison qu'elle de s'inquiéter des mauvaises rencontres... Elle me lança :
- Je ne pouvais pas deviner que ce n'était qu'un laporeille ! Je n'ai pas une aussi bonne vision que la tienne je te signale.
Que répondre à ça ? Et bien, je n'aurais plus qu'à espérer qu'elle ne parte pas en courant ni en hurlant au cas où nous croiserions un malheureux mystherbe... Remarque ce pourrait être amusant, sans compter que je ne risquais pas de la perdre avec une lumière pareille... Cela dit, elle risquait de réveiller une colonie de piafabec, et là, ce serait beaucoup moins drôle.
Je décidai donc de rester plus près d'elle afin de réduire les chances de hurlements, et bientôt, nous arrivâmes à l'orée d'une forêt.
La forêt Labyrinthée, sans doute nommé ainsi par une bande d'humains très certainement issus de grandes villes et dénué de tout sens de l'orientation en milieu végétal. La forêt en question était plus grande que la forêt de la veille, mais également plus clairsemée, et moins chargée en champignons.
C'était donc là que ma dresseuse voulait se trouver un nouveau compagnon ?
Soit.
Je m'apprêtai à y entrer, mais une fois de plus, je me rendis compte que ma dresseuse ne suivait pas. Ah. C'était probablement le Grand Moment du Discours Inspiré. Pas question d'endurer ça. Je sentais venir le monologue sur la Vaillance des Coéquipiers, de l'Union fait la Force et sur la Valeur Universelle et Sacro-sainte de l'Amitié. Je continuai donc ma route, mais pour toute locution rhétorique, je n'eus droit qu'à :
- Attends Onix, on est pas pressés… Il fait drôlement sombre non ? J'aime pas bien ça… Le noir, je veux dire.
Sous le choc de cette révélation fracassante, je me retournai lentement vers ma dresseuse. Moi qui avait confiance en mes sens, il me semblait soudain avoir mal entendu. Mais il semblait que j'avais entendu juste lorsqu'elle ajouta d'un ton gêné :
- Oh arrête, je ne suis quand même pas la seule membre de la Guilde Ténèbres à avoir peur du noir !
Elle plaisantait, là ? Elle était membre de la guilde Ténèbres, une bande d'illuminés qui préféraient vivre dans l'obscurité, et elle me disait qu'elle en avait peur ? Mais pourquoi les avaient-elle rejoins plutôt que la team des pokémon feu, vu que je suis double typé ?
Remarque cela expliquait beaucoup de choses... Le fait qu'elle vive le jour plutôt que la nuit et qu'elle m'ait obligé à suivre ce régime diurne contre ma nature... Ses hésitations à la sortie de la ville, sur le chemin face au laporeille, et maintenant... Et même ces fois là, quand elle était plus jeune et qu'elle ne voulait pas dormir seule... Voyant mon air surpris, elle continua :
- Bon d'accord, peut-être pas de la Guilde Ténèbres… Mais en tout cas je ne suis pas la seule humaine à avoir peur en pleine nuit, dans un endroit inconnu et très effrayant.
Non mais sérieusement ? Une fille qui veut se spécialiser dans les ténèbres avoir peur du noir ?
C'était complètement ridicule ! Je n'avais rien entendu ni vu d'aussi stupide de ma vie ! Ne pouvant plus me retenir, j'éclatai de rire.
Une spécialiste ténèbres qui avait peur du noir... Et la prochaine fois, ce serait quoi ? « J'ai peur de mes pokémoooons » ? ou bien « J'ai peur de me regarder dans mon miroir avec l'uniforme de cérémonie de la guiiiilde » ? « Aaaah, Onix ! J'ai mon ombre, elle me suit partoooouuuut ! » Non mais vraiment ! Croisant le regard de Willelmina qui se tenait là, pataude, avec sa petite lanterne, je fus pris d'une nouvelle crise d'hilarité.
Elle ne pouvait pas attirer un rival de ténèbres avec une lumière pareille, mais si elle l'éteignait, on aurait droit à une crise de panique en bonne et due forme... Dans un cas comme dans l'autre j'étais gagnant, et ça promettait de bonnes rigolades... Oh oui...
Je lui désignais son lampion de la patte.
-Alors tu vas faire quoi de ça, Mlle Cœur Noble ?
A contrecœur, et imperceptiblement frissonnante, elle répondit à mon interrogation :
- C'est bon, je l'éteins… encore cinq minutes.
Ce fut le « cinq minutes » qui m'acheva. La connaissant, ça allait se transformer en dix minutes, voire en quinze, jusqu'à l'aube. Ou alors... Rien que de m'imaginer la suite, je n'en pouvais plus. Elle hésita. Je l'imaginai déjà seule au milieu des ombres en train de me chercher, d'appeler d'une demi-voix tremblante « Pokémons ténèbres, youhou, où êtes vous... ».
Elle sembla hésiter. Visiblement, sa détermination n'était pas à toute épreuve... Que de suspense ce soir ! Je la voyais déjà courir d'une flaque de lune à l'autre en paniquant et criant des choses comme « Ah, de la lumière ! Vite j'ai besoin de lumière ! Lumièèèèère ! ». mais peut-être avais-je trop d'imagination...
Finalement et brusquement, comme pour couper court à mes délires imaginés et pour faire preuve de cette détermination qui me plaît tant chez elle, elle souffla la petite bougie dans sa cage de verre.
Elle avait donc choisi la crise de panique en bonne et due forme... La lune était très mince ce soir, et ne donnait qu'une lumière très faible... La voix de ma dresseuse s'éleva, mal assurée :
- Ouais, enfin on y voit carrément mieux avec la lanterne…

Willelmina manqua encore une fois de s'étaler, se rattrapant au dernier moment à une branche basse, mais s'écorchant les mains au passage. Quelle idée aussi de marcher sur seulement deux pattes...
Pour ma part, je prenais un malin plaisir à rester juste hors de son champs de vision, à me glisser tout autour d'elle pour faire bouger des plantes devant ou derrière elle tandis qu'elle me croyait de l'autre côté... Je sentais sa sueur, indiquant qu'elle n'en menait vraiment pas large. Soudain, une petite brise nocturne fit bruisser la cime des arbres.
Je vis ma dresseuse se figer et relever la tête avec brusquerie.
L'occasion était encore une fois trop belle... Je me glissais à pas de chacripan vers elle, prenant bien soin de lui frôler la jambe avant de disparaître aussi dans un recoin d'ombre plus opaque.
La performance vocale ne se fit pas attendre...
- AAAAAAAAH ! ONIX, DEBARRASSE-MOI DE CETTE CHOOOOOOOSE !!!
Je me demandais jusqu'où pouvait aller ma dresseuse dans les aigus... Elle me vrillait un peu les tympans, mais je ne me lassais pas de lui faire peur, et son attaque Brouhaha à elle devait sans doute faire fuir les potentiels chipeur de dresseuse. En d'autre termes, comment joindre l'utile à l'agréable...
Un rayon de lune avait réussi à percer un peu plus loin. Je m'y dirigeais, afin de rassurer ma dresseuse. Il ne fallait quand même pas qu'elle tombe dans les baies Mepo ici, elle risquait de tomber malade, les humains étaient tellement fragiles... Mais peut-être serait-ce plus amusant de la laisser mariner dans son jus de peur un peu ? Non, après tout, ma mère me disait toujours : les bons moments, c'est comme un os à moelle, on le savoure lentement et non à grosses bouchées voraces.
J'entrai donc dans le rayon lunaire et la lumière se fit pour Willelmina.
-C'était toi Onix ! Imbécile, tu m'as flanqué la trouille !
De colère elle tenta de me botter le train, mais elle me rata royalement et se retrouva de nouveau affalée sur le sol. Elle était vraiment ridicule, à se noyer dans sa maladresse et sa peur... Et elle se voulait être une dure de dure de la guilde ténèbres !
J'imaginais très bien ses comparses de la guilde d'obscurs illuminés dans une telle situation... Le Maaaître et ses grands airs un peu plus jeune se vautrant dans une flaque de boue... Je ne pus m'empêcher de rire à cette pensée... Elle n'était pas impossible, après tout, tous les humains ne se déplaçaient que sur deux pattes et ils étaient aussi doués pour voir la nuit que pour respirer sous l'eau.
Soudain, ma dresseuse s'écrira :
-Regarde Onix, un medhyena ! Vite, attrape-le !
Et zut... je savais qu'elle ne pouvait pas le flairer, mais je ne pensais pas qu'elle le verrait au milieu des racines d'un grand chêne... Seulement, si je refusai d'obéir, elle n'aurait que d'autant plus de motivations à ma chercher un coéquipier qui ne tarderait pas à me ravir son cœur, sans compter qu'elle risquerait de m'aimer d'autant moins. J'espérais juste que le jeune pokémon aurait assez d'intelligence pour se carapater avant que je ne sois sur lui...
Et heureusement, dès que la boule de poil grise me vit foncer sur lui, il prit la poudre d'escampette.
Malheureusement, je ne pus freiner ma course, dérapai sur une flaque de boue et allai m'assommer à moitié sur le chêne au pied duquel se trouvait le fuyard.
Il y eut quelques instants pendant lesquels je fus étourdis, puis mon humaine fit le bilan :
-Bon, alors récapitulons nos performances de cette nuit. Avec ce medhyena ça fait trois que nous laissons filer, en plus de quatre cornèbres, de deux chacripans et d'un moufouette.
Il faut dire que j'en avais volontairement laissé filé plusieurs... Pas question de laisser entrer un autre pokémon canin dans l'équipe, le territoire de la Guilde était mon domaine, à moi et à moi seul. C'était mes restes de cuisine, mon coussin, mes apprentis-gratte-oreilles, mes jardins à creuser, et mes endroits à marquer. Les cornèbres étaient des cervelles de piafs qui ne brillaient pas par leur intelligence et mettaient du guano partout, il était absolument impensable que l'un d'eux vienne salir mon coussin. Les chacripans étant des félins, j'avais quand même ma dignité à préserver, et de toute façon, on ne vivait pas dans le même monde eux et moi. Quand aux moufouettes... inutile de préciser que le problème venait de l'odeur, celui là, je l'avais moi-même prié d'aller voir ailleurs.
Willelmina continua sur sa lancée :
-En revanche j'ai écopé de deux bosses, d'une bonne douzaine de bleus, d'égratignures sur toute la surface de mes genoux et de mes coudes ainsi que plusieurs ampoules probables. Avec mes coupures sur les bras en plus des épines que je viens de me prendre dans la main, je crois que j'ai la collection complète.
Je n'étais pas tout à fait d'accord. Il lui manquait le bout de la truffe cramé, la fourrure, ou en l'occurrence la fausse peau, mouillée, et le guano de cornèbre dans les poils. Elle soupira, avant de me regarder d'un air fatigué qui la faisait ressembler à un chiot privé de pâtée, puis elle déclara :
-Tu sais quoi ? Une pause s'impose !

Willelmina finit par dénicher une clairière assez spacieuse, ronde, au centre de la forêt. Je m'inquiétais du fait que du coup, notre potentielle nouvelle recrue allait peut-être nous tomber tout droit dans la gueule, mais mes inquiétudes se dissipèrent lorsque ma dresseuse me fit allumer un grand feu au milieu du lieu. Puis elle déclara solennellement :
-Tu sais Onix, tout bien réfléchi, je pense que nous devrions essayer de chercher un coéquipier en journée...
Puis elle se lança dans des explications sur des hypothèses de trouver un pokémon ténèbres endormi, donc qui ne peut pas fuir, en bénéficiant d'un effet de surprise, et du fait qu'elle aurait moins de problème à se déplacer dans cette espèce de jungle truffée de pièges qui ne ressemblaient qu'à d'inoffensifs végétaux qui cachaient bien leur jeu, et patati et patata, et blablabli et blablabla. J'eus droit à nouveau à des remarques sur l'union fait la force, mais ma patience avait des limites, je décidai donc de regagner le couvert de l'obscurité reposante et bienfaitrice. Pas question de rester avec une humaine qui tenait absolument à me trouver un rival en affection ce soir. Si elle voulait avoir ces idées révoltantes, ce serait seule. Et pour bien lui montrer que je ne reviendrais pas sur ma décision, je m'installai sur mon coussin, en espérant qu'elle comprendrait l'allusion au fait que nous ne serions pas ensemble dans cette voie là.
Plongé dans mes pensées, je ne remarquais pas l'odeur aqueuse qui s'approchait de Willelmina, jusqu'à ce que j'entende sa voix :
-Onix, c'est quoi ça encore ?
Un vulgaire insecte, refoulant les secrétions mouillées à des lieues à la ronde. Apparemment, celui là avait dû faire une mauvaise chute dans un trou d'eau. Et « reniflement », il y avait passé un bon bout de temps... Et visiblement, il n'était pas très content... Remarque, les insectes n'avaient jamais été de grands fanas de feux de camp, même ceux d'entre eux qui étaient des créatures diurnes.
Hm, je pouvais peut-être laisser Willelmina se dépatouiller avec, pour qu'elle comprenne bien que je n'étais pas d'accord avec son plan, et que je lui était indispensable, et donc irremplaçable. Mais elle pouvait aussi voir mon inaction comme la preuve que j'étais un mauvais pokémon digne d'être remplacé. Ou alors je pouvais laisser la bestiole s'approcher tout près, avant de lui régler héroïquement son compte et prouver à mon humaine que j'étais suffisamment bien pour elle et qu'on avait pas besoin d'un pique-amour. Que faire, que faire ?
Le temps que je m'interroge, la bestiole était arrivée dans le halo lumineux du feu de camp. Un arakdo, assez petit pour son espèce, qui fixait l'intruse d'un air de se demander quoi en faire. L'humaine était un peu grande pour lui quand même, il n'était peut-être pas très prudent pour lui de se mesurer à elle. Mais s'il avait avancé jusque là sans l'attaquer, Willelmina ne risquait probablement pas de se faire attaquer, l'insecte cherchait probablement à jauger le degré de menace qu'elle représentait. Autrement dit, aucune.
Le nouveau venu sembla arriver aux mêmes conclusions que moi sur ma dresseuse, mais il n'appréciait quand même pas la présence d'une source de lumière et de chaleur potentiellement dévastatrice dans son voisinage. D'un coup de Pistolet à O bien placé, il éteignit le feu, puis disparut dans les méandres humides de la forêt.

Ce piaf commençait à me taper sur les nerfs. Il me narguait depuis un moment déjà, depuis qu'il avait réussi à me flanquer un coup de griffe assez douloureux sur la truffe, avant de se percher un peu plus haut dans un sapin où il avait réussi à m'attirer.
Et vas-y que je sautille sur la gauche, et vas-y que je sautille sur la droite... Et que je croasse, et que je t'agite un peu les ailes... Saleté de cocotte arrogante... Si seulement je pouvais la cramer sans transformer le conifère en torche géante... Prenant appui sur l'épaisse branche sur laquelle j'avais réussi à grimper à la suite du sombre volatile, je sautais dans l'espoir de sentir mes mâchoires se refermer sur son orgueil démesuré et sa chair goûteuse.
Mais cette foutue volaille s'envola juste à temps dans un croassement moqueur. Je retombai et réussi à retomber sur ma branche épaisse en m'accrochant de toutes mes griffes et m'éraflant les coussinets, évitant de justesse un plongeon à travers de petites branches basses et de nombreuses éraflures.
Willelmina soupira :
-Tu peux redescendre Onix, on aura pas celui-là non plus.
Et encore heureux. Je n'aurais pas supporté de voyager avec un emplumé vaniteux et chieur au sens figuré comme au sens pro... sale.
Je redescendis donc de mon perchoir en sautant sur une grande racine.
Le soleil commençait à se lever, et cette chasse commençait à me fatiguer. Effrayer Willelmina m'avait lassé, et j'en avais assez de faire semblant de vouloir capturer de potentiels rivaux en m'écorchant un peu à chaque fois, ma fourrure était hirsute et sale, de la boue s'était coincée entre mes griffes, j'avais faim, sans compter que mon humaine était dans un piteux état.
Cependant, elle ne semblait toujours pas disposée à abandonner son idée de recruter de nouveaux coéquipiers. Elle se tourna vers moi et me dit avec une joie forcée :
- Allez, je sens qu'on tient le bon bout ! Mon père disait toujours que la relation avec un pokémon, c'était comme un mariage : pour le meilleur, comme pour le pire. Bon là, manifestement on a eu le pire… Si on essayait de passer au meilleur maintenant avec ce nouveau coéquipier ?
Un nouveau coéquipier et elle appelait ça le meilleur ? Quelle blague ! Mais rester ici ne nous avancerait à rien, je me remis donc courageusement en route, en espérant que les pokémons ténèbres seraient bientôt tous couchés et cachés, et que ma dresseuse se lasserait de cette aventure épiquement minable.
Au bout de quelques secondes, mon humaine me fit une nouvelle démonstration de sa maladresse qui allait sous peu devenir légendaire dans cette partie du monde, je le sentais.
Mais l'apparition de l'astre du jour semblait lui avoir redonné de la motivation à revendre, car elle s'empressa de déclarer :
- C'est pas grave, c'est pas grave… On continue…
Ce que nous fîmes. Nous arrivâmes près d'une immense flaque de boue, aux allures d'océan miniature. Je regardai ma dresseuse qui me rendit mon regard. Pourvu qu'elle ne me demande pas d'aller patauger là-dedans...
Nous commençâmes à contourner l'obstacle, lorsque une odeur putride se manifesta avec un petit cri : « Rôh, les gueux ! »
Willelmina ne perdit pas de temps :
-Vite Onix, attrape-le ! Celui-là ne pourra pas s'envoler au moins !
Elle n'eut pas besoin de me le demander. Personne ne me traitait de gueux ! Je n'étais peut-être pas un canidé de première classe, mais je n'étais pas non plus un clébard miteux ! Et j'en avais marre de cette mission pourrie et injustifiée ! Il était une excuse parfaite pour me passer les nerfs !
L'autre tenta de m'échapper, mais un truc aussi puant ne pouvait pas échapper au flair d'un malosse en fureur. Il finit par trouver la solution en fonçant sur Wilelmina et en lui passant entre les jambes, l'envoyant choir dans la mer de boue.
Mais je ne m'en souciais pas, et poursuivis le pokémon poison sur une bonne distance, ne me retenant plus d'utiliser l'attaque flammèche. L'autre se mit à cavaler encore plus vite, et finis par me semer. Il avait l'avantage de connaître le terrain, il faut dire, mais la prochaine fois, il ne s'en tirerait pas aussi facilement...
Une fois de retour auprès de ma dresseuse, elle paraissait encore plus pitoyable qu'avant. Le fait qu'elle ne fasse aucun commentaire en disait long sur l'usure de ses nerfs et de sa patience. Elle se remit silencieusement en marche et s'étala quelques secondes plus tard sous un hêtre. Elle ne se releva pas cette fois, mais elle s'assit en se repliant sur elle-même et se mit à pleurnicher.
Oh lala, c'était vraiment plus grave que ce que je pensais, et cette histoire de coéquipier devait vraiment lui tenir à cœur.
Je ne voulais pas d'un coéquipier, mais je voulais encore moins voir mon humaine dans cet état. Cela me fendait le cœur, après tout ce qu'elle avait fait pour moi, tout ce que nous avions vécu ensemble...
Nous n'avions pas vécu de grandes aventures épiques comme certaines légendes, mais c'était nos aventures à nous. D'ailleurs quand j'y pensais... Willelmina pourrait-elle me délaisser même avec un voleur d'affection, après tout ce que nous avions vécu ? Avais-je donc si peu confiance en ma dresseuse ? Et puis ces légendes, ils avaient plusieurs pokémons avec eux...On voyait également des aventuriers, des membres de guildes voire des gens simples élever parfois plusieurs pokémons... et tout semblait bien se passer. Si les pokémons s'étaient battus entre eux, si l'ambiance n'avait pas été correcte dans leur équipe, ces légendes seraient-elles devenues si célèbres, ces aventuriers seraient-ils allés aussi loin ?
Et si eux pouvaient se réunir dans l'amitié et la bonne humeur, pourquoi ne pourrions-nous pas bénéficier nous aussi d'une bonne compagnie ?
Après tout, peut-être que notre futur compagnon pourrait être comme un frère ? Cela dit, si il essayait de me piquer l'amour de ma dresseuse pour lui tout seul ou me voler mes privilèges de chef canin de la guilde ténèbres, me prendre ma place de premier de l'équipe ou de me ravir mes restes ou mes gratouilleurs d'oreilles, il pourrait s'attendre à ce que je le rosse impitoyablement !
Oui, je pourrais peut-être faire un effort pour que Willelmina arrête de pleurer... Laisser une chance au nouveau de faire ses preuves et de me prouver ses intentions au sein de l'équipe...
Mais tout d'abord... je collais ma truffe contre le bras de mon humaine pour la réconforter. Elle me gratta un peu derrière les oreilles, juste là où ça faisait un bien fou. Il n'y avait pas à dire, elle savait y faire avec le gratouillage d'oreille, ma dresseuse.
Je lui dis donc doucement :
-Allez, Willelmina ! Du nerf ! On a pas fait tout ça pour se laisser abattre, hein !
Typiquement le genre de truc qu'elle dirait... Elle ne releva pas la tête. Je continuais.
-On va se trouver un coéquipier, je veux bien lui laisser une chance maintenant, ok ?
Mais elle semblait ne pas m'entendre et continua à sangloter. Elle avait toujours été sensible, cette petite. Mais c'était aussi ce qui me plaisait chez elle, et qui la différenciait de tous ces sombres ahuris de la guilde.
Face à son manque de réaction, je décidai donc de prendre les choses à quatre pattes. Je lançai à mon humaine :
-Bon, reste là, attends moi, je reviens le plus vite possible !
Puis la truffe au vent, en inhalant toutes les odeurs locales un maximum, je m'enfonçais dans les bois à la recherche d'un habitant susceptible de me renseigner.

Je sentais essentiellement des odeurs de mousse, de feuille, de terre humide, de champignons à mesure que je m'éloignais de ma dresseuse pour m'enfoncer dans cette forêt qui commençait petit à petit à prendre les couleurs dorées de l'aurore.
Je finis néanmoins par dénicher l'odeur d'une famille de chenitis, que je retrouvai accrochée à une branche en train de se secouer pour déloger la rosée matinale de leur feuillages.
La mère, une cheniselle à la cape de sable se posta entre moi et sa progéniture, et demanda sèchement :
-C'pour quoi ?
-Je cherche des compagnons de type ténèbres pour partir à l'aventure avec moi... et mon humaine.
Elle me jaugea avec toute la méfiance dont une mère pouvait faire preuve quand un prédateur s'approche du nid de ses petits. J'essayais de la rassurer :
-Je suis bien nourri, vous savez, mon humaine me nourrit plusieurs fois par jour, je ne vais pas vous carboniser.
Elle sembla se détendre un peu et m'indiqua une piste qui serpentait au travers de massifs de ronces.
-On a un village par là-bas ! Allez donc y voir si y a ce qu'y vous faut.
Je me demandais si elle ne cherchait pas juste à m'éloigner au plus vite, mais n'ayant pas vraiment d'autres pistes, je suivis son conseil. Au bout de quelques minutes à arpenter le sentier boueux, je commençai à sentir les odeurs de nombreux pokémons, plus fraîches que dans le reste de la forêt. Il y avait donc vraiment un village pokémon dans le coin... Une série d'autres minutes plus tard, j'arrivais dans une clairière qui était aussi la place principale d'un village pokémon, autour de laquelle s'organisait une multitude de terriers, de nids, de petits tas de bois épais aménagés en huttes à la manière castorno. L'ensemble était bordé d'un étang dans lequel on voyait barboter quelques pokémon eau venant profiter des premiers rayons de soleil.
Mon arrivée ne passa pas inaperçue, et suscita l'intérêt des plus jeunes² qui se précipitèrent à ma rencontre, m'assaillant de questions sous l'œil intrigué de leurs parents :
-Tu viens d'où ? Tu viens de loin ? T'es un voyageur ? Y t'est arrivé quoi ? T'as déjà vu des humains pour de vrai ? Y t'ont battu ? Tu nous racontes ? Tu maîtrises des attaques de combat ? T'as déjà fait des combats ? T'as déjà vu des légendes ?
Finalement, la foule d'accueil s'écarta pour laisser apparaître... un pokémon que je ne connaissais pas. Ou plutôt, un pokémon dont j'avais entendu parler dans les histoires, mais que je n'avais jamais vu en vrai.
On disait qu'on le trouvait seulement dans les manoirs, les châteaux et les quartiers généraux de certaines guildes, dans les grandes maisons de certaines familles anciennes, en bref, dans tous les bâtiments prestigieux. Ils étaient presque une marque de prestige en eux-même. Il n'y en avait pas chez nous, dans le bâtiment de la guilde, parce que ces pokémons n'aimaient pas les types ténèbres, mais j'avais ouï dire que les pontes de la guilde spectre en avait un élevage dans la capitale. Cependant, on racontait que leurs flammes étaient d'un violet plus froid qu'une nuit sans lune, mais les flammes de celui-ci flambaient d'un orange chaleureux. Ses yeux d'un rose profond et insondables n'exprimaient rien et me mettaient mal à l'aise. On sentait aussi qu'il avait du vécu, comme en témoignaient les nombreuses fêlures qu'on voyait sur ses branches. La partie ronde de son corps était fendue d'une grande craquelure comme une balafre qui le marquerait à vie – ou à mort, et qui témoignait de son expérience passée.
Il s'adressa à moi, et sa voix était grave comme un gouffre aux fonds insondables, mais accueillante comme un lit tiède après la nuit tombée.
-Bienvenue, étranger. Je suis Méliandre, chef de cet humble village pokémon.
Me voyant béer face à cette soudaine apparition, il secoua légèrement ses branches et déclara d'une voix amusée :
-Surpris ?
Parvenant à retrouver l'usage de ma voix, j'acquiesçai en répondant timidement :
-Oui. Je ne pensais pas trouver un mélancolux en pleine forêt.
-Mais pas aussi surprenant que la venue d'un malosse, alors, que viens-tu faire dans notre modeste village, étranger ?
Je devais bien admettre que ceux de mon espèce étaient loin de courir cette région forestière, préférant les zones plus volcaniques, situées toute à l'Est de ce pays,et donc que voir un malosse débarquer était un petit événement. Je pris une grande inspiration et étalai mon cas :
-Je suis venu chercher un compagnon d'aventure de type ténèbres pour voyager avec moi et mon humaine.
Un grand silence accueillit mes propos. Méliandre resta de marbre, ou en l'occurrence, il resta de verre, mais je sentis que son ton s'était figé comme pour dissimuler une grande colère, ou peut-être une grande tristesse, lorsqu'il prit la parole :
-Ton humaine. Tu voyages avec une humaine.
Mal à l'aise, sentant tous les regards braqués sur moi, et sur le chef de type spectre, je répondis timidement :
-Ou... oui...
Il y eut un nouveau silence, que le mélancolux rompit à nouveau :
-Tu l'aimes ?
Je ne compris pas tout de suite sa question, mais je répliquai avec franchise :
-Oui, bien sûr !
Puis, face au regard inexpressif de mon interlocuteur, mais qui sous-entendait quand même un sentiment complexe, je me sentis obligé d'ajouter :
-Elle me nourrit plusieurs fois par jour, elle me brosse, elle me grattouille les oreilles, elle m'a acheté un beau coussin pour dormir... Elle est pas très fûtée, mais elle m'aime et elle s'occupe bien de moi !
Songeur, Méliandre répéta :
-Elle s'occupe bien de toi...
Nouveau silence. Puis brusquement, il déclara :
-Suis moi.
J'obtempérai, et lévitant dans les airs, il me guida dans un terrier spacieux, probablement aménagé par des pokémons de type sol, qui s'enfonçait sous terre jusqu'à déboucher sur une grande cavité naturelle où s'organisaient plusieurs pokémons. On y voyait un chétiflor trier des baies, une leveinard s'occuper d'un piafabec qui s'était froissé une aile, un ossatueur occupé à donner des ordres à un capumain, un mystherbe, un insolourdo et un rattata qui semblait plus occupé à finir sa nuit. Mon hôte me guida ensuite vers une cavité plus petite au centre de laquelle brûlait un grand feu. Quelques petits pots étaient entassés dans un coin et dégageaient une odeur âcre d'herbes médicinales, ainsi qu'une odeur plus douce et sucrée que je ne parvint pas à identifier correctement.
-Bienvenue chez moi...
Il hésita avant de continuer :
-Tu ne nous as pas dit ton nom...
-Onix.
Il réussit l'exploit d'avoir l'air surpris malgré son expression inchangée.
-C'est l'humaine qui t'as appelé comme ça ?
Ne voyant pas où était le reproche qu'il cachait dans cette question, j'acquiesçai. Il prit une grande bouffée d'air qui raviva ses flammes quelques secondes, puis il déclara :
-Ce sont les humains qui m'ont nommé Méliandre. Je n'étais qu'un jeune funécire insouciant à l'époque. Je vivais dans un manoir dans une région voisine. C'était la belle vie. Nous avions des conditions de vie idéale, de l'obscurité, un grenier rien qu'à nous, des humains avec qui jouer, des cuisines toujours pleines... J'ai fini par me lier d'amitié avec le fils du château. C'était plutôt pas mal, malgré les rumeurs. Les humains nous tolèrent, mais ils sont toujours à raconter que nous les possédons pour leur faire faire du mal, que nous leur drainons leur âme, et d'un autre côté, ils nous considèrent comme l'esprit de leurs prestigieux ancêtres venus hanter leurs sources de lumières pour les plonger dans les ténèbres... Ils nous détestent d'un certaine façon, mais n'osent pas s'opposer ouvertement à nous. C'est là tout leur paradoxe, méfiance et fascination.
Et puis mon ami humain a grandi, et un jour il a décidé de rejoindre la guilde Spectre.
Une guilde de spectres ! J'allais pouvoir rencontrer d'autres espèces de mon type, élargir mes horizons... Mais ce fut un véritable cauchemar. Ils ont retourné la tête de mon dresseur, lui ont ravagé les idées... Ils ont exigé qu'il me donne un nom. Ils lui ont suggéré Méliandre, et il leur a obéit. Ils lui ont dit de se méfier de moi, que je pouvais prendre possessions de son corps pour vivre sa vie à sa place, et il les as cru, il a appris à me déprécier.
Ils nous obligeaient, nous les spectres, à nous battre entre nous, pour que nous évoluions plus vite. Ceux qui refusaient de se battre voyaient leurs amis humains humiliés et devaient quand même endurer les attaques des autres qui n'hésitaient pas sous peine de subir le même sort. Ils encourageaient la rivalité entre nous, parce que ça leur permettait de mieux nous contrôler, de mieux nous menacer ou nous punir en cas de désobéissance.
A cause des stupides clichés qu'ils véhiculaient entre eux, ils ne nous nourrissaient pas. Ils nous interdisaient l'accès aux cuisines, sous prétexte que nous n'avions pas besoin de manger et que nous ne devions pas jouer avec la nourriture des autres. Ils les faisaient garder par des doubles types qui avaient droit à de la nourriture et qui étaient trop contents d'avoir la main-mise sur cette ressources vitale. Et gare à celui qui tenterais de se nourrir de leur énergie vitale, ceux-là disparaissaient sans laisser de trace...
Mais malgré ça, beaucoup restaient parce que... Ils n'avaient pas d'autres endroits où aller. Parce qu'ils ne savaient pas où se réfugier quand l'astre du jour est à son apogée... J'ai eu de la chance d'être double typé avec le feu.
J'ai essayé plusieurs fois de faire comprendre à mon dresseur que je voulais partir, mais il a préféré rester avec ces tortionnaires. Je l'ai protégé des rivaux et des abandonnés qui voulaient le posséder, j'ai lutté pour manger toutes les nuits, à voler dans les maisons des habitants de la ville où nous vivions au risque de me faire surprendre et tabasser par les pokémons de ses gens, et lui n'a jamais vu ma souffrance, il s'en fichait. Et comme un idiot, par amitié pour lui, je suis resté. Et une nuit, nous étions en mission dans une montagne loin d'ici, il y a eu des pluies diluviennes, un torrent est monté en crue et a tout emporté sur son passage, y comprit mon humain et l'auberge où il dormait... Et je me suis retrouvé tout seul.
Alors j'ai compris... J'ai compris que toutes ces affreuses années, ces sacrifices, tout cela était vain. Alors je suis revenu, pour délivrer es camarades spectres du joug de ces humains, ces traîtres qui nous font miroiter monts et merveilles pour mieux nous asservir et nous exploiter. Je me suis installé ici, parce qu'ils avaient besoin d'un type feu pour survivre plus facilement l'hiver. Ils aiment mes conseils et mon expérience. Et un jour, je prendrais ma revanche sur cette guilde et sur ces humains pour qui nous ne valons pas mieux que des objets...
Il prit une nouvelle flambée d'inspiration et conclut :
-Tous les humains nous prennent pour des objets, et nous exploitent. Je suis là pour que ça change. Les humains m'ont nommé Méliandre, et c'est avec ce nom maudit que je signerai ma revanche sur ces êtres méprisables ! Je délivrerai les spectres !
Je restais figé par tant de véhémence à l'encontre des humains. Je savais que les gars de la guilde Spectre affamaient leurs pokémons, mais je ne pensais pas qu'ils vivaient aussi mal... Mais quelque chose dans le discours du pokémon me perturbait. Mon hôte continua :
-Tu dis que tu aimes ton humaine et qu'elle t'aime, et je ne mettrais pas en doute ta parole. J'ai su ce que c'était et je ne l'ai pas oublié. Je me vengerai, mais je ne frapperai pas aveuglément. Tu dis que tu cherches des compagnons pour elle et toi, il y a beaucoup de jeunes dans ce village qui rêvent de telles aventures. Alors, je te donnerai le même conseil qu'à eux : méfies-toi des humains. Les humains peuvent nous trahir à tout moment, sans aucune once de remord. Ils sont retors, vicieux.
Poliment, j'acquiesçai. Son histoire m'avait donné de quoi réfléchir. Néanmoins, je savais que mon histoire était différente, que ma Willelmina, toute peu futée qu'elle était, ne m'avait jamais privé de manger, contrairement à l'expérience qu'avait vécue Méliandre. Elle ne m'avait jamais forcé à me battre, du moins, jamais sérieusement. Elle préférait déplacer à la main un psykokwak au risque de se faire pincer le bras que de m'obliger à me battre contre un type que je craignais. Et j'eus beau réfléchir, elle ne m'avait jamais traité comme un objet. Elle était inoffensive au possible. J'en conclus que le spectre de feu n'avait jamais eu de chance dans sa vie et qu'il était tombé sur la mauvaise personne. Je le lui dis :
-Willelmina n'est pas comme ton dresseur. Aucun de nous ne se plaint de famine dans la guilde Ténèbres... Alors même si un jour elle change en mal, je pense que je vais quand même tenter ma chance...
Le mélancolux cligna des yeux, chose qu'il ne faisait pas très souvent, et déclara d'un ton solennel :
-Je comprends. C'est bien. L'expérience de chacun varie du tout au tout. Et je ne souhaite à personne de vivre la même chose que moi. Mais si ton humaine te trahit un jour, saches que tu seras le bienvenu ici.
J'eus la soudaine impression que mon hôte avait surtout cherché à vider son sac, à chercher un avis de quelqu'un qui avait connu la proximité des humains, quelqu'un qui pouvait lui témoigner de la compassion ? N'avait-il pas dit que les gens de son village ignoraient beaucoup de choses sur les humains, hormis ce qu'il avait dû leur raconter, pour les admirer autant ? Il devait probablement se sentir seul ici, à détester ses anciens maîtres quand les autres ne savaient pas ce qu'étaient un maître... Ou peut-être avait-il simplement envie de jauger la mentalité hors de la guilde spectre pour savoir qui frapper de sa vengeance... Quoiqu'il en soit, ce n'étais pas vraiment mon problème. Je lui répondis :
-Merci. Mais Willelmina m'attend, je vais devoir me dépêcher de trouver un compagnon, elle est toute seule.
Mon interlocuteur ne répondit rien et me raccompagna sur la place du village en surface. Je me demandait vraiment quelles avaient été ses intentions et pourquoi il m'avait raconté tout ça...
Une fois revenu à l'air libre, je remarquais qu'une multitude de pokémons discutaient avec animation. Un petit chacripan sautilla vers moi.
Il était minuscule, il m'arrivait à peine sous le ventre.
-Moi, Montieur, moi moi ! Ze veux partir l'aventure avec un zhumain !
Je ne l'imaginais pas faire des longues marches, se battre contre un pokémon aggressif... par contre, je l'imaginais sautillant partout, ou bien niché dans la main de Willelmina qui le regardait sceptique et me demandait « c'est tout ce que tu as trouvé ? », ou me piquant mon coussin...
-Pas question, tu es beaucoup trop jeune ! Reviens dans quelques années, on en reparlera !
Il y eut quelques rires et le petit courut vers ses parents en pleurant, puis sa mère lui expliqua d'un ton rassurant que le malosse avait raison.
Je n'eus pas le temps de bouger qu'un vieux grahyena s'avança vers moi.
-Moi je suis prêt à partir à l'aventure...
Sa voix était chevrotante, et il marchait avec difficulté. Je l'imaginais déjà ramper à notre suite, la langue pendante sur les graviers de la route, priant pour un peu d'eau, ou encore face à un ennemi qui l'ignorait totalement en lui marchant dessus, ou ratant un saut pour grimper sur un tronc entravant un chemin, ou me piquant mon coussin...
-Pas question, vous deviez penser à votre retraite, mon vieux, je ne voudrais pas avoir votre mort sur les pattes.
Le pokémon canin s'éloigna donc en maugréant qu'il avait quand même encore presque toutes ses dents.
Un troisième candidat s'avança. Il avait environ le même âge que moi, il semblait intelligent, plein de ressources, assez fort pour affronter un adversaire en combat sérieux, assez classe pour en mettre plein la vue aux petits nouveaux, il ne risquait pas de me piquer mon coussin... Je ne pouvais lui reprocher qu'une chose :
-Je suis désolé, mais nous recherchons un type ténèbres, et vous êtes un insécateur...
Avec autant de regret chez moi que pour lui, l'insecte volant s'éloigna.
Puis un cacturne s'avança. Il était fort, il était beau, il sentait bon le sable chaud, il respirait l'assurance et transpirait la puissance, il était de type ténèbres, il inspirait le respect, il ne risquait pas de me piquer mon coussin... Et il déclara :
-Accepteriez vous de prendre mon fils ?
Mon rêve de briller aux côté d'un puissant et classieux cacturne partit en fumée, lorsque ce dernier, joignant le geste à la parole, poussa devant lui un jeune pifeuil à l'air blasé.
L'intéressé était plutôt grand pour son espèce, mais il était aussi d'une maigreur qui ne me parut guère rassurante sur son état de santé ou ses capacités, mais il ne semblait pas malade pour autant, et on ne me le proposerait sans doute pas s'il avait été souffrant. Je n'étais pas un expert des pokémon plantes après tout, et si les autres le jugeaient aptes à un voyage, ce n'était pas moi qui allait les contredire. La feuille sur sa tête était rabattue vers l'avant de sa tête et lui cachait un œil, et il mâchouillait un innocent fétu de paille. J'étais un peu sceptique.
-Tu voudrais partir à l'aventure ?
Pour toute réponse, le pokémon plante se contenta de hausser les épaules. Son père lui tapota l'épaule et déclara fièrement :
-Les voyages forment la jeunesse, fils ! J'ai beaucoup appris et je suis devenu beaucoup plus puissant, même si je n'ai jamais voyagé avec un humain. Ça te fera du bien de voir de nouveaux horizons.
Le fiston chassa la patte de son paternel d'un geste négligent et répondit avec tout autant de nonchalance :
-Ouais, ouais...
Ce n'était sans doute pas le candidat idéal, mais il serait sans doute mieux qu'un chacripan de poche ou qu'un grahyena arthritique et édenté. Je m'adressai au jeune :
-Alors, comment tu t'appelles ?
-Les noms ne sont que futilités, car la mort nous rend tous égaux dans l'oubli.
J'interrogeai du regard le père qui parut soudain embarrassé. Il sembla comprendre mon message muet « il est toujours comme ça ? » car il affirma :
-Il a vraiment besoin de sortir de son trou...
J'en convenais, mais pourquoi diantre fallait-il que sa tombe sur moi ? J'étais déjà moyennement gâté avec Willelmina... Avec un soupir, je dis :
-De toutes façon, Willelmina te donnera sûrement un nouveau nom comme elle l'a fait pour moi, vu que les humains ne comprennent pas la langue des pokémons... Allons-y, alors...
Le jeune haussa les épaules, puis il me suivit sans faire d'histoire, sous les encouragements de son père qui lui affirmait à quel point les voyages, c'était bien, positif et enrichissant... J'aurais bien rajouté quelques adjectifs de mon crû à la description du père, mais le pifeuil découvrirait bien assez vite les ombres du tableau...

Ma petite escapade au village pokémon du coin avait bien duré une heure. Retrouver ma dresseuse ne fut pas très difficile, il me suffisait de retrouver mon odeur sans celle du pifeuil et de remonter la piste. Je finis par la retrouver, là où je l'avais laissée, sous son hêtre. Elle n'avait pas bougé... Au moins, mon humaine était sage quand je n'étais pas là pour veiller sur elle.
J'allai me poster directement devant elle, empli de fierté, mais en me demandant quel était le meilleur moyen pour lui annoncer que son vœu le plus cher s'était réalisé : nous avions un compagnon qui n'était pas un piqueur de coussin ni de dresseuse, et je doutais que celui-ci tenterait de me piquer son affection.
D'ailleurs, c'était vrai, maintenant que j'y pensais, le pokémon plante ne risquait vraiment pas de chercher a me piquer l'amour de mon humaine... Finalement, j'avais peut-être ramené le candidat idéal...
-C'est toi Onix, mais t'étais où ? Je me suis fait un sang…
Elle vit alors notre nouvelle recrue. Elle sembla tout d'abord ne pas en croire ses yeux, son regard glissa plusieurs fois de lui à moi, et enfin, elle percuta.
-Onix, tu… tu as trouvé ton coéquipier… tout seul ?
Pas vraiment tout seul, mais il n'était pas nécessaire qu'elle le sache, et de toute façon, elle ne comprendrait probablement pas mes paroles. J'acquiesçai néanmoins en lui lançant un :
-Hé ouais, tu crois quoi !
Et pour la première fois depuis que le soleil s'était couché la veille, et même depuis quelques jours, je vis ma dresseuse sourire, d'un vrai sourire franc. Elle se dirigea vers notre nouveau compagnon et lui dit :
-Bonjour toi ! Je suis Willelmina, la dresseuse d'Onix. Tu voudrais intégrer notre équipe si je comprends bien ?
L'intéressé me lança un de ses regards blasés. Je l'encourageais d'un imperceptible mouvement de tête. Il était la recrue parfaite et non encombrante pour notre équipe, après tout. Il répondit donc en hochant également la tête à l'affirmative. Mon humaine était tout excitée. Je m'installai près d'elle pour voir de plus près comment l'autre allait réagir, mais il n'avait aucune réaction. Il semblait étonnement peu enclin à s'exprimer et semblait encore se foutre de tout ce qui pouvait bien lui arriver. Il sembla cependant amorcer un imperceptible mouvement de recul lorsque Willelmina s'approcha de lui, mais il ne bougea pas et se laissa faire. Il était vraiment résigné et amorphe, ma parole !
- Je peux te toucher ?
Pour toute réponse à ma dresseuse, il haussa une fois de plus les épaules. Elle lui caressa la tête, il n'eut toujours aucune réaction, même si je sentais qu'il était un peu nerveux. Sa respiration était légèrement plus rapide. Finalement, mon humaine déclara :
-Il faudrait te trouver un petit nom, ce serait injuste qu'Onix soit le seul à en avoir… Il faut que j'y réfléchisse.
Et voilà, nous y étions. Et j'avais le sentiment que quelque soit le nom choisi, il s'en ficherait... Juste une intuition... Il y eu un moment d'intense réflexion bercé de silence, puis ma dresseuse ouvrit la bouche, délivrant ainsi le nom fatidique...
-Au fait, tu es un mâle ou une femelle ? Comment on fait pour savoir avec les pokémons ?
Ou pas. Je ne pus m'empêcher de rigoler, et j'eus encore plus de mal à retenir un fou rire lorsque je vis l'imperturbable plante ténébreuse succomber à une vague de panique et s'agiter frénétiquement en me désignant.
-Tu es comme Onix… Un mâle ?
L'autre acquiesça avec soulagement. Dommage, cette situation aurait pu être amusante au possible, surtout si elle avait décidé de le prendre pour une femelle...
-D'accord, alors dans ce cas… L'onyx est une pierre précieuse, il faut donc que je trouve un nom de joyau qui serait vert… Laisse-moi réfléchir...
Ce qu'elle fit l'espace d'une seconde, avant que ne tombe la sentence :
-Je sais ! Tu t'appelleras Malachite !
La nouvelle pierre à l'édifice de notre précieuse équipe eut une expression étrange et indéchiffrable l'espace d'une seconde, puis il reprit son air inexpressif et blasé. Willelmina se tourna vers moi, et me regarda comme dans l'expectative. Je hochais la tête dans l'affirmative. Cette situation m'allait parfaitement, tout allait bien, si nous allions déjeuner maintenant ?

Willelmina se tenait, raide, face au maître de la guilde, l'encapé aux allures de serpillière mal lavée. Elle avait tout de même pris le temps de changer sa seconde peau, se décrasser, sans oublier de me donner un coup de brosse et un petit morceau de lard. Méliandre pouvait dire ce qu'il voulait, les humains avaient quand même leurs bons côtés.
L'homme consignait soigneusement dans un grand registre les informations concernant le nouveau membre de notre équipe. Puis il s'adressa froidement à mon humaine :
- Ainsi tu as réussi à le capturer, Willelmina. Je t'avoue être agréablement surpris, cette action rehausse tes derniers résultats moins glorieux.
Finalement, il y avait peut-être du vrai dans les propos que m'avait tenu le mélancolux, et j'étais peut-être un privilégié d'être tombé sur cette humaine-là, plutôt que sur celui d'en face... Elle répondit avec tout autant de froideur :
-Je vous remercie de votre compliment maître.
Je me demandais vaguement si elle abandonnerait la guilde si je lui faisais comprendre qu'il valait mieux pour nous de la quitter, où si elle réagirait comme le dresseur du spectre de feu.
Mes pensées revinrent au présent lorsque le cheftain en noir déclara avec dédain :
-En revanche il ne s'agit que d'un pifeuil, seulement le deuxième stade… Tu as intérêt à le faire rapidement évoluer en tengalice, il s'agira alors d'un pokémon véritablement apte à susciter l'admiration qui sied à la Guilde Ténèbres. Nous ne voudrions pas laisser penser que nos membres se sont reconvertis dans la botanique, n'est-ce pas ?
Évidemment. Il ne fallait pas s'attendre à mieux que du mépris de la part de ce ramasse-poussière enflé d'orgueil. Le jour où j'évoluerai, je ne laisserai plus ce type écraser ma soumise de dresseuse sans réagir, ça non...
Mais contre toute attente, cette dernière répondit avec toute l'innocence dont elle était capable :
-Et pour votre farfuret maître, vous comptez bientôt le faire évoluer également ? Il ne faudrait pas qu'on pense que les membres de la Guilde Ténèbres ont le cerveau gelé par la bêtise !
Je fus encore plus choqué que lorsque j'avais croisé un mélancolux dans une forêt. D'ailleurs, ce dernier m'était complètement sorti de l'esprit tant j'étais stupéfait par l'audace de ma dresseuse. Et en même temps, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire par sa remarque. Je crus même voir un rictus s'épanouir sur le visage du pifeuil. Je crois que ma petite humaine chérie commençait à lui plaire...
Et la tête du vieux était impayable. Il restait figé là, la bouche ouverte et les yeux écarquillés comme un barloche frit.
Toujours en rigolant, je rejoignis ma dresseuse et mon coéquipier qui avaient préféré ne pas attendre que l'illuminé des ténèbres réponde.
Ma petite dresseuse devenait grande...
Voilà qui promettait des moments inoubliables !