Chapitre 2 - Tout est dans la préparation
Flinguons nos vies, à quoi bon devenir de jolis cadavres ? À moins de vouloir séduire un nécrophile, évidemment… comment ça je suis pas autorisée à propager mes mauvais préceptes ?!
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Chapitre 2
Tout est dans la préparation
Johto jouissait d'un climat tempéré identique à celui de Kanto – ni Hellä ni Quinn ne furent dépaysés en débarquant sur le petit port de plaisance de Ville Griotte. La première s'enthousiasma d'abord en avisant la côte, probablement le paysage qu'elle aimait le plus. Quinn n'eut pas le temps de lui dire que ce n'était une plage tropicale, ni Irisia, qu'il se retrouva largué sur le quai avec les valises, une paire de chaussettes et une de bottines haut-perchées. Hellä et Evoli les avaient plantés là, lui et Reptincel, et sans sa camarade vive, bien qu'un peu extravagante, et l'adorable renard, ils avaient l'air de deux psychopathes à lunettes. Les gens faisaient même un écart en arrivant à leur hauteur !
Ces lunettes avaient un super-pouvoir.
De son côté, insoucieuse des tourments de son cadet, Hellä fit quelque part dans le sable froid et humide, traversé çà-et-là par quelques touffes d'herbe. Elle fit la moue devant la pâleur maladive des grains, mais une plage était une plage, et elle appréciait cette simple balade. Elle était née Flocombe, une cité froide et morne entre deux montagnes impraticables l'hiver venu. Voir la mer se perdre à l'infini, et non pas un horizon bouffé par les pics rocheux, l'emplissait de félicité. Ce n'était pas Papeloa – son Paradis terrestre personnel –, mais c'était toujours l'océan en face d'elle !
… OK, l'eau était froide et pleine d'algues dégueues. Mais c'était toujours l'océan, quand bien même Hellä rêvait plutôt d'eaux translucides et de plages d'or pâle.
Hellä se rappela soudain qu'elle avait un Pokémon à charge à présent – le gosse ne comptait pas, il pouvait bien veiller sur lui quelques minutes – et fit volte-face, inquiète de l'avoir semé. Mais Evoli l'avait bien suivie. Il secouait ses pattes pleines de sable avec inconfort, surveillant du coin de l'œil, aussi près que possible sans être touché, du flux et du reflux paresseux de la marée. Il afficha une mine désespérée devant sa fourrure mouchetée de grains blanchâtres, qu'il masqua promptement quand il remarqua que sa dresseuse le regardait fixement.
Mais Hellä sourit et soupira avant de se rapprocher en faisant attention de ne pas l'éclabousser. Elle prit l'Evoli dans ses bras et le souleva sans se soucier qu'il lui mette du sable partout, pour épousseter un à un ses coussinets souillés.
- 'Faut le dire, si t'aime pas un truc, lui dit-elle doucement. Moi j'adore avoir du sable partout, mais c'est pas le cas de tout le monde. Tu n'es pas obligé de marcher sur la plage si ça te dérange, d'accord ?
Elle lui adressa un sourire lumineux. Elle semblait pouvoir le porter sans effort, et Evoli se logeait parfaitement au creux de ses bras, comme s'ils avaient été dessinés pour le supporter.
- Je peux te porter facilement si tu ne veux pas marcher, lui dit-elle.
Elle le cala contre sa hanche pour ne le tenir que d'un bras et essuya sa main libre contre son jean, la débarbouillant de sable, avant de le caresser sur toute la longueur des oreilles plusieurs fois d'affilée. Puis, patiemment, seul rempart entre lui et cette eau salée qui lui faisait horreur, elle lui décrassa les pattes autant qu'elle le put, flânant dans l'écume, de l'eau jusqu'aux chevilles. Evoli se blottit plus contre elle, malgré les longues mèches anarchiques qui lui chatouillaient le museau, commençant à ressentir un début de chaleur, d'affection pour cette humaine…
- HELLÄ ! hurla Quinn depuis le chemin bétonné délimitant la plage. 'Faut s'inscrire à la Ligue !
Evoli n'était pas vraiment bien entraîné, mais il avait des crocs et se jura de les enfoncer dans le mollet de ce briseur de ménage. Hellä soupira également, murmurant « Adieu plage et tranquillité, bonjour hormones et emmerdes. », mais elle rejoignit son camarade sur le bitume.
- Bah alors, où est ma serviette ? demanda-t-elle.
Le bas de la frimousse de Quinn s'entacha d'incompréhension, bien que ses lunettes cachaient le meilleur : des yeux que Hellä devinait sans peine déboussolés.
- Hein ? fit-il sans comprendre.
- Pour le sable que j'ai sur les pieds ! exposa-t-elle en prenant le ton de l'évidence, en rajoutant à son trouble. Nan ? Sérieux ? Ouah et tu oses m'appeler comme ça, peinard…
Un petit tic au coin de sa bouche lui indiqua que la panique, dictée par l'incompréhension, venait de pointer le bout de son nez. En effet, Quinn se fit violence pour ne pas se tourner vers Reptincel et lui demander d'un regard s'il n'avait pas brisé là un code homme-femme fondamental. Un réflexe débile, au demeurant : d'un, il ne pratiquait pas la télépathie ; de deux, il portait des lunettes, alors la communication par le regard, c'était mort ; de trois, il avait failli interroger un POKÉMON sur les femmes. Un Pokémon ! Il y avait des limites à être pathétique !
Hellä sourit largement, machiavélique, devinant à l'angle de la tête de Quinn (et à ce dont elle se souvenait de sa gestuelle en cas d'embarras) qu'il ne la regardait pas elle, mais un point au bout de sa chaussure. Elle pouvait presque voir son cerveau vrombir sous son crâne. Elle afficha une moue vaguement penaude, déçue, marmonnant :
- Bon bah, je vais me débrouiller, hein… tiens-moi ça, ajouta-t-elle lui fourrant Evoli dans les bras.
- Arrête ! couina le garçon. Il va me foutre du sable partout !
- T'es une diva ou quoi ?
Piqué à vif, Quinn n'eut pas d'autre choix que de tenir le petit Pokémon, qui lui jeta une œillade irritée. Quinn eut même l'impression qu'il labourait sciemment ses avant-bras de ses petites griffes aiguës. Qu'est-ce qu'il lui avait fait, à cette bestiole ?! De plus, Hellä prit tout son temps pour retirer à la main le sable de ses pieds, qu'elle hydrata ensuite à la crème pour ne pas « être au sec dans ses chaussettes ». Laps de temps qu'Evoli employa à peser le plus lourd possible le plus douloureusement possible.
Finalement, Hellä remit ses souliers, récupéra un Evoli ravi d'être débarrassé de l'affreux gêneur, le mit sur son épaule et récupéra sa valise.
- Qu'est-ce que tu fais planté là, Quinn ! s'exclama-t-elle. On doit s'inscrire à la Ligue !
Même les lunettes de soleil ne parvinrent pas à masquer l'ahurissement outré de l'adolescent à ces mots, qui se changea en rougissement autant de gêne que rage quand elle s'éloigna d'un pas rapide et aisé malgré ses talons et son chargement. Et, tandis qu'il l'invectivait dans son dos, employant par ailleurs des mots pas très jolis qu'elle lui ferait payer plus tard, Hellä se pencha contre Evoli et chuchota :
- Tu sais, parmi les autres trucs que j'adore faire… (Elle sourit, du même sourire diabolique qu'elle n'avait pu réprimer tantôt.) Y'a emmerder les gosses.
Les bougonnements de Quinn sonnant comme une douce musique dans son dos, au final, elle prit la direction du Centre Pokémon en sifflotant un air enjoué.
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L'infirmière Joëlle de Ville Griotte n'avait jamais beaucoup de travail. Il n'y avait pas de ville plus paisible à Johto – elle n'était qu'une brève étape dans un voyage initiatique, comme dans un voyage normal. Tenir un Centre Pokémon était déjà prenant comme ça, mais elle se félicitait de ne pas travailler à Doublonville, où chaque Centre était constamment pris d'assaut par des dresseurs venant tant du Parc Naturel que du Bois aux Chênes, sans parler de l'arène, des souterrains, et des combats non-officiels dans les terrains vagues. Non, vraiment, Ville Griotte était une chic ville : malgré le stress typique des établissements de soin, elle pouvait faire des nuits complètes la plupart du temps.
Les portes automatiques du Centre coulissèrent néanmoins et elle se tendit imperceptiblement, se demandant quelle blessure elle allait devoir soigner tout en gérant un dresseur angoissé. Mais les nouveaux arrivants n'avaient pas l'air pressé du tout, éloignant l'hypothèse de l'urgence. Le Reptincel à lunettes aux pieds de son maître et l'Evoli ébouriffé sur l'épaule de sa maîtresse avaient l'air en bonne santé, bien que leurs écailles et pelage fussent un peu ternes. Leurs dresseurs, penchés sur une carte, se disputaient sur l'itinéraire à choisir – un peu vieux pour des gamins en voyage initiatique…
Le regard de l'infirmière se porta d'abord sur le jeune homme, à qui elle ne pouvait donner d'âge à cause des lunettes d'aviateur opaques masquant le haut de son visage. Un peu plus petit que sa comparse, et à peine plus costaud, il arborait une tignasse châtaine, avec une longue frange asymétrique décolorée en rouge. Des boutons constellaient ses joues et son menton, et elle devina qu'il était assez jeune malgré tout. Sa veste en cuir sans manches sur un tee-shirt abîmé, son jean usé et déchiré aux genoux et ailleurs, ses grosses chaussures rouges lui conféraient un air dur, menaçant, pas le genre de type à qui on rayerait la carrosserie de sa précieuse moto.
Sa camarade devait avoir un peu plus de vingt ans. Perchée sur de hauts talons, elle compensait leur différence de taille plus qu'aisément. D'une délicatesse toute féminine, ses courbes étaient moulées par un slim et un haut à paillettes largement échancré. Ses bracelets de cuir s'accordaient bien au look du jeune homme l'accompagnant, mais contrairement à lui, elle n'était pas ténébreuse, loin de là. Blonde comme les blés, sa chevelure cascadait, légèrement échevelée, jusqu'en bas de son dos. Elle leva de la carte un visage mignard, en pointes mutines et courbes tendres, rehaussé par un maquillage soigné. Ses yeux, de la couleur d'un ciel d'été, ressortaient, immenses et brillants, soulignés par le khôl et les fards.
- … donc vers la Route 30 ! disait le jeune homme. Après on passe sur la Route 31 et on arrive à Mauville. Y'a rien à Bourg Geon, à part le professeur Orme, mais à quoi ça sert ? On peut y aller si on veut rejoindre le Plateau Indigo, quoi. Mais là tout de suite, ça serait juste faire un détour débile.
- Je vois… OK, ça me va. Va pour Mauville.
Satisfait d'avoir eu le dernier mot, le jeune homme rangea la carte, avant de réaliser qu'elle venait de le planter à l'entrée avec les valises.
- Bonjour ! lança gaiement la blonde en s'accoudant au comptoir. Nous venons nous inscrire à la Ligue.
L'infirmière Joëlle répondit spontanément au salut et au sourire lumineux de la jeune femme, avant de se poster devant un ordinateur.
- Pour la Ligue Indigo ? demanda-t-elle.
- Euh, plus le parcours libre, précisa la jeune femme. Vous savez, celui où il faut huit badges différents, peu importe la région.
L'infirmière hocha la tête et ouvrit un fichier approprié. Les adolescents ou les jeunes adultes – voire même, parfois, des personnes plus mûres, en crise de quarantaine par exemple – se lançant dans un voyage initiatique tardif préféraient souvent un parcours libre à un parcours classique, imposé aux enfants de dix ans dans leur région, encadrés par le professeur responsable local. Si les premières Pokéball, un Pokédex, un kit de Potions et, plus important, un Pokémon de départ étaient fournis dans ce cas-là, ça ne l'était pas pour les parcours libres, où le dresseur devait avoir déjà un Pokémon et pouvoir se débrouiller dès le début.
Le parcours libre avait des similitudes avec un voyage initiatique classique. Le dresseur devait remporter huit badges, sans distinction de région, avec pour seule condition qu'ils soient de types différents. Il s'engageait également à les obtenir en maximum cinq ans – le voyage durait plus longtemps, permettant ainsi des niveaux de compétition élevés tant en arène qu'à la Ligue. Laquelle était choisie par le dresseur, selon ses préférences. Le niveau des Pokémon était vérifié à chaque soin en Centre pour des matchs à niveau adéquat, et hormis cela, rien ne le différenciait d'un parcours classique.
Tout cela était écrit dans les deux brochures que l'infirmière glissa sur le comptoir, avec la mention qu'un dresseur pouvait quand il le désirait, et même après avoir obtenu ses huit badges, renoncer à la Ligue. La plupart des gens s'arrêtaient à huit badges, et se réorientait vers d'autres spécialités. La Coordination, l'élevage, ce genre de choses.
- Je vais vous créer une carte de dresseur, si vous pouviez me fournir les informations suivantes…
L'infirmière énuméra les informations nécessaires, que la jeune femme lui fournit docilement, jouant avec une mèche de cheveux : Hellä Joki (le « a » était long, le « j » sonnait comme un « y », très nordique), 23 ans, née le 26 octobre à Flocombe, Unys. Pour tout numéro d'urgence, elle fournit le sien, et celui du garçon qui l'accompagnait. Elle se laissa prendre en photo sans discuter. Elle fut en revanche plus réticente à lui confier son Pokémon.
- Désolée, cutie pie, pas le choix, soupira-t-elle en le rappelant dans sa Pokéball.
Cette dernière passa dans la machine de soin, qui retranscrivit les données d'Evoli dans l'ordinateur, en tant que premier Pokémon : mâle, 31 cm de haut, un peu plus de cinq kilos, niveau 10.
- Il est mince par rapport à sa taille, remarqua l'infirmière Joëlle.
Elle n'avait pas eu l'intention d'être accusatrice – peut-être un petit peu… –, mais loin d'afficher de la colère, de la culpabilité ou de la peur, la dénommée Hellä grimaça, penaude.
- Je viens de l'avoir. 'Faut que je vois ce qu'il aime manger et ça s'arrangera, hein, bébé ?
Le petit Evoli, sortit de sa Pokéball aussi qu'on en avait fini avec lui, s'appuya contre son bras, visiblement impatient de partir.
L'infirmière acquiesça et valida la fiche, générant automatiquement un ID. Tandis qu'une machine imprimait la carte de dresseur, elle saisit un papier sorti un peu avant, et un porte-carte en plastique tout simple, où elle glissa le titre d'identité.
- Voici votre carte ! annonça l'infirmière Joëlle. Quant à ce petit papier, il indique vos identifiants sur notre site. Tout vous est présenté dans cette brochure.
Le site de la Ligue donnait notamment des informations sur les arènes, leurs horaires d'ouverture voire leurs agendas, ainsi que des informations utiles sur les compétitions annexes.
Hellä la remercia, cala son Evoli sur son épaule et récupéra toute la paperasse.
- Hey, look-moi cette trousse, cutie, j'avais tout prévu ! souffla-t-elle à sa créature, toute excitée, en extirpant tant bien que mal une petite pochette de son sac.
La petite créature la renifla curieusement, alors que le camarade de sa maîtresse s'avançait au comptoir pour remplir ses propres formalités administratives.
- Quinn Bray, 18 ans, né le 3 septembre à Poivressel, Hoenn, énuméra-t-il distinctement.
Il donna son numéro de Pokénav, puis celui de Pokématos de sa camarade. Contrairement à son apparence, il avait l'air plutôt prudent, hésitant. Autant par curiosité que par nécessité, l'infirmière Joëlle indiqua :
- Veuillez retirer vos lunettes et vous placer devant l'appareil photo. Pendant ce temps, je vais inscrire votre Pokémon.
La bouche du jeune homme se plissa et, s'il lui tendit sans hésitation la Pokéball de son Reptincel, il eut l'air moins enclin à prendre le cliché. Sa tête s'orienta brièvement vers sa camarade, qui lui fit un geste éloquent. « Fais pas ta sucrée. » disait-elle et, à contrecœur, le jeune homme retira ses lunettes.
Ses yeux étaient ambrés, soulignés de cils courts mais fournis. En voyant les boutons d'acné sur ses pommettes, Joëlle eut un doute sur son âge, mais en même temps son visage un peu carré et ses sourcils épais pouvaient aussi lui donner dix-huit ans. Sa mèche retomba sur son œil gauche et il ne fit rien pour la déloger, affichant une mine neutre, légèrement renfrognée, sur sa photo d'identité. Il s'empressa de chausser ses lunettes pour masquer quelques rouges apparues entre deux boutons.
… qu'est-ce que c'était tentant de les percer, ces petites saloperies…
L'infirmière se reprit et étudia les données de Reptincel. Niveau 16, sûrement à peine évolué, taille dans la moyenne, mais le poids… comme Evoli, il y avait une légère carence.
- Je viens de l'avoir également, la devança-t-il. Il a mangé tout ce que je lui ai donné hier et ce matin, dans quelques jours ça devrait aller, je pense.
Joëlle acquiesça, et lui remit toute sa paperasse, lui donnant les mêmes indications qu'à son amie. Ils avaient l'air préparé, remarqua-t-elle. Ils n'avaient sûrement pas besoin de ses services.
- En fait, j'aimerais prendre une chambre, dit soudain Hellä en levant la main. Même deux, en fait, je dors pas avec un ado boutonneux.
- Je suis majeur, grommela le dit ado, mal à l'aise.
- Tu restes un gosse au stade « super calculatrice de l'Enfer ». Je dors pas avec toi.
- On doit aller à Mauville !
- Ouais et d'après ta carte ça va nous prendre trois heures en bagnole, et moi j'ai des trucs à acheter pour Evoli et j'ai envie de me démaquiller et dormir.
- Tu peux te démaquiller, je m'en fiche !
- … chéri, tu es ridicule. Tu ne peux pas dire ça à une femme.
Elle glissa sur lui un regard peiné, comme contrite devant tant de pathétisme, qui perturba profondément le garçon. Joëlle se retint de pouffer devant sa manœuvre de manipulation, et attrapa deux clés, pour des chambres simples. La plupart des chambres, évidemment, contenait deux lits superposés, mais on les donnait plutôt aux jeunes dresseurs qu'aux adultes, afin de les pousser à faire connaissance et, pourquoi pas, à poursuivre leur voyage ensemble. Les adultes, accompagnateurs ou voyageurs occasionnels, avaient besoin de plus d'intimité.
Hellä la remercia en saisissant sa clé et entreprit de monter ses bagages à l'étage. Après un instant d'hésitation, Quinn se résigna à gâcher une journée et fit de même. Il avait attendu six ans son voyage initiatique, un jour de plus lui cassait le cul mais bon, c'était comme ça.
Un peu intriguée par ces deux énergumènes, l'infirmière Joëlle de Ville Griotte retourna à ses petites affaires, curieuse de savoir s'ils parviendraient au bout de leur périple.
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- J'le crois pas, ces boulets ont même pas vérifié si t'avais bien dix-huit ans ! gloussa Hellä.
Par chance, le couloir était vide, tout comme le Centre, semblait-il. Leurs chambres étaient face à face, tout au fond du corridor.
- Ouais bah, bouche cousue, marmotta Quinn.
- Tu peux rêver pour que je te laisse entrer au casino, rétorqua Hellä avec un joli et ignoble sourire.
- Des mômes de dix piges entrent dans les casinos !
- Bah tu joueras au Voltorbataille avec eux !
Dans un éclat de rire léger, d'un angélisme trompeur, elle lui claqua la porte de sa chambre au nez.
Il était encore tôt pour dormir, songea-t-elle. Elle aurait bien le temps après le dîner. Evoli ne semblait pas plus disposé à aller au lit. Il léchait frénétiquement ses papattes, grimaçant à leur goût salé, dans l'espoir de les laver. Hellä leur pitié de lui. Elle, elle adorait le sable (même boire la tasse la faisait plus rire que pleurer), mais visiblement, les bêtes à poils en souffraient.
- J'attrape mon sac et on va t'acheter des trucs, honey, lui dit-elle en s'exécutant.
Evoli la regarda avec plein d'espoir dans ses grands yeux.
Mine de rien, c'était déjà la fin de l'après-midi, et Hellä se hâta vers la première boutique Pokémon qu'elle trouva.
- Bon, de la bouffe et du shampoing, marmonna-t-elle en prenant un panier à l'entrée.
Devant le choix de produits, elle pensa que si elle entendait encore un mec se plaindre de la longueur des rayons pour femme, elle lui mettrait un coup de genou bien placé. Bien que, pour la première fois, elle pouvait ressentir de l'empathie à l'égard du sexe opposé : comment elle était censée s'y retrouver dans tout ce bordel ?
- Haha, j'suis impatiente de voir Quinn faire ses courses, ricana-t-elle en prenant une bouteille au hasard.
Elle était destinée aux Pokémon Roche, une sorte de produit à sec qui n'aurait sûrement pas convenu à Evoli, vu comment il gérait le sable.
- Nevermind, soupira-t-elle en cherchant, sur les étiquettes, « Pokémon Normal » et « fourrure ».
L'étagère en question était pleine à craquer de shampoings bariolés.
- On va s'amuser, mon chéri, persifla-t-elle en prenant un truc rose avec un Skitty dessus.
Au final, c'était plutôt semblable aux produits qu'elle s'achetait pour elle, avec les mêmes noms chelous, et la liste de ce que ça faisait de bien sur ses propres poils. Elle le fit passer sous le nez d'Evoli, qui plissa les yeux, dégoûté. Haussant les épaules, elle essaya autre chose. Ce fut plutôt amusant, car le petit renard faisait toute sorte de têtes au fur et à mesure des tests. Un shampoing extra-doux et nourrissant finit par trouver grâce à son odorat, et Hellä l'embarqua sans commentaires. Prochaine étape, la nourriture.
- Croquettes… j'imagine que t'en veux pas des « chaudes comme la braise » ? (Le regard d'Evoli fut éloquent.) Ouais, c'est ce que je me disais. Ça a une connotation super sexuelle, en plus. Ça ? proposa-t-elle, agitant un sachet varié pour Pokémon Normal.
Evoli eut l'air d'apprécier l'aperçu sur le devant et acquiesça. Hellä jeta le sac dans son panier, ses yeux coulant malgré elle vers les croquettes « chaudes comme la braise ».
- Chiche on les prends pour Reptincel et on fout la honte à Quinn ? dit-elle avec un grand sourire.
Le renardeau approuva sans comprendre : elle souriait, ça ne devait pas être quelque chose d'horrible. Impatiente de tourmenter son petit grugeur d'âge, elle le mit avec le reste.
En passant près des rayons pour les humains, Hellä fourra discrètement des snacks entre le sachet de croquettes et le shampoing au miel. Elle allait devenir grosse comme une Ecrémeuh avec ces cochonneries mais, hé, comme dirait l'autre, on n'a qu'une vie, autant la flinguer soi-même avant qu'un autre le fasse à notre place.
Un étalage de Pokéball, avant les caisses, attira son attention. Elle se souvint qu'elle aurait à capturer des Pokémon à l'avenir, et admira les sphères écarlates. D'autres étaient plus spécifiques, et donc plus chères. Curieuse, elle avisa les étiquettes, avant de saisir une Sombre Ball, la jugeant jolie.
Après avoir payé ses achats, elle ne put résister à faire un dernier tour près de la plage. Elle se limita au chemin de béton, un peu mélancolique, impatiente d'arriver à Irisia, où il ferait bon et chaud. Le brouhaha des badauds la tira cependant de sa contemplation. D'autres promeneurs fixaient, hébétés et inquiets, un point à l'horizon, vers les falaises qui se trouvait à quelques centaines de mètres, délimitant la baie.
Hellä plissa les yeux. Elle observa des bateaux de secouristes et, accrochée à un pic rocheux, une corde au bout de laquelle s'agitait… un truc probablement humain, un humain sortant d'une centrale nucléaire après des années de radioactivité, peut-être. En tendant l'oreille elle crut entendre « Wouh-ouh c'est trop GÉNIAL ! », mais c'était probablement le fruit de son imagination. Désintéressée, elle s'éloigna de la foule pour rentrer au Centre.
Quinn n'était pas là quand elle rentra, mais Hellä ne s'en inquiéta pas : s'il avait pu survivre à l'état sauvage tout seul, elle ne s'en faisait pas pour lui. Elle retourna dans sa chambre – les lieux s'étaient peuplé en son absence, de gamins surtout – et alluma son netbook. Le temps qu'il se décide à démarrer, elle sortit quelques affaires dont elle aurait besoin dans la soirée.
Elle entra ses identifiants sur le site de la Ligue par curiosité, et se retrouva rapidement happée par le forum. Elle avait bien entendu dû s'y inscrire (sous un pseudonyme, comme la plupart des gens), et constata qu'ils étaient plein de rubriques sur les Pokémon. Des rubriques très détaillées, enrichies par les apports des dresseurs, tirés de leurs expérience avec telle ou telle créature. Il y avait un club des « Evolitions », et Hellä se gava d'informations sur son Pokémon, tandis que ce dernier bullait sur le lit, désespéré de prendre un bain un jour.
Quand Hellä voulut fermer l'appareil pour voir ce qu'il en advenait de Quinn, un image attira son attention. C'était le dessin tout simple d'un Evoli prostré, demandant « Pourquoi est-ce tout le monde veut que je change ? ». Hellä se figea, jeta un coup d'œil à son petit renard pelucheux. Elle n'avait pas pensé à ça. Elle n'avait pas encore songé à le faire évoluer en fait, alors décider en quoi… mais là, tout de suite, la phrase ricochait dans sa tête. Cette question que même les humains se posaient un jour – elle ne faisait pas exception.
Oui, pourquoi devait-on toujours changer pour les autres ?
Θ
Quinn secoua sa main brûlée en grimaçant. Quel réflexe stupide. L'infirmière lui avait fait un bandage en lui conseillant d'acquérir des gants ignifugés. Les dresseurs en avait souvent besoin, au début, le temps de s'habituer et de maîtriser le feu. Les Reptincel étaient plutôt fougueux, aussi la vue des les cloques ne l'avait pas étonnée plus que ça.
- C'est pas ta faute, dit-il à son Pokémon. L'entraînement va s'améliorer… avec un peu de chance nous avec…
Non parce que, s'ils commençaient à se foirer juste en s'entraînant, ils n'étaient pas sortis… Ça avait été son premier réflexe, de s'entraîner. Autant dire que ça n'avait pas été glorieux. Reptincel contrôlait mal ses flammes et l'avait blessé sans le voir. Et encore, c'était après avoir failli démarrer un feu de forêt.
De plus, la fatigue le rattrapait. Il jeta un coup d'œil à l'horloge du Centre, et constata qu'il serait bientôt l'heure de dîner. En pensant à un vrai repas – ceux de Hellä se limitaient aux nouilles instantanées, aux crudités et aux sandwichs –, l'eau lui monta à la bouche et il se leva d'un bond.
- Viens on va chercher Hellä et manger, dit-il à Reptincel.
- On m'appelle ? Me voilààààà ! chantonna la susnommée en descendant les escaliers comme une diva.
Elle sautilla jusqu'à lui, son Evoli sur les talons. Elle cachait quelque chose derrière son dos et, à son grand sourire, cela n'annonçait rien de bon.
- J'ai un cadeau pour toi ! s'exclama-t-elle, enchantée.
- Ah ? fit Quinn, mal à l'aise – il pouvait voir la quasi-totalité de ses dents.
- Attention, c'est chaud, très chaud ! Comme la braise !
Les adjectifs employés l'inquiétèrent presque autant que la petite étincelle maligne luisant au fond de ses grands yeux bleus. Angélique, elle lui tendit une boîte orangée. Quinn hésita à la prendre, mais le sourire de sa partenaire s'élargit encore et il eut peur de ce qu'elle avait pu inventer pour le convaincre. Anticipant le pire, il accepta l'offrande.
Il s'agissait de croquettes adaptées aux Pokémon Feu, effectivement « chaudes comme la braise » si on en croyait le slogan. Bluffé, Quinn fixa le paquet. Il y eut un instant de flottement, puis…
- TOUT ÇA POUR DES CROQUETTES ?! s'exclama-t-il, scandalisé.
Lui qui s'était imaginé le pire !
Faussement médusée, Hellä remarqua innocemment :
- Tu t'attendais à autre chose ? (Sa mine étonnée se fit légèrement dégoûtée.) Désolée, mais je n'irais pas acheter ce genre de machins pour toi, c'est une entreprise très personnelle.
Quinn ne comprit l'allusion que lorsqu'un dresseur de l'âge de Hellä pouffa, ayant entendu leur conversation. Quinn vira à l'écarlate, halluciné qu'elle ait l'audace de proférer ce genre de trucs et de jouer la comédie pour le faire passer pour un pervers, lui ! Elle ne faisait pas ça avant !
Souriante, elle se dirigea vers le réfectoire en claquant bien ses talons sur le carrelage. Il l'entendit glisser à Evoli :
- Ah, ces ados frustrés !
Deux filles sortant de la cafétéria avec des sandwichs firent un écart en passant à sa hauteur.
Sérieux ?!
- T'es pas bien de faire ça ! s'offusqua-t-il en s'asseyant devant elle avec un plateau plein de nourriture quelques minutes plus tard.
Hellä, sans lever les yeux de son Pokémon – à qui elle filait un peu de tout ce qu'elle avait pris – répondit :
- Tu m'as même pas dit merci alors que j'ai pensé à toi.
- Oh ! Euh, c'est vrai… désolé…
Ce qu'il pouvait être nul des fois ! Lui qui s'était évertué à s'inculquer la politesse ! Des fois, c'était comme s'il n'avait rien appris !
- Merci, souffla Quinn, coupable.
- Pas grave. J'ai bien aimé te faire passer pour un délinquant sexuel.
La sale… !
Hellä avait choisi une table à deux pas de la télévision. La présentatrice énonçait les nouvelles locales, ce qui lui sembla étrange : il ne se passait jamais rien à Ville Griotte. Du moins, c'était ce que Quinn avait toujours cru.
- … la jeune fille a donc été détachée de la falaise et a été évacuée de la baie sans encombres, à part une légère paralysie occasionnée par le Tentacool qu'elle avait sur la tête. À cette situation inhabituelle, elle a expliqué, je cite « Je voulais juste être secourue par un pompier sexy. Mais ils sont moches ici, je réessaierai ailleurs. », disait la femme d'âge mûr en tâchant de réprimer un sourire.
Hellä ne se gêna pas et éclata de rire, déclarant que cette fille était géniale.
- Nous vous rappelons que les Tentacool et les Tentacruel sont souvent la cause de noyades en paralysant les nageurs imprudents, poursuivit la présentatrice sur un ton plus sérieux. Prenez garde à toujours avoir un Anti-Para sur vous lors de vos baignades. (Il y eut une brève pause.) Pokéathlon, la finale est très serrée, mais tout de suite les prévisions de Castor, notre expert…
Quinn se désintéressa du programme pour se concentrer sur son assiette. Hellä continua à regarder avidement jusqu'à avoir récuré la sienne, puis se leva.
- On part à neuf heures demain ? proposa Quinn en avalant difficilement.
- OK, pas de problème, acquiesça-t-elle. Je te retrouve dans le hall. Allez, cutie pie, on va prendre une douche !
Ravi, l'Evoli trottina derrière elle, apparemment impatient de barboter sous le jet. Quinn regarda Reptincel en se disant qu'au moins, il n'aurait pas à se doucher avec lui, avant qu'il ne réalise un détail de taille : comment on entretenait un Reptincel ?!
- Merde, dis-moi que tu sais le faire tout seul, supplia-t-il.
Pour toute réponse, Reptincel tapota la poche où il avait rangé sa carte de dresseur et ses identifiants.
Trollé par une blonde, trollé par un lézard, maltraité par un renardeau. L'aventure de Quinn commençait sous les meilleurs auspices.
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Le machin radioactif, c'est un personnage de fan-à-tics. Petite pub l'air de rien pour Destins Liés =°
(Kanon, le Pokémon Grenouille Yaoiste. Type : Spectre. Capacité Spéciale : Subtilité.)