____Riolu fut debout en moins d'une seconde et, alors que Diana se mettait en position de combat, les yeux rivés sur les ténèbres, elle serra nerveusement les poings, le corps tendu.
_Elle avala nerveusement sa salive et sa voix s'éleva dans l'ombre, légèrement tremblante.
__—
_Que... Qu'est-ce qu'il y a, alors ?
__—
_Des individus. Une bonne vingtaine, d'après ma corne.
_Il y eut un long silence angoissant.
__—
_Ça se rapproche, lâcha la louve blanche en plissant la truffe. Et vite.
_Effectivement, la créature bleue pouvait maintenant percevoir un odeur inconnue venue du tunnel en face d'elle.
_En désespoir de cause, elle se tourna vers le lac qui émettait toujours sa douce lumière bleutée. Il restait encore la solution de la fuite.
__—
_Diana... fit-elle d'une voix minuscule.
__—
_Je sais, Riolu. Mais on ne peut pas, on va être rattrapées en moins de deux minutes.
_La Pokémon Désastre se tourna vers son amie qui la regardait avec de grands yeux graves.
_Elle ouvrit la bouche pour parler. N'en eut pas le temps.
_Les assaillants fondirent sur elles.
__—
_Attention !
_Riolu se plaqua au sol, évitant une lame de vent qui siffla au dessus de sa tête. Diana se précipita vers elle, plus tendue que la corde d'un arc.
_Au-dessus des deux amies, une véritable nuée de Nosferalto dardaient sur elles des yeux rétractés par la rage. La vingtaine de chauve-souris voletaient furieusement, fouettant l'air de leurs ailes mauves avec un bruit de bâche qu'on secoue.
__—
_Écoute-moi, Riolu, commença Diana d'une voix rauque. On va essayer de tenir jusqu'à ce qu'ils abandonnent.
__—
_Mais...
__—
_Tout ce qu'on à faire, c'est contrer ou esquiver leurs coups, je...
_La louve blanche poussa un grand cri et releva brusquement la tête, parant plusieurs attaques avec sa corne, emplie d'une force décuplée par l'angoisse.
_Les Nosferalto virent leur irritation grimper d'un cran et émirent une série de bruits aigus avant de se disperser en un nuage grouillant, bouchant aux fugitives la vue du lac.
__—
_Diana...
__—
_Mais qu'est-ce qu'ils font ?...
_Voyant que son amie ne l'écoutait pas, Riolu se jeta sur elle et, empoignant la fourrure de son cou à pleines pattes, la regarda avec de grands yeux noyés de peur.
__—
_Diana, ils sont en train de nous repousser vers le fond du tunnel !
_L'intéressée la dévisagea pendant une seconde avant de plisser les yeux, les crocs serrés.
__—
_Alors on a pas le choix, on va les attaquer.
__—
_Tu avais dit que...
__—
_Riolu, c'est exactement la même chose que lors de tes entraînements ! Regarde-moi !
_Mais la petite louve, le corps tremblant, avait enfoui son visage dans ses paumes.
_Un violent frisson ébranla Diana qui saisit son amie par les épaules.
__—
_Regarde-moi, Riolu !!
_Elle releva lentement la tête et maintint autant qu'elle le put le regard incendié de son amie.
__—
_C'est exactement la même chose ! La même chose. Tu es une des meilleures du dojo en combat, il n'y a aucune raison que tu ne t'en sortes pas.
_L'adolescente resta figée un instant, les yeux plongés dans ceux de Diana.
_Puis le cri strident d'un Nosferalto prêt à charger retentit et elle sembla s'éveiller. Dans son cœur, le courage insufflé par la Pokémon Désastre forma une petite boule de chaleur qui lui arracha un sourire hésitant.
_Diana hocha la tête.
__—
_Allez, on y va.
_Le Nosferalto qui chargeait lâcha un étrange hurlement pareil à une onde sonore alors qu'une large patte cerclée de griffes noires s'abattait sur lui avec un violent claquement.
_Assomée, la créature s'écrasa au sol et ne bougea plus.
_Pendant un instant, tous les cris se turent. Dans l'ombre, seuls s'élevaient les respirations saccadées des deux amies et les volettements des chauve-souris. L'une d'entre-elle s'ébroua en lâchant une série de cris semblables à des mots mais pas assez éloquant pour qu'elles les comprennent.
__—
_Qu'est-ce qu'il fait ? chuchota Riolu en lançant un regard furtif en direction de Diana.
__—
_Euh... je crois qu'il est en train de nous dire quelque chose, on dirait, répondit cette dernière sur le même ton.
_La créature, qui avait remarqué que les deux intruses ne comprenaient pas le moins du monde ce qu'il disait, se crispa et une moue rageuse défigura son large visage.
_Diana retint sa respiration. Riolu serra les poings.
_Et ce fut le déluge.
_Le premier ennemi à se ruer sur la louve blanche disparut aussitôt, submergé par une vague d'aura ténébreuse.
_Loin de décourager les autres assaillants, cela eut plutôt l'effet inverse : d'un même élan, tous se jetèrent sur les deux amies qui eurent un mouvement de recul.
__—
_Diana... c'était peut-être pas une bonne idée...
__—
_Je crois que non, effectivement... répondit-elle en se mordant la lèvre inférieure, chargeant un nouveau Vibrobscur.
_L'adolescente se concentra à son tour, réprimant la peur qui montait en elle.
_Son regard passait rapidement des Nosferalto à Diana qui évitait tant bien que mal leurs attaques, enchaînant des mouvements Feinte qui, dans l'ombre, dévoilaient pleinement leur utilité.
_« Pas une bonne idée du tout... »
_La louve bleue fit un brusque bond sur le côté, évitant de justesse les lames de vents qui fusaient vers elle. Le lanceur plissa méchamment les yeux et se rua sur la jeune créature qui croisa les pattes devant son visage avant de lui asséner un violent Coup d'Boule en lâchant un cri.
_Alertée, Diana se retourna vivement.
_L'enfant, aux prises avec l'ennemi, semblait mener le jeu : chacune des créatures tentait de percer la défense de l'autre, enchaînant coups sur coups sans pour autant parvenir à toucher l'adversaire.
_Puis la Pokémon Émanation, se sentant repoussée vers le fond du tunnel, commit sa première erreur.
_Son regard furtif vers l'arrière eut raison du rythme qu'elle avait imposé. L'ennemi fusa sur elle.
__—
_Non ! hurla Diana.
_Elle s'interposa au moment même où Riolu, essoufflée, mettait un genoux à terre.
_Mais les Nosferalto, à présent totalement hors de contrôle, chargèrent sans laisser aux fugitives le temps de souffler. Des cris fusèrent et s'en suivi alors une véritable mêlée : des touffes de poils blancs volèrent au milieu d'exclamations sauvages, arrachées par les crocs et les attaques enragés des chauve-souris. Parfois, un ennemi tombait, hors de combat ou tout simplement trop sonné pour continuer.
_De son côté, Riolu s'était relevée tant bien que mal et se résignait à utiliser des attaques Riposte sans grande efficacité contre ses adversaires qui prenaient un malin plaisir à l'épuiser petit à petit. Les coups partaient, vifs et sournois, et l'adolescente sentait bien qu'elle commençait à perdre pied.
_Les assaillants en profitèrent pour achever la rixe ; l'un deux chargea et son attaque Acrobatie la frappa de plein fouet. Son dos percuta violemment la paroi de galerie et une décharge lui traversa le corps en remontant jusque dans sa nuque.
_Elle lâcha un gémissement de douleur. Le Nosferalto en profita pour réitérer son geste. Mais la jeune louve, qui avait vu le coup venir, serra les crocs et banda les muscles.
_Au moment de sauter, elle remarqua à sa droite un léger creux par terre, à l'endroit même où elle allait se réceptionner sur ses pattes.
_Le temps qu'elle comprenne ce dont il s'agissait, il était déjà bien trop tard.
_Le Piège Trappe dissimulé dans la roche s'activa avec un petit bruit mécanique au moment même où elle effleura le sol.
_Douleur.
_Riolu ouvrit lentement les yeux. Autour d'elle, le calme était retombé et aucun bruit de combat ne lui parvenait. Pire encore, le silence était si oppressant que cela lui suffit à retrouver immédiatement ses esprits.
_Elle se redressa en lâchant un petit couinement et sentit une légère bosse sous ses doigts lorsqu'elle les passa sur l'arrière de son crâne.
__—
_Aaah... aïe...
_Elle leva la tête vers le plafond, là où s'ouvrait un trou ténébreux d'environ un mètre de diamètre, et avala sa salive avec difficulté. Dans son ventre, une boule douloureuse se forma alors que l'impression soudaine d'avoir froid la saisissait. Elle épousseta la poussière déposée sur ses bras griffés par la roche irrégulière du conduit et balaya les environs plongés dans le noir avec une regard peu confiant.
_Malgré elle, elle sentit une pointe d'inquiétude s'éveiller au fond d'elle.
_Elle inspira profondément.
_« Ok, on se calme. Je ne panique pas. Je suis simplement descendue d'un étage, je peux sans-doute remonter. Je dois juste rester calme. »
_La jeune louve ramassa la besace de cuir qui n'avait visiblement pas trop souffert de sa chute et la repassa calmement autour de son épaule, avec des gestes lents et appliqués.
_Tout en gardant les yeux obstinément fixés sur le sol pour repousser l'idée qu'elle était plongée dans la pénombre, elle s'engagea dans la galerie froide, le cœur cognant fort dans sa poitrine.
_C'était un brouillard épais qui flottait en l'air. Les écharpes immatérielles étaient fines et blanches comme ces traînées légères que laissent derrière eux les nuages lorsque, portés par le vents, ils dérivent dans un ciel azuré.
_Allongée au sol, Diana cligna plusieurs fois des yeux avant de se redresser. Un seul regard sur ce qui l'entourait lui permit de constater que le décor avait changé. La roche froide de la grotte avait disparu, remplacée par une immensité brumeuse qui piégeait l'endroit dans un cocon grisâtre.
_« Je dois être en train de rêver... », songea la jeune louve en se redressant.
_Mais pouvait-on véritablement qualifier cela de rêve, sachant qu'une part de sa conscience demeurait encore éveillée ? Car bien qu'elle soit incapable de dire où elle se trouvait en ce moment même, elle sentait une surface molle sous ses pattes, la fraîcheur du brouillard sur son visage. Une agréable torpeur s'était déversée dans son corps, dissipant l'angoisse qui lui retournait l'estomac.
_Elle essaya de se souvenir. De ce qui l'avait amené ici, et pourquoi. Ses pensées se heurtèrent à un mur invisible. Elle plissa les yeux et, alors qu'elle se concentrait de nouveau, une violente douleur s'éveilla dans sa tête. Autour d'elle, la brume sembla s'épaissir.
_La brume. Douce et fraîche à la fois.
_Fumée vaporeuse, brouillard ouaté.
_Quelle étrange sensation que de ne pas parvenir à se souvenir ! Comme une limite imposée à la mémoire, un voile qui embaumerait la conscience pour ne garder que l'essentiel.
_Diana continua de marteler mentalement les barrières érigées dans sa mémoire. Des vagues successives de nausée déferlaient maintenant dans son corps entier et elle se sentait de plus en plus mal. Plus elle s'essoufflait à forcer les limites, plus sa souffrance augmentait en intensité.
_Bientôt, la sensation que des milliers d'aiguilles en fusion s'enfonçaient dans sa peau lui arracha un cri qui se perdit dans l'océan de brouillard. Elle tenta un dernier assaut mental. La digue immatérielle vibra et une infime faille sembla s'ouvrir entre les méandre brumeux de sa conscience.
_Elle avait un murmure aux lèvres quand une bourrasque brûlante l'arracha à la raison.
_Tout devint noir.
_Une heure.
_Cela fait au moins une heure que Riolu courait à perdre haleine. Et le chemin qui devait lui permettre de remonter demeurait inexistant. Qui plus est, elle avait oublié l'idée de rester calme depuis bien longtemps.
_Même si elle savait que c'était purement inutile, l'adolescente gardait les yeux grands ouverts pour tenter d'apercevoir quelque chose dans les ténèbres environnantes. Sa respiration affolée se répercutait sans cesse dans le conduit qui filait toujours vers l'avant.
_Les dents serrées et les muscles tendus, elle essayait au maximum de repousser la panique qui prenait peu à peu possession d'elle et martelait sa conscience d'une seule pensée : se dépêcher.
_Malgré l'ombre dans laquelle elle était plongée, elle devinait que les murs ne se résumaient plus à une surface lisse : désormais, le murmure de l'eau glissant sur la roche résonnait en divers échos, signe que plusieurs cavités s'ouvraient de chaque côté.
_Après un temps, la petite louve finit par ralentir et s'arrêter.
_Les pattes sur les genoux, elle laissa son souffle irrégulier et tremblant résonner sous la voûte de roche alors que ses yeux tentaient vainement d'analyser les environs.
_Puis dans le noir, elle se redressa, chancelante, et apposa le plat de sa paume contre la pierre humide. Sa patte glissa lentement sur les côtés, tâtonnant à l'aveuglette les parois de la galerie.
_Il ne lui fallut pas dix secondes pour confirmer ce qu'elle pensait : à intervalles irréguliers, des cavités s'ouvraient ; des trous d'où partaient de longs corridors humides et tout aussi noirs ou des brèches rocheuses aux bords dentelés ou non. Parfois même, la galerie se divisait et un couloir étroit qui filait brusquement à gauche ou à droite, s'enfonçant toujours plus dans le sol sans jamais laisser penser que l'un d'eux pouvait remonter à l'air libre.
_Riolu sursauta d'un coup.
_Dans l'un des conduits, à sa droite, une faible lumière dorée venait de percer les ténèbres.
_Le cœur de la louve bleue fit une embardée et sa réaction fut immédiate : elle bifurqua soudainement et s'engagea à toute allure dans la galerie alors qu'une boule enflait dans sa gorge.
__—
_Attendez... lâcha-t-elle, la voix rauque.
_Mais la lueur vacillante, qui jusqu'ici était immobile, fila soudainement sur la paroi du tunnel et disparut, replongeant l'endroit dans une obscurité oppressante.
_Riolu sentit l'étau glacial de la pénombre se resserrer autour de son cœur et un gémissement plaintif lui échappa. Elle accéléra sa course, les pattes tendues devant elle par précaution, et s'engagea dans un boyau plus étroit.
_Après une minute de course dans l'ombre, elle s'arrêta de nouveau, le souffle court.
__—
_S-s'il-vous-plaît, attendez-moi...
_La petite créature se mordit furieusement la lèvre inférieure alors que sa patte tremblante remontait le long de la sangle de sa besace et la serrait avec force.
_C'est alors qu'un grondement terrifiant enfla depuis les profondeurs de la grotte. Un bruit pareil à une explosion lointaine éclata presque aussitôt et résonna mille fois contre les parois humides des galeries.
_Riolu tourna fiévreusement la tête de chaque côté.
_Et comprit qu'en un instant, elle venait de perdre le peu de repères qu'il lui restaient.
_Ténèbres.
_La douleur a disparu, pas la nausée.
_Elle n'ose pas ouvrir les yeux. Pas encore. Car quelque chose est en train de changer. Ou quelque chose va changer.
_Elle reste immobile.
_Ténèbres._Riolu resta figée un long moment dans le noir, hébétée et immobile alors que la réalité peinait à se frayer un chemin dans sa tête.
_Puis un long frisson parcourut lentement son dos, passant au creux de sa colonne jusque dans sa nuque. Son corps se mit à trembler.
__—
_Dites-moi que je rêve...
_Seul le silence répondit à ses mots, profond et glacé. Insoutenable.
_La créature sentit son cœur accélérer brutalement dans sa poitrine et un goût acide remonta dans sa gorge douloureuse. Elle tenta d'étouffer sa peur au fond d'elle mais l'angoisse montait dangereusement vite. Trop vite.
_D'un coup, elle fut en sueur, incapable de formuler un mot ou même de reprendre son souffle. Elle inspira du mieux qu'elle le put, fit des mouvements de moulinet avec ses bras afin de se calmer. En vain. Ses pattes tremblantes se verrouillèrent autour de la bande de cuir et ses yeux se remplirent de larmes.
_Puis, quelque part dans l'ombre, le
tic infime d'une pierre qui roule sur le sol s'éleva. Riolu se campa sur ses jambes flageolantes, son regard fou parcourant les ténèbres sans relâche.
_Ce qui l'inquiétait, ce n'était pas le bruit qu'elle avait perçut. Mais plutôt le silence pesant qui se fit juste après.
_Un véritable torrent glacé inonda ses veines, ses membres, sa raison. L'étau glacé qui comprimait son cœur et sa tête explosa.
_Et la panique prit entièrement possession d'elle.
_La créature se figea et tendit l'oreille.
_L'espace confiné dans lequel elle se trouvait était silencieux, mais quelque chose clochait.
_Elle se redressa autant que le plafond bas le lui permettait, les sens aux aguets. Puis elle la sentit. L'odeur de la peur.
_Oppressante. Désagréable. Presque assommante.
_Elle fronça les sourcils alors que la lumière vacillante et chaude qui l'entourait dessinait des ombres sur les imperfections de la voûte et des parois. La couche de poussière qui s'accumulait au sol avait été retournée à plusieurs endroits et creusée de trous aux côtés desquels s'élevaient de petits tas friables de cailloux et de sable.
_L'inconnu, hanté d'un mauvais pressentiment, serra les poings. Son regard passa du petit boyau par lequel il était entré au creux devant lui, par terre, et revint vers le tunnel étroit. Il ferma un instant les yeux, en proie à une réflexion intense, puis les rouvrit.
_Un coup d'œil attristé en direction du précieux Soufflorbe qu'il avait commencé à extraire de la roche et il se détourna, s'engouffrant dans le conduit frais en rampant.
_En débouchant dans la grande galerie, les effluves de terreur flottant en l'air le prirent à la gorge.
Tout en serrant les dents, la créature promena ses yeux sur les ténèbres face à elle.
_Puis elle réduit progressivement le halo de lumière dorée qui l'encerclait et finit par se retrouver plongée dans le noir complet.
_Le bruit feutré et rapide de ses pas s'élevant dans l'obscurité disparut quelques secondes après.
__—_Tu es si pressée de mourir que ça ?_Diana consentit à ouvrir les yeux. Un voile flou couvrait sa vue et il lui fallut plusieurs secondes avant d'émerger. Elle put alors constater que le décor avait changé : des arbres d'une étrange couleur bleutée caressaient de leurs larges rameaux le tapis d'herbes folles étendu au sol. En face, dans l'immensité du ciel nocturne, la Lune brillait d'un éclat blanc, créant une atmosphère mystique. Il ne restait aucune trace de la brume qui avait habité son précédent songe.
_Elle se sentait pourtant plongée dans un néant. Un gouffre ténébreux qui renvoyait sans relâche la pulsation de son cœur et sa respiration profonde.
_La jeune louve retrouva peu à peu ses esprits, reprit peu à peu conscience alors que sa tête vibrait sourdement. Et la réalité le frappa de pleins fouet.
_Ah. Oui. La grotte. Le lac. L'attaque. Les Nosferalto, le combat, l'angoisse, la pénombre... et Riolu...
_Autant de souvenirs limpides qui jaillirent en même temps, mis en relief par son rêve pour le moins étrange.
_Elle attendit que le flot s'amenuise pour articuler le mot qui lui brûlait les lèvres.
__—
_... Où... ?
__—_Toujours au bord du lac, répondit aussitôt la voix.
Mais tu as bien failli passé de l'autre côté et là, j'aurai été incapable de te ramener. Qu'est-ce qui t'a pris de t'agiter comme ça ?_L'Absol jeta des coups d'œils inquiets de chaque côté dans l'espoir d'apercevoir le propriétaire de la voix qui restait cependant invisible.
_La sensation de nausée s'était amenuisée mais le malaise n'en demeurait pas moins pesant.
__—
_Qui es-tu ? Qu'est-ce... Qu'est-ce qu'il s'est passé, qu'est-ce qu'il
se passe ?
_Le silence. Écrasant. Lourd de sens.
_Diana frémit et laissa ses yeux écarlates errer autour d'elle. Lorsque l'inconnue reprit la parole, elle avait abandonné depuis longtemps l'idée de voir plus loin que la lisière bleutée de la forêt.
__—_Je commençais à me demander quand nous rentrerions enfin dans le vif du sujet.__—
_Je n'aime pas les devinettes, murmura la louve blanche qui commençait à perdre son sang-froid.
__—_Moi non-plus, ce qui tombe plutôt bien._Tout se passa alors très vite : une intense lumière blanche s'alluma comme une unique étoile dans un ciel d'encre, illuminant davantage les environs d'une clarté à en faire pâlir la Lune.
_Diana recula aussitôt en retenant un cri de stupeur.
_Sous ses yeux médusés, une forme immatérielle apparut en se précisant peu à peu et bientôt, de véritables nuées de couleurs déteignirent sur elle ; un bleu lavande timide sembla s'y diluer comme dans de l'eau. À cette teinte éphémère succéda aussitôt des touches dorées comme le soleil qui affirmèrent la courbe élancée de la silhouette, partant du cou jusqu'en bas du ventre.
_Puis un superbe arc translucide se déploya dans son dos en libérant des particules de poussière argentée qui scintillèrent dans la pénombre. Un parme tendre colora le croissant d'un dégradé qui s'éclaircit progressivement sur l'extérieur de l'arche.
_Diana, qui avait reconnu son interlocutrice, hoqueta et recula de quelques pas, ahurie.
_Dans l'ombre, ses lèvres formulèrent une phrase ; un murmure qui se perdit dans les ténèbres.
_Face à elle, la créature sourit tendrement.
__—_« La Cinquième appelée d'Arceus »... Oui, effectivement, c'est ainsi que je suis évoquée dans vos légendes... Mais je préfère lorsque qu'on m'appelle par mon vrai nom, soit Cresselia._La panique.
_Vicieuse. Incontrôlable. Insupportable.
_Riolu bifurqua de nouveau à droite et emprunta au hasard une autre galerie. Là, sans discerner quoi que ce soit devant elle, elle accéléra encore sa course déjà décuplée par la peur inondant ses veines. Son instinct lui hurlait de fuir sans s'arrêter, résonnant dans sa tête comme si toutes ses idées avaient été effacées d'un coup, remplacées par un chant hurlant qui menaçait de la rendre folle à tout instant. Sur son flanc, le sac tambourinait au rythme de son cœur emballé, frottant sa fourrure et sa peau jusqu'à l'échauffer douloureusement. Sa respiration fuyante sifflait dans les ténèbres en laissant parfois échapper des cris aigus de terreur.
_Elle ne ralentissait pas pour autant, traversant les conduits qui se divisaient à mesure qu'elle progressait, s'enfonçant toujours plus au cœur de la roche sans même savoir où aller. Il lui arrivait de déboucher dans des cavités plus ou moins grandes ; elle ne s'arrêtait pas, convaincue qu'elle allait finir par retrouver son chemin à un moment ou à un autre.
_La panique était une illusion.
_La jeune louve fermait les yeux à chaque tournant, persuadée qu'un ennemi allait fondre sur elle depuis l'obscurité et la massacrer comme la petite proie perdue qu'elle était.
_Chaque virage cachait l'ombre d'un monstre et l'éclat de ses griffes.
_Mais ce qu'elle redoutait le plus, c'était de la voir elle. Blessée ou sans vie.
_L'adolescente lâcha un autre cri qui lui brûla la gorge, écrasant ses paumes tremblantes sur ses oreilles pour tenter de chasser l'horrible pensée qui cognait obstinément sa conscience alors que ses yeux se remplissaient de nouvelles larmes.
_Des larmes qui recouvrirent les sillons de poussière sèche déjà tracés sur ses joues.
_Sa poitrine, ne pouvant plus supporter le manque d'air, s'enflamma et Riolu se sentit partir en avant, entraînée par le poids du sac. Elle s'écrasa sur le sol rocailleux avec un couinement perçant et s'immobilisa.
_Le silence retomba alors, entrecoupé des hoquets de la jeune créature. Cette dernière se redressa en position assise, les membres secoués de frissons. La fatigue, le froid, en profitèrent pour s'emparer de nouveau d'elle et, conservant ses paupières humides closes, elle ramena ses genoux sous son menton et les encerclèrent de ses bras.
_Là, recroquevillée dans le noir, elle attendit longtemps qu'un miracle se produise, en proie à des milliers de questions qui demeurèrent sans réponses.
_Puis un grognement sourd brisa le calme froid qui régnait dans la galerie. Riolu, qui avait redressé la tête, passa la main sur son ventre et tâta du bout de la patte la besace ou le bruit de deux Épines de Fer s'entrechoquant s'éleva, achevant de l'interpeller.
_Avec lenteur, elle ouvrit la sacoche dont la chute récente avait griffé le cuir au niveau de la rosace. A l'intérieur, les provisions effectuées un peu plus tôt étaient éparpillées et certaines Baies, écrasées par les Bâtons et les Gravalroches, avaient répandu leur jus sur les autres objets.
_L'attention de l'enfant fut alors attirée par la douceur d'un morceau d'étoffe coincé entre le fond du sac et la réserve de Graines. Elle le saisit, les yeux mi-clos, et en déposa le contenu au creux de sa paume où elle sentit alors rouler plusieurs baies de la taille de petites billes.
_Un frisson plus intense lui parcourut le corps.
_Avant même qu'elle prenne conscience de l'idée qui lui effleurait l'esprit, une voix grave s'éleva dans l'obscurité.
__—
_À ta place, je ne ferai pas ça...
_Riolu se redressa d'un coup en poussant un hurlement de terreur, renversant l'intégralité de la besace sur le sol humide. Une douce lumière dorée s'alluma presque aussitôt, éclairant le visage ravagé et sale de l'enfant plaquée contre la paroi du tunnel. Dans ses prunelles vertes apeurées, les pupilles se rétractèrent d'un coup et elle cacha son visage avec ses pattes, éblouie.
_Lorsque enfin elle fut en mesure d'ouvrir les yeux, elle remarqua que l'inconnu la regardait toujours, l'expression neutre mais ombrée d'une trace de peine. Sa fourrure nuit et dorée reflétait doucement la collerette brûlante qui s'ouvrait dans son cou.
_Les deux Pokémon se fixèrent un long moment, l'une aussi tendue que confuse, l'autre sans bouger.
__—
_Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? demanda finalement le Typhlosion en détaillant la jeune louve dont les bras et les jambes sales étaient couverts d'égratignures.
_Cette dernière frémit au son de la voix, à la fois grave et fluide. Ses yeux émeraude croisèrent ceux, légèrement bridés et d'un bleu lagon, du Pokémon Volcan et elle se sentit glisser au sol.
_Là, secouée de sanglots, elle se mit à tout lui raconter. Les mots jaillirent d'elle comme un torrent intarissable, la vidant peu à peu de ses forces à mesures que les larmes coulaient sur ses joues. Sans même prendre le temps de s'arrêter pour respirer, hoquetant à chaque fin de phrase, elle rapporta à cet inconnu dont elle ne savait rien sa fuite temporaire, la découverte du lac souterrain, l'attaque des Nosferalto et la façon dont elle s'était perdue, sans savoir si son amie était saine et sauve. Parler allégea quelque peu le poids sur son cœur et l'inquiétude qui la rongeait depuis trop longtemps.
_Alors qu'elle parlait, le Typhlosion s'était assis en face d'elle en conservant une distance respectable. La lumière apaisante de sa collerette faisait baigner les environs dans un petit halo doré qui repoussait en partie les ténèbres alentours.
__—
_... Je... j'en ai assez, acheva Riolu d'une toute petite voix noyée de larmes. J'en ai assez. Je veux rentrer, je veux que ça s'arrête...
_Quand elle termina son récit, un long silence flotta pendant un instant dans l'air. Le Pokémon Feu, toujours silencieux, regardait l'enfant recroquevillée sans bouger. Puis doucement, il ferma les yeux, prit une inspiration et se releva.
_Riolu le regarda épousseter sa fourrure dorée sans comprendre.
__—
_Que... commença-t-elle, comme s'il était évident que l'inconnu resterait avec elle.
_Elle croisa le bleu électrique de son regard et tous deux se dévisagèrent un long moment ; deux lames d'azurite dans un émeraude innocent et perdu. Durant cet instant, aussi éphémère fut-il, chacun ressentit ce lien, cet étrange sensation qui s'agita au fond d'eux avant de se rendormir.
_Enfin, alors que Riolu se demandait combien de temps encore allait durer cet éternel silence, le Typhlosion reprit la parole d'une voix calme où perçait un imperceptible brin de malice.
__—
_Ça me semble évident, pourtant. Je vais te faire sortir de là.
_Je vais te faire sortir de là._La jeune louve marchait à quelques pas derrière lui, conservant un distance prudente, les deux pattes verrouillées autour de la sangle de sa besace. Ses yeux parcouraient avec une certaine appréhension les roches difformes de la galerie éclairée par la collerette du Pokémon Volcan. Cependant, ce dernier sentait parfois le regard de la créature dans son dos, et il ne pouvait s'empêcher de se tendre légèrement. Lui était venu par un autre endroit, une autre entrée et ne s'était jamais vraiment aventuré jusqu'ici, même si la concentration d'Orbe rares y était, parait-il, plus importante. L'endroit étant peu fréquenté et ayant peu de chemins praticables remontant à l'air libre, il avait préféré s'y rendre le plus tôt possible afin de parfaire ses réserves. Il se retrouvait maintenant avec la sécurité d'une enfant tout juste sortie de l'adolescence sur les bras.
_Il soupira et frémit lorsque son souffle résonna dans le conduit frais. À l'arrière, Riolu dormait à moitié debout mais des frissons agitaient souvent ses membres endoloris par le froid en la maintenant éveillée tant bien que mal.
_Je vais te sortir de là._Nouveau soupir, plus discret cette fois. Oui, il allait le faire.
_Il espérait seulement ne pas avoir fait une erreur en prononçant ces mots.
__—_Tu as peur ?_Diana ne répondit pas. Cresselia s'approcha d'elle et apposa calmement ses pattes immatérielles sur les joues de la jeune louve qui resta immobile. Autour des deux Pokémon, le songe se maintenait toujours, les hautes herbes brillant sous la clarté de la Lune.
__—
_De quoi aurai-je peur ? murmura-t-elle après un temps en plongeant ses grands yeux tristes dans ceux, infiniment profonds, de son interlocutrice.
_Cette dernière eut un doux sourire.
__—_De ce qui t'attend, de découvrir le vrai visage de ce... de ton monde.__—
_J'ai peur, mais il y a quelque chose en plus, comme si ce que je savait inconsciemment que ce qui se passe devait arriver un jour ou l'autre... Je me sens bizarre...
_Cresselia hocha la tête, ses pupilles laiteuses toujours rivées dans celles de Diana qui, pour la première fois depuis longtemps, se sentait faible et vulnérable.
__—
_Je ne sais même pas quoi faire... continua-t-elle.
__—_Tu comprendras tout en temps voulu, assura la créature lunaire. (Elle abaissa ses mains.)
Mais pour ça, je dois t'éveiller mais il va falloir me laisser faire.__—
_M'éveiller, murmura la louve des ténèbres, pensive. Combien de temps j'aurais dormi ?
__—_Je ne sais pas exactement. Mais je suis sûre d'une chose, il fera jour d'ici deux à trois heures.__—
_Déjà...
_Elle resta un instant perdue dans ses pensées, les yeux fixes et absents. Elle finit néanmoins par capter le regard de Cresselia qui était restée immobile, attendant un signe de sa part pour agir. Lorsque Diana hocha la tête, elle replaça lentement ses pattes en coupe sur sa poitrine alors que les voiles roses de ses bras libéraient des particules argentées qui restèrent suspendues en l'air un instant avant de s'estomper.
_Son joyau frontal se mit à luire, ses prunelles en firent de même et bientôt, c'est son corps tout entier qui fut entouré d'une intense lumière blanche.
_Par réflexe, l'Absol ferma aussitôt les yeux. Un vent étrangement chaud balaya son visage et sa fourrure ivoire, caressant de la même façon les longs brins d'herbe qui ondoyèrent.
_Le superbe disque lunaire se dissipa et une étrange brume noire s'éleva aussitôt, replongeant l'endroit dans l'obscurité. Les arbres partirent en une fumée bleu nuit, l'herbe se désagrégea d'un coup.
_Diana chuta.
_La seule chose dont elle se souvint avant de sombrer est qu'elle hurla de douleur.
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