Dans les bras d’Abra
Tiarra hurlait à pleins poumons, Myschin haletait comme un soufflet de forge, Brybry avait le visage crispé comme sous l'effet de la douleur.
« Hey ! leur dit Khimeira, calmez-vous, c'est fini ! On est sauvés ! »
Ils se trouvaient dans la cour du château, toujours à la même époque, comme en témoignait le tumulte de la bataille qui leur parvenait par-dessus les murailles.
Des gens couraient en tous sens. Certains, armés d'arcs et de carquois, montaient les escaliers de pierre qui menaient aux remparts. Là, protégés par les créneaux, ils arrosaient les adversaires en contrebas d'une pluie de flèches.
D'autres faisaient la chaîne avec des seaux remplis d'eau pour éteindre un début d'incendie qu'un lancer de feu grégeois avait allumé dans les écuries. On entendait les hennissements et les ruades des chevaux nerveux que de jeunes palefreniers tentaient d'évacuer.
Plus loin, un groupe de gueux en chemises poussaient des charrettes lestées de pierres devant la monumentale porte en chêne du château. A l'extérieur, les coups de boutoir d'un bélier résonnaient contre le bois et faisaient vibrer les énormes gonds de fer.
Au milieu du vacarme, un homme en armes et cotte de maille braillait des ordres en pointant son épée dans différentes directions. Le capitaine des gardes sans doute.
Au centre de la cour s'élevait un donjon carré surplombant tout l'ensemble. Là aussi, le pont-levis, plus petit que celui de l'entrée, était relevé. De temps en temps, une femme coiffée d'un escoffion passait furtivement sa tête à la plus haute des fenêtres et regardait au loin le déroulement de la bataille.
Nos quatre modérateurs reprenaient lentement leur souffle et leurs esprits. Brybry regardait d'un air navré sa blouse maculée de bave de Trioxhydre. Myschin époussetait consciencieusement son chapeau tandis que Khimeira, de sa haute taille, observait l'agitation ambiante.
Tiarra, les yeux encore rougis de larmes, tendait désespérément son cou vers l'arrière pour tenter de voir l'état de son postérieur.
Un homme entre deux âges et vêtu d'une longue tunique sombre bordée d'hermine descendit du donjon par une échelle posée contre l'une des fenêtres. Sitôt qu'il posa le pied à terre, l'échelle fut remontée par des mains invisibles.
Il arriva sur eux à grands pas tout en agitant ses bras qui dépassaient de ses larges manches évasées.
« Messires et gente dame, êtes-vous saufs ?! J'ai ouï vos criaillements et suis venu derechef m'enquérir de votre état ! » cria-t-il du plus loin qu'il pouvait.
Les Quatre se retournèrent de tous côtés pour voir si c'était bien à eux qu'on s'adressait, puis s'entre regardèrent, légèrement dubitatifs.
« Keskidi ? demanda Khimeira les yeux ronds.
- Il demande si on va bien, inculte ! » lui rétorqua Brybry, tout fier de sa science.
Arrivé à leur portée, le nouveau venu se présenta en s'inclinant légèrement, main sur la poitrine :
« Bien vaigniez en notre castel… J'ai l'honneur d'en être l'enchanteur.
- Enchantée ! fit Tiarra un peu étourdiment.
- Je vous ai vu en mauvaise posture tantôt et vous ai ramené céans.
- On vous remercie beaucoup monsieur, vous nous avez sauvé la vie ! Mais, euh, vous avez fait comment ? » demanda Myschin.
L'enchanteur plongea alors sa main dans l'une des poches de sa tunique et en sortit une Pokéball. Un Pokémon jaunâtre à l'air endormi en jaillit.
« Grâce aux pouvoirs de mon Magimonstre, expliqua l'homme.
Un concert d'exclamation jaillit du groupe des Quatre :
- Un Abra !
- Il nous a transportés ici avec Téléport !
- C'était ça le halo bleu alors !
- J'ai cru que c'était Celebi qui avait sauvé mes fesses, moi ! dit Brybry. Que Walker l'avait envoyé comme la dernière fois, avec Lugia… »
Le magicien les regardait tour à tour, levant un sourcil étonné :
« Je n'entends rien à votre discours, dit-il, mais la jouvencelle semble avoir grande souffrance du croupion. Je m'en vais quérir le barbier pour qu'il panse ses plaies. Une bonne saignée et il n'y paraîtra plus ! »
Tiarra, déjà éprouvée par toutes les émotions qu'elle avait vécues plus tôt, sentit ses genoux se dérober sous elle et s'effondra au sol comme une poupée de chiffon.
« Ciel, elle se pâme ! Holà manant, une civière ! Qu'on la transporte en dedans et qu'on lui donne quelque médecine ! »
Aussitôt, quatre solides mains calleuses empoignèrent la jeune fille et l'emmenèrent vers l'intérieur du château. Les garçons tentèrent bien de protester un peu, mais n'osèrent pas insister de peur de froisser leur hôte.
Celui-ci reprit :
« Quant à vous mes damoiseaux, je vous vois tout fourbus et piteux : voulez-vous entrer ? Je vous offre le boire et le manger. Vous me conterez votre malaventure. »
Indécis, les jeunes gens se jetaient des coups d'œil furtifs, ne sachant s'ils devaient suivre ou non l'enchanteur. Walker intervint alors en chuchotant dans leurs oreillettes :
« Allez-y, mais décidez d'abord qui va lui expliquer la situation. »
Les trois garçons emboîtèrent le pas de leur hôte et, tout en marchant, jouèrent rapidement à pierre-papier-ciseaux. Ce fut Brybry qui l'emporta.
Le petit pont-levis du donjon s'abaissa pour les laisser entrer et ils pénétrèrent dans une vaste salle aux murs de pierre nue, mais garnis d'armes diverses : lances de différentes tailles, arcs et arbalètes, masses d'armes aux pointes acérées… Des coffres en bois aux fermetures de cuir étaient poussés contre les murs et servaient visiblement de rangements. L'un d'eux, ouvert, laissait voir des casques, des cottes de maille et autres équipements militaires inconnus des jeunes gens.
Une grande table massive trônait au centre, entourée de bancs en bois. C'est là que l'enchanteur les invita à s'assoir. Il fit signe à un serviteur qui s'avançait et lui glissa quelques mots à l'oreille.
Quelques instants plus tard, celui-ci réapparut avec une cruche d'eau fraîche, des gobelets en étain, une miche de pain et un pâté de viande protégé d'un linge blanc. Il posa le tout sur la table et s'éclipsa. Le maître des lieux invita les trois garçons à se servir.
Ceux-ci commencèrent par boire goulûment plusieurs rasades d'eau, puis Brybry entama un récit volontairement édulcoré de leurs aventures :
« En gros, on cherche notre cheffe. Elle a disparu et n'est pas revenue. On est donc partis à sa recherche jusqu'au moment où un Trioxhydre a décidé qu'il voulait nous mordre les fesses. Et du coup, on est arrivés ici…
- Et grâce à Celebi, on a voyagé dans le t…, crut bon d'ajouter Khimeira.
Mais une mimique significative de Myschin, accompagnée d'un violent coup de pied de Brybry sous la table, lui fit comprendre qu'il valait mieux qu'il se taise. On ne sait lequel des deux fut le plus efficace.
L'enchanteur fronça les sourcils et les regarda d'un air suspicieux.
« Etes-vous pris de fièvre Messeigneurs ? Ou bien sont-ce là menteries de fols ?
- En fait, on cherche une vieille avec un Miaouss, résuma Myschin, toujours pragmatique.
- Il veut dire : une dame d'un certain âge avec un Magimonstre chat qui laisse tomber des pièces comme celle-ci, » précisa Brybry en montrant le koban qu'ils avaient ramassé quelques millions d'années plus tôt.
Le visage de l'enchanteur s'éclaira. Il plongea une nouvelle fois sa main dans l'une des poches de sa tunique et leur tendit un second koban de Miaouss :
« J'ai trouvé cette cliquaille avant la bataille tantôt. Est-ce là ce que vous cherchez ?
- Owi ! Super !
- On va pas vous déranger plus longtemps hein !
- On récupère notre copine et on vous laisse. Merci pour tout, c'est cool chez vous ! »
Et sans attendre davantage, ils se levèrent et sortirent, sous les yeux médusés de leur hôte.
Une fois dehors et après avoir été rejoints par Tiarra, nos aventuriers s'empressèrent de trouver un coin tranquille pour faire le point. Ce n'était pas bien difficile, car trop occupés à défendre leur forteresse, les gens ne faisaient guère attention à eux.
La jeune fille expliqua qu'elle avait dû montrer ses fesses à une matrone qui l'avait fort bien soignée, reconnut-elle, avec un onguent à base de fiente de poule. Puant mais efficace. Puis ce fut au tour des garçons de lui raconter leur conversation avec l'enchanteur.
Walker s'incrusta alors via leurs oreillettes et leur demanda de tirer au sort pour savoir lequel de leurs Pokémon allait sentir le koban donné par le magicien. Tiarra ploufa en récitant « am stram gram » et son doigt désigna Khimeira.
Celui-ci tendit la pièce sous le museau de son gros dragon qui la renifla bruyamment, lâchant même une goutte de morve sur la main de son dresseur.
« C'est bien, dit Walker, Dracolosse a du nez ! Alors, ça sent quoi ?
- Toujours la même odeur de parfum. Qui a l'air d'être assez forte. Dragi' a laissé tomber le koban il y a très peu de temps.
- Rien d'autre ?
- Si, une odeur d'embruns !
- Ça sent l'océan ?
- Oui.
- « Sous l'océan… » chantonna Tiarra rêveusement.
- Celebi va vous téléporter», reprit Walker.
Mais la communication fut brutalement interrompue par un énorme boulet de pierre qui venait de se ficher aux pieds de Khimeira. Tous poussèrent des hurlements de frayeur en même temps qu'une pluie de gravillons et de particules de terre s'abattait sur eux. Puis la poussière les enveloppa d'un coup, les faisant tousser et larmoyer.
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« Allô ?... Allô ?!, répétait désespérément Walker à l'autre bout du fil. Vous m'entendez ?... Qu'est-ce qu'y se passe, je ne vous reçois plus ! »
Le webmaster trifouilla son émetteur-récepteur, tenta d'effectuer quelques réglages sur ses ordinateurs, mais en vain. Il ne parvenait plus à établir le contact avec ses quatre modos perdus à plusieurs centaines d'années de là.
Il prit le temps de réfléchir avant d'agir inconsidérément et trouva une solution.
Il sortit une Pokéball et rappela Celebi à lui.
« Retourne auprès d'eux et emmène-les à notre époque, au carrefour des plages de Kalos s'il te plaît. »
Le petit Pokémon vert agita ses antennes et fit vibrer ses ailes de fée pour montrer qu'il avait compris, puis disparut dans une faille temporelle.
Walker se rendit ensuite au labo Pokéscience pour voir où en étaient les analyses de l'étrange brume verte retrouvée autour du bureau de Dragibus.
« Les analyses ne sont pas terminées, dit Zansui, mais je peux déjà dire que ce gaz contient des particules alimentaires.
- Quel genre d'aliment ? demanda Walker étonné.
- Aucune idée pour l'instant. Il faut que je sépare les molécules pour le savoir, et ça prend du temps.
- Ok, préviens-moi dès que tu auras du nouveau.
- Oui chef ! »